Il est amusant de constater que, lorsqu'un couple de mots très voisins dans leurs orthographes et prononciations – variations souvent dues à des particularismes régionaux – servent à désigner une même chose, et que l' un des membres de cette thébaïde finit par l'emporter sur l'autre, il est amusant de constater, donc, que le second, le vaincu, se réfugie volontiers dans ce monde souterrain du vocabulaire qu'est l'argot. Il en va ainsi, par exemple, mais il y en a beaucoup d'autres, du couple châtaigne/castagne. Déjà, on peut noter que ces mots sont moins différents que ce qu'une oreille contemporaine peut entendre, puisqu'en toute logique on devrait parler d'une châtagne, tout comme il conviendrait d'évoquer les écrits de Michel de Montagne ou les tableaux de Philippe de Champagne ; mais on ne va pas rembobiner tout le film non plus. De la même façon, je ne suis pas certain que l's de castagne se soit toujours prononcé – je suis même enclin à penser le contraire.
L'affaire, évidemment, se complique un peu du fait de cloisons mal étanches au sein de notre doublet, qui font que l'on peut très bien (ou plutôt très mal, si elle est bien assénée) se prendre une châtaigne au cours d'une castagne – c'est même plus ou moins le but du jeu. Et elle se complique encore si la châtaigne, flanquée ou morflée, se transforme en marron, alors même que ce que les marchands de marrons grillés vendent dans leurs cornets ne sont en réalité que des châtaignes, les authentiques marrons étant pour leur part incomestibles. Les adversaires du cheveu coupé en quatre auront beau jeu de nous rétorquer qu'il n'y a qu'à, en matière de grignotage, se contenter de noix et de noisettes. Le problème est que, toujours en langue verte, ces deux mots servent également à désigner les couilles, ce qui ne risque pas d'éclaircir notre horizon. D'autant moins que, s'il arrive que l'on consomme effectivement des couilles, de mouton par exemple, on les désigne alors par d'autres mots ou expressions tels qu'amourettes, frivolités, animelles ou rognons blancs. Quant aux rognons, ils ne sont rien d'autre que des reins ; lesquels, lorsqu'ils nous font souffrir, servent alors à désigner notre colonne vertébrale ou nos articulations de bas du dos.
Tout cela a l'air un peu compliqué, je l'accorde ; mais c'est qu'en matière de langue, tout fait ventre.