jeudi 30 juillet 2015

samedi 25 juillet 2015

Physiologie du gauchiste


À Nicolas, social-traître exemplaire.

La plus voyante des particularités du gauchiste, qui peut sembler paradoxale mais qui est son ressort le plus profond, c'est sa détestation viscérale de tout ce qui est de gauche ; je veux parler des gentils naïfs qui pensent que l'on peut concilier ces deux contraires que sont socialisme et liberté. Cette haine est logique et cohérente, dans la mesure où le gauchiste ne hait rien tant, justement, que la liberté, laquelle semble n'exister que pour infliger de cruels démentis à ses théories absurdes. La répulsion que lui inspirent les démocrates se réclamant des idées de gauche est telle qu'il  préférera toujours s'allier avec les pires monstres, pourvu que ceux-ci les aident à exterminer la race maudite des sociaux-démocrates, quelle que soit la manière dont on choisisse de les nommer. Comme je n'ai pas l'intention d'écrire une étude longue et fouillée sur le sujet, vous chercherez vous-mêmes (et trouverez sans difficulté aucune) toutes les preuves de la constante collusion entre communistes et nazis, dans les années vingt, trente et même quarante du siècle passé.

La libre parole est le second ennemi personnel du gauchiste. Il est tellement imbibé de Bien, si persuadé qu'il sait comment rendre le peuple heureux, au besoin malgré lui, que toute voix discordante, ou même simplement bémolisante, lui est insupportable ; on le voit alors réclamer à grands cris des juges, des lois, des geôles et des bâillons pour tous ceux qui osent délirer un peu différemment de lui. Cette appétence pour la tyrannie, qui est leur caractéristique principale (on connaît leurs émerveillements historiques), ils parvenaient encore à la camoufler à peu près lorsque seuls leurs leaders s'exprimaient, ceux-là ayant acquis suffisamment de rouerie dialectique pour ne pas laisser voir à tout le monde leur vrai visage, qui aurait fait peur aux petits enfants et provoqué des fausses couches chez les jeunes femmes en situation intéressante. Mais, ensuite, sont arrivés les blogs, grâce à quoi le moindre imbécile a pu soudain exprimer le “fond” de sa “pensée”, c'est-à-dire, si l'on préfère se passer des guillemets, la pulsion primale qui lui fait adorer les miradors et les barbelés qui sont autour. Dans les balbutiements et les invectives de ceux-là, on pouvait désormais lire à livre ouvert, ils étalaient sans le savoir ce qu'ils étaient et ce qu'ils sont, des êtres rongés par l'envie, le ressentiment, la haine de tout ce qui prétend vivre sans se soumettre à leurs grisâtres impératifs. Évidemment, parmi ces grimaciers divertissants, le plus intéressant est le camarade Gauche de Combat, simplement parce qu'il est l'un des plus sots, ce qui fait que nul “surmoi” ne vient l'empêcher de dévoiler, billet après billet, l'individu qu'il est vraiment, c'est-à-dire ce molosse édenté, écumant de rage impuissante, prêt à planter ses gencives dans les mollets de toute personne dont l'existence lui semble être un naufrage un peu moins radical que la sienne. – Mais, évidemment, il y en a d'autres, presque aussi amusants.

Bien entendu, la tendance naturelle est de se moquer et d'éclater de rire. N'oubliez tout de même pas – surtout si vous vous pensez et vous dites de gauche – que le rêve ultime et jamais perdu de vue de ces cloportes-là est de vous anéantir, comme ils ont déjà réussi à le faire plusieurs fois dans un passé récent.

vendredi 24 juillet 2015

Après Paludes…


Puisque j'ai appelé Paludes le roman de moi qui devrait paraître (aux yeux éblouis) en début d'année prochaine, et qui ne se nommera évidemment pas ainsi, je viens de décider que le prochain – qui m'occupe fort depuis quelques jours – sera désigné sous le nom de Pot-Bouille. Pour l'élémentaire raison qu'il y sera question d'un immeuble et des gens qui l'habitent. Si jamais je parviens à l'écrire et qu'il est adapté au cinéma, j'espère que j'aurai droit à une distribution aussi glamour que celle qui me sert d'illustration. Mais ça m'étonnerait.

Cela dit, je m'en fous, car je n'ai jamais compris ce qu'on pouvait trouver à Gérard Philipe.

jeudi 23 juillet 2015

La Débâcle : un grand roman qui se termine mal


Pourquoi relire ce roman de Zola, l'avant-dernier des Rougon-Macquart (le dernier est oubliable) ? À cause de Henry James qui, dans sa brève étude sur Zola, en dit grand bien, alors que j'en avais, moi, un souvenir d'une tiédeur extrême, c'est le moins que je puisse dire : ça valait la peine d'y retourner. Souvenir remontant à une trentaine d'années : à l'époque, j'avais souscrit, auprès d'un éditeur par correspondance essayant de faire croire qu'il faisait des livres de qualité, pour les vingt volumes ; ils arrivaient chez mes parents à raison de deux par mois, ce qui m'a fait lire les Rougon comme en me jouant, à mesure des livraisons. J'en ai relu un certain nombre depuis, mais pas celui-là, jusqu'au début de cette semaine.

La Débâcle est l'un des plus épais romans du cycle, découpé en trois parties. Les deux premières sont époustouflantes, qui nous plongent au cœur de la guerre de 70, depuis les premières défaites alsaciennes jusqu'au désastre de Sedan. Naturellement, je suis “bon client” pour tout ce qui concerne les batailles et l'écroulement final : ma famille maternelle est sedanaise, j'ai passé dans cette ville des marches beaucoup de mes vacances d'enfant, j'y ai même vécu quelques mois avec Catherine, en 1997, sur ce même boulevard Fabert où ont vécu mes grands-parents et tous leurs enfants, depuis je ne sais quand jusqu'à 1974. Zola est un homme qui connaît son métier, un romancier consciencieux (et ce n'est pas, dans mon esprit, le rabaisser que de le dire) ; si bien que, comme lors de ma première lecture, j'ai eu ce plaisir rare de me promener dans une ville à quoi ma vie est indissolublement liée, mais telle qu'elle était avant même la naissance de mon arrière-grand-père (1879 – 1968). Par exemple, dans une scène particulière de la deuxième partie, je suis certain que l'on était à quelques dizaines de mètres de la maison que mes parents ont occupée durant la vingtaine d'années de la fin du siècle mort ; et que, plus tôt, dans la première partie, les troupes arrivant de l'Est ont dû passer à moins de cent  mètres de celle que mes grands-parents ont occupée de la retraite de mon grand-père à sa mort.

Mais, évidemment, vous vous en foutez et préféreriez savoir ce que vaut, à mon sens, le livre (je parle des cinq ou six lecteurs qui n'ont pas encore déserté). Il vaut beaucoup dans ses deux premières parties, soit pendant 350 pages sur 520 (dans mon édition ridicule). La maîtrise de Zola, des foules et des hommes, des bataillons et des individus, y est prodigieuse, ainsi que son art d'incorporer les uns aux autres : ce roman suffirait à discréditer pour jamais les mesquineries incessantes de Goncourt à son endroit. Mais le roman décline et devient ennuyeux dans sa dernière partie, lorsque, après le désastre de Sedan, on passe au siège de Paris et à la Commune. Pourkoidon ?

Il me semble que cela tient à ce que Zola a très habilement semé, lors des deux premières parties, des pistes romanesques concernant les divers (et nombreux) personnages qu'il jette dans sa fournaise, par ailleurs admirablement rendue. Le problème est que, Zola étant plus l'écrivain des masses, des mouvements, des convulsions que des destinées personnelles (il est presque l'anti-Balzac de ce point de vue, mais ça nécessiterait un autre billet), lorsqu'il réduit l'angle de sa caméra, si je puis dire, pour se centrer sur ces hommes et ces femmes qu'il a magistralement jetés dans la fournaise de ses deux parties initiales, le lecteur s'aperçoit très vite que… eh bien qu'il se fout de ce qui peut arriver à Pierre, à Paul, ou à Jacqueline et à Ginette : ils étaient parfaitement, avant, incorporés à la pâte volcanique du roman ; une fois extraits, ils deviennent de petits fruits confits sans grand relief, ni couleur, ni saveurs. Et, pis que tout, le dénouement est visible plusieurs dizaines de pages avant qu'il ne se produise. À ce stade, quand se produit enfin ce qu'il attend depuis vingt minutes, le lecteur repense à L'Éducation sentimentale et à la petite phrase couperet précédant le “grand blanc” que Marcel Proust admirait fort à cet endroit : « Et Frédéric, béant, reconnut Sénécal. » À la fin de La Débâcle, nul n'est béant, chacun savait déjà depuis trente ou quarante pages qui allait tuer qui.

Néanmoins, il serait bien dommage de se priver de ce roman. Ne serait-ce que pour voir comment un écrivain de gauche, mais incapable de dire autre chose que la vérité de ce qu'il voit (et, là, Zola rejoint Balzac), parle de cette fameuse Commune dont certains guignols continuent de se gargariser encore aujourd'hui.

mercredi 22 juillet 2015

Chabada bada…


Catherine, ce matin, m'a vertement reproché la photo de mouches illustrant mon billet d'hier soir. Comme je n'ai aucune raison sérieuse de la contrarier, et surtout pas maintenant qu'elle s'apprête à m'abandonner pour huit jours en me piquant ma bagnole, voilà pour elle une photographie de nous, qui lui rappellera sûrement de tendres et tumultueux souvenirs. Ah ! cette époque bénie où nous courions comme de jeune animaux ivres de liberté, face à l'océan immense, avec ce grand chien qui nous aimait ! On dit souvent que la photographie a tendance à épaissir les silhouettes ; j'en puis témoigner : jamais je n'ai eu cette apparence lourdaude, assez empruntée, et Catherine encore moins. Mais quels précieux moments ce furent là ! Le seul bémol de cette merveilleuse folie est que nous n'avons jamais réussi à ravoir nos chaussures, qui nous avaient pourtant coûté un bras. – La perfection n'est pas de ce monde, et encore moins des bords de mer.

mardi 21 juillet 2015

Le deuil des mouches


Nous sommes pris, depuis le début des chaleurs d'été, Catherine et moi, d'une sorte de fureur exterminatrice. Il faudrait nous voir pour y croire, chacun dans son fauteuil ou canapé, un livre dans une main et une tapette à mouche écarlate dans l'autre, la seconde prise d'agitations meurtrières incessantes. Le résultat – dérisoire : les fenêtres sont ouvertes, il en vient toujours d'autres – de nos fureurs méthodiques et maladroites est que le faux plancher du salon a pris en quelques jours des allures de champ d'Eylau ; les cadavres se multiplient, mais ils sont si insignifiants qu'on n'y prête que peu d'attention – et même pas du tout, dans un premier temps : plus les êtres sont petits, moins leur mort a d'importance ; il est facile de rameuter des consciences humaines à propos de la disparition des éléphants ou des baleines, mais la coccinelle qu'on écrase le nez au vent ne sera pleurée par personne, nous sommes bien d'accord.

Toujours est-il que j'ai baissé les yeux, entre deux gorgées et trois phrases ; juste assez de temps pour m'apercevoir que, sur ce plancher jonché, circulaient des mouches bien vivantes. Certaines, la plupart, semblaient ignorer les corps morts, sans doute atrocement mutilés si on les regarde avec des yeux de mouche. Mais quelques-unes circulaient entre les cadavres, s'arrêtaient un long moment sur celui-ci – on voyait bien, du fauteuil, les antennes vibrer –, avant de repartir sur son voisin où elles marquaient une nouvelle pause. Quel était leur manège ? Cherchaient-elle à secouer la léthargie de leur frère ou leur sœur ou leur mère inconnue ? Savaient-elles que la mort rouge et finement grillée, tombée du ciel – leur ciel de mouche – avait frappé ; et rendaient-elles les derniers hommages à la victime étendue sur le dos, peut-être secouée encore d'un dernier frémissement des élytres ? Les mouches, certaines mouches, savent-elles que la mort existe, et que c'est nous qui la leur donnons, pensant à autre chose ? Nous en veulent-elles ? Sommes-nous les ennemis mortels des mouches, ou bien adorent-elles à six genoux ces créatures monstrueusement immenses qui leur permettent de vivre par leurs restes, et les tuent par distraction ou agacement ? Et garderont-elles le souvenir de nous – lequel ? –, quand leurs bourdonnements sera redevenu le seul bruit sur terre, après la prochaine comète qui fondra ou la bombe que nous ferons exploser nous-mêmes ?

vendredi 17 juillet 2015

L'art du portrait : les troubles générosités de Miss Birdseye


L'art du portrait n'est pas donné à tout le monde – on ne voit d'ailleurs pas pourquoi il devrait l'être ; il ne l'est pas chez les peintres, pas davantage chez les écrivains. Henry James, lui, en possède la maîtrise. L'exemple qui suit est tiré du début de son épais roman intitulé Les Bostoniennes, et occupe trois pages (46 à 48) de l'édition Folio. Miss Birdseye est ce qu'on pourrait appeler une vieille militante multicauses, comme il existe des robots ménagers multifonctions. James commence, classiquement, par nous parler de son visage, de ses traits physiques, mais il les fait entrer tout de suite en correspondance avec un certain nombre d'éléments moraux, d'une manière rapide et très générale. Ça commence ainsi : 

« C'était une petite vieille dame avec une tête énorme ; c'est la première chose qui frappa Ransom – ce grand front noble, protubérant, pur et dégarni, dominant une paire d'yeux myopes, bienveillants et las […]. »

Ensuite, d'une phrase sur l'autre, le portrait se fait plus précis, plus personnel ; bien que se cantonnant toujours au physique de Miss Birdseye, il commence à s'en dégager des traits de caractère plus personnels ; et, partant, l'ironie commence à poindre :
 
« Elle avait un visage triste, mou et pâle, qu'on eût dit (ainsi que toute sa tête en général) décomposé et comme effacé par un long séjour dans un acide. L'exercice de la philanthropie n'avait pas donné de caractère à ses traits ; il avait plutôt, à la longue, supprimé tout ce qui était nuance et signification. Les élans de sympathie et d'enthousiasme avaient eu sur eux l'effet qu'ont les siècles et les intempéries sur les vieux marbres en polissant tous les angles et supprimant les détails. Dans cette masse imposante, son frêle petit sourire réussissait à peine à se faire jour. Ce n'était que l'ombre d'un sourire, une espèce d'acompte, un premier versement ; une velléité de sourire qui n'eût demandé qu'à s'affirmer si elle en avait eu le temps, mais qui suffisait quand même pour que l'on se rendît compte qu'elle était bonne et qu'il n'était pas difficile de faire sa conquête. »

James semble en suite s'éloigner de nouveau de son modèle et se met à décrire la manière dont elle est vêtue. Mais c'est seulement une façon de prendre son élan, car il le fait en quelques lignes, pour mieux plonger au cœur de Miss Birdseye. À partir de maintenant, le portrait moral ne se mêle plus à la silhouette physique, mais à la raison d'être sociale. En fait, de sa vêture, il ne ressort à peu près rien d'autre que le fait qu'elle porte une robe courte. C'est, si je puis dire, cette robe qui assure le pont avec la suite :

« Inutile de dire qu'elle faisait partie de la Ligue des Jupes Courtes ; car elle faisait partie de presque toutes les ligues existantes pour presque n'importe quoi. Ce qui ne l'empêchait pas d'être la plus désordonnée, brouillonne, illogique et raisonneuse des vieilles demoiselles ; sa charité qui commençait par soi-même et ne s'arrêtait nulle part, n'avait d'égal que sa crédulité ; sa connaissance des hommes, loin de s'être développée au cours de ses cinquante années de zèle humanitaire, était encore plus limitée, si possible, que le jour où elle était partie en guerre contre les iniquités sociales. […] »

Suit une vingtaine de lignes, par lesquelles James nous montre Miss Birdseye ballottée de meeting en phalanstère, mais toujours en maintenant le lien avec ses particularités physiques : port de tête, voix, etc. Il reste ensuite le plus délicat : passer de l'existence sociale aux traits de caractère les plus fondamentaux, donc les plus enfouis car violemment contradictoires avec le personnage “officiel”, et même aux désirs et aux frustrations de la sexualité ; tout cela assez délicatement pour que, si je puis dire, même le modèle ne s'aperçoive pas du dévoilement dont il est l'objet. On part donc d'un fait social simple et dûment établi : Miss Birdseye est pauvre et l'a toujours été. James écrit :

« Personne n'aurait pu dire de quoi elle vivait ; chaque fois qu'on lui donnait de l'argent, elle le donnait aussitôt à quelque nègre ou à un réfugié. C'était la moins partiale des femmes, mais, tout compte fait, elle donnait ses préférences à ces deux spécimens de l'humanité. La Guerre civile lui avait enlevé un des éléments essentiels de son activité ; car avant cela,  ses meilleurs moments avaient été ceux où elle s'imaginait qu'elle facilitait l'évasion de quelque pauvre esclave noir. »

Une âme aussi généreuse que romanesque, au dévouement inébranlable, donc ? C'est à voir. Car, juste après ce que je viens de citer, James enchaîne :

« C'était à se demander si parfois, au fond de son cœur, elle ne souhaitait pas que les noirs fussent encore en esclavage, afin de participer à ces évasions palpitantes. Elle avait souffert de même lorsque plusieurs despotes avaient été renversés, car, au cours de ses jeunes années, elle s'était consacrée au sauvetage des conspirateurs en exil. Ses réfugiés tenaient une grande place dans son cœurs ; elle passait son temps à quêter de l'argent pour quelque Polonais au teint blême, à chercher des élèves pour quelque Italien dépourvu de tout. »

C'est le Polonais qui va permettre à Henry James de descendre jusqu'aux tréfonds de Miss Birdseye, jusqu'à ce qu'une “vieille demoiselle” a de plus profondément enfoui et dissimulé, c'est-à-dire ses pulsions sexuelles. Pour cela, il évoque avec une certaine malice la rumeur d'un “sentiment tendre” qu'aurait eu Miss Birdseye jadis pour Polonais, lequel aurait disparu en emportant tout ce qu'elle possédait. James s'empresse de déclarer qu'il s'agit là d'une pure légende, puisque Miss Birdseye n'a jamais été amoureuse, « même dans son jeune temps, que des causes, et ses désirs ne se portaient que vers l'émancipation de tous les opprimés ». Il lui reste à décocher l'ultime flèche à son modèle, celle qui achève de la mettre à nu devant nous :

« Mais ç'avait été quand même la plus belle époque de sa vie, car au temps où les causes se présentaient sous les traits d'intéressants étrangers (les Africains étaient-ils autre chose que des étrangers ?), elles avaient nettement plus de charme. »

Tout cela, évidemment, n'explique en rien pourquoi, ce matin, peu avant neuf heures, alors que je n'y songeais nullement la minute d'avant, j'ai tiré ce roman du rayonnage où il dormait depuis près de dix ans, sans jamais avoir été ouvert.

mercredi 15 juillet 2015

Que fait-on, après Paludes ?


Au début, c'est facile : on saute partout comme Zébulon, en se disant qu'on a réussi à finir Paludes. Ça dure quelques jours, et encore : on n'a plus l'âge ni le ressort de rebondir bien longtemps. Ensuite, un peu essoufflé, on se fait croire qu'il est hautement nécessaire de relire Paludes ; de l'amender, le polir, le lustrer ; et on le fait : c'est très agréable, sans risque, pas trop de dépense cérébrale. On referais bien ça, ce lustrage du poil, pendant les quinze années à venir, c'est si doux ; mais la voix tombe du ciel : « C'est parfait, ne touchez plus à rien ! » Parfait, on en doute ; mais enfin, si l'ordre est de n'y plus toucher, à ce machin (qui, par ailleurs, commence justement à vous sortir par les yeux)…

Et la question pénible arrive : on fait quoi, maintenant ? C'est le moment où on se rend compte qu'on n'a jamais vraiment su ce que voulait dire le mot solitude

lundi 13 juillet 2015

Arnaud Mercier, grand méritant du désastre


« Il tente de capitaliser sur ses compétences économiques attestées à priori par ses diplômes et ses expériences acquises, y compris dans le secteur bancaire. Il cultive un profil qui se veut intermédiaire entre l’élu militant (l’élection au suffrage universel et/ou les positions de pouvoir au sein de l’appareil partisan valant carte d’accès à bord du gouvernement) et le technocrate expert (seule son expertise justifierait sa nomination au gouvernement), tout en penchant davantage du côté de l’expertise. »

La bouillie dont je viens, qu'on me pardonne, de vous infliger la lecture, est sortie du cerveau d'un certain Arnaud Mercier (il parle d'Emmanuel Macron, mais, en l'occurrence, on s'en moque). Ce Mercier-là, nous informe-t-on ici, est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université de Lorraine, responsable de l'Observatoire du webjournalisme au sein du CREM et chercheur associé au Laboratoire Communication et Politique (LCP) du CNRS. Cet impressionnant palmarès n'empêche nullement notre âne couronné de s'exprimer dans un sabir qui serait répugnant s'il n'était aussi risible, ni de croire que les mots expérience et expertise sont interchangeables.

M. Mercier est certainement l'exemple parfait de ce qu'est un diplômé d'après la catastrophe ; un grand méritant du désastre.

dimanche 12 juillet 2015

jeudi 9 juillet 2015

Heureusement que Simone n'a pas vu ça…


Ça s'appelle Zombeavers ; on comprendra que, sans être exagérément anglophone, le titre m'ait attiré comme un ruban de glu la mouche. L'œuvre elle-même est d'un classicisme rassurant : une cabane au fond des bois, mais garnie d'un lac, pour expliquer les castors, trois pétasses, trois semi-mongos et en route. La première scène est curieuse. On y découvre deux bas du front, très “Amérique profonde”, dans un pick-up transportant des bidons de déchets toxiques (le spectateur ne voit évidemment rien venir). Pour occuper le temps de caméra qui leur est imparti, ils se mettent à parler de leurs expériences homosexuelles réciproques, ce qui, malgré les apparences, est tout à fait sans fondement. Puis, parce qu'il est plongé dans l'étude de son téléphone portable, le chauffeur explose une biche qui stationnait au milieu de la route.  Le co-pilote descend, constate qu'il y a des boyaux plein la calandre et les pare-chocs, remonte, regarde son pote d'un air triste et lui dit : « Je ne crois pas qu'elle s'en sortira. » C'est la minute humoristique du film. Comme le pick-up, au moment de l'impact, a fait un méchant écart, l'un des bidons de déchets toxiques a sauté hors de la benne pour rouler jusqu'à la rivière ; le spectateur se demande bien pourquoi.

Ensuite arrivent les trois filles : une blonde en pleine déception amoureuse, une brune à lunettes, meilleure amie de la blonde, une chaudasse rigolote qui, dans trois minutes, ôtera son haut de bikini pour aller se baigner et justifier l'interdiction aux moins de douze ans. Elle a également avec elle une sorte de chien de poche à poil ras. Elles entrent dans la cabane en rondins et s'installent ; il s'agit d'un week-end “no boys”,  du coup elles ne parlent que de bites. La blonde a vu, sur Facebook, une photo de son mec en train d'embrasser une fille, dont le visage est caché par ses cheveux. Le spectateur se demande s'il ne s'agirait pas de la meilleure amie à lunettes, assise juste à côté d'elle sur le canapé ; évidemment, c'est elle.

Le trio part se baigner dans le lac, voit un barrage de castors maculé de traces vert fluo et passe cinq minutes à se demander si les castors pissent vert fluo. Elle croisent un ours énorme et un chasseur qui leur demande de s'habiller un peu plus décemment, parce qu'il y a des familles avec enfants dans la région. On n'a toujours pas vu le moindre castor, mais on devine qu'ils ne doivent pas être bien loin.  Les filles rentrent au chalet et tombent d'abord sur le couple de vieux voisins, puis sur leurs trois petits copains respectifs, qui ont enfreint la consigne et ont décidé de venir. La chaudasse et la à lunettes montent dans les chambres tirer un coup, mais pas la blonde parce qu'elle est fâchée. D'ailleurs, elle file s'enfermer dans la salle de bain, et tombe sur un zombeaver dans la baignoire ; elle crie. Son petit ami a beau cisailler la bête en deux avec le tisonnier, la bestiole aux yeux luminescents refuse catégoriquement de crever. Ensuite c'est la nuit, puis le matin.

Comme il fait beau, on retourne au lac se baigner (le script tiendrait facilement au verso de votre carte de crédit). C'est là que le grand niais de la chaudasse disparaît soudain dans l'eau (bizarrement, il se baigne avec un bonnet de laine sur la tête) pour réapparaître avec son pied à la main, non par l'effet d'une quelconque souplesse, mais parce qu'un zombeaver vient de le lui cisailler à ras la cheville. Tout le monde se réfugie sur la barge au milieu du lac, laquelle est rapidement cernée par les castors, qui font très très peur. Et qui mordent, en plus. Le petit ami disgracié de la blonde a l'idée qui sauve : il attrape le chien de la chaudasse et le balance à la baille le plus loin possible ; bien vu : les zombeavers se précipitent pour le boulotter et les autre peuvent regagner la rive, puis la cabane en rondins. Là, la chaudasse crache le morceau et annonce à la blonde que c'est sa meilleure copine à lunettes qui a roulé la galoche facebookienne. Mais tout le monde s'en fout un peu, car les castors attaquent méchamment, en fonçant dans les carreaux des fenêtres. On voit les filles leur donner des coups de couteaux en caoutchouc, pas trop fort pour ne pas risquer de blesser la main du machiniste qui est à l'intérieur du beaver

À partir de là, ça devient un peu plus confus et précipité. La blonde entre dans la chambre de la copine à lunettes et grimpe langoureusement sur le lit où elle est étendue, comme pour un plan gouines, ce qui manque un peu de cohérence. Au lieu de ça, elle se met à perdre toutes ses dents, tandis que lui poussent deux énormes incisives de beaver et des yeux fluo. Dans la scène suivante, on découvrira qu'elle possède également, désormais, accrochée au coccyx, une superbe queue plate dont elle bat furieusement le plancher disjoint. Le réalisateur semble maintenant pressé d'en finir, tout le monde devient rapidement zombeaver par morsures réciproques, y compris les vieux voisins, le chasseur et l'ours. Mais pas la chaudasse qui parvient à rejoindre la route en claudiquant, appuyée sur une hache qui lui sert de béquille (un peu plus tôt, elle s'est jetée du premier étage à travers une vitre et s'est pété la cheville). Elle voit arriver un pick-up, et son petit visage s'éclaire enfin d'un sourire de gratitude. Mais comme le bas du front du début est de nouveau occupé de son téléphone plutôt que de la route, il emplafonne la chaudasse de belle manière.

Noir, générique.

lundi 6 juillet 2015

Soigne ta clausule, Ursule !


La dernière phrase d'un livre est importante ; c'est celle qui donne au lecteur l'impression sur laquelle il va rester (à condition toutefois que les trois ou quatre cents pages la précédant n'aient pas été sabotées par l'auteur). L'idéal est bien sûr qu'elle soit dans la tonalité qui a ouvert le livre. Ce qui revient à dire qu'une clausule ne doit pas être insipide (et encore moins incipit, sous peine de mettre votre livre sens dessus dessous), sauf si, justement, vous avez voulu composer votre roman en insipide dièse mineur. L'exemple le plus rebattu est bien sûr celui de Proust, commençant sa Recherche sur le mot “Longtemps” et la finissant sur le mot “Temps” (les deux avec majuscule initiale). Quoi qu'il en soit, on tâchera que la dernière phrase ait le plus de résonance possible, afin de prolonger l'effet donné par le livre – si effet il y a bien eu (sinon, inutile de se fatiguer pour cette fucking clausule).

La dernière phrase d'une introduction ou d'un avant-propos répond à d'autres exigences : elle doit inciter fortement ll'hypothétique lecteur, toujours prompt à se défiler, à poursuivre sa lecture, à entrer dans le vif. Dans ce genre, celle qui clôt l'introduction à La Cabale des dévôts de Jean-François Revel me semble parfaite ; la voici :

Ce livre est entièrement négatif ; si vous aimez les pensées positives, ne l'ouvrez pas.

dimanche 5 juillet 2015

Dieu n'aime pas les vide-grenier


La parenthèse stupidement sudiste et calorifère que nous venons de vivre ces derniers jours a été refermée dans le courant de cette nuit. Au matin, le thermomètre de la terrasse indiquait 17° raisonnablement celsius, et la pluie qui tombe maintenant a cette régularité de bon aloi dont les Normands et la terre qui les porte sont friands ; en tout cas, à quoi ils sont accoutumés. Il était de toute façon impossible qu'il en allât autrement, puisque c'est aujourd'hui que se tient l'annuel vide-grenier du Plessis-Hébert, lequel ne saurait avoir lieu dans d'autres conditions que pluvieuses. Ce qui tendrait à établir que le mercantile déplaît au divin, ou bien que Dieu a parfois un esprit quelque peu farceur.

jeudi 2 juillet 2015

Et maintenant… que vais-je fai-reu ?


Aujourd'hui, à midi trente-cinq, j'ai posé le point final à Paludes.

mercredi 1 juillet 2015

Les gens crédules qui font du sentiment


Ils sont parfois curieux, les gens. Ils se mettent des idées incongrues en tête, on se décarcasse durant des mois, parfois des années pour la leur en ôter, et voilà qu'à peine guéris ils foncent droit sur une autre, tout aussi folle. Ainsi, il y a quelque temps de cela, les Français ont commencé à se plaindre de l'insécurité qui régnait dans leur pays et avait tendance à s'y étendre. Il n'a pas fallu moins de deux ou trois armées de sociologues appointés pour leur faire admettre qu'il n'y avait aucune violence nulle part, en tout cas pas davantage que n'avaient eu à en supporter leurs pères, et qu'ils souffraient tout bonnement d'un sentiment d'insécurité. Eh bien, depuis trois jours, voilà qu'ils recommencent, mais cette fois avec la chaleur ! Combien de temps va-t-il falloir aux rares lucides pour leur faire comprendre qu'ils sont en vérité atteint par un sentiment de chaleur ? C'est à désespérer.

(Pendant ce temps, Mme Parasol Indréloire nous explique qu'il « ne faut pas hésiter à boire ». J'ai beau tourner et retourner la question, je ne parviens pas à comprendre pourquoi une personne sensée, surtout si elle a soif, hésiterait à boire. Personnellement, ayant placé horizontalement deux bouteilles de riesling dans l'armoire-à-frimas de la cuisine, je sais bien que nulle hésitation, le moment venu, ne viendra suspendre mon geste. Et j'essaierai de ne point céder à je ne quel sentiment d'ébriété.