Figurez-vous que Robert Marchenoir cède parfois à la tentation d'ouvrir Le Parisien : c'est assez dire les abîmes de désespérance dans lesquels peut plonger cet excellent garçon. Néanmoins, contrairement à certains qui se contentent de saloper la grille des mots fléchés, lui lit vraiment ce qu'il trouve à l'intérieur. Il lui arrive même d'en tirer quelques réflexions aussi acides que morales. Celle-ci, par exemple :
C’est la faute à leulibéralisme
(2e partie)
Le 23 mai dernier, le Parisien consacrait sa une à la triche aux examens, pour déplorer qu’elle soit de plus en plus répandue. Comme il en a l’habitude, il recueillait le témoignage de “vrais gens” sur le sujet, sous le titre : « Et vous, avez-vous des astuces pour tricher ? »
Monsieur et Madame “Prénom Modifié” n’ont pas été interrogés pour cet article. Chaque interviewé avait son nom, son prénom et sa photo dans le journal. Nous mettons ici un cache-sexe pour protéger leur pudeur.
Madame X, 36 ans, pharmacienne, Troyes :
« Je rentrais les réponses dans ma calculatrice. Surtout les formules de maths et de physique. C’était plus une sécurité, au cas où je ne me sortais pas de l’épreuve. Avec le temps que cela m’aurait pris de regarder, et avec ma chance, en fait, je n’ai jamais osé m’en servir vraiment. Arrivée en faculté, comme la calculette était interdite, je me suis retrouvée coincée. Au fond, ça ne m’a pas rendu service. »
On rappelle qu’un pharmacien est un employé d’épicerie qui gagne 15 000 euros par mois payés par le gouvernement, et qui, lorsqu’on prétend remettre en question ce revenu exorbitant, brandit ses vingt-cinq ans d’études effroyablement difficiles, où les maths et la physique tiennent, je suppose, une place non négligeable.
Cela lui donne le droit, qu’il revendique haut et fort, de contester les ordonnances établies par un médecin, médecin qui a fait trente-cinq ans d’études effroyablement difficiles, inaugurées par une impitoyable sélection sur les maths et la physique.
Madame Y, 30 ans, employée de banque, Paris 16ème :
« Je portais sous mes vêtements une cartouchière : une ceinture avec des petites poches où je glissais des notes de cours. Lors de l’examen, je me faisais accompagner aux toilettes, et une fois enfermée, je mettais les papiers qui m’intéressaient dans la poche. Mes parents le faisaient déjà. Je suppose que c’est obsolète aujourd’hui, mais comme on disait alors : la fin justifie les moyens ! »
Pour ceux qui n’auraient pas fait attention, Madame Y est employée de banque. Une profession où, normalement, l’honnêteté la plus rigoureuse est un critère de sélection éliminatoire. On notera que Madame Y a de qui tenir : ses parents “le faisaient déjà”. Nous constatons qu’on embauche dans la banque, à Paris 16ème, donc pour gérer les biens de certaines personnes parmi les plus riches de France, quelqu’un qui est un escroc de père en fille.
Monsieur Z, 31 ans, enseignant, Strasbourg :
« Je donnais un coup de cutter dans la semelle de mes chaussures et glissais une antisèche dans la fente. Je n’avais plus qu’à croiser les jambes et sortir discrètement le papier pour noter les réponses. Aujourd’hui, je suis de l’autre côté de la barrière, et je me dis qu’en faisant des antisèches, on était obligé de lire le cours, contrairement au copier-coller qui fait fureur dans les classes. »
Le matin même où paraissait ce journal, Monsieur Z se présentait, selon toute vraisemblance, devant ses élèves, pour assurer, comme à l’accoutumée, leur “éducation nationale”. C'est-à-dire, selon l’idéologie revendiquée de la corporation, non seulement leur instruction, mais aussi leur formation aux “valeurs humanistes et morales de notre République”.
Non content d’utiliser les moyens les plus malhonnêtes pour réussir lui-même aux examens, non content de postuler à une profession radicalement incompatible avec sa moralité douteuse, non content de revendiquer publiquement sa qualité de faussaire, non content de feindre d’ignorer le problème qu’il y a à demander une chose à ses élèves tout en faisant le contraire, Monsieur Z se paye le luxe du foutage de gueule maximum, en prétendant que ce sont ses élèves qui sont malhonnêtes en faisant du « copier-coller » sur Internet, alors que lui, en fait, il avait inventé une technique pédagogique innovante avec ses antisèches dans ses chaussures.
Il est difficile d’empiler autant de malhonnêteté sur autant de mensonge en l’emballant dans autant de mauvaise foi. Si vous avez une idée pour faire mieux, faites-moi signe. Personnellement, je ne vois pas.
Voilà donc le genre de personnes sur lesquelles repose le “lien social” dont on nous rebat les oreilles, et qui aurait été détruit par “les puissances d’argent”.
Car nous avons affaire, ici, à des zélites. Oh ! pas à de grosses zélites, des intellectuels, des journalistes, des chefs syndicaux, des hommes politiques, des patrons du caca-rente. Non, ce sont des zélites de proximité : le professeur lambda qui apprend le socialisme à votre enfant, le pharmacien tout-venant qui rejette votre ordonnance et pompe la Sécu, l’employée de banque anonyme qui vous refuse un découvert et vous matraque de frais.
Le plus frappant n’est pas tellement que ces gens, dans leur jeunesse, aient triché aux examens, mais en ce qu’ils ne voient absolument aucun problème dans le fait de s’en vanter ; et dans un journal à grand tirage, en plus, sous leur nom et leur photo.
Non seulement ça, mais ils trouvent le moyen de se justifier rétrospectivement. Ce n’est pas : j’ai fait des conneries, vous-même n’avez-vous pas fait des bêtises dans votre jeunesse ?, mais : c’était uniquement par sécurité, je n’en ai pas profité. Ou bien : la fin justifie les moyens, et puis de toute façon c’est obsolète, aujourd’hui on fait beaucoup mieux. Ou encore : en fait c’était par vertu, c’était pour mieux apprendre mes leçons, contrairement à ces petits salopards auxquels je suis chargé de faire classe aujourd’hui, et qui ont le culot de faire du copier-coller (malgré le bon exemple que je leur donne, malgré mon immense dévouement à la République en tant que Professeur-Fonctionnaire dont les vacances ne sont même pas payées).
Tout cela est absolument vertigineux. Car qu’est-ce que le tissu social, les gens qui composent la société et qui la font marcher, sinon l’employé de banque, le pharmacien, le professeur et bien d’autres comme eux ? Qui va prendre, au quotidien, de façon anonyme et à l’abri des regards, les décisions qui vont faire de la société un lieu à peu près vivable –- ou non ?
La conséquence ne se fait pas attendre. Le tricheur se reproduit. La malhonnêteté est passée dans l’ADN. Dans l’article principal, on trouve le témoignage d’Antonin (dont seul le prénom est cité, cette fois-ci) :
« Antonin, en 1ère S (scientifique), dans un lycée de bonne réputation du sud de Paris, prend la tricherie avec philosophie. »
On est toujours chez les zélites. Le lycée a bonne réputation. Le garçon est en première scientifique, pas en BEP force de vente. Il prend la tricherie avec philosophie. Il n’a pas décidé de tricher, de violer les règles. Non, la tricherie lui est tombée dessus, comme un ouragan ou un tremblement de terre. Un peu à la manière dont le crime tombe sur le pauvre. C’est pas sa faute. La pauvreté fait du pauvre un criminel. La triche fait du tricheur un philosophe.
Mieux : la tricherie devient une sorte de vertu. Il triche, donc il est philosophe. Il n’a que seize ans, mais grâce à la triche, il a déjà acquis une espèce de sagesse supérieure, un immense recul face à la futilité des choses de la vie (et de ces bouffons qui pensent qu’on réussit à l’école en étudiant). Bientôt, ses aînés vont venir lui demander conseil. D’ailleurs, ses aînés viennent déjà lui demander conseil, puisque le journaliste recueille son avis :
« “Pour moi, peu importent les moyens, ce qui compte c’est le résultat. Si j’ai un 19/20 en ayant truandé, ça reste un 19/20, je n’ai aucun problème de conscience avec ça”, martèle l’ado de 16 ans devant les grilles de son établissement, un casque audio volumineux sur les oreilles. »
Pas plus que n’ont eu de problème de conscience Monsieur Z, 31 ans, enseignant à Strasbourg, Madame X, 36 ans, pharmacienne à Troyes, Madame Y, 30 ans, employée de banque à Paris 16ème, voire les parents de Madame Y, dont nous ignorons l’âge mais qui ne doivent plus être tout jeunes.
« Lors des devoirs surveillés, il “profite largement” de son Nokia, surtout de son forfait Internet illimité. »
Comme quoi, délinquance n’est pas synonyme de pauvreté.
« Dans son cas, la triche high-tech n’a pas fait de miracle. “Je redouble”, dit-il. Dans sa classe, il jure qu’il n’est pas le seul à exploiter, sans foi ni loi, le filon des nouvelles technologies. “Sur 35 élèves, il y en a 20 à 25 qui ont déjà tapoté sur leur téléphone lors d’un contrôle. Il y a juste 5 ou 10 surdoués qui peuvent s’en passer”, recense-t-il. »
En fait, pomper sur son téléphone, c’est un droit de l’homme, c’est un facteur de justice sociale ; il est impossible de réussir ses examens sans ça, la preuve : il faut être surdoué pour s’en passer.
Donc, la réussite à l’école n’a rien à voir avec le travail : seuls les surdoués, les “nantis”, peuvent réussir sans tricher. La capacité de réussir les examens, c’est génétique, on l’a ou on ne l’a pas. (Mais en même temps, les races n’existent pas, l’ADN est nazi, etc.)
Cependant, Antonin n’est pas fou : son téléphone avec forfait Internet illimité, il ne s’en servira pas au bac, “c’est trop risqué”.
Ah bon ? Il serait donc possible d’interdire la triche ? La répression serait la solution ? Je n’arrive pas à le croire…
A part ça, c’est la faute à leulibéralisme.
Robert MARCHENOIR