jeudi 29 septembre 2016

Si j'avais les ailes d'un ange…


… je laisserais Catherine partir seule pour Québec et je volerais vers la maison m'occuper de mon journal.

samedi 24 septembre 2016

Biblio take care

Bibliothèque de l'université de Coïmbre, Portugal.

À Georges-Alain…


J'ai un ami cher, nous l'appellerons Michel D., qui aime fouiller les tréfonds du “politiquement correct” américain et qui, sachant le plaisir que j'y prends, ne manque jamais, lors de nos agapes communes, de me faire part de ses dernières découvertes, toujours juteuses et jouissives, comme le veut le sujet. Aujourd'hui, où nous déjeunâmes, cet épisode porta sur un guide édité outre-Atlantique à l'usage des bibliothécaires universitaires, destiné non pas à leur apprendre leur métier mais les comportements qu'il importe qu'ils aient dans un certain nombre de circonstances particulièrement épineuses. (Sans vouloir me vanter, je dois dire que, dans les deux exemples qui vont suivre, j'ai immédiatement deviné le dessous des cartes, preuve que je commence à parler le modernœud couramment.)

La première consigne était simple et assez évidente, au fond. Elle édicte que, si un lecteur se met à faire du bruit, à déranger ses voisins, à les empêcher de travailler, de lire (voire de dormir, après tout), le bibliothécaire ne doit pas intervenir si le perturbateur est noir. Je suppose que, dans le texte original découvert par Michel D., on ne dit pas “noir”, mais plutôt “african american”, cette construction syntactique ne voulant absolument rien dire.

La deuxième occurrence est plus retorse et, donc, beaucoup plus rigolote. Elle suppose que nous soyons dans une bibliothèque scientifique (mathématiques, physique, chimie…) ou dans le département scientifique d'une grande bibliothèque généraliste. Soudain, arrive un étudiant lambda (mais très probablement blanc) qui cherche un renseignement, un livre, etc. Pour l'obtenir, il se dirige vers un autre étudiant qui, visiblement, se trouve être d'origine asiatique : que doit faire le bon bibliothécaire ? C'est très clair : fondre sur lui et lui demander, courtoisement mais fermement, d'aller chercher son renseignement plus loin. Pourquoi ? Vous l'avez déjà deviné, comme moi, je suppose : parce que les étudiants asiatiques ont la réputation de mieux réussir dans les études scientifiques que “les autres” (ces “autres” ne désignant évidemment pas les étudiants blancs, dont tout le monde se fout qu'ils soient “discriminés” ou non). Le fait que, en effet, les Asiatiques réussissent nettement mieux dans le domaine des sciences exactes que “les autres” ne doit pas entrer en ligne de compte : l'étudiant perdu qui entre dans la bibliothèque et cherche une branche à quoi se raccrocher en vue de son examen prochain, cet étudiant-là doit avant tout se préoccuper de la couleur de la branche vers quoi il va tendre la main. De toute façon, le bibliothécaire veille.

mercredi 21 septembre 2016

Mes Jachères

À Nicolas J., on comprendra pourquoi.

Avant cinq heures moins le quart cet après-midi, je n'avais jamais entendu parler de Marc-Antoine Girard de Saint-Amand, poète français né aux environ de Rouen en 1594 et mort à Paris 67 ans plus tard. (Et tout de suite je m'aperçois que c'est faux, que j'arrange, puisque c'est dans le Dictionnaire égoïste de Dantzig qu'il en est question et que c'est un livre déjà lu. Mais enfin.) Contrairement à ce qu'insinuent volontiers mes détracteurs, ma culture est des plus pauvres, présentant les aspects clairsemés et malingres d'un champ de blé qu'on s'évertuerait à faire venir sur le causse, voire à une jachère n'ayant même pas la consolation d'être triennale. Sur Wiki, on m'informe que ce fils de bourgeois, pas plus noble que vous et moi – mais c'est un privilège que l'on reconnaît aux écrivains, de s'adjoindre noms ronflants et micro-particules –, se décrivait lui-même comme un “bon gros, plus frisé qu'un gros comte allemand”, fort amateur de franches repues et de libations exagérées, ce qui le rend tout de suite très sympathique : le côté Porthos, sans doute.

Et Dantzig dans sa notice cite de lui trois vers, dont le dernier va me valoir, je le sens, au moins trois jours de plein bonheur ; les voici :

Accablé de paresse et de mélancolie,
Je rêve dans un lit où je suis fagoté,
Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté.

Il y a, dans cet alexandrin en gelée, comme un effluve fin de siècle, le XIXe, qui se prolongerait dans les premières années du suivant. Mais, ne voulant point lasser, j'interromps là ma tartine.

mardi 20 septembre 2016

Les corridors de Dantzig


Pourquoi donc, hier, au sortir des Souvenirs de Léon Daudet, avoir repris le Dictionnaire égoïste de la littérature française, commis par Charles Dantzig il y a un peu plus de dix ans, et lu à l'époque ? En réalité, je le sais fort bien : parce que c'est un livre que l'on picore plutôt qu'on ne le lit, comme d'ailleurs la plupart des dictionnaires, et qu'il est donc très précieux dans ces périodes où aucun titre nouveau n'attire particulièrement : une sorte de salle d'attente, confortable, bien chauffée et meublée, en attendant que le goût de l'exploration revienne ; ou encore un vieux pyjama que l'on enfile faute de mieux quand, telle une blonde devant son armoire pleine à dégorger de vêtements, on gémit que l'on n'a “plus rien à lire”.

Et, justement, cette même comparaison, que je sais avoir notée dans mon journal il y a déjà quelques semaines, je l'ai retrouvée telle quelle dans ce dictionnaire égoïste. Réminiscence ? Non, tout de même : après dix ans d'incubation, ce serait vraiment du microbe résistant. D'autant que, une ou deux centaines de pages plus avant, je suis tombé sur une autre remarque de Dantzig que je me suis déjà faite quasiment à l'identique – j'ai négligé de noter laquelle. Et une troisième fois, il y a un quart d'heure. À l'article La Bruyère, page 434, je tombe sur ce paragraphe : 

Il a eu un contradicteur qui ne pouvait pas lui être plus opposé. Il écrit : « On guérit comme on se console : on n'a pas dans le cœur de quoi toujours pleurer et toujours aimer » (sentence 34). Édith Piaf chante : « On n'a pas dans le cœur de quoi toujours aimer / Et l'on verse des pleurs en voulant trop aimer […] Mais moi j'ai dans le cœur de quoi toujours aimer, / J'aurai toujours assez de larmes pour pleurer. » (Parolier : Charles Dumont.)

Or, on s'en souvient peut-être, je faisais, le premier février dernier, un billet pour relever exactement la même chose, à cette période où j'étais plongé dans Les Caractères. Minuscule avantage que j'ai sur Charles Dantzig, à opposer à l'énorme qui est le sien, de l'antériorité indubitable : je sais, moi, que Charles Dumont n'a jamais été le parolier de Piaf, mais son compositeur. Les paroles de Toujours aimer sont de Nita Raya, chanteuse d'origine roumaine, ayant vécu une dizaine d'années avec Maurice Chevalier et morte en 2015, sept mois avant de passer le siècle d'existence : quand je disais, il y a trois jours, que les femmes allaient rarement au bout de leur effort et rataient presque toujours leur centenaire…

samedi 17 septembre 2016

Les duels qui font voyager

Léon Daudet, 1867 – 1942
Il me prend parfois des regrets que le duel ait totalement disparu de nos mœurs, lui qui était encore si vivant, et parfois d'un irrésistible pittoresque, au début du siècle qui m'a vu naître. Celui qui opposa Jean Jaurès à Paul Déroulède, au mois de décembre 1904, atteint presque au sublime à force de bouffonnerie. 

Bouffon par son motif, d'abord, qui n'était rien de moins que l'honneur de… Jeanne d'Arc. Ayant considéré en effet qu'un article paru dans L'Humanité était gravement attentatoire à la mémoire de la Pucelle, Paul Déroulède avait envoyé une lettre à Jaurès, par laquelle il le couvrait d'injures. S'estimant à son tour offensé, ce dernier lui demanda réparation par les armes ; on se décida pour le pistolet.

Seulement, comment faire ? À la suite d'une tentative de coup d'État assez grand-guignolesque, perpétrée en 1899, ce bon Déroulède se trouvait exilé en Espagne et dans l'impossibilité de venir en France. Comme les deux cabochards tenaient à leur duel, on trouva la solution : la rencontre eut lieu à Hendaye, chaque adversaire se tenant de son côté de la frontière. Jaurès fit d'ailleurs le voyage pour rien, puisque les quelques balles échangées le furent sans résultat, les françaises allant se perdre dans la nature espagnole et inversement.

On trouve cette anecdote dans les souvenirs de Léon Daudet, réunis par Robert Laffont en un volume, dont je recommande vivement la lecture, surtout si l'on est sensible à l'art si réjouissant du portrait vachard. Certes, Daudet n'est pas Saint-Simon, mais enfin, son trait est féroce à souhait et d'une verve puissante, si bien qu'il demeure fort agréable à suivre, dans les salons ou les salles de rédaction, même lorsqu'il dépeint des “importants” dont notre mémoire actuelle n'a pas conservé la moindre trace. Et il n'est pas moins brillant dans ses exercices d'admiration, en particulier lorsqu'ils concernent des femmes, telles Mme de Loynes ou Juliette Adam – Juliette Adam qui, notons-le en passant, a bien failli rejoindre Fontenelle sur le podium des écrivains centenaires puisque, née le 4 octobre 1836, elle est morte le 23 août 1936, soit quarante-deux jours avant le consécration du siècle accompli ; les femmes sont rarement capables d'aller au bout de leur effort.

lundi 12 septembre 2016

Pose ta canne blanche et viens faire un cécifoot


Hier, tandis que la nuit prenait résolument ses aises, et que je naviguais à sauts et à gambades entre les différentes chaînes de télévision, j'ai brusquement basculé dans une espèce de monde surnaturel, qui était bien entendu le nôtre et qui rappelait par son étrangeté mi-inquiétante, mi-comique, ce pays littéraire où les lapins ont des montres à gousset, et les sourires, une complète autonomie d'existence. C'était une émission consacrée à ces jeux que l'on nomme paralympiques, et que je serais tenté de rebaptiser plutôt guignolympiques. Au moment où je débarquai, se disputait entre le Brésil et la Turquie la fin d'une première mi-temps de cécifoot : en modernœud, le mot désigne une partie de football réservée aux aveugles et se pratiquant sur un terrain beaucoup plus petit que le vrai. Passé la première minute d'incrédulité peureuse, je me mis à osciller assez violemment entre le fou-rire nerveux et la béance pure et simple. Finalement, le rire l'emporta haut la main, devant ces bienheureux en short et maillot jetant maladroitement leurs pieds cramponnés en avant, quand la balle était déjà à deux mètres d'eux ; rire libérateur, rire sain, rire nostalgique aussi : qui, de nos jours, a encore l'occasion de se foutre de la poire des aveugles ? Même celui qui se sentirait de taille à braver l'opprobre induit par une telle malveillance serait bien empêché de dauber, vu la raréfaction dramatique de cette catégorie d'infirmes. Passerait-il une journée entière sur un banc public, face à un réverbère, qu'il n'aurait pratiquement aucune chance de voir un porteur de canne blanche venir s'y écraser le nez. Mais, là, soudain, cette innocente petite joie m'était rendue pour quelques minutes. La mi-temps se termina sur le score de 1 à 0 en faveur du Brésil. L'autre source d'amusement et de pouffade était le décalage entre la sarabande incertaine qui se donnait à voir et le sérieux papal dont faisait preuve les deux commentateurs appointés.

Après, j'eus droit à un 400 mètres pour culs-de-jatte. On les pose sur des sièges qui ne sont pas sans rappeler ceux des tracteurs de notre enfance, monté sur un châssis équipé de trois roues : une moyenne à l'avant et deux grandes latérales arrière ; c'est en poussant ces dernières à la force des bras que les athlètes s'élancent sur la piste. J'ai attendu jusqu'au premier virage, pour voir, en cas de chute, ce qui allait se passer : je me demandais si, en bordure de piste, les organisateurs avaient prévu une escouade de ramasseurs de cul-de-jatte, comme il y eut naguère des lanceurs de nains. Mais tout ce petit monde passa sans encombre.

J'ai ensuite découvert un sport inconnu (inconnu de moi), qui se pratique sur un terrain de la même taille que le cécifoot et dont j'ai oublié le nom. De chaque côté, le fond du terrain est presque entièrement occupé par une cage de but extrêmement longue. Deux équipes de trois joueurs s'affrontent. Ils sont à demi-assis, à demi-allongés (un mauvais esprit dirait : vautrés) sur le sol. L'un des joueurs d'une équipe se lève, attrape le ballon et l'envoie d'un déroulé du bras vers la gigantesque cage de ses adversaires ; lesquels, ne le voyant pas arriver, le laissent passer ou bien le stoppent par hasard, parce qu'ils se trouvaient sur la trajectoire : après deux ou trois minutes, cela devient un peu monotone, malgré les paracommentaires enthousiastes des deux parajournalistes parasportifs.

J'ai encore patienté un peu, espérant vaguement assister à une épreuve de tir à l'arc pour manchots ou à une course de Formule 1 pour aveugles. J'attendais aussi l'épreuve de saut à la perche pour nains, mais j'ai réalisé que les personnes-de-petite-taille n'étant pas considérées comme des infirmes, elles ne devaient pas être autorisées à sauter à la paraperche ; ce qui est une façon particulièrement vicieuse de les discriminer. Je suis donc finalement allé me coucher, pas tout à fait certain d'être revenu dans le monde réel, ni même de l'existence d'une réalité quelconque.

dimanche 11 septembre 2016

De l'influence bénéfique du critique littéraire sur l'épargne des ménages


Dans ce monde stupide et vindicatif qui est le nôtre, chacun réclame des lois à sons de trompe, pour tenter, j'imagine, de masquer tant soit peu la trouille qui le fait trembloter à l'intérieur. Eh bien, à mon tour : j'en veux une ! Je souhaiterais, Monsieur le législateur, si ce n'est pas abuser de vos temps et patience, qu'un édit dûment circonstancié contraignît les critiques littéraires – je parle de ceux qui font les recensions dans les journaux –, lorsqu'ils tentent de nous vendre un roman, à toujours en publier un extrait d'une douzaine de lignes au moins, en exergue de leur dithyrambe : cela ferait faire à leurs lecteurs, neuf fois sur dix, de substantielles économies, grâce auxquelles ils pourraient participer à la réfection du maître autel de leur église paroissiale, ou bien aller aux putes.

Je songeais à cela il y a une poignée de minutes, en lisant sur Causeur une critique de Jérôme Leroy, consacrée à un écrivain dont je n'ai jamais lu une ligne : Christian Laborde. A priori, le fait que cet homme soit contre la corrida et pour Claude Nougaro m'aurait incité à demeurer dans cette saine ignorance, campant plutôt sur des positions inverses des siennes. Cependant, étant d'une largeur d'esprit qui confine à l'encombrement pénible, j'étais tout prêt à remiser mes préjugés afin d'accorder à M. Laborde et à ses pages quelques heures d'attention. M'avait tout de même un peu refroidi le titre de son dernier opus, comme disent les sentencieux imbéciles : Le sérieux bienveillant des platanes ; franchement…

Mais enfin, là encore, j'étais disposé à me faire une violence bienveillante. Seulement, pour illustrer le fait que, selon lui, M. Laborde fait “swinguer la langue”, Jérôme Leroy avait cru bon de nous proposer deux petits extraits de son livre. Le premier disait ceci :

« Seul le frémissement des seins sous un chemisier peut rivaliser avec celui du feuillage quand le vent d’été s’égare dans les branches des arbres. C’est un truc que je sais et ne lis nulle part. Y a pas le corps dans les livres d’aujourd’hui bien que leurs auteurs prétendent le contraire. Ca exhibe, ça affiche, ça filme de près, mais le corps, ils le ratent, ils passent à côté, parce que le merveilleux, c’est pas leur truc. Ce sont des huissiers, des adeptes de l’inventaire. Et les poètes, les mecs qui marchent à l’imagination, ils les dénoncent aux flics. »

Et le second, cela :

« Quand je te parle des vaches, je te parle de toi, également de lenteur. C’est pas un truc de vieux, la lenteur. La lenteur, c’est un truc de gourmand. II s’agit d’écouter, de regarder, de savourer, de méditer, comme le faisaient les vaches. Je les ai vues faire, les vaches. Elles n’accéléraient jamais. Le sabot sur le champignon, jamais. »

Je venais d'économiser quinze euros.

vendredi 9 septembre 2016

Deus ex machina, le retour

On peut toujours se moquer, et de fait on ne s'en prive guère, du fameux Deus ex machina qui, voilà quelques siècles, permettait aux dramaturges ayant du mal, à la fin de leurs pièces, à “poser leur bombardier”, pour parler comme Frédéric Dard, leur permettait, donc, de boucler leur intrigue en faisant descendre des cintres une divinité bien arrangeante qui, de son souffle divin, remettait tout dans l'ordre et autorisait ainsi les spectateurs à quitter la salle avant l'heure du dernier métro. Il arrivait que l'habitant de l'Olympe fût remplacé par le roi terrestre régnant, et c'est une chose que l'on a suffisamment reproché à Molière.

On devrait pourtant en rabattre, de nos lazzis et de nos petits airs supérieurs, puisque nos “créateurs” se sont gaillardement remis à faire la même chose, au cinéma principalement mais aussi dans les mauvais romans – comme Millenium par exemple. Ce nouveau Deus ex machina, cette ficelle bien commode qui dispense de toute explication, puisqu'elle est elle-même l'explication, c'est désormais ce que nous appellerons “le petit génie informatique”, c'est-à-dire ce personnage – généralement jeune, mi-rigolo, mi-marginal, dont l'unique fonction est de promener ses doigts agiles sur les divers claviers disposés devant lui (dans son gourbi d'où il ne sort que contraint et forcé, ce qui ne se produit jamais avant le troisième tiers du film), afin de faire défiler sur ses écrans des colonnes de lettres et de chiffres, lesquels dispensent le scénariste de trouver une explication cohérente à ce qu'il entend nous faire avaler ; et que nous avalons en effet, puisque nous-mêmes semblons avoir admis le fait que tout ce qui passe par le filtre de l'ordinateur, aussi absurde ou hasardeux que ce soit, devient immédiatement recevable, de même qu'un aliment ayant transité par l'estomac et l'intestin est ensuite assimilé sans difficulté par l'organisme.

Un nouveau pas a été franchi il y a peu, notamment dans cette très intéressante série, américaine bien entendu, qui s'appelle Person of interest (au Québec : Personne d'intérêt, ce qui ne veut à peu près rien dire ; traduire en français est louable, à condition de savoir le français…). On y voit le Deus passer au second plan, au profit de la machina elle-même ; laquelle, par cette autonomie, acquiert une puissance formidable, et même des sortes de dons divinatoires dignes des Dei ex machina d'antique école. Ayant compris que, désormais, nul n'aurait plus le front de mettre en doute ce qui émane de la machine, si timidement que ce soit, les scénaristes ont choisi – judicieusement je pense – de ne plus rien nous expliquer du tout de son fonctionnement, ni même de nous montrer la dite machine qui, fort commodément, comme un dieu justement, est aussi bien partout que nulle part. Comment un assemblage de circuits électroniques peut-il prévoir l'avenir et repérer, à l'intérieur de l'entière population de New York, les individus qui vont être prochainement mêlés à un meurtre, soit comme victime soit comme auteur ? On ne nous en dira rien, nous sommant de nous contenter de l'affirmation, faite sur le ton de l'évidence tranquille, qu'elle le peut. Le plus étrange est que, tels des primitifs autour de leur totem, nous nous en contentons en effet.



mercredi 7 septembre 2016

Dangereuse identité de la France


Parce qu'un zapping de hasard m'a fait, l'autre soir, tomber sur une émission de France 3 consacrée à Fernand Braudel, j'ai descendu de son étagère et tiré d'un long sommeil le premier des trois volumes de son livre “testament”, L'Identité de la France, dans lequel, depuis, je suis plongé avec délectation. Avant de l'ouvrir, et rêvassant devant sa jaquette, je me disais, mi-goguenard, mi-attristé, que si l'historien était né trente ans plus tard, et qu'il publiait donc son livre aujourd'hui, il lui faudrait presque certainement en changer le titre, tant les officines exerceraient de pression afin que ne s'affiche pas, aux montres des libraires, une réunion aussi nauséabonde de mots : identité et France. Ou alors, pour en contrebalancer les pouvoirs méphitiques, il leur serait  nécessaire de chanter à pleine gorge les vibrants éloges de la diversité en effet contenus dans l'œuvre ; mais en cachant soigneusement qu'il s'agit de celle séparant et unissant tout en même temps les Bretons, les Alsaciens, les Picards, les Gascons, les Provençaux, les Berrichons, les Auvergnats, les Savoyards, les Bourguignons, les Champenois, les Normands, et quelques autres populations rigoureusement hexagonales. Ce qui tendrait à prouver qu'en trente ans – le livre a été publié en 1986, un an après la mort de son auteur – nous avons accompli de grands progrès dans la régression, nous approchant toujours plus près des enviables sommets de l'abîme.