Une journée d'avance pour juin ?
Souhaitons que Nastassja s'en remette !
La tolérance n'est, en dernier ressort, qu'une coquetterie d'agonisants.
Comment a-t-il fait, ce livre, pour échapper à ma sagacité depuis 2017 qu'il est paru, à moi qui, depuis une quinzaine d'années, me veux un fervent nicolien (ou nicolo-eugéniste…) ? Enfin, peu importe : il est bien là, et déjà aux deux tiers lu depuis le lever du soleil.
Avant même d'ouvrir le volume, il m'était déjà un peu mystérieux. Sur la couverture, le titre se présente ainsi : “Retour d'Ulysse à Saint-Pierre”. Seulement, lorsqu'on cite un titre dans le courant d'un texte, il convient de l'écrire en italique ; et, donc, de rétablir “Ulysse” en romain ; ce qui donne ceci : Retour d'Ulysse à Saint-Pierre, typographie fort laide mais inévitable…
Et aussitôt, une première question : qu'est-ce donc que cet Ulysse-en-italique qui fait retour dans l'archipel ? Un navire ? Un avion ? Le futur lecteur se perd en conjectures plus ou moins oiseuses…
Et la réponse lui est donnée dès les premières pages : il s'agit du roman de James Joyce, qu'Eugène Nicole a emporté avec lui, pour le relire, lors de ce nouveau séjour dans son île natale. Il n'en est pas resté éloigné durant vingt ans, pourtant Ulysse fut plus chanceux que lui car, de retour à Ithaque, il retrouva debout son palais. Alors que la “Maison Jacquet”, où Nicole est né et a grandi, a disparu, démolie pour céder la place à un square, après qu'il avait été, un temps, question de la rénover pour en faire un “musée de l'habitat traditionnel”, idée qui avait sa séduction, pour le vieil enfant poussé là. Mais de même qu'Ulysse retrouve son palais envahi par les prétendants, Nicole doit constater qu'ici, sur son double caillou, ce sont les démolisseurs qui prospèrent. Et passe l'ombre de Baudelaire, même s'il n'est jamais nommément évoqué dans le cours de ces deux cents pages :
la forme d'une ville
Change plus vite, hélas ! que le cœur d'un mortel
Mais aussi :
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !
Baudelaire absent, on croise tout de même beaucoup du monde entre ces pages. C'est que l'on voyage dans l'espace – Paris, New York, Florence, la Vendée, l'Iowa, etc. : c'est une Odyssée – mais aussi dans le temps, dont les incessantes fluctuations sont la marque d'Eugène Nicole et de son talent. Apparaissent puis disparaissent nombre de Saint-Pierrais, souvent déjà rencontrés au fil des différents volumes de L'Œuvre des mers, mais aussi des personnages plus illustres, comme Nixon ou de Gaulle. Ainsi que Valery Larbaud et son double pérégrin : Barnabooth ; Larbaud qui, on s'en souvient, fut et reste le traducteur en français de l'Ulysse de Joyce…
La destruction ne ravage pas que Saint-Pierre-et-Miquelon. Les Twin Towers sont bien présentes ; d'abord en sentinelles, telles que Nicole les contemple depuis son appartement new-yorkais, puis écroulées en gravats, ainsi que le furent les murailles de Troie après le sac des Achéens. C'est l'histoire qui n'en finit pas de convulser. Une histoire dont, par un miracle que les lecteurs d'Eugène Nicole connaissent bien, Saint-Pierre-et-Miquelon est, pour un temps, celui de la lecture de ce Retour d'Ulysse à Saint-Pierre, redevenu l'épicentre.
On finit toujours, quels que soient les aléas et les déconvenues, par revenir à Ithaque. À nos risques et périls car, comme le chantait Richard Desjardins :
Revenir d'exil
Comporte des risques
Comme rentrer une aiguille
Dans un vieux disque
(Demeure une question : pourquoi, en 2013, dans ce square saint-pierrais où se dresse encore le fantôme de sa maison d'enfance, Eugène Nicole relit-il l'Ulysse de Joyce dans l'édition de la Pléiade, alors que, vivant et enseignant à New York depuis un quart de siècle, il est à coup sûr capable de le faire dans sa langue originelle ?)
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Jules Vallès, furieux à juste titre… |
Indéfectible voulant dire en gros “qui durera toujours”, l'assertion me paraît pour le moins hasardeuse : je suis à peu près sûr que même des doigts gourds parviendraient sans trop de peine à dénouer ce lien-là. À moins qu'on ne choisisse de le faire disparaître façon nœud gordien.
Mais ils sont comme ça, nos universitaires, toujours assurés d'avoir une quelconque importance, au point d'en devenir indispensables. Ils doivent s'imaginer plus ou moins qu'après leur mort ils seront accueillis en paradis par les sanglots de reconnaissance et les tremblements de gratitude de tous les écrivains sur lesquels ils auront tristement grouillé leur vie durant, tels des bataillons de larves sur une charogne baudelairienne.
Pour en revenir à notre Bellet, j'aurais bien aimé que l'on tranchât les fils dont il avait embobiné Jules Vallès – Lilliputien diplômé d'un Gulliver créateur – avant qu'il n'envahisse de sa présence et n'inonde de ses commentaires les deux volumes de la Pléiade consacrés au glorieux communard. Car tout de même : sur un livre de deux mille pages, en annexer à soi seul six cents uniquement pour y répandre ses petites notes et notices, n'est-ce pas faire preuve d'un cruel manque de savoir-vivre – et je m'efforce là de rester poli ?
Bien entendu, ce qui s'étale dans ces notes, c'est le cocktail hélas habituel désormais : un dé d'information intéressante dilué dans deux grands verres de cuistrerie absconse, les deux impeccablement mélangés au shaker. Je ne donnerai qu'un minuscule et anodin exemple. Dans le chapitre XXVI de son Bachelier, Vallès parle à un moment “des gymnases antiques, des jeunes Grecs, de la robe prétexte”. Là, appel de note. Mi-résigné, mi-agacé, le lecteur saute à la fin du volume. Il tombe sur une note composée de deux phrases. La première :
« La robe ou plutôt la toge prétexte est la toge blanche, bordée de rouge, que portaient à Rome les jeunes patriciens jusqu'à la puberté. »
Eh ! Voilà notre lecteur tout prêt déjà à absoudre M. Bellet des péchés dont il l'avait chargé ! Car le rappel lui semble utile et sobre, tout le monde ne se souvient pas forcément de ce qu'était la robe prétexte… Malheureusement, enivré par sa propre acuité intellectuelle, Bellet y va d'une seconde phrase :
« Mais Vallès joue aussi sur le mot : tout se passe comme si un pré-texte grec s'imposait comme écriture moderne. »
Elle était, à ce moment, vide d'électeur. Derrière leur table, les préposés à l'urne avait cet air ennuyé et tout de même responsable qui sied si bien à leur épisodique sacerdoce, dominical et républicain. Sur une autre table, à droite, sous la fenêtre, les candidats m'attendaient, impeccablement alignés en petites piles ; le frémissement imperceptible qui les parcourait ne devait rien à un courant d'air inexistant ; mais, je le sentais bien, tout à l'imminence de mon choix.
Or, de choix, il n'y eut point. Ou, si l'on préfère, il y en eut un mais je ne pourrais dire lequel.
Je pris avec délicatesse – mais détermination – un bulletin sur chaque tas, ainsi que la petite enveloppe qui, bientôt, allait symboliser, représenter, résumer ma toute-puissance d'homo votandus. Et, aux yeux mi-éteints des assesseurs, je disparus derrière le rideau feutré de l'isoloir.
Là, j'entrepris de mélanger les bulletins, comme on battrait un jeu de cartes molles. Puis je fermai les miens, d'yeux, et, du bout des doigts de la main gauche, je tirai une feuille de mon petit paquet, qu'à tâtons je glissai dans l'enveloppe avant de la fermer.
Sorti du confessionnal laïque, la suite fut solennelle et coutumière, cérémonie démocratogène dont le “A voté !” fut en quelque sorte l'expression orgasmique.
Et c'était vrai : j'avais voté.
Mais je ne saurai jamais pour qui.
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Jules Vallès, gauchiste matinal. |
Depuis hier, en lecture d'après-midi, Léon Daudet a cédé la place à Maurice Barrès. Voilà qui ne devrait guère, je le crains, redorer mon image de marque auprès des cohortes bienpensantes, même en arguant du fait que, suivant de près mon déjeuner, ni Léon ni Maurice ne sont de taille à résister bien longtemps à l'invincible léthargie post-prandiale qu'implique mon grand âge…
D'un autre côté, pour tenter d'apaiser l'ire de ces ravagés de la modernité, je pourrais arguer du fait que mes matinées sont tout entières vouées à Jules Vallès, impénitent gauchiste et communard inflexible. Du coup, L'Insurgé pourrait rétablir l'équilibre du balancier, mis à mal par Le Culte du moi. Les deux me feraient en quelque sorte une double cuirasse :
Si, vers le milieu de la matinée, les hordes progressistes débarquent ici pour me pendre à un réverbère au nom de la Tolérance et du Progrès, je leur brandirai Vallès sous le nez ; et, avec un peu de chance, ils m'acclameront comme un des leurs.
Et quand, juste après la sieste, les grandes compagnies nauséabondes envahiront mon maigre jardin dans le but de me faire subir un sort analogue, au nom cette fois des Valeurs chrétiennes et de l'éternelle Patrie, il me suffira de m'abriter derrière le grand Lorrain pour qu'ils m'enrôlent sous leurs bannières et que nous partions tous ensemble gravir la première Colline inspirée qui se présentera, en chantant des hymnes à Jeanne d'Arc.
Père, gardez-vous à droite… Père, gardez-vous à gauche…
Il n'est malheureusement pas exclu qu'un de ces jours, les premiers étant partis trop tôt et les seconds ayant traîné en chemin, mes post- et mes anti-modernes ne se trouvent arriver ensemble chez moi, se réconcilient sur mon dos de bouc émissaire et décident de me pendre doublement. Le fait que Vallès et Barrès riment ensemble devrait d'ailleurs faciliter cette trêve, très fâcheuse pour mes cervicales.
C'est ce qui risque toujours d'arriver, quand on se mêle de lire autre chose que des mangas ou des romans de filles. On serait mal venu, ensuite, de venir se plaindre.
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Maurice Barrès, réactionnaire post-prandial. |
Ponchon était si occupé à déambuler de zincs en arrière-salles qu'il attendit d'avoir 72 ans – et quelque pressant besoin d'argent (qui donc a dit : « L'argent liquide est fait pour être bu. » ? Ne sais plus…) pour réunir quelques-uns de ses poèmes afin de les faire éditer en recueil : ce fut La Muse au cabaret, judicieusement réédité à la fin du XXe siècle par Grasset dans ses fameux Cahiers rouges, et qu'il est facile de se procurer – je puis en témoigner, pour l'avoir fait récemment – moyennant le prix d'un ballon de sancerre ou de pouilly fumé. Trois autres Muse verront le jour après sa mort : la Vagabonde, la Frondeuse et la Gaillarde, qu'on doit pouvoir trouver également.
Sur ses très vieux jours, en 1924, ses amis se coaliseront pour le faire élire à l'Académie Goncourt, afin qu'il bénéficie de la petite rente accrochée à son fauteuil. Comme il est bon garçon, il les et se laissera faire ; ce qui ne l'empêchera pas de mourir à l'hôpital comme le plus anonyme des pochards – ou des pochtrons si l'on tient à faire rimer son patronyme.
Piéton de Paris à l'instar de Léon-Paul Fargue, Ponchon fut amoureux comme lui des deux ou trois quartiers qu'il a arpentés, du café de Cluny à son “bouillon” favori de la rue Racine, sans compter les quelques étapes intermédiaires qu'il avait garde de négliger. Mais ce Parisien d'élection avait aussi ses dégoûts et ses mépris, comme le montre ce quatrain, que je vous gardais en réserve (du patron) pour ma conclusion ; en guise, si l'on veut, de dernier-pour-la-route :
Je hais les tours de Saint-Sulpice
Quand je les rencontre
Je pisse
Contre
On peut en rencontrer certaines dans les différents livres de souvenirs publiés par Léon Daudet entre 1914 et 1930 approximativement.
Ainsi, dans Paris vécu, qui date de 1929, surgit soudain le fantôme de Jane Hading, toute ruisselante de sa beauté d'alors, ou du moins de celle que lui prête le déjà vieux Daudet lorsqu'il se souvient de ses émois d'étudiant des années 1880 touchant à leur terme.
Jane Hading (1859 – 1941) était cette comédienne qui créa la Sapho d'Alphonse Daudet. Saphique, elle ne l'était point, en tout cas pas à plein temps, puisqu'elle vivait avec Victor Koning – dit “le ver de noisette”… –, directeur de théâtres de son état.
Contrairement à ce que son nom de scène pourrait laisser croire, Jane Hading était marseillaise. On comprendra aisément le recours à ce pseudonyme lorsqu'on aura dit qu'elle s'appelait Alfredine Tréfouret, patronyme difficile à porter pour n'importe quelle femme, et encore plus pour une actrice, vu les forts soupçons qui pèsent, ou pesaient, généralement sur la rectitude de leurs mœurs.
Mais enfin, Alfredine ou Jane, Hading ou Tréfouret, le sémillant Léon en était tombé amoureux, comme on tombe amoureux à dix-huit ans. Une passion dont les ondes se font encore sentir quarante ans plus tard, lorsqu'il écrit Paris vécu :
« Épris de Mme Hading, comme d'une madone inaccessible, comme Pétrarque pouvait l'être de Laure, j'allais guetter ses sorties en voiture tout au bout du boulevard Malesherbes, où elle vivait conjugalement avec le ver de noisette. C'était le temps des coupés à chevaux. Elle passait, camée fugitif, rieuse ou préoccupée (je la préférais encore préoccupée) et je la saluais sans qu'elle me reconnût. »
C'est à ce moment que le lecteur de 2022 a l'impression de quitter les boulevards pour sauter à pieds joints entre les pages de Proust. Car ce timide et embrasé jeune homme, qui vient tous les jours, sans lassitude, se poster au coin de la rue où doit surgir “Elle, la Seule, l'Incomparable, la Divine”, ce n'est plus Léon : c'est Marcel-le-narrateur, sortant chaque matin de l'appartement familial pour voir passer et saluer la duchesse de Guermantes en ses équipages…
C'est pour la faire rejaillir, cette vivifiante source, que le président Emmanuel de Florette se résigna à donner les clés du ministère de la Garderie nationale au seul homme encore capable de la retrouver : le Papet.
Elle : « Mon pauvre ! tu risques d'attendre un moment ! Pense à emporter un livre… »
Moi, aussi sec : « La recommandation est à peu près aussi superflue que si tu me disais : “N'oublie pas de mettre un pantalon.” »
À la réflexion, elle l'est peut-être même davantage : quand il prendra à Herr Alzheimer la fantaisie de me ravager les connexions cérébrales, je suis persuadé que je sortirai me promener cul nu dans les rues du Plessis avant de partir baguenauder sans un livre sous le bras.
Ces jumelles qu'il braque durant près de trois cents pages sur les ans 40 et leurs joyeusetés ne l'empêchent pas, souvent, de jeter un rapide regard vers l'avenir, c'est-à-dire vers nous maintenant. Regard rapide mais presque toujours juste, et dont l'acuité est renforcée par ce qui constitue sa marque d'écrivain et que je définirais volontiers, si on insistait, comme une ironie indulgente – voire bienveillante.
Donc, pour illustrer mon propos – et justifier tant soit peu mon titre –, je m'en vas vous recopier deux courts passages du dit roman. Le premier s'est imposé tout naturellement, vu que nous sortons à peine d'une splendide “quinzaine anti-Le Pen” et qu'une autre se profile à l'horizon proche. Voici donc ce qu'écrivait A.B. il y a 45 ans :
« On parle de fascisme, de nazisme aujourd'hui sur les murs, dans les petits journaux… il ne passera pas, on se regroupe ! C'est plutôt du mimodrame. Il est bel et bien mort le fascisme. Mussolini pendu à son crochet de boucherie… le popolo qui vient lui glavioter le cadavre. Rudolf Hess, gâteux octogénaire, seul dans sa forteresse de Spandau gardé par une quadruple armée. Dans sa forme ostentatoire, évidente, nationaliste, il est bien crevé, le fascisme. On n'agite son fantôme que pour faire peur aux petits enfants. Il ne peut revenir, intolérant, féroce, implacable que sous une défroque tout à fait inattendue. Les survivants, les nostalgiques de la Collabo s'imaginent-ils que le règne de l'ordre, du travail dieu, du racisme, risque d'être instauré par leurs pires ennemis ? Le retournement ironique de l'Histoire, la grande farce. Hitler est asiate aujourd'hui… roi nègre ! »
Comme le fascisme c'est plutôt une histoire d'homme, et que je suis paritaire à m'en inonder les braies, voici maintenant un petit paragraphe pour ces dames :
« Dans le militantisme, j'ai pu constater, les nanas refilent aisé le double six aux hommes. Dès qu'elles sont vraiment convaincues de l'existence de Dieu ou du sens de l'Histoire, elles y vont bon poids… à toutes les messes, les réunions, les meetings, les cellules, les pèlerinages… Maintenant qu'elles ont trouvé une cause vraiment à elles, leur libération du joug du mâle… on n'a pas la partie belle, je vous le prédis, mes frères en biroute. Elles vont nous vaincre à la rage, la longueur du temps… à l'arsenic, à l'usure, au Code pénal… elles utiliseront tout, les vaches ! Et ça ne s'arrêtera pas, leur victoire, à l'égalité des droits. En vérité, je vous l'affirme, elles ont déjà gagné… l'avenir est à elles ! On sera réduits tous esclaves… exterminés après le service comme les bourdons par les abeilles. Ça va être ça, mes petits potes… le fin du fin de la lutte finale, de la dialectouille ! la véritable égalité. Le vrai communisme en sa phase ultime ! »
Et nous allons, si vous le voulez bien, nous quitter là-dessus : il faut que j'aille libérer Paris, moi…
« Les rubriques un temps envisagées par Lorrain nous éclairent sur le sens, somme toute ambigu et incomplet, qu'il donnait à son titre. “Poussières” suggère une discontinuité, comme des confetti de la durée, un émiettement aléatoire et pulvérulent du temps sitôt que le jour – systématiquement marqué par une date, ou plutôt par une date comme signe ostensible et dérisoire du quotidien dans son apparition/disparition, et donc comme pseudo-référence “vérifiable”, et d'autant moins vérifiable que ces dates sont souvent inexactes, ce que prouve l'examen des pré-originales… »
On pourrait gloser durant six pages sur ces six lignes, non ? S'extasier d'apprendre, grâce à M. Dupont, que le mot “poussières” puisse suggérer une discontinuité, par exemple. S'ébahir de ce qu'un jour puisse être marqué par une date “ou plutôt par une date” ; et que cette date – c'est inouï – soit le signe du quotidien, lequel a en outre l'extraordinaire capacité d'apparaître puis de disparaître. Et pas n'importe quel signe encore : un signe “ostensible et dérisoire” : voilà deux adjectifs qui vous posent leur signe un peu là !
Hélas, c'est pour apprendre, juste après, que ce signe, tout ostensible et tout dérisoire qu'il soit, ne sera jamais qu'une pseudo-référence, laquelle, comme beaucoup de pseudo-références, est non seulement vérifiable-entre-guillemets, mais en outre “d'autant moins vérifiable”.
Enfin, comme M. Dupont est un grand coquet, il prend bien garde de ne pas affubler d'un s final ses confetti, pour affirmer très haut qu'il connaît l'origine italienne du mot. On suppose que lorsqu'il en trouve un seul au revers de sa veste, il parle alors d'un confetto. Et aussi d'un spaghetto, s'il est à table et qu'il en a oublié un au fond de son assiette.
Il est vrai que ses confettis à lui sont aléatoires et pulvérulents, ce qui autorise bien des fantaisies : les confetti de M. Dupont, ce ne sont pas les confettis du vulgaire.
J'arrivais tout juste au bas d'icelle lorsque le livreur amazonien a glissé un paquet dans la boîte idoine : c'était le Guerre de Céline, sous sa couverture blanche de la Néref. Revenant à mon fauteuil, je vis bien qu'Alphonse me reluquait de traviole : il se gaffait que j'allais le larguer recta. Dame ! ce n'est quand même pas tous les morningues qu'on voit débarquer un Ferdinand frais émoulu des presses ! De fait, je m'y ruai, sautai à pieds joints par-dessus l'introduction du Gibault de service, snobai pareil les explications du machiniste qui avait bidouillé le manuscrit brut de décoffrage, pour piquer une tête direct dans le ressac célinien…
Un scrupule surgi de mes plus lointains tréfonds, mais néanmoins impératif, arrêta mon œil dès le second paragraphe, alors que Ferdinand pataugeait en maudit, le bras en capilotade, dans la boue de 14. Et la lumière se fit en plein : puisque j'avais tiré Alphonse des limbes, assez brusquement même, avais-je le droit de le laisser aussitôt choir comme le dernier des loquedus ? La réponse était non, catégoriquement. J'ai donc repris Cinoche où je l'avais prématurément abandonné, sous l'œil ma foi plutôt compréhensif de Ferdinand – enfin, il m'a semblé.
J'ai même fait mieux, ou davantage : comme je me sentais un peu merdeux de mon lâchage alphonsin, j'ai décidé d'aller passer commande d'un gros pavé contenant cinq autres de ses tartines, au Boudard. Histoire qu'il arrête de grommeler pendant que je savoure sa prose juteuse en essayant de ne pas m'en faire gicler trop sur le devant de ma limace. Il fallait au moins ça pour qu'il reprenne des couleurs.
On ne dirait pas, à les voir, mais tous ces gros durs à la redresse cachent souvent des cœurs de frangines.
Tampopo n'est peut-être pas l'un des plus grands films qu'ait engendré le cinéma japonais, mais c'en est à coup sûr le plus délicieux.On y prend conscience, tout naturellement, que la soupe n'est pas simplement de la soupe : c'est une quête ; dont la nouille est le Graal – lequel, comme tout Graal qui se respecte, ne se révèle pour finir qu'à celui qui s'en est donné les moyens et le mérite. Le résultat est un film fort drôle, olfactif, nourrissant, où la chère est montrée pour ce qu'elle est : le pivot central de l'homme, aussi bien dans l'histoire principale que dans ses différents “contrepoints” saugrenus, étranges, presque oniriques.
Tampopo est aussi un hommage à la fois admiratif et désinvolte au cinéma lui-même, lequel s'exprime sous la forme du pastiche : pastiche de western, pastiche de film noir, pastiche de comédie du temps du muet, etc. On y voit passer une procession fellinienne, on y découvre une chorale improvisée filmée comme par John Ford, ainsi de suite. Tout cela sur fond de musique classique occidentale, qui semble n'avoir été écrite que pour atterrir ici, dans ce minuscule restaurant de ramen. J'ai repéré au vol Wagner, Moussorgski, Mahler : il y en a d'autres, que mon inculture m'a empêché d'identifier.
Du reste, la présence ici de l'Occident n'est pas seulement sonore : on y donne aussi un ou deux coups de chapeau, très légèrement ironiques, à la gastronomie française, ainsi qu'aux spaghettis des Italiens, ces “frères en nouilles” des Japonais.
Et comme les plaisirs de la bouche et du ventre ne sont jamais totalement dissociables de ceux du sexe, on a également droit, dans l'un des contrepoints, à deux ou trois scènes d'un érotisme indiscutablement culinaire ; notamment un jeu de bouches entre amant et maîtresse qui, par le jaune d'œuf qu'il prend pour objet du désir, fait évidemment songer à Georges Bataille.
Je terminerai ce trop rapide aperçu par deux recommandations en forme d'impératifs catégoriques :
– Il est absolument indispensable de regarder Tampopo dans sa version japonaise, sous-titrée en français – ou sans sous-titres du tout si vous maîtrisez parfaitement la langue de Junichirô Tanizaki et de Kenzaburô Ôé : choisir une version doublée vous exposerait à être par moi maudit jusqu'à la septième génération, au moins, de vos putains de descendants.
– Ce film doit être abordé au sortir immédiat de table : visionné avant le repas, votre faim naturelle alliée au doux murmure et aux fragrances des bouillons s'échappant des marmites et des bols suffiraient très probablement à vous rendre fous ; en tout cas, quelque peu agressifs.
Donc, sagement, l'âme en paix et la volonté abstentionniste chevillée au corps, nous nous calâmes devant l'écran plat, pour y regarder la suite de la septième saison d'À la Maison blanche. Cette saison, qui se trouve être la dernière, est presque entièrement consacrée à la succession de l'actuel président américain, joué par Martin Sheen, cet impayable gauchiste octogénaire, rescapé des touffeurs d'Apocalypse now. Et l'on assiste tout au long à la double campagne et aux luttes que se livrent les deux candidats à cette succession, le gentil démocrate vertueux et le méchant républicain vendu aux lobbies de toutes espèces (c'est une série “de gauche”, évidemment…).
C'est ainsi que, lors du dernier épisode regardé hier, nous nous sommes retrouvés, un peu ébahis, face à un débat électoral d'une quarantaine de minutes, entre deux candidats fictifs, américains de surcroît, c'est-à-dire à la reproduction scénarisée – et heureusement plus brève – de ce à quoi nous avions fermement décidé d'échapper.
Ce qui nous a bien amusés.
Reste à savoir si le débat français qui, au même moment, se déroulait en direct, était plus important, plus vrai que celui qui nous occupait : rien n'est moins assuré.
« Elles ne sont pas franches avec elles-mêmes, elles ne s'avouent pas leurs sens. – Elles prennent leur cul pour leur cœur et croient que la lune est faite pour éclairer leur boudoir. Le cynisme, qui est l'ironie du vice, leur manque, ou, quand elles l'ont, c'est une affectation. La courtisane est un mythe. – Jamais une femme n'a inventé une débauche. – Leur cœur est un piano où l'homme artiste égoïste se complait à jouer des airs qui le font briller, et toutes les touches parlent. Vis-à-vis de l'amour en effet, la femme n'a pas d'arrière-boutique ; elles ne gardent rien à part pour elles, comme nous autres qui, dans toutes nos générosités de sentiments, réservons néanmoins toujours in petto un petit magot, pour notre usage exclusif. »
G. Flaubert, lettre à Louise Colet, 24 avril 1852.
On imagine avec une certaine jubilation le rictus du pénible bas-bleu recevant ce bouquet d'orties, elle qui, quelques jours avant, demandait à son amant rouennais de “lui dire des tendresses” ! Dire des tendresses… Quelle débandaison brutale, pour ce malheureux Gustave, recevant une aussi pitoyable sommation ! Le plus comique, pour son lecteur d'aujourd'hui, est que, plein de bonne volonté, dans la même lettre dont j'ai cité deux paragraphes plus haut, il s'y essaie en effet. Comme il y est malhabile ! Comme il s'y montre emprunté ! Quel mal il semble avoir à se branler le cœur ! Si l'on n'était pas séparé de Croisset par une grosse cinquantaine de kilomètres, on entendrait d'ici ses ahanements de bon bœuf attelé à une charrue trop lourde.
Et ce n'est pas là tout son calvaire. Car s'entendre dire des tendresses n'est pas la seule exigence de la poétaillonne parisienne : elle veut aussi qu'on lui en fasse ; ce qui implique rencontre, journées et nuits communes, toute la lyre. Pour parer à ce demi-cauchemar, Gustave a son excuse toute prête ; toujours la même, burlesque à force d'être constamment resservie, mais efficace. On peut la résumer ainsi : « Il me reste à écrire cinq pages pour finir ma première partie ; donc, je ne pourrai pas bouger d'ici avant sept à huit semaines. Mais alors, quel délice de te revoir, etc. »
En somme, ce grand lâche – mais ne le sommes-nous pas tous, un peu ? – se cache derrière les jupes d'Emma Bovary pour tenter d'échapper à la griffe de Louise Colet. Pour achever d'horripiler la femme de chair qu'il vient de repousser aux calendes, il ne cesse de lui parler en long et large de celle de papier.
Et c'est précisément ce qui nous rend ces lettres à Louise Colet si précieuses.
Intelligents, les Français ne deviennent idiots qu'au moment de voter.
Ce droit de devenir passagèrement stupide, j'ai prudemment décidé de n'en point faire usage : on ne sait jamais s'il ne va pas devenir pérenne…
Et puisqu'on parle de lui et de son livre ultime, je notais ce matin ceci dans mon journal :
« J'imagine la rage bavante des bas bleus féministoïdes à la parution du Journal inutile de Morand, en 2001 : comment ? Voilà un mâle blanc hétérosexuel qui se répand en horreurs sur nous-autres-femmes, et qu'on ne peut même pas traîner devant les tribunaux sous le prétexte fallacieux qu'il est mort depuis un quart de siècle ? Honte ! Scandale ! Abomination ! Même chose d'ailleurs pour l'inquisition pédérastique et les comités de censure antiracistes. Pendant ce temps, à Trieste, Morand est secoué d'un rire puissant, à s'en faire éparpiller les cendres hors de leur urne. »
Et voilà comment une urne chassa l'autre, opportunément.
« Guerre en Ukraine : des bébés nés par GPA attendent leurs parents dans un abri anti-aérien de Kiev. »
J'imagine que les dits parents, qu'ils soient 1 ou 2, genrés, dégenrés voire regenrés de frais, ne doivent pas
être très pressés d'aller les chercher dans cette un peu trop bruyante couveuse. Ils le seraient encore moins, d'ailleurs, tous ces sauveurs de planète et de climat, si on leur représentait l'énormité de leur empreinte carbone quand ils iront chercher leur commande en avion, au lieu de l'avoir bricolée à la maison, comme il se pratiquait couramment en des temps fort anciens.
J'ai tout de même une pensée un peu émue pour ces petits humains qui auront connu leur baptême du feu avant leur baptême tout court. Bien que, comparé à ce qui les attend sûrement, ce ne soit là que petite bière, simples hors-d'œuvre.
Ou, si l'on préfère : zakouskis.
Il y a pourtant un point noir ; un gros, un énorme point noir. Je veux parler du presque incessant martèlement électronique que, par un abus de langage incompréhensible, on continue d'appeler “musique”. Cela relève, notamment dans les deux dernières saisons, de la torture auditive, de l'abrutissement mental. Les individus produisant les sons d'une morne et insigne laideur que l'on inflige au malheureux téléspectateur, s'il n'a pas la chance d'être en situation de non-entendance, devraient relever du tribunal pénal de La Haye, voire d'un insondable et perpétuel Guantanamo.
L'auteur de cette immonde tympanisation contrainte est un certain Robin Coudert, dit Rob (car ces gens-là n'ont honte de rien et signent leurs vils méfaits en se rengorgeant). Je me prononcerais volontiers, dans le cas de ce triste et bruyant sire, pour une pendaison par les gonades jusqu'à l'arrachement terminal.
En attendant l'exécution de ce juste châtiment, je vais toujours maudire sa descendance jusqu'à la septième génération. Car il est juste et bon que les crimes des pères retombent sur la tête de leurs rejetons.
Tout cela étant dit – et ça m'a fait un bien fou ! –, ne manquez pas la série si jamais elle repasse à portée de vos yeux. Série qui relève presque du miracle, dans la mesure où les femmes n'y sont pas plus féministes ni gouines que ma voisine et ma boulangère, que les personnages masculins ne sont pas pédés non plus ; en tout cas, s'ils le sont, ils ne viennent pas à l'avant-scène nous concasser les burettes avec leur amusante particularité sexuelle, préférant se concentrer sur leur boulot – qui n'est pas facile tous les jours, croyez m'en – que de venir chouiner parce qu'on les discrimine.
Dans le même esprit, et maintenant que j'y pense, on ne croise qu'une seule “racisée”, qui a en outre le mauvais goût de ne jamais se plaindre de l'être, racisée : elle doit être de droite, je ne vois pas autre chose. Du reste, personne, dans l'équipe de ce bureau des légendes, ne semble s'être avisé qu'elle était noire (en plus d'être grosse) : personne pour la stigmatiser, c'en est presque inquiétant.
Quant aux mahométans que l'on croise çà et là, et l'on en croise beaucoup, on ne peut pas dire que les scénaristes nous dorent trop la pilule à leur sujet. Pour ce qui est de la tolérance, de la paix et de l'amour, ils peuvent aller renfiler burnous et gandouras. Il est vrai que, quand on travaille à la DGSE, on s'intéresse forcément plus aux terroristes qu'aux vendeurs de kebabs, même si l'un n'est pas toujours exclusif de l'autre.
Mon conseil final : choisissez la version avec sous-titres et mettez le son au minimum. Sinon, Rob risque de vous niquer les esgourdes.
Dans le marigot des prétendants, le seul personnage réussisant à m'arracher un pâle sourire est ce Fabien Roussel, qui tente de ripoliner de frais le vieux parti stalinien exténué. Du reste, quand on se prénomme Fabien, le moins que l'on puisse faire, il me semble, est en effet de s'encarter au plus vite, histoire d'être bien en phase avec la toponymie parisiano-marxiste.
Pour émerger du néant auquel il paraissait promis, Fabien a trouvé son gimmick, abattu son atout maître en entonnant le refrain “saucisson-pinard” qui rime si bien avec terroir ; sauf qu'il a judicieusement remplacé le ciflard par l'entrecôte, sans doute afin de ne pas trop “faire extrême droite” : l'important était de conserver l'assonance terminale.
Et voyez le miracle : par la grâce de ce programme en forme de menu du jour, il s'est aussitôt trouvé tout plein de petits socialistes orphelins pour entonner de tonitruants péans en l'honneur de ce Fabien sauveur, ayant opportunément troqué la faucille et le marteau contre le couteau à viande et le tire-bouchon.
Normalement, on devrait rapidement voir les masses populaires affluer de nouveau vers la place du Colonel-Homonyme, et la France d'en bas échanger comme un seul homme ses gilets jaunes contre des serviettes nouées autour des cous – des cous de production, il va sans dire.
Il y a tout de même, dans notre beau parler françois, certaines aberrations auxquelles l'homme de bien a quelque peine à se résigner. Puisqu'il est près de midi, prenons par exemple les repas : à la suite de quelle panne de cerveau collective avons-nous abandonné le souper ? Comme on aurait pu le prévoir, le dîner s'est empressé de venir occuper cette place laissée vacante autour de la table, cependant que le déjeuner montait lui-même en grade et en dignité pour s'installer au milieu du jour ; ce qui nous a contraint à forger ce ridicule petit-déjeuner, source de confusions : si, entre onze heures et la demie de la même heure, je m'enquiers si vous avez déjeuné, vous serez dans l'impossibilité de savoir si je me soucie de votre collation du matin ou si je pense que vous avez pu prendre en avance votre repas de midi. (On notera que cette panne encéphaloïde a heureusement épargné nos voisins belges et suisses ainsi que nos cousins du Québec.) Mais il y a pis.
Quel démon malfaisant, tout fraîchement vomi des Enfers, est venu un jour nous suggérer de remplacer nos si commodes et si logiques septante, octante et nonante par ces monstres patauds et mal articulés que sont soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt-dix ? Et pourquoi avons-nous rendu les armes si facilement, contrairement, là encore, à nos voisins et cousins déjà cités ?
Encore pouvons-nous estimer nous en être tirés à bon compte, et remercier le dit démon de n'avoir pas poussé plus loin sa plaisanterie. sinon, il nous faudrait aussi nous débattre avec trois-vingts pour dire soixante, nous colleter à quarante-dix quand nous voudrions dire cinquante, affronter vingt-dix et deux-vingts dès que trente et quarante surgiraient dans nos comptes.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Le mystère est par trop insondable, je donne ma langue au chat ; lequel risque fort de la recracher, la trouvant peu à son goût et pas loin d'être inassimilable.
L'information la plus réjouissante de ce 18 février (mais la journée n'est pas finie…) : « Les trottinettes en libre service à Paris voient un grand nombre d'utilisateurs blessés graves à la mâchoire et aux dents. »
À force de déstructurer la langue, nos analphabètes atlanticoïdes sont parvenus à franchir les frontières de l'humainement intelligible. Même si l'on pense deviner ce qu'ils ont essayé de dire, leur petit-lyonnais si particulier entraîne en tout cas quelques questions.
D'abord, bien sûr, on aimerait savoir quel est le génie méconnu qui a réussi à pourvoir une trottinette d'yeux lui permettant de voir des blessés graves.
On voudrait bien aussi qu'on nous précise si ces mêmes yeux sont en outre capables de voir des blessés légers, ou des blessés mutins, des utilisateurs pas blessés du tout, ou même des humains n'ayant jamais mis le pied sur une trottinette.
En outre, si ces blessés le sont à la mâchoire, il serait intéressant et utile qu'on nous précisât laquelle ; si c'est toujours la même, ou alternativement l'une et l'autre, la parité inférieure/supérieure est-elle respectée, existe-t-il des statistiques fiables sur le sujet, etc.
Enfin, il serait bon de savoir si les blessures que l'on se fait aux dents cicatrisent facilement, quel est le risque d'infection, convient-il ensuite de se baigner les molaires dans la bétadine, sont-elles plus bénignes si l'on porte la muselière à élastiques auriculaires, et s'il est préférable de se les faire infliger aussi loin que possible des heures de repas.
Tant que tous ces points ne seront pas dûment éclaircis, que l'on ne compte pas sur moi pour ressortir ma trottinette du garage : courageux mais pas suicidaire.
« Comme le titre le suggère, il s'agit d'un hommage aux séries B des années soixante et soixante-dix, que l'on projetait dans les cinémas dits “de quartier” (rappelons pour les moins de 50 ans qu'à l'époque le mot “quartier” s'employait au singulier et n'était nullement synonyme de casbah ou de village nègre).
« L'hommage est aussi réaliste que possible, puisque l'image a tendance à trembler un peu (par moment…) et à être traversée de zébrures et de points lumineux intempestifs (là encore, à certains instants judicieusement choisis). Le clou est, aux deux tiers du film, lorsque la pellicule prend carrément feu et qu'un panonceau intercalaire nous prévient qu'une bobine est manquante ; moyennant quoi, effectivement, on se retrouve avec un gros “blanc” dans le déroulement de l'intrigue, des personnages qui étaient séparés se retrouvent au même endroit, d'autres qui vaquaient sur leurs deux jambes agonisent sur un grabat, etc., sans qu'aucune explication ne soit donnée, ce qui est rigoureusement sans importance, vu le côté foutraque du scénario.
« Dans cette joyeuse pochade, où un gaz secret fabriqué par un ignoble militaire (Bruce Willis) transforme les gens en monstres pustuleux, avides de bouffer votre cervelle (et davantage si gros appétit), on retrouve le petit Freddy Rodriguez, qui n'a pas de lien de parenté avec Robert et que connaissent bien ceux qui ont regardé la série Six feet under ; il y a aussi l'indispensable Quentin Tarantino, en violeur psychopathe.
« On notera que, pour accroître encore le côté “séance de quartier”, Rodriguez propose, au début du film, une bande-annonce, avec Danny Trejo ; laquelle bande deviendra le film intitulé Machete trois ans plus tard : c'est probablement le seul cas, dans l'histoire du cinéma, où une bande-annonce a entraîné la réalisation du film lui correspondant, et non l'inverse. »
Après en avoir lu une critique aussi alléchante, si vous ne vous précipitez pas sur votre zapette pour savourer ce chef-d'œuvre, c'est vraiment que vous êtes irrécupérables – stupides – légèrement diminués.
À l'heure où le Canada, sous la houlette du pitoyable, catastrophique et post-humain Justin Trudeau, s'enfonce dans une sorte d'ethnolâtrie asilaire, il ne m'a pas paru abusif de vous remettre ce petit billet qui, malgré ses trois ou quatre ans de cave, n'a pas encore tourné vinaigre (quoique…). Voici donc :
À Jean le Huron… et à sa squaw.
Le Dr Adrien Proust à Venise. |
Dans son livre intitulé Proust et son père, Christian Péchenard parle de Proust et de son père, ce qui ne devrait surprendre personne. Avec le même souci de cohérence, dans son livre précédent, Proust à Cabourg, il parlait de Proust et de Cabourg, station balnéaire normande plus connue sous le nom de Balbec. Enfin, dans l'ultime volet de sa trilogie marcelline, Proust et Céleste, il évoquait tout ensemble Proust et Céleste Albaret, née Augustine Célestine Gineste, à Auxillac en Lozère.
Christian Péchenard était avocat – ce qui n'a jamais empêché d'être proustophile, la preuve – et c'est à ce titre qu'il fonda le cabinet Péchenard & Associés, qui existe encore aujourd'hui, à ce qu'il semble, et dont on nous dit qu'il opère “en conseil comme en contentieux”, ce qui est tout à son honneur je suppose.
Pour revenir à Proust et son père, Christian Péchenard écrit à un moment ceci, concernant Marcel :
« N'ayant pas eu un rôle bien défini dans la structure familiale, il ne pouvait être qu'un mauvais fils, et il était dévolu, par conséquent, à Adrien le rôle de mauvais père : “Mon père – dira le narrateur, dans une confidence qui dépasse l'anecdote – parce qu'il n'avait pas de principes, n'avait pas à proprement parler d'intransigeance…” »
Il n'est pas indifférent de savoir que le livre fut d'abord publié au éditions du Quai Voltaire en 1993 (1). Il n'aurait d'ailleurs pu l'être beaucoup plus tard, ou alors posthumement, Péchenard étant mort en 1996. Eût-il été de beaucoup postérieur à ces dates, on lui aurait vivement conseillé d'en ôter le paragraphe ci-après, particulièrement méphitique, sous peine d'excommunication citoyenne et paritaire ; paragraphe qui n'est que la suite et la fin de celui que j'ai cité plus haut. Voici :
« Cela se passait dans un temps où les hommes avaient d'ailleurs pour premier devoir d'être de mauvais pères. Ils n'appartenaient pas encore à la race androgyne des nourrices sèches que sont devenus les pères à la fin du siècle, ces mères à barbe participant à la notion stupidement égalitaire de l'amour et de l'éducation, aussi pernicieuse que la fin du monde annoncée par Sodome et Gomorrhe. Marcel Proust n'a peut-être pas eu un bon père, mais il a eu, ce qui compte beaucoup plus, un vrai père. »
La condamnation morale – bien méritée ! – de ce monstre antédiluvien aurait même été double, puisqu'on sait aujourd'hui que Sodome et Gomorrhe, au rebours de la fin du monde, annoncent en fait un avenir étale de radieuse tolérance, tout jonché de galipettes multicolores et dégenrées.
Bref, un auteur et des livres à autodafer d'urgence, si ce n'est déjà fait.
1) On trouvera les trois livres de Péchenard réunis (La Petite Vermillon) en un seul volume sous le titre de Proust et les autres.