mardi 29 décembre 2009

Un petit mystère balzacien

C'est une question que je m'étais posée dès ma première lecture de La Comédie humaine, il y a un peu plus de vingt-cinq ans. Comme je n'en ai jamais trouvé la réponse, elle s'est transformée en énigme, laquelle a resurgi devant moi, intact, lorsque j'ai repris Illusions perdues et, depuis hier soir, Splendeurs et misères des courtisanes.

Balzac, il va sans dire, maîtrise parfaitement les règles de l'élision de la particule dans les noms de famille qui en comportent une ; aussi bien que Proust, ce qui n'est pas rien. Je rappelle brièvement la règle en question, afin d'être sûr qu'on me comprenne. Lorsqu'on ôte à un nom d'aristocrate (vrai ou faux, peu importe) son titre et son prénom pour ne donner que son patronyme, la particule de saute également, sauf si le nom ne comporte qu'une syllabe, ou deux dont la seconde est muette. Toutes les autres particules (d', du, des) sont inamovibles. Ainsi, le comte de Chambord sera-t-il appelé Chambord, mais Albert de Mun ou Joseph de Maistre resteront de Mun et de Maistre. Il existe quelques exceptions dues à l'usage (on dit couramment les Orléans pour désigner la famille d'Orléans, et toujours Sade alors que de Sade semblerait plus logique), “mais ce n'est pas le sujet”, comme dirait Nicolas.

Balzac, donc, maîtrise parfaitement ces règles : le duc de Grandlieu et celui de Réthoré sont appelés tout naturellement Grandlieu et Réthoré, cependant que Daniel d'Arthez, Maxime de Trailles, Ferdinand du Tillet et le comte des Lupeaulx restent d'Arthez, de Trailles, du Tillet et des Lupeaulx, conformément à ce qui doit être. Il y a pourtant une exception, cœur de mon énigme.

Henri de Marsay, le dandy le plus fameux de La Comédie humaine après Rastignac, est systématiquement appelé de Marsay, alors que la règle voudrait un simple Marsay. Pourquoi ? Pourquoi cette unique entorse, et en faveur de ce personnage précis ? Voilà mon énigme. Un moment je me suis dit qu'il fallait peut-être chercher la réponse du côté de ses origines à demi britanniques (de Marsay est le fils naturel de lord Dudley) mais ça ne me paraît guère tenir la route.

Alors voilà : s'il se trouvait qu'un éminent et cultivé balzacien vînt à passer en ces parages, je serais très honoré (oui, ça va : je l'ai fait exprès !) qu'il prît la peine de me fournir, sinon une réponse, du moins une hypothèse...

23 commentaires:

  1. Sans doute pour ne pas le confondre avec Marsay-Ferguson.

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  2. Parce qu'il est né en Haïti dans la ville de Marsay.
    Balzac a d'abord envisagé de l'appeler Henri de Vaux, spécialité culinaire du « Rocher de Cancale », le restaurant parisien le plus souvent cité dans ses romans.

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  3. Cher Didier,


    Mon hypothèse est peut-être plus à chercher du côté de l'équilibre général de la phrase, de la prosodie et de la métrique. Peut-être que de Marsay s'imposait à chaque fois, aussi peu probable que cela puisse être, pour avoir une phrase plus harmonieuse...plus équilibrée.

    simple hypothèse...

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  4. Première idée à vérifier,ce n'est pas une vraie particule et il n'est pas noble de naissance ou du moins son de vient d'un achat de charge au XVIIème siècle. Il ne fait donc pas partie de la noblesse des Maisons. C'est un peu confus mais je suis sûr que vous voyez ce que je veux dire. Geargies.

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  5. Nous avons donc deux hypothèses :
    -soit l'emploi de la particule est une forme de banalisation du nom, avec un effet péjoratif
    -soit l'emploi de la particule est une manière d'insister sur l'origine noble de l'individu, dans quel but ?

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  6. L'emploi de la particule permet d'éviter la confusion avec le rappeur Morsay.

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  7. Je retourne de ce pas à la cuisine !
    :-))

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  8. Ygor : merci pour le lien. J'ai seulement parcouru, j'y retournerai demain. Mais il me semble que les règles de la langue doivent être plus "dures" (plus strictes) que celle de l'aristocratie, quelle que soit l'époque.

    De toute façon, votre lien n'éclaire pas le fait que, pour TOUS ses autres personnages, Balzac respecte la règle que j'ai dite, SAUF pour de Marsay.

    Gui l'an neuf : ça n'explique rien.

    Cherea : désolé, mais de Marsay est cité trois mille cinq cent fois dans La Comédie, ça ne tient pas.

    Geargies : ça ne tient pas non plus. Le maniement de la particule n'est absolument pas lié à la "vraie" ou à la "fausse" noblesse : c'est une question de langue, rien de plus.

    Tzatza : ça ne tient pas davantage : de Marsay est un "vrai" noble, comme le sont Rastignac, Vandenesse, et tant d'autres. Ce n'est pas, je crois le problème de Balzac. D'autant que lorsqu'il parle de Lucien Chardon, il dit "Rubempré" (sans "de") alors qu'il est le mieux placé pour savoir que ce petit con n'est précisément pas un "vrai" noble.

    Malavita : est-ce bien raisonnable ?

    Poireau : qu'est-ce qu'on mange ?

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  9. Didier : un truc avec des blancs de poulet, un oignon, des lardons, des champignons de Paris, des endives, une goutte de Cognac et un peu de crème fraîche.
    Ça a son petit succès local !
    :-))

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  10. « De toute façon, votre lien n'éclaire pas le fait que, pour TOUS ses autres personnages, Balzac respecte la règle que j'ai dite, SAUF pour de Marsay. »

    C'est pourtant de quoi traite exactement une partie du bouquin mis en lien, avec l'allusion précise à de Marsay chez Balzac. Anciennement, avant le Code-Civil qui fixe les patronymes, la particule « de » sautait (La Rochefoucauld, Montaigne, etc.). Lorsque le code a fixé les règles patronymiques, l'usage (l'usage, hein) pour les vieux noms (connus) est demeuré d'ignorer la particule. Pour les noms moins connus ou de noblesse plus récente, la particule s'est imposée peu à peu, intégrée au patronyme. À l'époque de Balzac, l'usage est encore flottant. Il semble aussi que Balzac en a joué : absence de particule pour le prestige, particule pour les « parvenus ». Et sans doute aussi pour des raisons rythmiques, comme suggéré ici et dans le bouquin de Goose qui observe que Balzac ne met pas de particule quand le nom fait au moins trois syllabes ; Marsay n'en comptant que deux...

    J'ai fréquenté un aristo de vieille souche qui ne voulait pas qu'on l'appelle autrement que Duvivier, alors que son nom complet était Duvivier de Fortemps de Loneux. M. Arouet, une fois devenu Arouet de Voltaire, tenait fort à sa particule.

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  11. C'est comme l'ancien président, une vieille souche aussi, qui veut qu'on l'appelle Giscard Es Taing.

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  12. Selon un pédé Grec quelconque et dont le nom m'échappe(ce dont je n'ai rien à branler) disait-il, nonobstant : In Vino Véritas.
    Voilà pour le Mystère Balzacien.

    Monsieur Poireau
    à l'évidence vous voulez fouttre le bordel sur ce blog,
    c'est condamnable mais, rapport aux lardons,
    je vous suis, de ce pas.
    Les Autres, vous n'etes pas invités...vadse retro satanas !

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  13. Tonnégrande : que nenni… mais you are welcome !
    :-))

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  14. Voilà, il se peut qu'en mettant une particule là où elle n'est pas réellement nécessaire, Balzac voulait insister sur le fait qu'il s'agissait d'une petite noblesse.
    Dans le sens "Donnons lui sa particule puisqu'il n'a que cela pour être noble".
    Je précise que je n'ai pas lu le roman en question.

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  15. Yanka : j'ai sans doute parcouru trop vite ! Vous avez peut-être raison, l'explication semble tenir la route. Mais alors, pourquoi de Marsay et seulement lui ? Après tout, il n'est pas plus "parvenu" que bien d'autres, et moins même que certains...

    Mais enfin, ça se tient, oui.

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  16. « Mais alors, pourquoi de Marsay et seulement lui ? »

    Apparemment Balzac estimait qu'on n'est pas noble en-dessous de 3 syllabes... Balzac est né Balzac et non de Balzac. Vous noterez que Marsay compte 6 lettres comme Balzac, avec deux « a » placés aux mêmes positions. Malheureusement, il y a plus de 20 ans que j'ai lu ce livre et si je m'en souviens fort bien, pas au point d'avoir retenu de tels détails. Balzac était rigoureusement vis-à-vis de la grammaire, mais il était pas mal snob aussi, d'où certaines licences, ou plutôt fantaisies.

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  17. « Vous noterez que Marsay compte 6 lettres comme Balzac, avec deux « a » placés aux mêmes positions. »

    Comme moi « Yanka » par rapport à « Kafka », et ce n'est pas un hasard...

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  18. Ah précieux Yanka et cher Didier Goux!
    Que de bonnes questions et beaux arguments, prompts à mettre en appétit (la saison peut-être?), suivi d'ailleurs pour le fumet par Monsieur Poireau.
    Oserais-je "de Poireau"?
    Car l'extrait que j'ai pu lire grâce à Yanka explique finalement la même règle que la vôtre (elle est plus détaillée et l'extrait est taillé sur mesure) Didier. Il me semble seulement, mais n'en prenez pas ombrage, que vous interprétez peut-être vaillamment la notion de seconde syllabe (non, pas d'erreur typographique, c'est la place de la Muette).
    Ainsi, hors tout propos de grandeur, si les d'Arthez, du Tillet et des Lupeaulx s'entendent fort bien (ici, pas au naturel) Maxime de Trailles lui finit muet (et sourd me suis-je laissé dire, mais pas par lui, et pour cause).
    En espérant avoir été de Secours.

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  19. Joseph de Maistre aurait été très surpris de votre affirmation selon laquelle on dit "de Maistre".
    Dans une de ses lettres, il reproche explicitement à un de ses correspondants d'avoir dit "de Maistre" au lieu de "Maistre" et il ajoute l'explication suivante:

    «La particule de, en français, ne peut se joindre à un nom propre commençant par une consonne, à moins qu’elle ne suive un titre».

    Joseph de Maistre lui-même demande qu'on dise "Maistre" – ce qui fut l'usage du XIXe siècle et reste d'ailleurs l'usage dominant.

    (Peut-être pourrait-on ajouter qu'il est difficile de tenir la deuxième syllabe de "Maistre", avec ses trois consonnes, pour une véritable muette.)

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  20. Bonjour Didier,

    pendant tout ce temps, je continuais l'enquête, en souterrain. Figurez-vous que j'ai trouvé une autre occurrence, un autre patronyme pour lequel Balzac ne respecte pas la règle générale : le sien. Ainsi, dans la dédicace du Cabinet des antiques au Baron de Hammer-Purgstall, il signe : De Balzac (dans mon édition de la Pléiade en tout cas). Lien ? Pas lien ? La piste du parvenu était-elle la bonne ?

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  21. une piste:
    c'est un fils illégitime; "de Marsay" est un nom donné à la naissance qui n'a pas (ou peu) de légitimité nobiliaire autre que celle qu'on lui donne;
    peut être comme Demorny alias de Morny (le fils naturel d'Hortense de Beauharnais, mère de Napoléon III);
    pour Maistre et Mun, personnages réels, Balzac s'est trompé; comme Sade, Retz, Broglie (prononce Breuil, excepté à Strasbourg), ces noms pourtant d'une syllabe ne concervent pas l'article. (à dîner chez Mun (M. Barrès); Maistre justifie sans doute l'ordre établi (A. Camus)). En revanche, pour de Thou, de Grasse, de Lattre, etc.. on emploie la préposition.

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