Si je devais qualifier Anéantir en trois mots, je dirais que
c'est : un roman ambitieux manqué. Contrairement à ce dont je pensais me
souvenir de ma première lecture il y a quelques mois, le livre n'est pas composé de deux
mais bien de quatre histoires différentes : 1) les mystérieux attentats
terroristes, 2) les rapports familiaux et conjugaux des Raison, 3) la campagne
électorale présidentielle de 2027 et la personne de Bruno Juge, le
ministre des Finances, 4) le cancer de Paul Raison.
En soi, cette
abondance n'est évidemment blâmable en aucune façon. Après tout, il n'en va
pas autrement dans Guerre et Paix, par exemple. Le problème est que,
dans le roman russe, la puissance de Tolstoï parvient à unifier ses
différentes histoires, à les fondre dans le creuset de son génie, si je
puis dire. Chez Houellebecq, ça tire un peu à hue et à dia. Certes, les
quatre histoires sont plus ou moins reliées entre elles… mais le
lecteur se rend assez vite compte qu'elles le sont plutôt moins que
plus, si bien que toutes les quatre ont tendance à s'ensabler, à
s'évanouir comme un fleuve qui, en son delta, se sépare en tellement de
bras qu'ils finissent par disparaître avant d'avoir atteint la mer.
C'est vrai en particulier de l'histoire des attentats terroristes, qui
ouvre le roman avec une force hégémonique, revient ensuite de manière
épisodique et déjà moins convaincante, avant de s'évaporer totalement
dans l'air. Il est vrai que, dans les cent ou cent cinquante dernières
pages, tout tend à disparaître, et que le roman “polyphonique” que l'on
vient de lire mute brusquement et complètement en une sorte de
“monographie du cancer” que rien ne laissait prévoir (ou anticiper, pour jargonner comme Houellebecq, qui semble raffoler de ce verbe imprécis et malgracieux…).
Mais roman manqué n'est pas synonyme de livre sans intérêt, et Anéantir
en a beaucoup – que je pourrais détailler si j'en avais envie ou si
j'étais grassement payé pour le faire. Disons que Houellebecq, là, fait
un peu penser à un homme qui aurait conçu et fabriqué tout un
assortiment de matériaux précieux, à la fois ingénieux et élégants, souvent introuvables ailleurs, mais
qui, avec eux, n'aurait finalement réussi qu'à bâtir une maison toute de
guingois et, pratiquement, peu logeable – mais néanmoins très
séduisante.
Qu'on se débrouille avec ça.