Les ours, l'hiver, personne ne vient les chatouiller sous le museau pour savoir s'ils sont toujours vivants. Ils dorment tranquilles au fond de leurs antres, et le bipède prudent se surprend à marcher sur la pointe de l'orteil quand il passe devant leurs cavernes dortoirs, sachant qu'un réveil prématuré du plantigrade forestier pourrait présenter quelque danger.
Il en va autrement avec le blogueur urbain. S'octroierait-il, lui aussi, une mini-hibernation d'une décade ou deux qu'il verrait aussitôt les plaignants se masser devant sa porte et tambouriner à l'huis en exigeant comminatoirement leur dose hebdomadaire de propos sans suite. Il serait vain alors, pour le dormeur interrompu, de prétendre s'en tirer par un ou deux grognements peu amènes : le lecteur est une race insistante et sans gêne, même à notre époque où les races ont cessé d'exister. Ensommeillé ou pas, frissonnant sous la neige et les grêles, désolé par la vision des arbres aux ramures décharnées, notre ours glabre devra bien se résigner à reprendre son habituel numéro, collier au cou, se remettre à danser lourdement au son du tambourin et sous les rires stupides des villageois édentés.
Mais que veulent-ils qu'on leur dise, par tous les dieux de l'Olympe et du Walhalla confondus ? Que trouver à dégoiser pour éjouir la harde des serfs assemblés en demi-cercle et faire reluire de contentement leurs trognes sur-avinées par des mois d'apéros-claquemurage ?
Bien sûr, comme certaine, on pourrait créer soi-même l'événement, en claquant avec panache la porte du parti socialiste, puis rendre compte en phrases ciselées de cette épopée libératrice. Mais comment claquer une porte qu'on n'a jamais songé à ouvrir ? C'est le gros handicap de ceux qui onc n'ont été des incarcérés volontaires : clamer leur liberté retrouvée leur est interdit.
Il y aurait bien la solution d'imiter les gros frisés social-traîtres et de s'indigner avec eux de la non-réouverture des abreuvoirs à cervoise. Encore faudrait-il s'être aperçu qu'on les avait fermés. Or, s'il est des lieux que fréquentent peu les ours en période hibernale, c'est bien les bars à mousse.
Alors ?
Alors, c'est le désarroi. D'autant plus profond, d'ailleurs, que le blogueur urbain et somnolent s'était sincèrement imaginé que ses douze lecteurs lui seraient fort reconnaissants de cette pause qu'il leur offrait : à l'année longue il les assomme du compte rendu de ses lectures, des pavés de mille pages écrits par des mâles blancs, très souvent hétérosexuels et invariablement morts ; c'est, lui semblait-il, une gratitude frémissante et digne qui aurait dû saluer sa cure de silence. Au lieu de ça, ce ne sont que réclamations, récriminations, revendications voire objurgations. On n'en est pas encore aux menaces ni aux référés, mais on sent que ça pourrait venir, si se prolongeait le dédaigneux silence de l'ursidé.
Si encore ces braillards avaient eu l'idée bonne et courtoise d'assortir leur réveil d'un joufflu pot de miel ou d'un triple pastis généreusement glaçonné…
Mais je t'en fous.