mardi 31 décembre 2019

Je ne voudrais pas gâcher la fête, mais enfin…


Cette fois encore je suis très inquiet : voilà maintenant dix jours que l'ami Roland, alias Gauche de Combat, reste silencieux. Je sais bien que même les indicateurs de police ont droit à leur trêve des confiseurs, que les délateurs patentés ont eux aussi une famille et, donc, un sapin enguirlandé autour duquel ils se réunissent dans la douce paix de Noël, mais tout de même : qui, durant ce temps d'effrayant silence, s'occupe de traquer les hordes nazies ? Car ne nous y trompons pas : ces ignobles créatures infra-humaines n'attendent qu'une minute d'inattention chez le preux Roland et ses semblables pour aussitôt commencer à reconstituer leurs milices et préparer des nuits de cristal comme s'il en pleuvait ! 

Je ne serais d'ailleurs pas étonné si, dans quelques heures, enhardis par la baisse de vigilance de leur ange exterminateur, ces crypto-gestapistes ne décidaient de mettre le feu à des centaines de voitures un peu partout en France. Et comme le nazi est par essence vicieux et fourbe, je parierais volontiers qu'il ira le faire à proximité des quartiers riches en populations exotiques, de façon à faire croire aux naïfs que ce sont ces braves gens qui ont été soudain pris de pulsions incendiaires, alors qu'ils ne songent qu'à communier avec nous tous dans la paix républicaine et festivoïde. 

Clore l'année sur une note aussi sombre m'attriste beaucoup. Mais si ce n'est pas moi qui m'érige en lanceur d'alertes, qui le fera ? Sachant que, avant même que ne disparaisse le dernier soleil de 2019, vous serez tous bourrés comme des Polonais et, donc, ravalés par l'alcool au rang de la bête, tout à fait insoucieux de la montée des périls vert-de-gris, contre quoi le valeureux Roland reste notre seul rempart.

Allons, tant pis, ignorons les périls, et que la fête ait le dernier mot : menace nazie ou pas, sers-moi un verre, Marthe !

samedi 28 décembre 2019

Les bienfaits du paraître


Dans L"Immortalité, le dernier roman que Milan Kundera a écrit dans sa langue, l'un des personnages, Avenarius, se pose une question intéressante. Soit une femme aussi belle que célèbre, considérée par le monde entier comme la plus séduisante, la plus sexy, la plus etc. Si, dans un gigantesque sondage planétaire, on demandait à tous les les hommes ce qu'ils choisiraient entre : 1) passer une nuit d'amour avec elle, mais sans que personne n'en sache jamais rien, ou 2) parader à son bras dans tous les lieux en vue durant une journée entière, mais en sachant que tout rapport sexuel sera exclu, quelles seraient les réponses données, et dans quelle proportion ?

Ni Avenarius, ni Kundera lui-même ne se hasarde à répondre. Mais on peut tenter de le faire à leur place. Je crois que beaucoup d'hommes, sans doute même à une assez forte majorité, opteraient pour la nuit d'amour secrète. Du moins, c'est ce qu'ils prétendraient face au sondeur. Parce qu'ils verraient là une manière irréfutable d'affirmer deux choses : 1) qu'ils sont de vrais mâles, vraiment virils, vraiment amoureux des femmes ; 2) qu'ils méprisent l'esbroufe, qu'ils ne se soucient pas de paraître, qu'ils ne sont pas de ridicules petits coqs de village. Et je pense que, dans la foulée, pour donner par contraste encore plus de valeur à cet autoportrait rapidement tracé, chacun s'arrangerait pour laisser entendre que, à son avis, la majorité des hommes – c'est-à-dire de ses concurrents – préféreraient certainement s'exhiber au bras de la star plutôt que de la posséder réellement, trahissant par là une virilité peu assurée d'elle-même, ainsi qu'un souci exagéré de la gloriole. Et tout le monde ressortirait du sondage fort satisfait de soi-même.

Cependant, si l'on se place d'un strict point de vue utilitaire, stratégique, l'option de la nuit d'amour secrète me paraît mauvaise. En tout cas se retourner contre celui qui l'a choisie en pensant redorer le blason de sa virilité. Car enfin, même avec la femme la plus convoitée du monde, il s'est décidé pour une seule nuit. Laquelle peut en outre fort bien s'avérer lamentablement ratée, tourner au fiasco d'anthologie pour toutes sortes de raisons. Mais même si sa nuit est dans l'ensemble satisfaisante pour les sens et pour l'ego, une chose est certaine : elle ne se renouvellera pas. Point de lendemain, comme disait Vivant Denon.

À l'inverse, que va-t-il se passer pour l'homme qui, meilleur tacticien, aura délibérément privilégié le paraître, c'est-à-dire choisi de passer une journée dans tous les endroits en vue de la ville, amoureusement enlacé avec son symbole érotique planétaire ? Certes, il ne couchera pas avec. Mais, dès le lendemain, il va voir accourir vers lui des dizaines de femmes, irrésistiblement attirées par son prestige sexuel tout neuf, telle la limaille de fer par l'aimant fraîchement remagnétisé. Et plus il en viendra, plus son pouvoir d'amant-aimant se renforcera : il n'aura plus assez de nuits à lui pour combler – ou décevoir – toutes ces candidates, désireuses de s'emparer d'une partie du charme magique de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours. Alors que, loin de cette fête des sens perpétuelle, le malheureux ayant choisi la nuit d'amour secrète avec sa Marilyn, sa Marlène ou sa Greta aura depuis longtemps retrouvé la blême réalité de ses soirées télévisées et de ses masturbations vagues.

mercredi 18 décembre 2019

Barnum Suicide


J'apprends, par l'essai que lui a consacré Marguerite Yourcenar, que Mishima a plus ou moins fait l'écrivain en bâtiment, afin de gagner ses barquettes de sushis – si tant est que les sushis se fussent vendus en barquette de son temps. Voilà qui me le rend un peu sympathique, en tout cas moins antipathique qu'il m'a toujours été, sans que je sois trop capable de démêler le pourquoi de cette distance que je garde avec lui. Peut-être en raison de sa mort excessivement m'as-tu-vu-quand-je-défunte ; laquelle, mutatis mutandis, me fait penser à celle de Dominique Venner, se faisant sauter le caisson devant le maître autel de Notre-Dame. Un peu de discrétion, s'il vous plaît, Messieurs ! Glissez, mortels, n'appuyez pas…

Sinon, j'aime beaucoup la photo que j'ai choisie : un buste de marionnette posé sur un pilier, qui n'est certainement pas celui de la sagesse.

dimanche 15 décembre 2019

Une étrange résonance


Je relis depuis quelques jours – dire que j'y picore serait sans doute plus exact – le volume “Bouquins” contenant le Journal de François Mauriac ainsi que ses Mémoires politiques. Et je tombe, chemin faisant, sur un article publié dans Le Figaro en avril 1945. Bien sûr, la date dit assez clairement à quoi pense Mauriac lorsqu'il écrit ce qu'on va lire. Néanmoins, j'ai trouvé que ces deux paragraphes, vieux de quelque 75 ans, produisaient une étrange résonance en notre désolant aujourd'hui. Voici donc :

« […] il est nécessaire que l'opinion française mesure la portée du coup qu'a subi notre race. Nous ne connaissons pas l'étendue de ce malheur : il va se découvrir à nous peu à peu. Osons regarder cette affreuse blessure au flanc de la France, cette blessure qui risquerait de s'envenimer et d'infecter le corps tout entier si nous n'y prenions garde. Il y va de notre être même. Le temps n'est plus aux ménagements : un grand pays ne doit rien ignorer de ce qui le menace. Or il ne s'agit pas ici d'un problème important ni même d'un problème essentiel : au vrai, il s'agit du seul problème, celui dont dépend la solution des autres, car si nous sauvons la race, le reste nous sera donné par surcroît.

« […] Certes, en ce qui concerne la France, ce n'est pas assez de dire que rien n'est perdu et que tout peut être sauvé encore : tout sera sauvé, nous y sommes résolus. Mais, à n'importe quel prix, et par des moyens même cruels, il est nécessaire de créer une inquiétude, d'entretenir à ce sujet une angoisse nationale qui oblige chacun de nous, depuis les chefs responsables jusqu'aux plus humbles citoyens, à ne pas perdre un instant de vue le premier de nos devoirs, et l'on peut même dire notre seul devoir, puisqu'il résume tous les autres : sauver la race. »

mercredi 11 décembre 2019

Muray, moi et quelques autres


Comme promis, je mets ici l'article qui est paru sur le site de Causeur et qui, pour une raison me demeurant mystérieuse, était réservé aux seuls abonnés (pour limiter les dégâts ?). Voici donc :


Le journal de Philippe Muray est paru. Je parle du troisième tome, bien sûr, mais vous êtes sans doute déjà au courant[1]. Peut-être même certains d’entre vous ont-ils commencé à le lire, ce qui les met en avance sur moi, qui en suis toujours à guetter la factrice chargée de me l’apporter. D’où mon petit problème (mon souci, en français post-moderne) : puisque telle est mon intention avouée, comment faire pour parler d’un livre encore en chemin ?

Il est au moins une chose que je suis sûr de retrouver dans ce troisième volume (troisième opus, toujours en français post-moderne), ce sont les grincements de dents et les grondements de douleur de Muray, chaque fois qu’il doit écrire un nouveau roman de la série Brigade mondaine (que je noterai désormais BM), ce qui, dans ces années qui nous occupent, lui échoit cinq fois par an, si j’ai bonne mémoire. C’est pour lui une souffrance plutôt lucrative. Mais, au moment de la première page blanche, la souffrance a tendance à l’emporter sur le lucratif ; d’où les plaintes.

Entre Philippe Muray et moi existent, ou ont existé, des points de contact multiples et divers. Le principal, le plus visible, ce sont précisément ces BM. Il a dû en écrire près de cent ; de mon côté, je suis responsable de cent douze d’entre eux, ou d’entre elles : je viens de les recompter. À partir de la fin des années quatre-vingt, et durant une dizaine d’années, Muray et moi fûmes les deux piliers de cette série érotico-policière, que l’on pourrait également qualifier de ferroviaire, puisqu’elle ressortissait à ce que l’on nomme la « littérature de gare ». Voilà qui aurait dû créer entre nous quelque lien, ou au moins susciter des rencontres. Il n’en fut rien.

Des points de contact, il en existait d’autres. Ainsi, dans ces années-là, je passais chaque jour de la semaine de nombreuses heures dans la compagnie de Michel Desgranges qui, s’apprêtant à prendre la direction des Belles Lettres, allait devenir l’éditeur de Muray – et très accessoirement le mien, mais beaucoup plus tard et avec un succès moindre. D’autre part, je venais tout juste de faire mon entrée dans l’illustre service du rewriting de cet à peine moins prestigieux hebdomadaire ayant pour nom France Dimanche.

(Je n’exagère pas, avec mon « illustre » : si vous saviez le nombre de gloires de nos lettres qui, dans les moments désargentés de leur jeunesse, sont venus gagner leur pitance en ce rewriting, vous en resteriez cois. Mais je ne veux pas dénoncer : beaucoup de ceux-là tiennent généralement à rester discrets sur cet épisode de leur carrière littéraire.)

Ce cénacle, quand j’y entrai, venait tout juste d’être quitté par celui qui l’avait dirigé durant des années, Bernard Touchais, qui n’était autre que l’un des trois fondateurs de la Brigade Mondaine : c’est lui qui avait « recruté » Muray. Le deuxième fondateur était Gérard de Villiers, qu’on ne présente plus, mais dont je signalerai cependant que, bien plus tard, il s’arrangea pour mourir en restant me devoir les huit mille euros du dernier BM que j’avais écrit pour la série. Mais c’était un homme qui vous entourloupait avec une telle candeur, ou si l’on préfère une roublardise si visible, qu’il était impossible de lui en vouloir. De fait, je ne lui en veux nullement.

Quant au troisième fondateur, nous allons le retrouver un peu plus loin. C’est par Villiers que je devins le nouvel auteur de la série, l’ayant connu par celle qui est aujourd’hui sa veuve et qui, alors, n’était même pas encore sa femme. Dans les années qui suivirent, je rencontrai très souvent Bernard Touchais, plusieurs fois Gérard de Villiers… et jamais Philippe Muray.

 Ce n’était pas faute, pourtant, de l’approcher « par la bande ». Au rewriting déjà évoqué, j’étais devenu très proche d’Yves Josso, qui se trouvait être le père des deux fils d’Anne Sefrioui, devenue ensuite la compagne puis l’épouse de Muray. C’est ainsi qu’au fil des années, dans la chaleureuse maison de leur père, rue Blomet, j’ai vu les deux beaux-fils de l’écrivain croître sinon en sagesse, du moins en taille et en musculature. Il n’aurait sans doute pas été trop difficile, par cette voie « belle-familiale » de me ménager une rencontre avec Muray, mon co-nègre de Brigade. Je n’en fis rien.

Pourquoi l’aurais-je provoqué, cette rencontre ? Il faut bien, rendu là, que j’avoue une chose qui ne me fait pas honneur, ni à ma curiosité : bien que le sachant écrivain depuis longtemps, je n’avais jamais ouvert aucun livre de Philippe Muray. Qu’on ait la charité de ne pas me demander pourquoi, ma réponse ne serait sans doute qu’un piteux bafouillis. Il n’est pas impossible que ce « contact » entre nous que représentait la Brigade Mondaine ait fini par se muer en une sorte de repoussoir : à quoi bon faire la connaissance de gens qui vont immanquablement vous « rappeler le boulot » ? C’est ainsi que, de tous les chemins qui m’auraient conduit vers lui, je n’en ai jamais emprunté le moindre.

C’est du moins sur cette idée que j’ai longtemps vécu, et avec cuisants regrets à partir du moment où, Muray mort, je me suis mis à engloutir tous ses livres. Jusqu’à ce soir de décembre 2008 où, invité par Marc Cohen, ci-devant rédacteur en chef de Causeur, à la fête qu’il donnait pour son cinquantième anniversaire, je fus présenté à Élisabeth Lévy, par cette même Anne Sefrioui évoquée plus haut. Peu apte que je suis aux rapports sociaux inopinés, je ne savais trop que dire à la patronne de Causeur, qui ne me fît pas passer pour un semi-débile. Philippe Muray me parut un sujet convenable, puisque j’avais partagé son banc de galérien à bord de la BM. Évoquant ce compagnonnage, je dis très en passant à Dame Élisabeth que, malheureusement, je n’avais jamais rencontré Muray.

C’est alors qu’Anne Sefrioui intervint : « Mais si, voyons : vous avez été présentés l’un à l’autre, lors de l’inauguration des nouveaux locaux des éditions du Rocher. » Pourquoi Muray et moi avions-nous été invités à ce raout parisien ? Parce que le maître de ce Rocher-là était Jean-Paul Bertrand, le troisième fondateur de la Brigade Mondaine. Il était d’ailleurs, dans nos deux vies, un homme capital dans tous les sens du terme, puisque c’était lui qui signait et envoyait les chèques aux deux auteurs que nous étions : une relation à soigner.

Je restais hébété, Anne avait le sourire gentiment moqueur. Comment avais-je pu oublier cette unique rencontre, cette présentation quasi officielle ? Évidemment, dans l’idée assez puérile que j’allais me sentir plus à mon aise, j’avais bu quelques verres avant d’oser débarquer place Saint-Sulpice, dans ce qui était, je ne crois pas me tromper, l’ancien siège des éditions Robert-Laffont, et devenait donc celui du Rocher. Oui, j’étais sans doute un peu gai, mais enfin pas au point de…  

Peu importe, n’est-ce pas ? On en conclura, comme je me suis résigné à le faire, que tel était mon destin : il fallait que Philippe Muray me demeure à tout jamais inabordable. Sauf par ses livres, lus et relus ; et par celui qui le sera dans les prochains jours, si ces dames de la Poste veulent bien un peu se magner le popotin, comme on disait du temps de nos pères, c’est-à-dire avant l’invention de l’antisexisme asilaire.

Didier Goux

P.S. : Comme dans une série télé à coups de théâtre, le volume m’est arrivé au moment où je posais le point final de cet article. Sitôt là, sitôt lu : j’y ai retrouvé, vivants et agissants, la plupart des personnes dont il a été question ici.


[1] Philippe Muray, Ultima Necat III : Journal intime 1989 – 1991, Les Belles Lettres, 700 p.

samedi 7 décembre 2019

Comment j'ai raté Muray


Comment j'ai raté Muray : tel est bien le titre de mon premier article publié sur le site de Causeur. Ironie de la chose : comme les Puissances tutélaires du dit site ont jugé bon de le réserver à leurs abonnés, et que pour des raisons trop longues et pas assez intéressantes à donner je ne fais plus partie de ces happy few, je ne puis même pas avoir l'élémentaire et puéril plaisir de me relire ! Pour ceux de mes braves lecteurs qui ne le seraient pas non plus, abonnés, je compte mettre l'article en question ici, dans quelques jours : j'espère qu'ils sauront contenir leur légitime impatience…

Sinon, pour ceux que Muray et son journal intéressent, je signale à leur gourmandise que le même Causeur, mais dans sa version “papier” et mensuelle publie ce mois-ci deux pages consacrées à Michel Desgranges, rencontré en tant qu'éditeur et ami du Muray en question : lisez-les, vous ne le regretterez pas, je crois. 

Quant au troisième volume du journal  lui-même *, il me semble marquer une rupture, par rapport aux deux tomes précédents, ou au moins une nette évolution, en ce sens qu'on a l'impression d'assister à la naissance du véritable Muray, celui qui s'apprête à écrire les livres qui restent associés à son nom et à sa renommée, en particulier les Exorcismes spirituels. Au fil de ces presque 700 pages, on voit le papillon s'extraire de sa doudoune chenillesque et déployer sinon ses ailes, du moins l'arsenal des armes lourdes qu'il ne cessera plus d'employer par la suite, et dont il fait ici les premiers essais réjouissants. Pour cibles inaugurales, il ne choisit pas du petit gibier, puisqu'il concentre ses tirs sur Philippe Sollers et Bernard-Henri Lévy – qui sortent de ce livre plus ou moins en lambeaux. Ce qui, bien entendu, ne les empêchera nullement de continuer à nuire et à se répandre un peu partout.

Il lui arrive d'être injuste. Par exemple lorsqu'il écrit ceci, en juin 89, que j'ai déjà noté dans mon journal le mois dernier : « […] Postérité [son roman paru l'année précédente] n'était pas raté ; ce n'est pas moi qui ai fait un mauvais livre, c'est Grasset qui (par bêtise ou volontairement) en a fait une mauvaise édition. » Malheureusement, l'un n'exclut pas l'autre. Et on est un peu gêné de voir Muray, cet animal lucide qu'est Muray, se réfugier dans ce type d'argument éculé (« Je suis un génie, mais mon éditeur est en dessous de tout !»), au lieu d'essayer de porter un regard un peu plus distancié sur son roman – qui est, je suis désolé de le dire, totalement raté et d'un insubmersible ennui. Il faut ajouter que, en cette année de bicentenaire, il est occupé à en écrire la suite, ce qui ne risque pas de le prédisposer à la clairvoyance.

Mais les emportements, fussent-ils injustes, font partie du charme irrésistible de cette espèce d'oursin aux piquants toujours dardés qu'est Philippe Muray, qui s'illustre magnifiquement dans ce troisième “opus” (moi aussi, je jargonne le post-moderne, quand je veux !), lequel fait naître une grande envie chez son lecteur parvenu à la dernière page : que les Belles Lettres ne tardent pas trop à nous donner la suite.

* Ultima Necat III, Journal intime 1989 – 1991, Les Belles Lettres, 700 p.

jeudi 5 décembre 2019

Mon cuisant souvenir de cheminot d'occasion

J'ai essayé de trouver une photo de l'ancienne gare Saint-Michel : pas mèche.

Cette nuit, un hôte aussi imprévu qu'indésirable s'est présenté chez moi. Je serais mieux de dire : en moi. Il s'agit en effet d'un gros bouton joufflu, dont l'amusante particularité est d'être placé juste à la pointe du coccyx ; si bien que, quelle que que soit la position que je tente de prendre, il est toujours là pour se rappeler à mon bon souvenir. Je ne sais quelle est exactement sa nature, seul un dermatologue aguerri pourrait nous le dire ; appelons-le “furoncle”, ça lui donnera un petit air de famille. Lui et moi nous fréquentons depuis 1977, première moitié de l'année. Si je puis être aussi précis à plus de 42 ans de distance c'est que, lors de notre première rencontre, après une nuit presque totalement blanche assez longuette, je m'étais résolu à aller demander aide et secours à l'infirmerie des cheminots de la gare d'Austerlitz. Où, en effet, on m'en avait débarrassé – temporairement.

Si je m'étais rendu à cet endroit a priori saugrenu plutôt que dans n'importe quel service d'urgences, c'est que j'étais alors moi-même une sorte de cheminot. Je l'ai été d'octobre 1976 à mai de l'année suivante, ce qui me permet de dater avec une relative précision la naissance officielle de mon oncle Fur. Parisien de très fraîche date, afin de payer mon demi-loyer, rue de Patay, et la nourriture riche en graisses animales que j'ingurgitais, j'avais trouvé cet emploi, qui me faisait arriver à la gare souterraine du pont Saint-Michel (aujourd'hui RER) à six heures et demie du matin pour en repartir à neuf heures ; entretemps j'avais récolté les coupons détachables des banlieusards habitués, hormis ceux que l'on m'avait jetés à la figure, dans un accès bien compréhensible de mauvaise humeur matinale.

J'avais obtenu ce poste par un éhonté piston, celui du père de mon ami Alain Chambenoit, un genre de ponte de la SNCF locale. Pour ce qui est du fils, il avait à l'époque commencé des études de médecine, à Tours, qu'il a visiblement menées à bien puisque, si l'on feuillette virtuellement les Pages jaunes, on constatera qu'il a depuis des années le même cabinet (médecine manuelle, ostéopathie, médecine générale), sis à Issoudun, petite ville de l'Indre où je crois bien n'avoir jamais mis les pieds. Alain et moi ne nous sommes pas revus depuis environ 43 ans. Si vous habitez dans le coin, vous pouvez toujours aller lui dire bonjour de ma part – et tenter du même coup, en profitant de son possible attendrissement, de lui arracher une consultation gratuite.

Donc, en cette année scolaire 76 – 77, je passais deux heures et demie de chaque primo-matinée dans les courants d'air de la gare Saint-Michel. Le reste du temps, je ne faisais rien. Je m'étais inscrit en deuxième année de Lettres modernes à Jussieu (Paris VII, je crois bien), cloaque freudo-marxisant où je restai deux heures, le temps du premier cours auquel j'assistai, qui fut donc aussi le dernier. Naturellement, je ne soufflai mot à mes parents de cette désertion en rase campagne. Sorti de ma gare, je passais le reste des journées à somnoler – j'étais debout depuis cinq heures et demie – et à me morfondre, me demandant ce que je fichais là, dans ce deux-pièces peu engageant, mais pas taudis tout de même, alors que je disposais, chez mes parents, d'une grande chambre bien éclairée et de repas équilibrés servis à des heures immuables ; sans parler de la télé au salon et de ma Mobylette dans le garage. Je ne connaissais évidemment personne : bien qu'assez peu élitiste, ou ne sachant pas encore l'être, je m'étais basé sur les conversations de mes camarades cheminots pour me dissuader de tenter d'établir avec eux des liens extra-ferroviaires plus approfondis. Il y avait bien la présence de Denis Barthès,  mon colocataire, et ami depuis mon arrivée en novembre 72 au lycée Pothier d'Orléans. Mais lui avait quitté la cité ligérienne une année plus tôt, il suivait ses cours plus sérieusement que moi et avait eu le temps de se faire quelques amis tout neufs. D'autre part, il me l'a avoué deux ou trois ans plus tard, la perspective de passer ses soirées avec un gros légume semi-dépressif ne l'enchantait qu'à moitié, malgré la sincérité de son végétarisme. C'est pourquoi, dès l'année suivante, mon entrée au CFJ fut une sorte de bénédiction, même s'il ne me fallut pas plus d'un mois ou deux pour comprendre que le journalisme et moi-même resterions toujours radicalement étrangers l'un à l'autre – mais mon atonie était telle que l'idée d'exercer durant trente ou quarante ans un métier pour lequel je n'avais ni goût ni aptitudes ne me gênait nullement. Faire ça ou autre chose, n'est-ce pas ?

Pour revenir à mon année ferroviaire, il n'est pas exagéré de dire que les deux seuls événements qui la marquèrent un tant soit peu furent, et dans cet ordre, mon dépucelage à l'automne 76 et l'oncle Fur  quelques mois plus tard. Si je n'ai jamais revu la jeune Nadine qui collabora gentiment au premier des deux, l'oncle Fur, lui, n'a jamais cessé ses visites, heureusement de plus en plus espacées à mesure que je prenais de l'âge. Là, par exemple, je crois bien qu'il ne s'était pas présenté depuis une dizaine d'années – si bien que j'aurais pu le croire mort, si j'avais été d'une nature plus optimiste.

Enfin, il est là. Généralement, ses visites ne durent pas plus de deux ou trois jours. Mais Dieu que les heures paraissent longues en sa compagnie ! Comment le temps pourrait-il se montrer léger et bondissant lorsque, pour qualifier la moindre station que l'on fait sur une chaise ou dans un fauteuil, on hésite constamment entre deux adjectifs, assis et empalé ? Il faudrait peut-être voir si, à Évreux, la gare ne possèderait pas, en ses bâtiments, une infirmerie pour très anciens cheminots d'occasion…

mardi 3 décembre 2019

Il suffira d'un cygne…


L'ami Rémi publie un nouveau livre ! Personne ne sera étonné d'apprendre qu'il s'agit d'une légende médiévale, comme d'ailleurs son titre semble l'indiquer. La nouveauté est que ce nouvel ouvrage est abondamment et très-richement illustré. Je ne puis guère vous en dire davantage, vu que notre lambine de facteuse n'a toujours pas jugé bon de déposer le susdit ouvrage dans notre boîte idoine. Mais enfin, j'ai pu, tout récemment, le feuilleter chez Michel Desgranges, sur la table de salon de qui il trônait fièrement lors de la dernière visite que je lui fis : il me parut – je parle du livre – riche de promesses ne demandant qu'à être tenues. De toute façon, je crois que le plus simple est encore de se procurer l'objet, afin d'en jouir tranquillement chez soi, entre apéritif du midi et apéritif du soir. 

Pour cela, on trouvera toutes les explications nécessaires et suffisantes sur le blog de l'auteur. Blog qui vient d'ailleurs de faire sa réapparition dans ma blogoliste : vous ne pourrez pas dire que vous n'étiez pas avertis.

dimanche 1 décembre 2019

Mais quel rapport ?


Je reconnais qu'il est plus que ténu, le lien unissant ce paisible département à mon journal de novembre