vendredi 28 août 2015

Adieu Paludes


Tel est le titre du journal de juillet.

jeudi 27 août 2015

Et nous revenons chez nous


Ce n'était pas arrivé depuis des mois. J'avoue avoir aimé la sécheresse, en raison de mon peu d'appétence pour la tondeuse à gazon, dont ce climat stupidement méditerranéen monté vers le nord m'a dispensé durant deux mois. Or, depuis ce matin, et même peut-être avant, je ne sais pas, je dormais, il pleut. Lentement, lourdement, une pluie appliquée et consciencieuse, régulière, ininterrompue, tranquillement normande ; elle me convient. Les odeurs s'exhalent, le monde semble s'étrécir par le poids des nuages. D'où je suis, je vois Boulou, le chat obèse, replié sur le paillasson et attendant que la porte lui soit ouverte. Il y a les bruits, piquetés, discrets, insistants tout de même, rassurants d'une certaine manière, des gouttières et des arbres. On se demande alors comment vivent les bêtes, dehors, et notamment les petits de l'année, qui ont cru naître le mois dernier dans une sorte de garrigue touristique et se retrouvent dans cette terre détrempée, grasse, patiente, environnées par cette herbe redevenue goulue, sous ce modeste déluge qui semble éternel. Boulou attend, je le vois. Bien sûr, cette reverdure va nous obliger, demain, après-demain, à sortir la tondeuse. On fait semblant de s'en désoler, on en est en fait très content.

Le temps d'écrire ces dix lignes, la pluie s'arrête. Mais nous sommes assurés depuis ce matin d'être en Normandie ; elle va donc reprendre. Le vent a disparu, pour que les gouttes tombent droites et impassibles. Il reste quelques gargouillis dans les gouttières. Puis tout se tait, le silence tombe comme une chape. Boulou, sur son paillasson, s'est endormi. – Non, ça y est, il s'en va.

samedi 22 août 2015

Tristesse des romans


Je ne connais rien de plus triste, dans la littérature française, que les dernières pages du Vicomte de Bragelonne. À chaque mort, celle de Porthos – titanesque, surhumaine, presque enviable et pourtant à se taper la tête contre les rochers qui l'ensevelissent –, celle d'Athos qui s'apparente à un suicide ou plutôt à une assomption, puis enfin celle de d'Artagnan, qui est un couronnement, le lecteur se recroqueville dans son fauteuil, en veut presque à Dumas de lui infliger pareil arrachement, tout en sachant qu'il ne pouvait faire autrement. Et il ne faudrait pas oublier Mousqueton, le valet de Porthos, qui, après l'ouverture du testament de son maître lui léguant tous ses vêtements, est retrouvé mort par d'Artagnan, au milieu des habits en question. Il y a aussi Aramis, condamné à rester vivant, et honoré, et puissant, et riche, c'est-à-dire damné.

Rien de plus triste ? Si, finalement. Reportez-vous loin en arrière. Souvenez-vous de vos genoux écorchés et de cette édition pour enfants de Sans famille. L'ouverture du roman : Rémi est empli d'une joie à la fois simple et intense, la Mère Barberin, parce que c'est la Chandeleur, je crois, va faire des crêpes. Ils sont deux, dans cette misérable bicoque, cette vieille femme et Rémi, qui ne sait pas que son enfance va se terminer ce soir. Car, soudain, la porte s'ouvre, et entre le Père Barberin. (Je ne me souviens pas d'où il vient ni pourquoi il était absent ; mais, le lecteur-enfant que je fus a étiré le temps comme on l'a tous fait dans la vie réelle, et il lui semble que ce représentant de l'autorité, du monde extérieur, effrayant, est parti extraordinairement longtemps. Toute la vie, peut-être.)

Le Père Barberin exige sa soupe, et il veut du beurre dans cette soupe. La soupe de Barberin est l'intrusion du monde dans le petit univers clos et douillet de Rémi. (L'enfant bien nourri de 1964 ou 65 ne comprend pas très bien où est le problème, il ne sait même pas que l'on met du beurre dans  la soupe. Du reste, il préfère le saucisson et le camembert ; néanmoins, il pressent l'orage et il poursuit sa lecture.) La Mère Barberin, tremblante devant l'homme comme une femme à l'ancienne mode, tente de négocier : moitié de son pauvre bout de beurre pour la soupe du revenant,  moitié pour les crêpes de l'enfant ; c'est-à-dire moitié pour  le monde, moitié pour l'enfance.. Le Père Barberin, alors, pique le bout de beurre entier et le plonge dans la soupe : il n'y aura pas de crêpes.

J'ai lu plusieurs milliers de livres depuis. Aucun ne m'a plongé dans de tels abîmes de tristesse, assortis de mes premiers mouvements de révolte. Même pas les mousquetaires.

Sans famille est, je crois, une chose miraculeuse et fragile, comme un amour silencieux d'adolescence : il ne faut pas y revenir. Ce serait gâcher, casser, saccager.

mercredi 19 août 2015

Ultimes métamorphoses des Mousquetaires

À lui seul, Le Vicomte de Bragelonne est deux fois plus long que Les Trois Mousquetaires et Vingt ans après réunis : environ cinq millions de signes ; c'est son premier gros défaut. L'intérêt ne parvient pas à se maintenir durant ces innombrables pages, d'autant moins que le roman présente, à peu près en son milieu, un énorme ventre mou, lequel est constitué par la valse des différentes amours péniblement niaises, mettant en scène Louis XIV, Louise de La Vallière, Henriette de France, Raoul de Bragelonne, le comte de Guiche, le duc de Buckingham, ainsi que deux ou trois autres godelureaux et godelurettes de moindre envergure. Il y a là trois ou quatre cents pages que le relecteur prévenu ne fait que parcourir aussi rapidement que possible, à seule fin d'y débusquer les chapitres concernant les différentes intrigues et mettant en scène les quatre héros, savoureuses pièces de viandes que Dumas a vicieusement entrelardées dans ce paquet de mauvaise graisse.

Le deuxième gros défaut du roman est constitué par son personnage éponyme. Raoul de Bragelonne est un concentré de vertu, de droiture, de piété filiale, de dévouement au roi, d'honneur, de… Raoul de Bragelonne est un concentré, et il n'est rien d'autre. Il l'est à un point, concentré, que, tel un trou noir retenant captive toute lumière, il ne laisse jamais échapper la plus petite réaction humaine, le moindre trait de caractère un peu inattendu, le plus infime éclair d'humour ou de folie. Il est tellement ennuyeux qu'on en arrive à se dire que tout ce qu'il mériterait, ce serait de passer sa vie entière en tête à tête avec Louise de La Vallière ; et le lecteur excédé finit par accueillir sa mort avec la satisfaction d'une revanche personnelle enfin assouvie. Au fond, Raoul de Bragelonne, c'est son père, Athos, si celui-ci n'avait pas eu la chance de rencontrer Milady et de souffrir abominablement par elle.

Néanmoins, il faut lire Le Vicomte de Bragelonne ; pour le reste, c'est-à-dire pour le carré d'as. (Je dis cela si l'on a la chance d'être né garçon : si l'on est une fille, je suppose qu'on préférera les pages que je viens d'évoquer.) Athos, dans cette partie, me paraît le moins intéressant des quatre, sans doute à cause de ce boulet de paternité qu'il traîne à sa jambe. D'Artagnan prend des couleurs plus subtiles, des teintes d'automne ; il s'insinue en lui un peu de ce désenchantement de l'homme qui s'aperçoit que le siècle est en train de le laisser derrière lui et a du mal, peine et révolte mêlées, à y consentir. Mais ce sont surtout Porthos et Aramis qui subissent la plus étonnante métamorphose. 

Je parle au singulier car il leur arrive la même chose, avec bien sûr des résultats fort différents, à savoir une amplification telle de leurs personnes, de leurs caractères, qu'ils cessent sous nos yeux d'être humains pour se transformer en des sortes de héros mythologiques, des créatures de légendes. Porthos était une force de la nature : il devient titanesque ; capable, dans le parc du surintendant Fouquet, à Saint-Mandé, de déraciner des hêtres, de briser le tronc des chênes, simplement pour y récupérer les petits œufs des mésanges, verdiers ou grives qui y couvent. Et il se fait alors des omelettes de plusieurs centaines de ces œufs : Porthos est devenu Gargantua.

Aramis va subir une mutation analogue, mais, lui, ce sont ses dons pour l'intrigue et ses appétits de pouvoir qui vont enfler jusqu'à une démesure proche de la folie. Devenu général des Jésuites, il affirme disposer de richesses à peu près illimitées et déclare tranquillement à Fouquet, peu avant la chute de celui-ci, qu'il est désormais “au-dessus des rois et des trônes”. Aramis s'est transformé en un Monte-Cristo faustien. Et c'est sans doute pour cette prétention à égaler Dieu qu'il sera le plus cruellement puni des quatre, puisque condamné à demeurer sur terre après la mort de ses trois amis ; en attendant pire, sans doute. D'où les derniers mots de d'Artagnan agonisant : « Athos, Porthos, au revoir. – Aramis, à jamais adieu ! » Et Dumas d'appuyer, dans son ultime phrase : « Des quatre vaillants hommes dont nous avons raconté l'histoire, il ne restait plus qu'un seul corps : Dieu avait repris les âmes. »

mardi 18 août 2015

La voix des morts 2 (en “temps réel”)


C’est l’histoire d’un acteur de seconde zone. Avant que j’arrive dans le film, sa femme et sa fille sont violemment mortes, et il a fait une tentative de suicide, à la suite duquel sa vie est devenue assez mouvementée : il ne cesse de croiser des gens qui vont mourir prochainement, si possible de mort violentes et originales, et il les voit émettre des rayons lumineux, ce qui le perturbe quelque peu.  Parfois il les empêche de défunter, parfois non. Un jour, il sauve son infirmière d'après suicide, une blonde moche avec deux mèches violet fluo sur le côté, qu’on n’a jamais vue dans aucun film et qu’on ne reverra probablement pas. Elle est veuve et son mari était un prof de musique super cool que les enfants adoraient : au lieu de les faire chier avec « do ré mi », il leur faisait chanter des trucs des Beach boys et d’autres groupes hyper fun du même genre ; elle l’invite à un festival d’enfants braillards qu’elle organise depuis qu’elle est veuve, deux ou trois jours plus tard.

En attendant, le héros va voir une autre veuve, celle d’un type qui, si j’ai bien compris, a vécu la même chose que le héros, mais avant. Elle lui dit qu’elle l’attendait et elle le laisse seul dans le bureau de son mari. La télé se dérègle comme dans les années soixante,  les plombs sautent, des sortes de zombis apparaissent ; et la veuve, qui entrouvre la porte du bureau pour passer la tête, nous apprend qu’elle ne l’est pas, veuve, mais que son mari est chez les dingues ; le héros y va. Il lui demande pourquoi il a tué sa femme et sa fille. L’autre, dos tourné, lui balance tout à trac :  « Qui a été sauvé doit tuer. » Il envoie encore quatre ou cinq sentences imbitables du même tonneau. Puis, il se retourne et montre sa gueule complètement niquée du côté gauche, avant de devenir fou furieux. Le héros achève de lui rectifier sa face. C’est vachement violent.

Le héros rentre chez lui, avec le journal intime du fou, plein de croquis qui font peur, mais hyper bien dessinés. Là-dessus, l’infirmière au sourire niais se pointe, pour lui rappeler qu’elle l’a invité et, visiblement, dans l’espoir de s’en prendre un petit coup entre les baguettes. Mais le héros a un peu la tête ailleurs. D’ailleurs, il dort mal et fait des tas de cauchemars qui font du bruit dans la télé : même Bergotte sursaute.

Mais enfin, on le retrouve avec l’infirmière, en train de s’arsouilller au picrate sur un banc. Ils se prennent la main et elle l’entraîne dans un bar à billard.  Elle rit tout le temps, elle est excitée comme une puce, on l’entend clapoter d’ici. Mais lui, il pense tout le temps à sa fucking femme morte et, du coup, il n’est pas tout à fait au top côté bandaison. Finalement, il se casse ; il y a des zombis en noir et blanc dans la rue, et il se retrouve chez lui. Ça devient un peu confus, peut-être parce que je rédige en même temps et que je suis obligé de regarder le clavier, n’étant pas dactylo. Lui, par contre, comme tous les héros de films, tape avec ses dix doigts, ce qui m’énerve.

« Que celui qui est intelligent compte le chiffre de la bête », dit alors celui qui a tué sa femme et sa fille, et qui a miraculeusement retrouvé une trombine intacte : on se doute qu’on est dans le passé. Le héros ne comprend toujours rien, visiblement, et moi non plus. Il fait une addition de je ne sais quoi et aboutit à un total de 666. Là, le spectateur réalise qu’on ne rigole plus. Le héros découvre que Lucifer est un ange déchu qui est devenu le diable : y a pas d’âge pour apprendre les trucs essentiels. Il téléphone à l’infirmière, qui essaie de la jouer chatte, sans succès, et juste après il y a un pianiste à l’air dément dans un hôtel de luxe. Le héros prévient son pote nègre par téléphone : « Il est possible que le diable soit en train de jouer avec moi. »  Ah, meeerde…

Le pianiste, fort raisonnable jusque-là, se met à jouer des trucs ignobles, genre Boulez, puis sort un flingue de son sac de sport posé à ses pieds. On a beau l’exhorter : « Put the gun down ! », y a pas mèche. Le héros arrive à l’hôtel. Pourquoi ? Ben… parce que l’infirmière lui a dit d’y aller. (Je sais, ça devient pénible…) Le héros se bat avec le pianiste, et le demi-queue laqué noir tombe du deuxième étage, mais au ralenti ; ce qui ne l’empêche pas d’écrabouiller la réceptionniste. Le pianiste a l’air tout désolé ; quant au héros, il commence à se rendre compte que les deux expressions faciales qui sont à sa disposition deviennent insuffisantes pour la complexité de son rôle. Néanmoins, il fonce au récital de chansons d’enfants (là, on bascule vraiment dans un film d’horreur) où l’a invité l’infirmière. Sur le chemin, l’image passe brusquement au noir et blanc, et sa bagnole est traversée par trois ou quatre spectres lumineux à vélo.

Le chœur d’enfant est atroce à  supporter pour le spectateur, heureusement des spectres apparaissent, tandis que le héros se demande ce qu’il va faire du flingue qu’il a piqué au pianiste. Puis le concert est fini, et l’infirmière vient se frotter à lui comme une goule en chaleur. Il lui dit qu’il doit lui parler, ce qui ne semble pas correspondre à ses attentes immédiates. Mais c’est qu’il veut la sauver malgré elle. Pas de chance, il se fait virer par les appariteurs musclés. Il a l’air furieux – c’est-à-dire qu’il a la même tête que depuis le début du film. Il suit l’infirmière affolée de la touffe, chacun dans sa voiture, par les rues désertes. Elle rentre dans un bar de nuit, peut-être dans l’espoir d’y ramasser une bite en déshérence, mais on n’est sûr de rien ; il la rejoint. Là, c’est lui qui émet des rayons lumineux comme s’il allait mourir : il le prend super mal et fait la même tête qu’avant. Il dit à la blonde qu’il est « so sorry » de l’avoir sauvée et il braque son flingue sur elle (un truc a dû m’échapper). Sauf qu’il y a trois flics dans le bar en train de s’empiffrer de donuts, et que c’est lui qui se fait plomber. Mais il a l’air content parce que la malédiction est vaincue (enfin, je suppose). Là, c’est l’infirmière qui semble ne pas aller très bien ; l’ambulance l’embarque, les plombs sautent dans le bar, l’ambulance fait des zigzags, l’infirmière hurle, ses yeux se révulsent, je crois qu’il faudrait vraiment qu’un type se dévoue pour elle. Là-dessus, apparaît le zombi en noir et blanc du héros, et l’ambulance fait un accident, mais pas grave parce qu’elle a réussi à éviter le camion-citerne grâce au zombi du héros ; lequel a la tête du type qui se demande ce qu’il est venu faire dans ce film. Le dernier plan c’est l’autre dément avec sa demi-gueule ravagée, dans sa cellule psychiatrique. Et, enfin, sur fond de générique, le spectateur qui se demande pourquoi il n’est pas allé se coucher une heure plus tôt.

vendredi 14 août 2015

Mes excuses à Dumas

 
Je dois demander pardon. Dans un billet, non récent mais pas si ancien, j'ai dit qu'Alexandre Dumas était le prince des “écrivains en bâtiment”. Non seulement ce n'est pas vrai, mais j'en arrive à me demander si mes petites frontières sont aussi pertinentes qu'elles en ont l'air.

Alexandre Dumas est un écrivain. Tout court. Il suffit pour s'en persuader, comme je le fais en ce moment, de relire sa trilogie mousquetairienne. Essayez, plongez-vous dans l'épopée : vous y serez happé dans la seconde, vous ne pourrez plus vivre hors de ce premier XVIIe siècle, vous goûterez les fumets des viandes que nos mousquetaires dévorent et lamperez les vins de bourgogne ou de champagne qu'ils avalent à grandes gorgées.

Puis, vous passerez des Trois Mousquetaires à Vingt ans après ; alors, vous sentirez passer le vent du temps, de la vieillesse, vous penserez à vos propres amis, dont vous avez bien évidemment le numéro de téléphone dans votre agenda, mais que vous n'appelez jamais. Vous aurez le cœur serré quand les quatre amis se retrouvent opposés, deux à deux, prêts à tirer l'épée les uns contre les autres, parce que le vent de l'histoire les a conduits là, place Royale (actuellement place des Vosges), et que le temps les a marqués sans qu'ils l'aient su.

C'est à ce moment que Dumas est un écrivain, et un grand. Parce qu'il sait faire briller le soleil de la jeunesse sur Les Trois Mousquetaires, avant d'amorcer un crépuscule qui trouvera sa résolution dans Le Vicomte de Bragelonne.

Donc, si l'on met de côté Stendhal, qui est vraiment à part de tout, le premier XIXe siècle a enfanté deux grands romanciers, dont l'un était aussi un grand écrivain : Balzac et Dumas.

De notre effondrement culturel


À ceux qui qui naïvement me prennent pour un homme cultivé, je vais infliger ce violent démenti : je n'ai jamais lu le Satiricon de Petrone. Or, par un détour sans intérêt, je viens de le recevoir, en “Folio classique”. Classique, n'est-ce pas ? C'est inscrit sur la couverture. En effet, on peut difficilement faire plus classique que cette œuvre de deux mille ans. Recevant le volume, je le retourne, afin d'en voir la “4ème de couverture”, comme on dit. Elle est intéressante. Tout en haut, il y a le nom de l'auteur, en dessous le nom du livre, plus bas celui du traducteur (Pierre Grimal, en l'occurrence). Encore plus bas, un extrait de ce qu'on va lire.

Enfin, en petits caractères, deux lignes dont on suppose qu'elles sont là pour nous donner envie d'acheter le livre. Elles disent ceci : Le Satiricon a inspiré à Fellini un de ses films les plus saisissants. « J'ai fait un film sur l'Antiquité qui raconte une histoire d'aujourd'hui. »

Et voilà. Après deux millénaires d'existence, la seule chose qui sauve l'œuvre de Petrone, pour nous, c'est qu'un pesant guignol cinématographique italien l'ait mis au pillage. Je puis évidemment admettre qu'on aime Fellini, même si je ne le comprends pas, mais enfin, le livre de Petrone n'a-t-il vraiment aucun autre titre de gloire ou simplement d'intérêt que d'avoir servi de prétexte à M. Fellini, qui, en outre, en profite pour nous gratifier d'une superbe ânerie modernœuse, puisque en aucun cas le Satiricon ne saurait raconter une histoire “d'aujourd'hui”. 

Va-t-on bientôt, pour espérer nous faire acheter le Voyage au bout de la nuit, nous signaler que ce roman a été “adapté” en bande dessinée par un nommé Tardi ? Les Fleurs du mal ne se vendront-elles plus que si on choisit d'illustrer leur couverture avec les pochettes des disques de Léo Ferré ? Et, d'ailleurs, qui se soucierait encore d'Alexandre Dumas si ses Mousquetaires cessaient brusquement de passer à la télévision ?

jeudi 13 août 2015

Dos à dos, mais sous le parasol


J'éprouve une horreur quasi sacrée, et un accablement qui l'est à peine moins, dès que j'entends cette expression : renvoyer dos à dos. Renvoyer Pierre et Paul dos à dos, lorsqu'ils s'opposent sur un point ou un autre, c'est se laver les mains, avouer son incompréhension, son aveuglement ou sa frousse ; en se donnant, en outre, des allures d'esprit large, supérieur, surplombant. Par exemple, on peut ainsi renvoyer dos à dos le catholicisme et l'islam, ce qui est une manière dégagée de dire qu'on ne veut pas d'ennui et que, par conséquent, on se gardera bien de voir ce que l'on voit et d'écouter ce que l'on entend.

Néanmoins, et pour une fois, je vais moi aussi renvoyer dos à dos. Paris Plage est une monstruosité dont Philippe Muray a dit tout ce qu'il convenait de penser, si l'on est un esprit à peu près sain. Partant, le fait que la sottise s'invite soudain au cœur de la stupidité béate, et que cet enfer ludique devienne pour une journée Tel Aviv sur Seine, ne pouvait en aucun cas me tirer de ma léthargie estivale. Que les habituels antisémites d'extrême gauche grimpassent aussitôt au sommet des parasols pour s'époumoner et crier au monde leurs indignations soigneusement repeintes en tenue de camouflage n'a pas pu davantage me faire soulever une paupière, tant les pavloveries antijuives des palestinolâtres sont prévisibles et toujours au rendez-vous. Choisir entre les clowns blancs de la mairie de Paris et les augustes des officines judéophobes m'était décidément impossible ; et d'autant plus que, pour les départager, il m'aurait fallu descendre dans leur arène, c'est-à-dire dans ce cloaque festif que sont, en ce moment même, les quais de la Seine.

Je les ai donc renvoyés dos à dos. En espérant que, si jamais l'un ou l'autre vient à se retourner, nos braves CRS condamnés à surveiller ce jardin d'enfants cauchemardesque ne molliront pas de la matraque ni des friandises lacrymogènes.

mercredi 12 août 2015

Tout le monde aime Berthe au grand pied !


Ayant compris – par quel mystérieux biais ? – que son auteur ne tarderait plus à nous faire visite, Golo, chat démago, a tenu à montrer en quelle estime il tenait l'œuvre. On remarquera que les deux poules qui se trouvaient là ne font pas trop les fières.

mardi 11 août 2015

D'Artagnan, ce fils indigne


On se souvient que ce qui met en route l'intrigue des Trois Mousquetaires, ce sont les moqueries suscitées par l'entrée de d'Artagnan, un beau jour d'avril 1625, dans le bourg ligérien de Meung, où, deux siècles plus tôt fut emprisonné François Villon dans les geôles de Thibault d'Aussigny, évêque d'Orléans, et où sera enterré, trois siècles ensuite, le poète régional, partageux, alcoolique et tuberculeux Gaston Couté – mais je m'égare. Moqueries est trop fort : sourires en coin serait plus juste ; et provoqués non par lui-même, fringant jeune homme, mais pour moitié par sa mise de Béarnais désargenté (donc de plouc) et par son vieux cheval jaune, qui appelle irrésistiblement la comparaison avec Rossinante.

Dans la scène suivante, grâce à un petit retour en arrière, on prend connaissance des ultimes recommandations de M. d'Artagnan père à son rejeton, avant son grand départ pour Paris et l'immortalité littéraire. L'une de celles-ci concerne précisément ce cheval, dont le père nous informe que, né chez lui, il a maintenant 14 ans (ou 16 : le livre est resté dans le salon…) ; en foi de quoi, il demande expressément à son fils, eu égard à ce long compagnonnage, de ne jamais le vendre et de l'entourer de soins jusqu'à sa mort. Or, quelle est la première chose que fait ce jeune crétin en franchissant la barrière Saint-Antoine ? C'est de brader le malheureux cheval jaune au premier maquignon venu, sans que Dumas n'éprouve le besoin de nous dire un mot de cette désobéissance flagrante à la consigne qui lui fut donnée cinq ou six pages plus haut. Je continue à trouver cela très bizarre.

Sinon, j'ai trouvé et commandé Le Vicomte de Bragelonne en collection “Bouquins” pour 0,76 €.

samedi 8 août 2015

Comment devenait-on homosexuel au début du XXe siècle ?

Jacques Laurent, écrivain hétérosexuel, 5 janvier 1919 – 29 décembre 2000.

Les Corps tranquilles sont un étrange et énorme roman ; qui tire de cette énormité même une grande part de son étrangeté. Jacques Laurent n'a pas trente ans, lorsqu'il publie dans l'indifférence générale ce moellon (on ne peut plus, ici, se contenter du pavé) de trois millions de signes ; indifférence peut-être provoquée par le fait que tous les projecteurs, en cette année 1948, sont braqués sur Cecil Saint-Laurent et sur sa Caroline Chérie. Le livre fait penser à ces fleuves puissants mais coulant dans des pays presque parfaitement plats, et qui, donc s'élargissent et méandrent à plaisir, le plus imperceptible incident de terrain suffisant à les faire bifurquer à droite ou à gauche, revenir sur leur cours, repartir dans l'autre sens – et ainsi presque à l'infini, comme répugnant à rejoindre la mer. Paul Morand a dit des Corps tranquilles qu'il s'agissait d'un roman “oisif et nonchalant” : il a parfaitement raison. C'est le livre d'un jeune homme qui ne voit pas au nom de quel précepte, étant ici chez lui, il s'interdirait quoi que ce soit. Au premier paragraphe de ces neuf cent pages, il fait descendre son personnage masculin principal, Anne Coquet, dans le métro parisien. Et, d'emblée, on le sent aussi ignorant et curieux que nous de savoir ce qu'il va lui arriver, qui il va rencontrer, quelles femmes vont le séduire, lesquelles il va baiser, etc. (Je dis baiser car le mot fait partie du vocabulaire de Laurent, en tout cas dans ce livre-ci.) Nous ne venons pas d'entrer dans un roman comportant des digressions, mais fait de digressions, au milieu desquelles les nombreux personnages semblent aller et venir, apparaître, disparaître, resurgir, au gré de leur seule fantaisie de personnages, sans que l'auteur ne les contraigne à quoi que ce soit. C'est exactement une lecture d'été, en ce sens qu'elle invite à la fois à la découverte du monde et à une certaine paresse opiniâtre.

Comme il faut bien que je justifie mon titre, en voici un court extrait, tiré de la page 631 de l'édition Stock de 1991. Dans une boîte de nuit parisienne (nous sommes en 1937), le mari et l'amant d'une femme viennent de se découvrir tous les deux cocus, et l'un par l'autre ; ils font la connaissance d'un compositeur d'opérettes, qui se définit lui-même comme tante et, à propos de ses mœurs, leur déclare ce qui suit.

« Ce n'est pas que j'avais une vocation particulière. C'est plutôt ma passivité qui m'y a mené. Que voulez-vous, la société actuelle, elle est faite uniquement pour les tantes. J'exagère ? Écoutez un peu. Supposez un fils unique ; il a, mettons, quinze ans. Où va-t-il ? Au lycée, où on le colle avec d'autres garçons, uniquement des garçons. Le jeudi et le dimanche, eh bien, il sort avec quelques-uns de ses camarades de lycée. Ou il sort avec un cousin, tout le monde trouve ça parfait, avec une cousine, ça fait déjà des “hé ! hé !”. Il fait du sport ? Dans son club, il y a un vestiaire, une douche, uniquement pour les garçons. Quand il prend un wagon-lit, qui a-t-il pour voisin ? Un homme. Même chez le coiffeur, on est séparé. Alors, pour peu qu'on soit un peu paresseux, on va au plus facile, au plus normal, on fait comme moi. Le reste ça suppose des ruses d'apache, un entêtement de chien de chasse, en un mot, l'obsession. Je ne dis pas la vérité ? Si le gouvernement n'aime pas ça, il n'a qu'à faire des pissotières mixtes. »

En attendant Paludes…

dimanche 2 août 2015

Les curiosités de Pierre-Robert Leclercq

Pierre-Robert Leclercq est un écrivain curieux ; je ne veux pas dire par là qu'il est étrange, ou bizarre, mais qu'il aime aller fureter dans des coins où les autres ne s'aventurent pas, ou bien trop distraitement. Prenons le cas d'André Gill, par exemple ; je suppose que vous êtes comme je l'étais lorsque le livre m'est arrivé entre les mains : vous vous dites que, oui, sans doute, cette Anastasie de couverture me dit quelque chose, avec ses grands ciseaux et sa chouette (qui se trouve être également l'emblème de l'éditeur !). Donc, son auteur ne doit pas m'être tout à fait inconnu lui non plus ; mais à part ça…

Si j'évoque un certain cabaret montmartrois s'appelant Le Lapin agile, mais dont le nom fut d'abord Le Lapin à Gill, là, vous commencez à entrevoir une époque, n'est-ce pas ? C'est précisément les époques que Pierre-Robert Leclercq s'entend merveilleusement à faire revivre, grâce à une érudition nonchalante et souriante, sans jamais rien en elle qui pèse ou qui pose. Ici, par exemple, on ne nous raconte pas seulement la vie et l'œuvre de Louis Alexandre Gosset de Guines, qui, donc, prit André Gill pour “nom de crayon” – comme d'autres ont des noms de plume. À la suite de son personnage, déjà fort pittoresque et riche en lui-même, Leclercq fait surgir tout le Second Empire, avec cette fièvre et cette verve qui agitent les journaux, bouillonnent dans les rédactions et inventent mille façons de contourner l'impériale censure… laquelle finit toujours par les rattraper afin de les condamner au silence et parfois à la geôle. On y croise, dans ces deux cents pages bruissantes, moult personnages connus (Nadar, par exemple) ou inconnus – en tout cas inconnus de nous : Pierre-Robert Leclercq, lui, les connaît tous, et les rapides portraits qu'il en trace nous donnent l'étrange certitude qu'il a dû, souventes fois, traîner des nuits entières avec eux, d'abord au marbre, ensuite au zinc. 

André Gill est mort trois semaines avant Victor Hugo, le premier mai 1885. La différence est que lui n'avait que 45 ans et qu'il était, depuis deux ans, “pensionnaire” à Charenton. Mais si vous ne voulez pas quitter Pierre-Robert Leclercq sur une note mélancolique, et si vous pensez, comme on le serine depuis nos arrière-grands-mères, qu'en France tout finit par des chansons, alors ouvrez donc ses Soixante-dix ans de café-concert (1848 – 1918), publié chez le même éditeur : au milieu de trente autres batteurs de planches, vous découvrirez la flamboyante Thérésa, qui fut en quelque sorte la Madonna de trois générations de crinolines, pour baisser finalement le rideau sur Félix Mayol. 

Après ça, on se retrouvera tous à la Cabane bambou.



Mayol (1906)chante:" À la cabane bambou... par trizone

samedi 1 août 2015

Se garer des cloaques de la blogoboule


Il y a tout juste une semaine, je publiais ici même (ayez la bonté de remonter un peu le courant de ce blog…) un billet intitulé assez pompeusement Physiologie du gauchiste ; j'aurais aussi bien pu le nommer Silhouette du malfaisant ou encore Anthropologie du nuisible. C'était ma façon de prendre congé. Aussitôt après, j'ai supprimé de mes liens (mes liens invisibles) trois ou quatre fâcheux, dont je ne comprenais plus, soudain, quel plaisir j'ai longtemps pris à aller patauger dans leurs cloaques : inutile de citer des noms, chacun trouvera facilement de qui je parle. Il faut dire que, de simplement stupides qu'ils étaient et demeurent, ils sont en train de virer au méchant. Par je ne sais quel phénomène de métamorphoses n'ayant rien du tout d'ovidiennes, ou simplement portées par les vents dominants,  les bécasses se sont fait hyènes, et on les voit désormais, l'écume aux babines, hanter les tribunaux, rameuter les juges et exiger des châtiments. Ils les obtiendront ou non, peu m'importe : je ne veux plus aller barboter dans leurs marécages. – Et je m'en sens fort bien.