M.
Charles Fournier est député sortant écolo de Tours (depuis une semaine,
notre irremplaçable professeur Saint-Graal et autres ravagés de la coiffe du même
acabit s'agitent beaucoup, entre Cher et Loire, pour le faire réélire dimanche). Quand il n'agit pas pour les animaux, ce qui est fort louable, M. Fournier écrit sous X. Voici comment
s'exprime un député écolo de nos jours :
« À tous ceux qui répètent à longueur de journée des amalgames sur les plateaux télé, dans la presse ou dans vos meetings : vous alimentez les fractures et servez de marche pied à l’extrême-droite. »
Alors,
voilà. D'après notre élu zoophile, il est possible non seulement de répéter
des amalgames, mais aussi d'alimenter des fractures dans le but de se
transformer en marchepied — ou bien serait-ce en “marche à pied” ? Le doute subsiste.
On choperait le tournis pour moins que ça. Et en dépit de toutes les mesures prises par M. Fournier en faveur des bébêtes tourangelles, gageons qu'une chatte aurait du mal à y retrouver ses petits.
On l'a récupéré chez les voisins d'en face ; qui nous l'ont “vendu” pour un chaton de deux mois, mais qui doit plutôt en avoir entre trois et quatre, si l'on tient à mon avis sur la question. Toujours d'après le voisin, ce serait un mâle, mais le doute est largement permis. Disons que, en attendant le verdict de notre vétérinaire, mardi, il s'agit d'un félin gender fluid, ce qui nous fait sauter à pattes jointes dans la plus échevelée des modernités. Iel a bon appétit… et la chiasse, ce qui est dans l'ordre des choses.
Le premier contact avec Charlus s'est déroulé au mieux. Étrangement, le chien a semblé plus impressionné qu'excité par le nouvel arrivant. Finalement, il a tout de même risqué une truffe dans sa direction, lui a donné deux petits coups de langue sur la calotte crânienne, histoire d'officialiser la rencontre, sans que le chat en prenne ombrage, en tout cas de façon feularde et griffue.
Restait la question du nom. Notre snobisme littéraire ne s'étant nullement calmé avec les années, il nous en fallait un glané du côté de chez Proust. Moins facile que c'en a l'air, car la majorité des noms que l'on trouve dans La Recherche ne sauraient convenir à un greffier, même pré-genré : je me voyais mal, par exemple, appeler cette pauvre bête Bréauté-Consalvi ou Princesse-de-Parme.
Nous nous sommes finalement arrêté sur Saint-Loup. Deux syllabes assez sonores pour être vite assimilables par un cerveau de matou, faciles à prononcer pour nous, voire à hurler s'il fait une connerie sous nos yeux. De plus, tout le monde se souvient que, chez Proust, le marquis de Saint-Loup-en-Bray est le neveu du baron de Charlus.
L'onomastique venait donc à point pour renforcer des liens familiaux encore à peine esquissés.
Bon,
l'affaire est entendue : Donald Westlake est un infréquentable méritant
la roue, l'estrapade, le pilori et le gibet ; il a beaucoup de chance d'être déjà mort.
Voici ce qu'il écrit à propos d'un des flics qui viennent d'apparaître au
chapitre 8 de Pourquoi moi ? :
«
C'était un Nègre de vingt-huit ans, une foutue tapette à la langue bien
pendue : le sergent Léon Windrift. Si Léon avait simplement été
homosexuel, il y a longtemps qu'il aurait été viré de ce corps d'élite
qu'était la police new-yorkaise. S'il avait simplement été noir, il
serait resté flic des rues sa vie durant. Mais comme il était à la fois
nègre et pédé, on ne pouvait ni le virer ni le garder dans un
commissariat de quartier, ce qui expliquait l'ascension rapide qui
l'avait conduit au grade de sergent et à un boulot au quartier général.
»
À
fin d'exemplarité, je propose que le cadavre de cet ignoble
homonégrophobe soit promptement déterré et publiquement écartelé puis brûlé lors d'une
grande cérémonie expiatoire, citoyenne, inclusive, éco-responsable et,
bien sûr, aussi dérangeante que décalée.
Le
français du Señor Météo. Pour aujourd'hui, l'iBigo m'annonce de “belles
éclaircies à partir de 13 h”. Or, depuis ce matin, le ciel est
implacablement azuréen : comment va-t-il s'y prendre pour s'éclaircir ?
En
regardant les petites icônes, celles qui permettent aux illettrés de
savoir eux aussi le temps qu'il va faire, je constate que quelques
nuages sont prévus d'arriver à partir d'une heure de l'après-midi, mais sans doute pas assez compacts pour masquer totalement le soleil.
Donc, pour le Señor Météo, une arrivée de nuages dans un ciel pur s'appelle une éclaircie ; qu'il n'hésite pas, en outre, à trouver belle. J'ai commencé par me moquer — évidemment.
Puis,
je me suis demandé comment, moi, brusquement investi des pouvoirs et de
l'autorité du Señor, je qualifierais en une courte formule le phénomène
en question.
Je
dois bien reconnaître n'avoir rien trouvé de tout à fait satisfaisant.
“Vilain assombrissement” serait évidemment ridicule. “Moche ennuagement”
est encore pire. “Soleil partiellement offusqué” sonne par trop
prétentieux.
Non parce que, quand même : on ne peut pas passer toutes ses journées uniquement entre Chateaubriand et Proust, même si on est un intellectuel dûment barbelé de références littéraires. Il faut savoir se détendre un peu. Prendre durant une heure ou deux la vie par ses côtés improbables.
Pour cela, rien de mieux que d'aller piocher dans la pile des romans déjà lus de Donald Westlake, spécialement la série des Dortmunder, du nom du personnage principal de cette épopée du cambriolage moderne en une quinzaine de volumes. On peut les lire dans n'importe quel ordre, mais pourquoi ne pas commencer par le premier, loin d'être le moins réjouissant ?
C'est ce que j'ai fait hier. Pierre qui brûle est l'histoire d'une émeraude que se disputent deux pays africains imaginaires, et qui se trouve présentement — vrai coup de chance — au Coliseum de New York. Quoi de plus évident, pour Dortmunder et sa petite bande de branquignols d'anthologie, que de mettre la main dessus ? Évidemment, tout va se mettre à mal marcher, à barrer en implacables sucettes. (Ce disant, je ne casse aucun suspense : tous les “coups” montés par les Dortmunder's Boys échouent systématiquement ; c'est presque leur marque de fabrique.)
Ce matin, ayant fini de brûler ma pierre, j'ai rouvert Comment voler une banque. À ce sujet, une remarque. Pour je ne sais quelle obscure et tortueuse raison, les éditeurs français de romans policiers américains ont longtemps eu à cœur de donner à leurs livres des titres absurdes, si possible n'ayant rien à voir avec l'original, même quand il était aisément traduisible tel quel — les plus acharnés en ce domaine étant la consternante Série noire de Gallimard.
Tel n'est pas le cas ici. Westlake a appelé son roman Bank Shot. Le titre français, Comment voler une banque, est certes différent, mais il est judicieux. En effet, il ne s'agit nullement, pour Dortmunder et ses pieds nickelés, de simplement dévaliser cette banque de Long Island, mais bel et bien de la voler, après l'avoir équipée nuitamment de roues et d'essieux.
La chose est-elle possible, même seulement concevable ? Allez-y voir…
Puisque nous en étions aux chansons qui me font un étrange effet, je pourrais aussi parler de Porque te vas, chantée, avec un accent un peu bizarre, un peu “impur”, par la jeune Jeanette — qui est aujourd'hui une bien vieille dame.
J'ai,
comme à peu près tout le monde, découvert cette chanson à la fin de
1976 ou au début de la suivante — j'étais parisien de très fraîche date —,
en allant voir le film de Carlos Saura, Cría Cuervos, qui, par son retentissement, a fait de cette ritournelle, sortie fort discrètement quelque temps plus tôt, un “tube” quasi mondial.
(Ma
mère étant, sur ces entrefaites, venue passer une semaine dans le
deux-pièces de la rue de Patay, 21, que je partageais avec Denis
Barthès, mon ami orléanais des lycées Pothier puis Benjamin-Franklin,
pour je ne sais quelle formation qu'elle devait suivre, j'étais retourné
voir le film avec elle, mais probablement, cette fois, en version
doublée.)
Presque 50 après, je ne me rappelle à peu près rien de Cría Cuervos,
sauf une scène : on y voyait la très jeune Ana Torrent (elle a
aujourd'hui 57 ans...) assise dans un canapé, posant le disque de
Jeanette sur son petit électrophone et écoutant religieusement Porque te vas.
Pour
autant que je comprenne encore un peu l'espagnol, les paroles de cette
chanson ne valent pas grand-chose. Si l'on tient à être indulgent, on
les dira anodines. Et je ne suis pas sûr que la mélodie soit
beaucoup plus relevée. Pourtant, chaque fois que je l'entends, ce qui
n'arrive pas tous les jours, ni même tous les ans, elle me plonge dans
un état spécial que j'aurais bien de la peine à définir — la preuve : je
n'essaie même pas. Mais, comme dans le cas de So far away, c'est un effet qui se prolonge bien au-delà du temps de la chanson ; parfois plusieurs heures.
Effet
durable, mais que je pressens fragile, prêt à s'évaporer si j'en venais
à trop le solliciter, C'est au point que, si d'aventure l'occasion de
revoir le film de Saura m'était un de ces jour donnée, je crois bien que
je me défilerais. Par crainte irraisonnée de casser quelque chose.
De
voler sa jeunesse à Jeanette et son enfance à Ana.
Je viens, chez Toitube, de tomber par hasard sur Nicolas Peyrac chantant So far away from L.A.
Je l'ai écouté jusqu'au bout, et j'ai pu constater que cette chanson me
plongeait toujours, comme il y a quarante ans et plus, dans la même
mélancolie nostalgique, provoquant chez moi une sorte de regret souriant baudelairien aussi inexplicable que tenace.
L'étrangeté
de cet effet produit sur moi est augmenté du fait que Peyrac est un
chanteur qui ne m'a jamais particulièrement intéressé, et que la petite
dizaine de chansons que j'ai pu, dans le temps, connaître de lui m'a
toujours laissé à peu près voire complètement froid. Mais entonne-t-il So far away ? Il est sûr de “m'avoir” à tous les coups.
(Autre
petit fait curieux : chacun pourra constater, au vu du portrait
ci-dessus, que, les années passant, Nicolas Peyrac s'est fait presque la
même tête que Jean-Pierre Darroussin.)
Je
me souviens aussi d'un soir, vers le milieu des années quatre-vingt,
dans l'un de ces restaurants japonais où les client sont assis le long
d'un comptoir plus ou moins circulaire autour du faiseur de sushis, je me
souviens d'avoir dîné à côté de ce Nicolas-là. Il était en compagnie
d'une femme ; je n'étais pas seul non plus, mais du diable si, les
décennies ayant passé, je me rappelle avec qui.