La chose va sans doute paraître à peine croyable à M. Arié, mais je me dois de la lui révéler dans toute sa brutalité : non seulement nous passons, ici, un nombre assez considérable de soirées à regarder des séries télévisées américaines, mais en outre il nous arrive de plus en plus fréquemment…
de les revoir. Si, si, je vous assure.
Ainsi, depuis quelque temps, sommes-nous plongés dans la revision (qu'on ne confondra pas avec une révision) de Person of interest, dont nous nous étions pourtant avalé les cinq saisons il n'y a pas plus de quatre ou cinq ans. (Aparté pour Nicolas : ne la cherchez pas dans les greniers de Netflisque : elle n'y est pas.) C'est le gros avantage d'être partiellement alzheimerisé : tout reprend l'éclat du neuf à une vitesse réjouissante. Nous nous en souvenons assez, cependant, pour savoir que nous “zapperons” probablement la dernière saison, voire les deux dernières, c'est-à-dire quand l'intrigue récurrente se ramifie, complique et embrouille de façon peu convaincante.
Comme la série m'avait à l'époque, en 2016, inspiré un billet ici même, je me permets de le reproposer à l'aimable clientèle, après l'avoir dûment épousseté. L'original se trouve là, je le signale pour ceux qui souhaiteraient aller consulter les commentaires “d'époque”. Donc, voici :
On peut toujours se moquer, et de fait on ne s'en prive guère, du fameux Deus ex machina
qui, voilà quelques siècles, permettait aux dramaturges ayant du mal, à
la fin de leurs pièces, à “poser leur bombardier”, pour parler comme
Frédéric Dard, leur permettait, donc, de boucler leur intrigue en
faisant descendre des cintres une divinité bien arrangeante qui, de son
souffle divin, remettait tout dans l'ordre et autorisait ainsi les
spectateurs à quitter la salle avant l'heure du dernier métro. Il
arrivait que l'habitant de l'Olympe fût remplacé par le roi terrestre
régnant, et c'est une chose que l'on a suffisamment reproché à Molière.
On devrait pourtant en rabattre, de nos lazzis et de nos petits airs
supérieurs, puisque nos “créateurs” se sont gaillardement remis à faire
la même chose, au cinéma principalement mais aussi dans les mauvais
romans – comme Millenium par exemple. Ce nouveau Deus ex machina,
cette ficelle bien commode qui dispense de toute explication,
puisqu'elle est elle-même l'explication, c'est désormais ce que nous
appellerons “le petit génie informatique”, c'est-à-dire ce personnage –
généralement jeune, mi-rigolo, mi-marginal, dont l'unique fonction est
de promener ses doigts agiles sur les divers claviers disposés devant
lui (dans son gourbi d'où il ne sort que contraint et forcé, ce qui ne
se produit jamais avant le troisième tiers du film), afin de faire
défiler sur ses écrans des colonnes de lettres et de chiffres, lesquels
dispensent le scénariste de trouver une explication cohérente à ce qu'il
entend nous faire avaler ; et que nous avalons en effet, puisque
nous-mêmes semblons avoir admis le fait que tout ce qui passe par le
filtre de l'ordinateur, aussi absurde ou hasardeux que ce soit, devient
immédiatement recevable, de même qu'un aliment ayant transité par
l'estomac et l'intestin est ensuite assimilé sans difficulté par
l'organisme.
Un nouveau pas a été franchi il y a peu, notamment dans cette très intéressante série, américaine bien entendu, qui s'appelle
Person of interest (au Québec :
Personne d'intérêt, ce qui ne veut à peu près rien dire ; traduire en français est louable, à condition de savoir le français…). On y voit le
Deus passer au second plan, au profit de la
machina
elle-même ; laquelle, par cette autonomie, acquiert une puissance
formidable, et même des sortes de dons divinatoires dignes des
Dei ex machina
d'antique école. Ayant compris que, désormais, nul n'aurait plus le
front de mettre en doute ce qui émane de la machine, si timidement que
ce soit, les scénaristes ont choisi – judicieusement je pense – de ne
plus rien nous expliquer du tout de son fonctionnement, ni même de nous
montrer la dite machine qui, fort commodément, comme un dieu justement,
est aussi bien partout que nulle part. Comment un assemblage de circuits
électroniques peut-il prévoir l'avenir et repérer, à l'intérieur de
l'entière population de New York, les individus qui vont être
prochainement mêlés à un meurtre, soit comme victime soit comme auteur ?
On ne nous en dira rien, nous sommant de nous contenter de
l'affirmation, faite sur le ton de l'évidence tranquille, qu'elle le
peut. Le plus étrange est que, tels des primitifs autour de leur totem,
nous nous en contentons en effet.