jeudi 28 septembre 2023

Faites entrer Buster Scruggs !

Je sortais d'une expérience éprouvante, laquelle consistait à regarder le début du film de Christopher Nolan intitulé Tenet : à 16'38" exactement, j'ai été pris d'une sorte de fou-rire nerveux devant une chose aussi prétentieuse qu'imbécile – en plus d'être parfaitement incompréhensible. Il fallait mettre fin à l'épreuve, ou bien sauter par la fenêtre. Pour effacer cette désastreuse impression, je devais tenter autre chose, et c'est alors que les hasards du dédale netflixien m'ont conduit devant La Ballade de Buster Scruggs, film des frères Coen datant de 2018 : dix minutes plus tard, j'étais tout à fait réconcilié avec le cinéma (mais je n'avais pas été sérieusement fâché…).

Chez Dame Ternette,  le film est qualifié de “western à sketches”. C'est à la fois vrai : le film raconte six histoires indépendantes, toutes situées dans l'Ouest américain du XIXe siècle ; et à la fois faux, car beaucoup trop réducteur. Il ne s'agit pas d'un western mais plutôt d'un hommage au genre – hommage parfois irrévérencieux : on connaît les deux frangins – et même, plus largement, d'une ode aux grands espaces de l'Ouest, encore presque vides de toute trace humaine, et magnifiquement filmés. Et ce ne sont pas des sketches qui s'y déroulent, mais de mini-tragédies, qui n'excluent nullement le burlesque (la première histoire, photo ci-dessus), et flirtent parfois avec le fantastique (la sixième et dernière). Le point commun à toutes, c'est la tendresse amusée du regard que portent les Coen sur leurs personnages. On atteint même à l'émotion pure dans la cinquième histoire, construite autour du personnage d'Alice Longabaugh (photo ci-dessous), alliage de fragilité et de détermination, en route pour l'Oregon lointain avec une caravane de chariots bâchés, et magnifiquement interprétée par Zoé Kazan, la petite-fille d'Elia Kazan.

Du reste, les acteurs ne sont pas le moindre intérêt du film, et il est amusant de “repérer” les têtes et noms connus dans des rôles très brefs et, parfois, presque muets : Liam Neeson, James Franco, Tom Waits, Brendan Gleeson et d'autres. Ce sont eux, et les silhouettes qu'ils campent, qui vous donneront envie, sitôt le film terminé (sur une image assez énigmatique…), de le revoir aussi vite que possible.

Si vous êtes abonné à Netflix, ne manquez pas La Ballade de Buster Scrugges : vous découvrirez une émeraude cachée dans un océan de merde.



 

vendredi 22 septembre 2023

Quand j'étais parachutiste…

Au détour d'un paragraphe du Johnny blues de Joyce Carol Oates vient d'apparaître très fugitivement un personnage appelé McKeever. Ce nom m'a fait l'effet, immédiat, total, indubitable, d'une bouchée de madeleine imbibée de thé. 

C'est le plus ancien souvenir que j'ai, se rapportant à la télévision : le feuilleton (on ne parlait pas encore de “série”....) qui s'appelait en français Les Hommes volants. D'après ce que m'apprend Dame Ternette, les 76 épisodes en ont été diffusés chez nous entre juin 1961 et septembre 1963 ; ce qui veut dire qu'il est apparu, à quelques semaines près, au moment où mes parents, fraîchement déménagés de Châlons-sur-Marne à Lahr (Allemagne), s'offraient leur premier poste de télévision – de marque Grundig ; ou peut-être Telefunken. 

Ces soixante dernières années, je n'ai jamais oublié les noms des deux instructeurs parachutistes qui étaient les héros du feuilleton : Ted McKeever et Jim Buckley ; ils demeuraient en moi, familiers et lointains comme ceux d'amis que l'on n'a pas eu l'occasion de voir depuis fort longtemps. Pas oublié non plus que mon frère et moi jouions régulièrement aux “hommes volants” : nous nous placions sous la table de salle à manger – utilisée seulement quand “on avait du monde”, les repas des jours ordinaires étant pris dans la cuisine –, laquelle figurait notre avion. Puis, avancés jusqu'à l'extrême bord du tapis, nous donnions à notre imaginaire pilote d'ultimes instructions qui nous étaient à peu près inintelligibles mais que nous répétions avec une scrupuleuse fidélité dans les termes : “deux degrés nord !”, “vire sur l'aile, Bob !”, des choses comme ça. Enfin, quittant le tapis, nous nous élancions à plat ventre sur le parquet, bras écartés et jambes légèrement pliées, comme des paras en plein ciel.

Je n'ai jamais autant sauté en parachute que durant ces années-là. Je crois bien n'en avoir jamais non plus reparlé avec Philippe qui, né en 1960, ne doit probablement avoir conservé aucun souvenir de nos plongées communes dans l'azur figuré de notre salle à manger, ni des gouffres qui s'ouvraient pour nous au bord du tapis effrangé. 

Il ne sait pas ce qu'il perd.

mercredi 20 septembre 2023

Cathares et tarés

Il est tout à fait excellent, ce Bûcher de Montségur que Zoé Oldenbourg a publié au mitan du dernier siècle dans la célèbre collection gallimardesque des Trente journées qui ont fait la France. On y apprend des choses bien intéressantes sur ces braves hérétiques méridionaux, mais deux d'entre elles ont surtout éveillé mon attention.

D'abord le fait que les cathares se refusaient à consommer le moindre aliment d'origine animale ; et ensuite cette particularité de leur religion qui consistait à nier la réalité des sexes.

Les cathares étaient donc des sortes de transgenres végans.

Du coup (locution spécialement dédiée à miss Élodie J…), les bûchers sur lesquels on les a invités fermement à grimper me semblent déjà moins condamnables, même si d'une sévérité quelque peu excessive. 

De toute façon, la nostalgie est hors de saison, tant on imagine mal ce mollasson de pape François appeler à un nouvel empilement de fagots sur les places publiques : n'est pas Innocent III qui veut. 

Et puis, dites : est-on vraiment sûr que tous ces feux purificateurs seraient bons-pour-la-planète ? qu'ils n'iraient pas nous aggraver notre précieux réchauffement climatique ? nous flinguer ce qui reste de biodiversité ? entrer dans le jeu de l'extrême droite ? faire rater les mayonnaises ?

Allez, tant pis : rangeons nos allumettes…



 

dimanche 17 septembre 2023

Le roi est mort, vive le… ah, non, trop tard !


 J'ai longtemps cru que le règne le plus court de l'histoire de France avait été celui de Jean 1er, fils de Louis X dit le Hutin. Lorsque celui-ci meurt, le 5 juin 1316, son unique héritier mâle n'est encore qu'un fœtus de trois mois et demi dans le sein de la reine Clémence, veuve royale toute fraîche. Il va naître le 15 novembre suivant… et mourir quatre jours plus tard. Quatre ou cinq : les historiens médiévistes continuent de s'étriper à ce sujet…

Bref, durant les longues années où mon intérêt pour l'histoire de France est resté presque exclusivement médiéval, il m'a toujours paru évident que nul ne pouvait faire mieux que mon Jean en matière de brièveté régnante. (Précisons que nous évoquons là un âge pré-internétique, où n'existait pas la ressource de demander simplement à Dame Ternette “quel roi de France a régné le moins longtemps ?” pour avoir instantanément la réponse. J'aurais pu demander à Michel Desgranges, mais je n'y ai point songé.)

Évidemment, je me trompais, ignorant alors tout du roi Louis XIX.

Le 2 août 1830, sentant qu'à force de naviguer sur un volcan le char de l'État est en train d'échapper à son contrôle, le roi Charles X signe son acte d'abdication. Se tournant vers son fils, Louis-Antoine de France, il lui demande de contresigner sa royale déballonnade au profit de leur petit-fils et neveu, le charmant Henri d'Artois, plus connu sous son titre de courtoisie de comte de Chambord. 

Refiler la couronne de France, même vacillante, à un marmot de dix ans qui n'en sera même pas reconnaissant ? Louis-Antoine hésite. On peut le comprendre : le couronnement à Reims, la place assurée à la nécropole dionysienne, les chasses giboyeuses, les maîtresses royales… il y a gros à perdre ! Pourtant, l'obéissance filiale – ou la prudence… – l'emporte, et il signe. Exactement, les témoins en firent ensuite foi, vingt minutes après son père.

Vingt minutes : telle est donc la durée du règne de Louis XIX, d'un paraphe à un autre. Si bien que mon pauvre Jean 1er aura tout de même régné 360 fois plus longtemps que lui. 

Pour la comparaison entre les règnes de Louis XIV (72 ans) et Louis XIX (20 mn), je vous laisse faire le calcul vous-même.


dimanche 3 septembre 2023

Croissez et multipliez… mais sans dispersion !

Le blogueur prénommé Denis, qui se trouve être également maire de son village de l'Eure, déclare solennellement, dans son dernier billet, que jamais, lors d'une élection, il ne votera pour un candidat n'ayant pas d'enfant ou… ayant un jour fréquenté les boites échangistes. 

Deux observations : d'abord je vois assez mal le rapport entre le talent politique, les capacités administratives, etc. d'un individu et le fait qu'il ait engendré ou non, que sa femme et lui se livrent ou se soient livrés à des galipettes inter-couples. 

Ensuite, notre bon maire ne semble pas s'apercevoir qu'il réagit exactement de la même façon impulsive, irraisonnée, “viscérale” qu'un homme qui affirmerait ne jamais pouvoir voter pour un pédé ou bien qui refuserait d'embaucher un Arabe dans son entreprise, deux choses qui susciteraient à coup sûr la vertueuse indignation, voire la fureur tonnante du Denis en question. 

Qu'on me comprenne bien : je ne trouve absolument rien de choquant à ce qu'il refuse de voter pour un partouzard sans progéniture… de même que j'accorde volontiers à quiconque le droit de ne pas embaucher d'Arabe ou de refuser son vote à un homosexuel : chacun doit ou devrait être libre en ces domaines. Mais il me semble fort difficile de prôner la première attitude tout en se scandalisant de la seconde : question de cohérence intellectuelle et morale, pour employer les mots-qui-font-joli-dans-la-phrase.

Enfin, si j'étais d'un naturel moqueur, ce qu'à Dieu ne plaise, je ferais peut-être bien remarquer que brandir ainsi la famille et les vertus conjugales comme conditions sine qua non de la respectabilité électorale a comme un léger parfum, suranné mais pas déplaisant, de bigoterie fin de siècle (le XIXe bien entendu) : chassez les ligues de vertu par la porte du garage, elle rentreront un de ces jours par la fenêtre de la mairie.

vendredi 1 septembre 2023

Marilyn et puis Edith


 La première est passée ici au début d'août...

 


… La seconde a suivi de très près.