mardi 27 février 2018

Plus drues seront les chutes


Parce qu'il fut question de Niagara en janvier.

lundi 26 février 2018

De la vie après la mort et de l'immortalité de l'âme


Dans le dernier quart de son “roman autobiographique” (Une histoire d'amour et de ténèbres), Amos Oz raconte qu'au début des années soixante, à l'université hébraïque de Jérusalem, il suivait tous les dimanches après-midi le cours donné par le professeur Samuel Hugo Bergman (La philosophie dialectique, de Kierkegaard à Martin Buber : ça envoyait du lourd…). En dehors de sa pensée, “claire et pénétrante”, le vieil homme le fascine pour deux raisons extra-philosophiques : la première est qu'il avait été durant deux ans, à Prague, le condisciple et l'ami de Franz Kafka ; la seconde est que la propre mère d'Amos – suicidée à l'aube des années cinquante – avait suivi trente ans plus tôt le cours de ce même professeur. 

« Samuel Hugo Bergman était encore corpulent pour un homme de son âge. Avec sa crinière blanche, ses rides ironiques au coin des yeux, son regard perçant, sceptique et innocent, comme celui d'un enfant curieux, il ressemblait étrangement aux photos d'Albert Einstein vieux. Avec son accent d'Europe centrale, il n'était pas à l'aise dans la langue hébraïque où il évoluait avec une sorte de jubilation, tel un amoureux ravi que sa bien-aimée soit enfin consentante, et décidé à se surpasser pour lui prouver qu'elle ne s'est pas trompée. L'unique sujet, ou presque, qui occupait notre professeur était l'immortalité de l'âme, ou l'éventualité, si tant est qu'il y en eût une, de la survie après la mort. »

Le professeur prétend raisonner mathématiquement et dit à peu près ceci : puisque personne ne sait s'il y a quelque chose après la mort ou rien, on est autorisé à déduire de cette complète ignorance qu'il y a autant de chances pour l'immortalité que pour le néant ; 50 – 50. Samuel Hugo Bergman a donc bien soin, semble-t-il, de tenir sa balance rigoureusement à l'équilibre. 

Lui, oui… mais pas son élève, une quarantaine d'années plus tard ; car Oz conclut ainsi son chapitre : « Gershom Scholem, l'ami et le rival de Bergman, était tout aussi fasciné et tourmenté par la question de la vie après la mort. Le matin où la radio avait annoncé la mort de Scholem, j'ai écrit : “Gershom Scholem est mort cette nuit. Maintenant, il sait.” Bergman le sait aussi. Ainsi que Kafka. Mon père et ma mère. Leurs amis, leurs connaissances, la plupart des hommes et des femmes qui fréquentaient les cafés et dont je me servais pour raconter des histoires, et ceux qu'on a totalement oubliés. Ils le savent tous maintenant. Un jour, nous le saurons également. D'ici là, nous continuerons à recueillir quantité de détails. Au cas où. »

En écrivant que tous ces morts qu'il évoque savent, Amos Oz appuie résolument du doigt sur le plateau de l'immortalité. Car on ne peut savoir s'il y a quelque chose après la mort que si, justement il y a quelque chose à savoir. S'il n'y a rien, il n'y a plus de savoir qui tienne, il n'y a plus de “nous”, plus de “on” ; et même plus de “rien”. Par conséquent, dire que les morts savent ce qu'il y a derrière, c'est affirmer qu'il y a non seulement quelque chose, mais quelqu'un pour appréhender ce quelque chose. Et je me demande si Amos Oz, qui ne passe pas, je crois, pour un esprit religieux, a écrit ce paragraphe de propos délibéré, pour nous donner une indication sur lui-même qu'il ne voulait pas formuler à voix trop distincte. Ou bien si ce sont d'autres voix, des voix éteintes, de celles qui peuplent son livre, qui se sont mises soudain à parler à sa place.

dimanche 25 février 2018

Inscriptions dominicales, 3


– Naguère les gens du Milieu usaient d'un jargon pour cacher le sens de leurs paroles. Mille gens de l'Esprit, au contraire, usent d'un jargon pour prêter du sens aux leurs.

– Je suis exception harmonieuse de quelques règles, et exemple désolant des autres.

– Si tu fermes les yeux, n'ouvre pas la bouche.

– L'esclave qui aime sa vie d'esclave a-t-il une vie d'esclave ?

– J'ai mordu Cléopâtre, renversé Babylone, incendié Gomorrhe. Je le regrette.

– Partager mes opinions n'accrédite personne auprès de moi.

– Je ne comprends pas que l'on puisse faire en groupe ce que l'on n'a pas la vaillance ou le goût de faire tout seul.

– J'ai usé mon existence à tenter de voir le moins possible de gens. C'est fort malaisé pour qui demeure en ville.

– Au pays des muets les aveugles sont sourds.

– Je suis trop honnête pour être poli.

– C'est bien le moins qu'un cul-de-jatte ait le droit de critiquer un champion cycliste.

– Ce n'est pas la faculté de nuire qu'il faudrait enlever, c'est le goût.

samedi 24 février 2018

La double injonction faite aux Juifs


Au fond, les antisémites n'ont pas vraiment changé avec le temps ; ils se sont contentés de renverser ce qu'ils disaient avant, comme une image le fait dans le miroir. Ceux des années trente, très souvent de droite, braillaient : « Youpins, retournez en Palestine ! » ; ceux d'aujourd'hui, très souvent de gauche, s'égosillent : « Sionistes, dégagez de Palestine ! » À force d'exiger des Juifs qu'ils soient toujours ailleurs de l'endroit où ils sont, on devine que leur idéal commun, à ces fantômes du passé et à nos bien vivants progressistes, serait que, ici ou là-bas, ils ne soient pas.

mercredi 21 février 2018

Perdre sa langue puis la retrouver, mais autre.


Aharon Appelfeld est né en 1932 à Czernowitz, ville aujourd'hui ukrainienne mais qui était alors partie intégrante de la Roumanie. Sa langue maternelle est l'allemand (Ma mère aimait cette langue et la cultivait. Dans sa bouche les mots avaient une sonorité pure, comme si elle les prononçait dans une clochette de verre exotique) mais elle a, dès l'enfance du futur écrivain, de la concurrence, puisque sa grand-mère parle yiddish ; quant à la jeune domestique avec laquelle l'enfant passe beaucoup de temps, elle s'exprime en ruthène. Et puis, au dehors, dans les rues, c'est encore autre chose : Après la Première Guerre mondiale, la Bucovine, ma terre natale, avait été annexée à la Roumanie, et la langue du pouvoir était le roumain. Nous le parlions tant bien que mal et nous de l'intégrâmes jamais. Nous baignions dans quatre langues qui vivaient en nous dans une curieuse harmonie, en se complétant. Si on parlait en allemand et qu'un mot, une expression ou un dicton venaient à manquer, on s'aidait du yiddish ou du ruthène. C'était en vain que mes parents tentaient de conserver la pureté de l'allemand. Les mots des langues qui nous entouraient s'écoulaient en nous à notre insu.

Ensuite, le cataclysme s'abat sur cette partie de l'Europe que l'historien américain Thimothy Snyder a baptisées les Terres de sang. Aharon Appelfeld a 9 ans lorsqu'il se retrouve dans un camp de concentration, à la frontière de l'Ukraine d'alors ; camp dont il parvient à s'évader l'année suivante, à l'automne 1942. Sa vie entre ce moment et son entrée clandestine en Palestine en 1946 est hallucinante, mais ce n'est pas mon propos aujourd'hui ; du reste, vous trouverez tout cela sur internet. Ce qui m'intéresse, c'est, au moment du débarquement dans ce qui allait vite devenir Israël, l'irruption d'une cinquième langue : l'hébreu. Ça ne va pas sans mal : pour les  nouveaux arrivants, spécialement pour les adolescents, non seulement les sonorités de l'hébreu n'éveillent rien en eux, mais c'est surtout la langue qu'on leur impose, celle qui sert à leur donner des ordres : Il ne s'agissait pas d'une langue que l'on parlait doucement, mais d'une langue de soldats. Dans les kibboutzim et les camps de jeunesse, la langue était imposée de force. Celui qui parlait sa langue maternelle était blâmé, mis à l'écart, et parfois puni.

Appelfeld, qui reconnaît n'avoir jamais été bavard, cesse presque totalement de parler ; pas plus, en tout cas, que le strict nécessaire. Rebuté par les difficultés de l'hébreu, qui lui paraissent insurmontables, il se met en outre à bégayer. Mais le plus terrible, pour l'adolescent, c'est que, dans le même temps, il se rend compte que les langues de sa grand-mère et surtout de sa mère, le yiddish et l'allemand, sont en train de se détruire en lui : L'effort pour conserver ma langue maternelle dans un entourage qui m'en imposait une autre était vain. Elle s'appauvrissait de semaine en semaine et à la fin de la première année il n'en demeura que quelques brandons sauvés des flammes […] Dans mon sommeil j'errais avec des cohortes de réfugiés, tous bègues, et seuls les animaux, les chevaux, les vaches et les chiens sur les côtés de la route parlaient une langue fluide, comme si l'ordre des créatures s'était inversé.

Il faudra au futur écrivain plusieurs années pour réussir sa conquête de l'hébreu (dans son journal de cette époque, cette notation : Sans langue je suis semblable à une pierre) ; se forger une nouvelle langue maternelle. Il y parviendra si bien que c'est dans cette langue-là, cette “langue de soldats”, qu'il écrira ensuite toute son œuvre.

mardi 20 février 2018

Dans la juiverie jusqu'aux oreilles


Est-ce par une volonté inconsciente de rétablir un certain équilibre, après avoir lu trois livres de cet antisémite notoire de Cousteau ? Toujours est-il que me voici engagé dans un cycle de lectures à haute teneur en judéité, quand ce n'est pas en judaïsme. Cela a commencé par l'Israélien Aharon Appelfeld, dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir il y a quelques jours ici même. (Je voudrais d'ailleurs vous gratifier d'un second billet le concernant : on verra.) Je ne sais déjà plus quel chemin traversier m'avait emmené jusqu'à lui ; une phrase élogieuse de Finkielkraut peut-être bien. J'ai couplé sa lecture avec celle du Hongrois Imre Kertész, dont le livre Être sans destin mériterait que je lui consacrasse un article, lequel pour l'instant prend un malin plaisir à  m'échapper ; mais je ne m'avoue pas vaincu. Tous les deux, Appelfeld et Kertész, ont en commun d'être nés en Europe centrale et d'avoir été emportés très jeunes dans la nuit et les brouillards que vous savez ; et c'est de cela qu'ils parlent, mais de façons fort différentes – j'y reviendrai sans doute, plus tard.

Comme je ne voulais pas en rester là, j'ai demandé à un homme que je connais sans le connaître, vivant entre Jérusalem et Tel-Aviv, de bien vouloir m'indiquer d'autres écrivains israéliens, domaine où je suis d'une ignorance honteuse ; j'attends sa réponse, mais sans impatience puisque, pour rester dans la tonalité, j'ai repris tout à l'heure le volumineux ouvrage d'Isaac Bashevis Singer (photo), Ombres sur l'Hudson. De plus, sans attendre mon oracle de Terre sainte, j'ai commandé un roman de Samuel Joseph Agnon, écrivain israélien dont j'ai découvert qu'il avait été couronné en 1966 par les géants blonds de Stockholm et qu'il fut même le premier écrivain de langue hébraïque à recevoir leur prix (ces gens-là sont partout…) ; j'étais tombé sur lui parce que, dans ses mémoires, Appelfeld en parle avec amitié et admiration. Comme cet Agnon est né en Galicie, je me suis dit qu'à tant faire que d'être dans la région, je devrais bien, aussi, relire un ou deux livres de mon cher Joseph Roth, naturellement pris par son versant juif et non par son côté austro-hongrois. Par le même genre d'osmose géographique, avoir rouvert le roman de Singer m'a donné envie de relire l'un ou l'autre des Saul Bellow que je possède.

Bref, je ne suis pas sorti du ghetto. Et si, avec un programme pareil, je ne réussis pas à me brouiller à mort avec M. Jazzman, ce sera à désespérer de l'antisémitisme.

lundi 19 février 2018

Chat dans l'évier, mésange en février (petit proverbe)


Il n'y a pas si longtemps que Cosmos, notre félin d'adoption (notre chadopté…), a découvert que la mangeoire artisanale fixée par Catherine au volet de la cuisine était fort achalandée en mésanges friandes de graines de tournesol. Depuis, à mesure des jours, il a tendance à passer de plus en plus de temps dans l'évier (ou à côté, comme ici), dans l'espoir, imagine-t-on, que la vitre finira par voler en éclats sous l'intensité de ses regards. Il n'a pas encore compris qu'il lui serait plus avantageux de vaincre sa frousse du monde extérieur et d'oser enfin franchir le seuil de la porte, pour pénétrer enfin dans l'univers enchanté des oiseaux accessibles. On ne peut pas penser à tout.

dimanche 18 février 2018

Inscriptions dominicales, 2


– Mes faiblesses, mes défauts, masques sans lesquels j'aurais le malheur d'être un autre.

– La religion est une fatigante solution de paresse.

– Ne supposez point d'opinion dans les chefs d'un parti.

– Le bruit lointain d'un convoi, une petite lumière clignotant au fond de la nuit, un coup de sifflet que la distance a presque éteint, les usines abandonnées sous la lune.

– La connaissance du cheveu n'est pas celle de l'homme et j'inclinerais à la prendre pour moins importante.

– Je ne suis pas ennuyeux puisque je ne m'ennuie pas.

– La liberté c'est l'indifférence.

– « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément. » Malheureusement, nous ne saurons jamais à coup sûr ce que Boileau entendait par se concevoir, bien, s'énoncer, clairement, mots, dire, arriver et aisément.

– Comme celles de chacun, mes idées sont des carapaces.

– Je suis malheureux parce que je suppose chez les autres des richesses que je suis seul à posséder.

– Le critique est celui qui ne se suffit pas.

– L'Autriche. L'homme aussi.

jeudi 15 février 2018

Les chats tarés


On pourra sans exagérer considérer mon titre comme un quasi pléonasme, tant les chats dans leur ensemble, s'ils étaient évalués à l'aune de nous autres humains, relèveraient à peu près tous du vocabulaire psychiatrique. Je sais bien qu'on ne peut pas faire de statistiques sur un petit nombre, mais enfin, tout de même, chez nous, les tarés représentent très précisément 100 % d'un cheptel de deux.

Commençons par le plus ancien : Golo. Voilà un félidé qui passe l'essentiel de ses journées (et par conséquent des nôtres) à vouloir sortir quand il est dans la maison, et y rentrer lorsqu'il est dehors. Ce qui a pour effet principal de lui faire passer des heures soit devant la porte – en miaulant bruyamment et d'un ton comminatoire –, soit sur l'appui de fenêtre du salon, en maculant la vitre de la boue récoltée sous ses coussinets, et pour effet induit de transformer son maître en une sorte de groom bénévole, ce qui a tendance à l'agacer un peu – surtout en fin de journée. Et je ne dirai rien des acrobaties auxquelles il se livre pour aller boire dans la grande poubelle qui recueille sous la gouttière les eaux de pluie, alors que si, émus et compatissants, nous lui proposons une gamelle emplie de cette même eau, il la dédaignera avec une mine offensée.

Cette seconde aberration, Golo la partage avec Cosmos, mais selon des modalités un peu différentes. Pour elle (car Cosmos et Golo sont deux femelles, ce qui constitue bien sûr un facteur aggravant sitôt qu'il est question de comportements déments, ou à tout le moins incompréhensibles à l'entendement des humains normaux – je veux dire : des hommes), peu lui chaut que l'eau soit issue d'un robinet plutôt que de la nue : elle la lapera tout pareil ; mais à condition d'aller en récupérer les gouttes parcimonieuses au fond de l'évier de la cuisine, et non – au grand jamais ! – dans l'une des trois récipients mis à la disposition de l'arche, en différents endroits de la maison.

Cosmos a une autre particularité, bien à elle celle-là. Voilà un chat qui ne peut pas me voir m'installer dans un fauteuil sans bondir aussitôt sur son accoudoir afin de mendier caresses et gratouillis avec force ronronnements orgasmiques. Mais entré-je cinq minutes plus tard dans une pièce où il se trouve, le voici qui, donnant les signes de la plus intense panique, prend sa queue à son cou et file se réfugier sous le premier meuble salvateur, comme si sa vie en dépendait, ou si j'étais un habitué du coup de savate en hypocrite ; pour revenir juste après quémander sa ration de câlins.

Pendant ce temps, Charlus vit tranquillement sa vie de chien, prenant dans son panier un repos nécessaire, après avoir abondamment coursé dans toute la maison les deux échappés d'asile dont je viens de vous entretenir.

mardi 13 février 2018

L'amour soudain

Aharon Appelfeld, 1932 – 2018

C'est un roman à deux personnages et à quelques fantômes. L'un de ceux-là est Ernest, un vieil écrivain plus ou moins “raté” qui, au premier paragraphe du livre – dont le titre est celui que j'ai donné à ce billet –, fête son soixante-dixième anniversaire devant le gâteau au fromage et décoré de fraises que vient de lui préparer Iréna, la jeune femme qui lui sert de gouvernante, de femme de ménage, de cuisinière, de confidente… C'est devant le même gâteau que, dans les dernières pages, alors que le cancer s'apprête à gagner la partie, Ernest célébrera son anniversaire suivant.

Ernest n'est pas un écrivain raté, d'ailleurs : c'est un écrivain profondément insatisfait (n'ayant quasiment rien publié), qui passe son temps à se cogner à des portes lourdement scellées, et qui le plus souvent déchire au petit matin ce qu'il a écrit la veille. Pourquoi Ernest n'arrive-t-il pas à écrire ? Appelfeld nous le dit : « Son écriture était prisonnière de sujets universels déconnectés du temps et du lieu, éloignés de sa vie. » C'est ce qui fait fuir ses fantômes, en l'absence de qui il est tout à fait vain d'écrire.

Les fantômes d'Iréna, eux, sont bien présents. Son père et sa mère morts viennent régulièrement lui rendre visite dans le petit appartement où elle vit seule, durant les heures qu'elle ne passe pas chez Ernest. Ils lui parlent, la conseillent, s'inquiètent pour elle, tandis que, chaque vendredi soir, elle allume des bougies pour eux et tente de les rassurer. Ernest, lui, ne voit jamais son père ni sa mère. Paie-t-il, par cette absence, le prix de l'abandon où il les a laissés, dans sa jeunesse, à cette époque violemment troublée où, membre très actif des jeunesses communistes de Bucovine, il pillait avec ses camarades les magasins des juifs “riches” pour aller ensuite distribuer le butin aux misérables, et incendiait les synagogues, ces temples d'une religion rétrograde opprimant le peuple ? L'auteur reste réservé sur le sujet…

C'est l'étrange amour naissant entre lui et Iréna qui lui donnera la clé de la seule porte qu'il est à même d'ouvrir et qu'il ne voyait pas. Pour faire jaillir la source claire et vive, ce n'est pas qu'il creusait au mauvais endroit, c'est qu'il ne descendait pas assez profond : pour retrouver ses parents et sa propre enfance européenne, Ernest l'Israélien doit commencer par ses grands-parents. Il doit retourner vers ces Carpates où il est né et a grandi pour que la mémoire revienne et que s'opère sa transmutation en mots. Et le miracle est double puisque, par la force de cet étrange amour qui lie maintenant l'écrivain malade avec celle qui le veille et le soigne, Iréna aussi s'incorporera à ces souvenirs, à la vie passée d'Ernest, elle franchira la distance à la fois spatiale et temporelle qui les séparent tous les deux des montagnes roumaines, à mesure qu'Ernest lui lit ce qui vient d'être écrit : « Elle ne sait pas toujours où il se trouve au même moment, ni quelle pensées ce lieu suscite en lui, mais elle devine la plupart du temps. Lorsqu'il lui raconte les montagnes des Carpates les paysages ne lui sont pas étrangers. Souvent elle a eu envie de lui dire : Ne t'inquiète pas, même si je n'ai pas été là-bas, je ne suis pas étrangère sur ces chemins. Tu m'as souvent emmenée là-bas. » 

Cette croyance un peu bizarre, cette “certitude onirique”, le plus troublant est qu'Ernest se met à la partager avec elle : « Il s'enfonce de plus en plus profondément dans les montagnes des Carpates. Il sait que ce qui lui a été révélé alors a sombré avec les années et est enfoui. Mais grâce à Iréna il possède la clé qui ouvre les lourdes portes. Parfois il lui semble qu'elle est de là-bas, qu'elle est l'une des petites-filles de Grand-mère, ou peut-être une arrière-petite-fille qui est restée quelques années auprès d'elle et a appris d'elle les lois et les traditions de l'adoration divine, et tous les détails qui s'y rattachent : comment et combien marcher, que dire et quand, à quel moment se taire et de quelle façon, quand prier en murmurant et quand à voix haute. »

À la toute fin du livre, alors que les métastases d'Ernest croissent aussi vite et aussi sûrement que son manuscrit s'épaissit, Iréna est parvenue à se persuader qu'il n'allait pas mourir, que tout allait continuer comme avant, pour peu qu'elle reste constamment auprès de lui. Et il est possible qu'elle ait raison.

Le roman d'Appelfeld compte deux cents pages, découpées en cinquante-deux chapitres, fort brefs donc. Quant à son style, il ressemble beaucoup à celui que lui-même prête à son écrivain fictif : « Plus que jamais importe à Ernest que son écriture soit claire, ordonnée, sans quoi que ce soit de superflu, ni d'exagéré. Il efface une phrase lorsqu'elle comporte un soupçon de coquetterie ou d'enjolivement. […] L'écriture doit aller au fait, sans contorsion. Seuls les êtres à l'âme tourmentée ont une écriture sinueuse, brumeuse, il semble toujours qu'ils ont quelque chose à dissimuler. Une écriture juste doit être comme la chemise paysanne de Grand-père : en coton simple, sans ornement, confortable. Une fois, Grand-père lui a dit que dans la Torah il n'y avait pas un mot de trop, que chaque mot était compté, à sa place. […] À présent, il n'emploie que des mots à l'intérieur desquels on peut voir, des mots qui n'ont pas un double sens, que l'on peut poser comme une tranche de pain ou un pot de lait. »

Et je dis suffisamment de mal des traducteurs quand je le juge mérité pour ne pas signaler ici la très belle élégance dont a fait preuve Valérie Zenatti dans ce passage de l'hébreu au français. Je sens que je n'en ai pas fini encore, avec Aharon Appelfeld.

lundi 12 février 2018

Un petit livre hilarant… et un peu compromettant


L'ouvrage s'appelle Hugothérapie ; il a été écrit par celui dont il est malséant de prononcer le nom (indices : il commence par un c, finit par un u, et son célèbre frère cadet portait souvent un bonnet rouge). Pour préserver jusqu'au bout cet anonymat, nous dirons que ce journaliste surdoué dut se résoudre, il y a environ 70 ans de cela, à passer de longues années dans une maison de santé, tel un vulgaire narrateur proustien au bord du Temps retrouvé. C'est parce qu'il disposait de beaucoup de temps “libre” dans ce cul de basse fosse sanatorium, qu'il entreprit de relire, plume en main, toute l'œuvre de Victor Hugo, correspondance et discours compris ; afin d'en extraire la substantifique bêtise, fort bien illustrée par le slogan ornant la photographie ci-dessus. Cela donne un volume de petit format mais à haute concentration d'hilarité.

Le livre (publié chez Via Romana) se divise en deux parties d'importance inégale. La première est une copieuse introduction intitulée Mode d'emploi : sur un ton à l'ironie constante, en un style aussi revigorant qu'un alcool interdit, l'auteur explique les tenants et aboutissants de son projet, expliquant doctement comment lui, le mal-pensant embastillé hospitalisé a été sauvé de ses errances idéologiques par le grand-père de tous les progressistes présents et à venir, lequel, par la somptuosité de ses boursouflures l'a ramené, penaud et pénitent, dans le giron de la Démocratie et dans les bras de la Conscience Universelle. Mais comme C......u a gardé un assez mauvais fond, il ne se prive pas de certains parallèles entre le XIXe siècle hugolien et nos années quarante (et plus si affinités). Par exemple, le paragraphe où il expose tous les revirements politiques du poète au cours de sa vie, ses retournements de girouette pour toujours se placer dans le sens de l'histoire, ce paragraphe il le conclut ainsi : « […] Et finalement, il est élu député de Paris ; le peuple de la capitale a toujours eu un goût évangélique pour les durs de la onzième heure. »

Quant à la seconde partie, la plus importante en volume, elle est constituée par, si j'ose dire, les pièces du dossier. C'est-à-dire par un grand nombre de citations de Hugo, regroupées par thèmes, et qui n'ont besoin d'aucun commentaire ou presque pour provoquer ris et pouffades, tant l'accumulation de leur pompeuse sottise est hilarogène

Pour terminer, revenons à la citation incrustée dans la photo, dont se gargarisent encore de nos jours des ribambelles de petits blogueurs en prenant des airs importants. Voici ce qu'en dit C......u : « La criminalité est une conséquence de la mauvaise organisation sociale. Les hommes volent et tuent parce qu'ils sont pauvres et ignorants. Surtout ignorants. Apprenez-leur la règle de trois, la liste des sous-préfectures, les propriétés du triangle rectangle et les os du squelette, et aussitôt ils cesseront de braver le Code Pénal. On n'en peut pas douter. Si Al Capone n'avait pas été poussé par la faim, jamais l'idée ne lui fût venue d'attaquer à la mitrailleuse des banques que l'étourdissement de l'inanition lui faisait prendre pour des boulangeries. Et, muni de son certificat d'études, Stavisky ne se fût pas embrouillé dans ses comptes. »

Et ne venez pas me dire que l'auteur a mauvais esprit : je le sais et l'en remercie.

dimanche 11 février 2018

Inscriptions dominicales, 1


– L'on peut être sauvé par autre chose qu'une catastrophe.

– Pas plus de souvenirs que si j'avais Turin.

– Comment a-t-on pu rapprocher des histrions baveux de Dostoïevski les héros de Conrad si proprement déchirés, si heureusement malheureux ?

– Les femmes sont passionnées même dans le calme.

– Enfant pour moi, je puis être vieillard pour un autre.

– Je ne respecte point la loi, mais redoute les hommes qui la gardent.

– Je méprise trop ces gens pour me déplaire en leur compagnie.

– Mais prenez-vous la vie au sérieux, Monsieur ? Non, Monsieur, je la lui laisse.

– Il est parfois amusant de perdre son honneur.

– La morale est un avatar de l'instinct de conservation.

– Les imbéciles éprouvent le besoin de se renouveler.

– Ne jugeons pas, condamnons.

vendredi 9 février 2018

Les inscriptions sont ouvertes !


Louis Scutenaire fut un poète surréaliste belge qui ne perdit jamais une occasion d'affirmer avec force et conviction qu'il n'était ni poète, ni surréaliste, ni belge ; ce qui ne l'empêche pas de ressembler vaguement à un von Stroheim qui n'aurait pas été acteur, cinéaste ni teuton. Né en 1905, il est mort en 1987, ce qui semble tout à fait raisonnable. Entre autres chose"s, il a publié, à partir de 1942, cinq volumes (le dernier étant posthume) de ce qu'il appelait ses Inscriptions. De quoi s'agit-il ? De phrases, de sentences, de simples notes, d'essais de poèmes, de tentatives de récits, d'aphorismes, etc. Ces fourre-tout que sont Mes inscriptions, Scutenaire les résume ainsi : « J'ai quelque chose à dire. Et c'est très court. » ; ce qui vous donne une première inscription scutenariale.

Il va y en avoir d'autres puisque, dès dimanche, Louis Scutenaire remplacera Ramón Gómez de la Serna, ici même et dans les mêmes conditions de présentation. Dans la mesure où il est de notoriété publique que je n'en fais jamais qu'à ma tête, il sera parfaitement inutile de protester en commentaire si jamais ces inscriptions d'Outre-Quiévrain n'ont pas l'heur de vous convenir.

Voilà.

mercredi 7 février 2018

Mes quelques jours avec Cousteau, Intra muros


Ce n'est évidemment pas de l'homme au bonnet rouge que je compte vous entretenir céans, mais de son frère aîné, Pierre-Antoine (1906 – 1958), celui dont Jean Galtier-Boissière a pu dire qu'il fut le journaliste le plus brillant de sa génération. Amis progressistes aux narines délicates, vous feriez bien de quitter tout de suite ce billet, qui risque fort de ne pas nauséabonder dans votre sens. Intra muros est le journal qu'il tint entre le 12 janvier 1946 et le 18 juillet 1953, soit durant les sept années et demie où il fut incarcéré, d'abord à Fresnes, où il reçut sa condamnation à mort pour cause de collaboration avec l'occupant allemand, puis à Clairvaux après la commutation de sa peine en prison à vie, et enfin à Eysses, où il fut gracié par le bon président Auriol.

Ce qui émerge de ces cinq cents pages (éditées par Via Romana), c'est le portrait d'un homme qui ne regrette rien, non seulement, mais qui considère même que se renier serait la pire des déchéances. De fait, il n'a pas de mots assez flétrisseurs pour les anciens “collabos” qui n'ont de cesse, à partir de 1945, de courber l'échine devant leurs juges et de leur donner des gages d'humble repentance (Thierry Maulnier, par exemple, en prend pour son grade, et il est loin d'être le seul.) : l'opportunisme et la tiédeur le révulsent.  « Les seuls résistants respectables sont ceux de 40, et les seuls collaborateurs respectables ceux de 44. » Quant à lui, fasciste il fut, fasciste il demeure ; ce qui ne signifie nullement pétainiste : Cousteau n'a pas plus d'estime pour le vieux maréchal que pour le général qui l'a remplacé. « Il était aisé de prévoir, écrit-il, ce qu'il adviendrait des techniciens du double jeu vichyssois. Ce double jeu-là était la seule chose à ne pas faire, la seule chose vraiment absurde, insoutenable, indéfendable. Ignominieuse par surcroît (…). Du simple point de vue de l'efficience, il fallait être avec les Allemands à fond ou contre les Allemands à fond. Il fallait rejoindre de Gaulle à Londres ou s'allier avec Hitler, résister les armes à la main ou collaborer les armes à la main. Mais ne point se perdre dans le jeu sordide et dérisoire des contre-assurances, des restrictions mentales, des freinages sournois et des adhésions réticentes. »

Est-il besoin de dire ce qu'il pense des résistants du 32 août, des épurateurs de la 25ème heure, de Sartre et de ses acolytes, de tous ceux qu'il appelle les fifaillons (FFI ---> fifi---> fifaillon) ? Ils lui permettent au moins d'exercer sa verve sarcastique et son sens de l'humour souvent féroce. Car on sourit beaucoup, pendant la lecture de ce journal, même et surtout quand la situation est dramatique. Et le duo que forme notre Cousteau avec Lucien Rebatet, compagnon d'incarcération, vaut son pesant d'ausweis. Par exemple, lorsqu'il arrive à Fresnes, en janvier 46, il note que la peinture verdâtre de ses murs font ressembler sa cellule à un gros aquarium. Il ajoute : « Mon petit frère s'y sentirait très à l'aise. » Ou encore ceci, écrit en avril 48 : « Passé ce dimanche à jouer à la pelote basque. Je n'avais pas réfléchi jusqu'à présent que la pelote basque est bien le sport pénitentiaire par excellence. Car que faut-il pour y jouer ? Un mur. Et les murs, on en aurait plutôt à ne savoir qu'en faire. D'autre part, ce ne sont pas de petits murs ridicules par dessus lesquels les balles risquent de passer à tout instant. Nous avons ce qui se fait de mieux. » L'humour n'entraîne pas l'oubli, et Cousteau assaisonne sévèrement ses juges et ses geôliers, mais toujours avec une pointe de sel :  « Seigneur, si vous me pardonnez mes offenses comme je leur pardonne les leurs, je suis foutu, Seigneur. »

Aussi fasciste entre ses quatre murs qu'il l'était à la direction de Je suis partout, il ne perd jamais une occasion d'accabler de sarcasmes et de mépris la démocratie en général et la France de la IVe République en particulier. Il en arrive à trouver des accents qui résonnent étrangement à nos oreilles d'aujourd'hui ; comme s'il parlait là, tout près : « Tout compte fait, note-t-il en 1951, il n'est pas étonnant que j'aie été “de gauche” jusqu'à mes vingt-cinq printemps et donnant dans toutes les zozoteries pleurnichardes de la Conscience Universelle. J'étais accablé d'un complexe d'infériorité, j'étais timide avec les femmes, avec les patrons, avec les sergents de ville, et convaincu que j'étais un raté, que je ne ferais, comme on dit, jamais rien dans la vie. Ce sont là des dispositions idéales pour se sentir à son aise dans la démocratie, qui est faite, si merveilleusement, à la mesure des médiocres et des abrutis. »

Et ceci, qui sonne encore plus actuel peut-être : « Ce qui compte, pour les gens de la Conscience Universelle, en politique, ce n'est point ce qu'on fait mais ce qu'on dit. Tant qu'on n'a pas compris cela, et qu'on ne s'en est pas pénétré, on demeure devant le déroulement de l'histoire contemporaine comme un analphabète balbutiant. Phénomène étrange, qui heurte le sens commun mais dont l'illogisme n'est qu'apparent. Les gens de la Conscience Universelle, vivant dans un monde essentiellement poétique et sans aucun point de friction avec la réalité, sont voués, tout naturellement, à admettre la primauté du verbe sur le fait brutal. Mieux, le verbe est pour eux la seule réalité et les faits ne sont guère que des contingences accessoires dont ils se font fort, justement, de modifier la nature au gré de leur pseudo déterminisme progressiste. A-t-on jamais vu qu'une construction de l'esprit fût mise en danger par une objection rationnelle ? Si les choses ne sont pas comme elles devraient être, ce sont les choses qui ont tort. (…) C'est pour cela que les meneurs de peuples n'ont pas grand-chose à craindre des gens de la Conscience Universelle, et qu'ils peuvent tout se permettre, toutes les iniquités, toutes les abjections, à la condition absolue qu'ils usent d'un certain vocabulaire benoîtement orthodoxe. »

J'avais relevé encore d'autres passages, dont certains d'un ton plus grave, plus douloureux, mais trop longs pour être reproduits ici et qui ne supportaient pas la coupe. Et il y avait aussi d'autres aspects de ce journal et de son auteur à mettre en lumière, notamment tout ce qui concerne ses essais de critique littéraire – cvar Cousteau lit énormément durant ces années d'inactivité contrainte, et c'est un lecteur au jugement acéré, là aussi.  Mais je suis déjà bien long : ce sera à chacun d'aller y voir pour son propre compte, en se plongeant, Intra muros, à la rencontre d'un homme qui mérite grandement d'être lu.

mardi 6 février 2018

Petit bonhomme de neige


Catherine est en train de faire de Charlus un authentique chemineux (j'ai manqué écrire cheminot, mais j'ai craint qu'on ne confondît alors mon Ch'ponk avec un planqué de la SNCF), et je trouve que la photo prendrait presque, pour peu qu'on ait la cervelle un peu épique, des allures de retraite de Russie.


Signalons aussi, pendant que nous sommes là, que l'animal, hier, a hérité un nouveau surnom, dû à un hirsutisme que l'on suppose provisoire, mais sans en être tout à fait assuré : Chewbacca. Nous avons pris à bord, bien adapté à la taille de notre vaisseau immobile, un chewbacca de poche.

lundi 5 février 2018

Les prénoms de France


Le snobisme consistant à trouver très chic, lorsqu'on est normand, auvergnat ou artésien, de donner à sa progéniture des prénoms étrangers, ce snobisme-là n'est pas né d'aujourd'hui ; mais il est longtemps resté judicieusement confidentiel, ne touchant que des individus isolés n'ayant aucun pouvoir d'entraînement ; comme par exemple ces parents d'un écrivain pour adolescents qui, au tout début des années vingt, prénommèrent leur fils Boris. C'est lorsque les prénoms anglo-saxons apparurent sur les registres d'état-civil de France que la peste commença à se propager tel le feu sur une traînée de poudre, d'autant plus vite que le mal ne tarda pas à gagner la populace : c'est ce qu'on pourrait appeler le snobisme quart-mondiste, ou quart-mondial.

Bien avant les actuelles armées de Kevin, de Brandon, de Jérémy, de Priscilla ou de Paméla, il y eu la petite troupe des avant-gardistes : les Jonathan ; lesquels sont devenus l'objet d'une étrange mutation, sans doute parce que le prénom est désormais perçu comme français à cent pour cent, comme prénom de souche. Du coup, les snobs au carré ont décidé de réagir vigoureusement en réaméricanisant ce pauvre Jon. C'est ainsi que, voilà quelques jours, à la faveur d'un fait divers sans intérêt, on a vu bondir sur scène un Jonathann ; dont, j'imagine que, dans l'esprit des géniteurs, le redoublement final sert à indiquer que le prénom de leur fils doit impérativement rimer avec âne, ou à la rigueur avec Anne

Trouvaille ingénieuse, certes, mais qui risque de s'éventer assez vite. Quand, dans quelque temps, par le simple effet d'émulation de la bêtise, on se retrouvera avec des Jonathann à tous les carrefours, il faudra bien que les snobs au cube trouvent autre chose pour singulariser leurs rejetons. Dès maintenant, je leur suggère d'adopter la graphie Djonathann, qui, convenez-en, a fort belle allure. Ceux qui vont souffrir, je le crains, ce sont les futurs snobs puissance 4, dans la mesure où aucune lettre française ne pourra rendre la prononciation, même approximative, du th anglais. À moins que, d'ici là, les cerveaux en émulsion permanente de la post-modernité n'en aient bricolé une : c'est avec une certaine confiance que j'attends.

dimanche 4 février 2018

Greguerías del domingo, dernière


– Rien ne donne plus froid aux mains que de s'apercevoir qu'on a oublié ses gants.

– Toute goutte naît avec une vocation de stalactite et tombe comme une simple goutte mortelle.

– Le Créateur garde les clés de tous les nombrils.

– Les animaux sauvages, lorsqu'ils parlent de ceux qui vivent dans les parcs zoologiques, les qualifient, avec mépris, de “bureaucrates”.

– Le H est une lettre tellement muette et transparente qu'il nous arrive de ne pas nous rendre compte qu'elle n'est pas à sa place.

– La durée de la matinée change tous les jours.

– Dante se rendait tous les samedis chez le coiffeur pour se faire rafraîchir la couronne de lauriers.

– C'est l'irrémissible part de singe qu'il y a en nous qui troue les chaussettes.

– Réponse de jeune fille effrontée : « Je n'ai pas trois mains ! »

– On se demande parfois si la grande erreur dans la vie n'est pas de croire que la tête a été faite pour penser.

– Le soutien-gorge est le loup de la poitrine.

– Lorsque le voisin du dessus passe l'aspirateur, il absorbe toutes les idées qu'on a pu avoir.