Dans le petit article que j'ai consacré à la correspondance des deux écrivains en question (ces dames au Salon…), je disais pour finir, parce qu'il faut bien conclure à un moment donné, que toutes ces lettres entrecroisées donnaient au moins l'envie d'aller ou de retourner voir du côté des vrais livres de l'un et de l'autre. Qu'avais-je lu de Morand ? À part la fameuse préface de Proust à Tendres Stocks, j'ai bien peur que la réponse soit : rien. J'ai donc commencé par lui et m'en suis très bien trouvé : Venises est un petit livre remarquable et les deux ou trois nouvelles que j'ai lues jusqu'à présent ne le sont pas moins ; on va poursuivre plus avant.
Avais-je fréquenté Chardonne ? À peine plus, et sans le moindre profit : je me rappelle avoir lu Claire, il y a longtemps, mais je n'en conserve aucun souvenir, sinon celui, fort vague, que le livre ne m'avait pas déplu ni ennuyé. Il est probable que j'aie lu aussi Le Bonheur de Barbezieux, mais à ce “probable” on comprend que j'aurais pu tout aussi bien m'en abstenir alors. J'ai donc commandé Les Destinées sentimentales, assez gros roman qui, en principe, avait de quoi me plaire, puisqu'il s'agit d'une sorte de saga bourgeoise de province, située entre les années 1900 et 1930, chez les bouilleurs de cognac et les porcelainiers de Limoges : la France d'avant, le temps léger qui s'enfuit, etc. Effectivement, la première partie, qui déploie le cadre et commence d'animer les protagonistes, est réussie : c'est resté vivant, et d'une vie qui ne doit rien à l'exploitation d'une nostalgie convenue. À compter de la seconde partie, le roman s'effondre assez brutalement sous son propre poids. Les interminables questionnements sur l'amour du couple “vedette” sont d'un ennui profond, la vie se retire, les autres personnages se diluent, s'évaporent de la mémoire avec la facilité d'un alcool que l'on chauffe. Lorsque, dans la troisième partie, Chardonne revient à ses histoires de familles, il est trop tard : le lecteur est parti, et le romancier n'a pas la force de le faire revenir complètement. J'ajouterai que Chardonne n'a pas non plus la capacité de nous faire sentir le passage du temps, comme le fait par exemple Tolstoï : il n'y a pas de fleuve, ici, mais une succession de petits lacs qui, pris individuellement, peuvent tout de même avoir leur charme.
Donc, si nous faisons encore un bout de route avec Morand, et nous allons le faire, nous ne reviendrons pas à Chardonne.
J'avais beaucoup aimé "L'homme pressé" il y a une cinquantaine d'années, mais j'ai peur que ça ait mal vieilli.
RépondreSupprimerJe ne saurais vous dire…
SupprimerNon, c'est toujours très bien l'homme pressé.
SupprimerAh bon…
SupprimerDonc, finalement, les hiérarchies littéraires imposées depuis belle lurette par une intelligentsia statistiquement "de gauche", restent valables: Proust >>>>>>>> Morand> Chardonne?
RépondreSupprimerLa hiérarchie, comme vous dites, me semble bonne, en effet. Mais je ne vois pas bien ce que la gaucher vient faire là-dedans.
SupprimerComment ça "vous ne voyez pas"? Vous n'arrêtez pas de mouliner l'antienne que si certains écrivains ont été relégués dans les placards ou les poubelles de l'histoire littéraire, c'est parce qu'ils étaient politiquement "nauséabonds".
SupprimerMais ça n'a rien à voir avec leur valeur littéraire, c'est tout à fait autre chose ! Proust est un plus grand écrivain que Morand, qui lui-même me semble valoir davantage que Chardonne. Si Morand avait été un grand résistant puis un ardent gaulliste, il ne serait pas devenu plus grand que Proust pour autant.
SupprimerCes références idéologiques ne sont en effet guère pertinentes ici : après tout, Mitterrand était un grand admirateur de Chardonne, et plus grand monde ne doute que Céline soit un des plus grands écrivains du siècle précédent. Dans le camp opposé, Aragon a beaucoup d'admirateurs à droite (D'Ormesson ou Nourissier, par exemple).
SupprimerMorand est à mon avis à son meilleur dans les nouvelles et les fragments (et la correspondance !) : il y a une sorte de nervosité, de précipitation dans son style qui fait merveille dans les formules lapidaires et les formes courtes : "Venises(s)", par exemple, est fait d'une série de fragments disparates, parfois même des aphorismes, des fulgurances comme celle-ci : "Une vie ressemble souvent à ces palais du Grand Canal commencés en bas par un appareil de pierres orgueilleusement taillées en pointes de diamant, leurs étages supérieurs hâtivement achevés en boue séchée."
Je suis assez de votre avis à propos de Chardonne, il ne tient guère la longueur quand il s'essaie à la grande fresque, comme dans "L'Epithalame" ou "Les Destinées sentimentales", mais j'aime beaucoup l'un de ses derniers livres, "Vivre à Madère", une sorte d'adieu au monde, mélancolique et désenchanté, assez proche dans le propos (pas dans la forme) de "Loin" de Renaud Camus.
Didier Goux, je relis ma phrase, et ne comprends pas pourquoi vous ne la comprenez pas. Je ne prétendais pas que la valeur littéraire ait avoir avec l'idéologie des auteurs, je disais que c'était VOUS qui prétendiez très souvent (ne me faites pas chercher les citations) que l'idéologie des lecteurs (de gauche) aveuglait à la valeur littéraire. Or, il semble que les prescripteurs de valeur littéraire, (majoritairement à gauche depuis un siècle), ne se sont pas trompé tant que ça, en fin de compte, et que vos auteurs délicieusement "nauséabonds" sont relativement peu lus parce que mineurs, tout simplement.
SupprimerD'accord, Brunet, d'accord. En gros, résumons : vous avez été l'un de ces discutailleurs compulsifs du parti de l'In-nocence (ne venez pas me dire le contraire : je vous ai lu, comme les autres). À un moment, votre demi-dieu, Renaud Camus, vous a fâché, déçu, fait débandé, et, du coup, toute personne que vous soupçonnez de le considérer encore comme une personne écoutable devient votre ennemi personnel.
SupprimerJe crois que vous faites partie de ces gens ivres d'eux-mêmes (et il n'en manque pas à l'In-nocence…) qui vivent dans une sorte de caisson insonorisé. Comprenez-moi : je me fiche que chaque texte que j'écris vous fasse vous dresser sur vos ergots, ou comme un hippocampe à l'air libre. Vous n'osez pas vous en prendre à Renaud Camus, pour des raisons qui n'appartiennent qu'à vous – très bien. Mais enfin, bon, ça ne me remarque guère.
Donc, foutez-moi la paix et allez jouer ailleurs.
Merci d'avance.
Ouh là! Ne vous inquiétez pas. Je n'ai jamais "discutaillé" que quand on discutaillait avec moi.
SupprimerHors sujet: le blog de Georges de la Fuly a disparu. Quelqu'un sait-il pourquoi?
RépondreSupprimerLe blog de Georges disparaît, réapparaît, re-disparaît, ré-réapparaît… et c'est ainsi depuis la nuit des temps.
SupprimerDidier Goux n'a pas tort. Georges de La Fuly est très capricieux, et quand il est de mauvaise humeur, il supprime ses blogs, c'est comme ça, depuis la nuit des temps. En revanche, il vend des croquettes pour chien, Georges de La Fuly, même s'il est de mauvaise humeur. Si ça intéresse quelqu'un, peut-être qu'il rouvrira son blog.
SupprimerBon, eh bien, il n'y a plus qu'à lancer une souscription !
SupprimerLe pis est qu'elles m'intéressaient bien, moi, ces croquettes. Mais quelle idée d'habiter aussi loin de la clientèle, aussi…
J'ai bien pensé à aller les déverser devant la CAF d'Alès, mais 28 kilos ne suffiraient peut-être pas à faire de moi quelqu'un de célèbre…
SupprimerJe ne sais pas où vous habitez mais si ce n'est pas en Hte Garonne je ne pourrai pas vous acheter les croquettes.
SupprimerSi vous les déversez sur le bureau du responsable de la CAF d'Alès, ça devrait suffire.
SupprimerMonsieur Georges me déteste. Il l'a largement prouvé. L'occasion lui est donnée ici de le prouver encore. Si cela peut lui faire du bien, j'en serai ravi.
SupprimerPour une raison que j'ai déjà oubliée, je suis allé sur son blog, encore présent à l'époque. Et j'ai lu d'une traite le récit quotidien qu'il a rédigé à l'occasion de la mort de sa chienne. Autant dire que j'ai beaucoup apprécié cette narration, tant au point de vue littéraire qu'émotionnel.
Il fallait que ce soit dit, ou plutôt écrit. Que Monsieur Georges n'y voit aucune tentative d'aucune sorte en termes de réconciliation ou quoique ce soit qui y ressemble. J'ai passé l'age de ce genre de gaminerie.
Désolé
Duga
Duga, je détesterais quelqu'un qui finit toutes ses interventions par "Désolé", vraiment ? Désolé, mais je ne vous déteste pas plus que je ne déteste le trottoir sur lequel je marche pour aller à la pharmacie, "pour une raison que j'ai déjà oubliée".
SupprimerÉmotionnellement vôtre.
Et la poste, elle sert à quoi, la poste ?
SupprimerJe n'ai quasiment rien lu de Paul Morand, si ce n'est Tendres stocks, qui ne m'a laissé qu'un souvenir ennuyé, mais j'ai fait l'acquisition pour une bouchée de pain d'un recueil de lettres (traduites de l'anglais) où Morand fait découvrir au public américain les dernières nouveautés de Paris, et notamment les volumes de Proust publiés à titre posthume. Je ne l'ai pas encore lu, mais je songe à m'y mettre.
RépondreSupprimerhttp://www.amazon.fr/Lettres-Paris-Paul-Morand/dp/2869598084/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1391355646&sr=8-1&keywords=paul+morand+lettres+de+paris
Comme Emmanuel F je pense que Chardonne excelle non dans les romans mais dans les formes brèves et que ses derniers livres, composés de fragments, aux titres magnifiques (Matinales, Le Ciel dans la fenêtre, Demi-jour), méritent d'être lus et relus. D'ailleurs dans la Correspondance Morand-Chardonne, c'est quand je retrouve ce Chardonne-là, bref, abrupt, elliptique, follement élégant, que je suis le plus heureux, car les lettres de Morand, plus classiquement littéraires, appartiennent à la catégorie balisée "correspondance de grand écrivain", mériteraient scolairement une meilleure note que celles de son alter ego - mais étonnent moins.
RépondreSupprimerEntièrement d'accord ; j'ajouterais volontiers aux titres cités les "Propos comme ça".
SupprimerAh oui, très bien, les Propos ! Bon, vous m'avez convaincu, les uns et les autres : je vais donner une dernière chance à Chardonne…
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