Parlant
des millions de morts provoquées tant par Hitler que par Staline et Pol
Pot, Daniel Mendelsohn évoque vers la fin de son extraordinaire livre (1) “les pensées qui ne seront jamais pensées, les
découvertes qui ne seront jamais faites, l'art qui ne sera jamais créé”.
Pour
l'art et les pensées, nous sommes d'accord. Mais je crois qu'il se
trompe pour ce qui est des “découvertes” ; lesquelles seront, elles,
nécesssairement faites ultérieurement par quelqu'un d'autre. Car on ne
peut découvrir que ce qui est pré-existant. L'objet d'une découverte est
toujours déjà là, comme dirait l'autre.
Ainsi, avant même la
naissance d'Einstein, et depuis la plus haute Antiquité, l'énergie de masse était déjà égale au produit de
cette masse dans un référentiel par le carré de la vitesse de la lumière
dans le vide. Et, donc, si Albert était malencontreusement tombé dans le Danube, ou la Blau, ou l'Iller vers
1885, par exemple, un autre physicien aurait fini par établir que E vaut MC2, et vice-versa.
En revanche, Rembrandt succombant à une quelconque fièvre
puerpérale à cause de l'humidité malsaine des canaux amstellodamois, personne, jamais, n'aurait peint la Ronde de nuit. Ce
qui aurait été une perte sèche pour le Rijksmuseum.
De même, si le petit
Marcel s'était étouffé avec sa madeleine en mangeant comme un goinfre,
nul n'aurait, à sa place, écrit À la recherche du temps perdu — et les
boulangers-pâtissiers d'Illiers (qui ne serait pas devenu
Illiers-Combray en 1971) ne pourraient que pleurer leur manque à gagner.
À moins qu'ils ne se soient décidés à vendre des macarons.
(1) Daniel Mendelsohn, Les Disparus, Flammarion, 650 p.