C'est alors qu'on s'est dit, sur les coups de huit heures, que si un étonnant mécène international décidait de doter d'une dizaine de millions d'euros le couple terminant son réveillon de nouvel an le plus tôt, nous serions en passe d'être riches. Et, en effet, à huit heures, tout était remballé. Nous ne nous étions privés de rien, mais nous avions commencé tôt : c'est le secret. Dès six heures, un Macallan âgé de douze ans, pour se mettre en train. À partir de sept heures, l'orgie proprement dite. Orgie résolument alsacienne, à bulles pour Catherine, sans pour moi. Et puis, évidemment, le solide.
Sur la photo, de mini-verrines (terme modernœud pour désigner des verres à liqueur) contenant chacune un œuf de caille en gelée parsemé d'œufs de saumon, ainsi que de petites bouchées comprenant saumon et pétoncle crus marinés, coriandre, sur un lit de bébé-avocat. Hors champ : de petits roulés de saumon fumé d'Écosse au fromage frais (dont le nom m'échappe…) et à la pomme verte, ainsi que des canapés individuels (des fauteuils, donc) aux deux saumons. Il y avait aussi des torsades de pâte au parmesan passées au four, dont les deux chiens ont été fort heureux d'en croquer quelques-unes : c'était réveillon pour tout le monde.
À huit heures, plus personne n'avait faim, on a tout remis dans le frigo (pour demain soir : bonne excuse pour un apéritif supplémentaire), le réveillon était fini. Avant, Catherine m'avait rappelé que le plus précieux de nos 31 décembre communs était celui de 1999.
Nous vivions alors à Sainte-Scolasse, dans l'Orne. Grâce à la fameuse tempête de cette année-là, il y avait déjà six jours que nous vivions devant la cheminée, sans électricité, sans eau chaude, rebalancés vers le Moyen Âge au point de se mettre à parler en ancien français sans même s'en apercevoir, et à puer comme des putois, faute de douches chaudes.
Verts cinq heures, ce 31-là, Catherine a décidé que nous “ferions réveillon” tout de même et, sautant dans la voiture (qui était chauffée, elle…), a filé vers Mortagne, afin d'y faire razzia de petites choses à haute teneur en mauvais cholestérol. Elle était à peine partie que trois hommes d'EDF ont frappé à la porte et m'ont demandé si nous étions toujours sans électricité. Je me suis gardé de leur répondre quelque chose comme : « Si, si, nous avons l'électricité, mais en bons réactionnaires nous préférons les bougies que vous voyez. » Je me sentais, par rapport à eux, en état de nette infériorité. Ils se sont éloignés dans la nuit, en me disant qu'ils allaient voir ce qu'ils pouvaient faire. Je n'attendais évidemment rien d'eux et suis retombé dans mon apathie frigorifiée.
Dix minutes plus tard, j'ai entendu le frigo se remettre en marche. D'un pas mal assuré je me suis approché du plus proche commutateur électrique, duquel j'ai approché un index tremblant… Lux ! Mon premier travail a été de remettre la chaudière en marche, puis de filer sous la douche. Ensuite, j'ai enfilé une chemise blanche et mon plus beau costume (manière de parler : je ne devais en avoir qu'un seul). Puis, j'ai allumé toutes les lampes de toutes les pièces de toute la maison. Ensuite, je me suis rassis dans mon fauteuil pour attendre Catherine. Je ne m'en souviens pas, mais il est probable que je me suis servi un verre de quelque chose contenant de l'alcool.
Tout à l'heure, Catherine me disait que lorsqu'elle avait tourné le coin de notre minuscule rue et qu'elle avait découvert la maison illuminée…
Enfin quoi : notre réveillon 2013 fut bref, mais riche de mémoire.