mercredi 30 septembre 2009

Apocal'hips ! (Buvons en attendant nos chaînes)

J'ai laissé ce commentaire chez le précieux Pélicastre (pas de raison que nous n'en profitiez point) :

Voilà. Avant même de vous lire, ce soir, j’étais (par une voie parallèle) arrivé à cette conclusion : il faut dire, il faut répéter, il faut rabâcher, il faut montrer. Sans relâche. Et, peut-être, SANS DISCUTER : juste montrer.

Depuis un bout de temps, je me disais que j’avais de la chance d’être “vieux”, parce que j’aurai la chance de mourir avant l’irrémédiable. Avant ce qui va vous arriver. (En plus, la chance inouïe de n’avoir pas d’enfant, et surtout de fille.)

Depuis quelque temps, j’entends d’autres sons. Des jeunes gens qui pourraient presque être mes fils (si je m’étais mis à baiser un tantinet plus tôt…), un peu cyniques quand je suis un peu découragé, et qui, eux, attendent le quasi inévitable avec une sorte d’impatience nihiliste qui me fait tout de même un peu peur, mais que je crois comprendre : à force de se faire envoyer dans le mur, par tous les sourires mère-thérésiens dans lesquels ils sont englués, ils en viennent à espérer le moment où les “armées Céleste” vont se prendre la réalité en pleine gueule. Et qu'ils vont, eux, jouir de leur déconfiture.

Le problème est que la déconfiture de ces connes aveugles et sourdes sera aussi leur propre souffrance – incompréhensible, indéchiffrable, inadmissible même –, et la souffrance de leur descendance, déjà vivante aujourd’hui, et adulte. Et les enfants de cette descendance, les vraies victimes, qui ne comprendront rien et, dans le vide, maudiront leurs “papys” et leurs “mamies” jusqu’à la huitième génération. Sauf que, ces huit générations, ce sera leur descendance à eux : pendant ce temps, les papys et les mamies actuellement gesticulants pourriront bien tranquillement dans leurs certitudes braillardes d’aujourd’hui, à des pieds sous humus.

Il ne se trouvera personne, jamais, pour leur faire payer ce qu’ils préparent à leurs enfants. Ils crèveront oints des saintes huiles de la modernité, éternuant sous les aspersions de tous les goupillons mortifères qu’ils auront consciencieusement emplis.

Leurs enfants, du reste, n’iront probablement pas maudire leurs tombes, car il n’est pas entièrement certain qu’ils auront encore un carré réservé au cimetière communal.

Avec ou sans sucre unijambiste ?

Jusqu'à dix minutes dans le passé, je n'avais aucune idée de ce que je ferai le 15 octobre prochain, entre 14h et 15h30 (deux heures et trois heures et demie de l'après-midi, pour les gens civilisés).

Désormais, je le sais : je ne manquerai pour rien au monde le rendez-vous qui m'a été courtoisement donné à l'auditorium du grand groupe de presse m'employant. Il s'agit d'un... (C'est bon, vous êtes calé dans votre fauteuil à roulettes ? Bien accroché à vos béquilles ?)... d'un...

Café gourmand de sensibilisation au handicap

Cette manifestation, dont j'attends de grandes jouissances intellectuelles et morales, est organisée (je suppose que, dans ce contexte échevelé, je devrais plutôt écrire initiée...) par la “mission handicap” dudit groupe. Laquelle a pris finement pour nom : “handi cap”, avec, rajouté comme à la main et en rouge, au-dessus de la partie barrée, les mots “je suis” : prometteur, n'est-il pas ?

Il serait intéressant, en fait, au lieu d'aller subir le baratin lénifiant et moralisateur de la “consultante spécialisée dans le handicap” à l'intérieur de l'auditorium, de se poster à l'extérieur et, aux personnes entrant, demander si elles viennent plutôt pour le café gourmand ou plutôt pour le handicap ; et, dans les cas de réponse N°1, affiner le sondage en leur faisant préciser si elles ont été davantage attirées par le breuvage lui-même ou par les petites pâtisseries déposées autour.

Par une dernière ligne, au bas de l'affichette, la même mission handicap & mastroquet nous remercie pour notre visite. Outre que je trouve curieux d'être remercié par anticipation, j'aurais tout de même préféré l'être de ma visite.

Avec tout ça, on ne précise nulle part s'il y aura de l'aspartam à disposition pour les personnes en situation de handicap pondéral : ne pas oublier d'en parler à la consultante spécialisée. Va m'entendre, celle-là...

Polanski dans le grand bain

C'est donc la polémique du jour, ou de la semaine à la rigueur. C'est bien : ça va permettre à Sarkozy et à Hortefeux de souffler un peu. Roman Polanski au trou ! Chacun y va de son petit couplet, les tauliers de blogs ouvrent leurs portes en grand et sortent les seaux à champagne, la clientèle afflue.

Le fond de l'affaire m'intéresse peu – et même, je m'en fous complètement. Coupable, pas coupable ? Condamné, pas condamné ? Droguée, pas droguée ? Consentante à demi, aux trois quarts, pas du tout ? M'en bats l'œil. En revanche, les commentaires sont amusants.

Il y a évidemment l'escouade des vertueux qui trouve là une merveilleuse occasion de repasser son refrain anti-pédophilie, qui fait toujours bien dans un CV citoyen. Que l'on émette l'idée – oh ! timidement : on n'est pas des fondus non plus... – que coucher avec une fille de 13 ans ayant déjà franchi le Rubicon de la puberté n'est pas précisément de la pédophilie, et l'on se retrouve voué aux gémonies, viré comme un malpropre, au plus bénin accusé de “provocation” : c'est classique.

Plus étrange est le déferlement de sarcasmes à l'encontre de ces malheureux cinéastes français qui ont cru bon de signer une pétition de soutien à Roman Polanski. On brocarde, on flétrit, on daube, on anathémise, au motif que tout cela sent un peu trop le serrage de coudes, la petite chapelle, les copains-z'et-les-coquins. Or, qu'ont fait les pétitionnaires, sinon exprimer leur solidarité avec un des leurs ? Moi, j'avais cru comprendre, à la longue j'avais réussi à me fourrer dans le crâne, qu'être solidaire c'était ce qu'il y avait de mieux. Qu'il fallait fait preuve de solidarité active, toujours, immédiatement, y compris quand on ne savait rigoureusement rien à propos des tenants et des aboutissants. C'est particulièrement vrai dans le cas des expulsions : l'expulsé a toujours raison.

Eh bien, tous nos petits pétitionnaires n'ont rien fait de plus que d'exprimer leur solidarité de principe avec un homme menacé d'expulsion – on devrait donc tous se réjouir hautement de leur initiative. Car, enfin, arrêter et extrader un juif, ça rappelle quand même les heures-les-plus-sombres et le nauséabond-ventre-encore-fécond, non ?

Mais je suppose qu'on va encore venir me dire que je mélange tout. C'est que c'est pas simple, la bonne pensée. Pas facile de s'y retrouver quand on est nouveau dans le quartier. Personnellement, j'aimerais pas y habiter.

mardi 29 septembre 2009

L'idéologie multiculturelle selon Mathieu Bock-Côté

Le philosophe québécois parle d'identité nationale, de la France, de l'Europe, du peuple... et même de la Belgique ! Cela dure un quart d'heure, et il vaut la peine, je crois, d'être sinon entendu – je ne suis pas si optimiste... – du moins écouté.


L'Âge des ténèbres (et l'art du titre)

Ce soir, ce sera télévision. Ce sera même une soirée “tout-Arcand”. En ouverture de programme, son dernier film, intitulé L'Âge des ténèbres : pour les culs-serrés du Nouvel Observateur, Denys Arcand est en train de virer vieux con réactionnaire et aigri (forcément aigri, hein !) : je m'attends donc à une manière de chef-d'œuvre, par simple contre-analyse.

Si j'ai compris droit, et bien que ne reprenant pas, cette fois, les mêmes personnages, Arcand achève là le triptyque commencé il y a presque 25 ans avec Le Déclin de l'empire américain (que nous comptons revoir en deuxième partie de soirée) et poursuivi avec Les Invasions barbares, dont je vous parlais ici même il y a quelques semaines. Si l'on se livre à une rapide extrapolation, on se dit qu'en effet L'Âge des Ténèbres doit être un film délicieusement pessimiste et désenchanté, dans la mesure où le climat général était déjà au net assombrissement, entre Le Déclin et Les Invasions. Je vous dirai ça demain, si j'ai le temps et si j'y pense.

En attendant, on peut toujours noter à quel point le cinéaste québécois a ce qu'il convient d'appeler “le sens du titre” : ceux de sa trilogie sont parfaits ; et, déjà, Jésus de Montréal n'était pas mal non plus. Et puis, si par malheur cet Âge des ténèbres est aussi raté que le Nouvel Observateur le voudrait, on se consolera, l'Irremplaçable et moi, en allant voir le spectacle des otaries vivantes.

lundi 28 septembre 2009

Mère Teresa-Scigala se soucie (apparemment) de ma santé

Elle n'a pas forcément tort. Il est très possible que je boive trop. Néanmoins, il est également envisageable de se demander la chose suivante : qu'en a-t-elle réellement à faire ?

Non, parce que, c'est forcément très bien, même quand on picole soi-même, d'avertir les autres qu'il serait mieux de ralentir... d'arrêter... de n'y même plus penser.

Et donc, de se travestir en une sorte de mère Teresa, discrète, bien entendu, et de vous balancer ce genre de lien.

Là, vous êtes foutu. Qu'est-ce que vous pouvez faire ? Reprendre une gorgée de bière ? Mouais... Recommander une bouteille de sancerre ? Aussi, pourquoi pas... Le verre de Mère Teresa est vide, donc...

Mère Teresa, dans la vraie vie, aime bien enchaîner une bouteille sur une autre. Il lui arrive d'être capable de se laisser aller (moi itou). Mais il lui arrive aussi d'être furieuse, parce qu'on a dit des choses qui lui déplaisaient – elle a parfaitement le droit.

Elle relance. Elle n'est pas si raisonnable que ce qu'elle croit être. Elle a un petit côté (que j'aime bien) petit soldat, David-contre-Goliath, etc.

Elle pense que tout ce que je dis et écris à un rapport étroit et obligatoire avec l'alcool que j'ingurgite. Elle n'a pas forcément tort. Elle n'a pas forcément raison non plus.

Histoire d'otarie (puis d'eau tarie)

Tout à l'heure, aventure typique de l'homme moderne, je roulais vers Pacy-sur-Eure pour aller y chercher deux baguettes “tradition” (pain réactionnaire, donc) et une boîte de Vache qui rit chez l'épicier divers – le fromage idiot étant destiné à la préparation de nan, ces pains indiens fourrés, que Catherine destine à accompagner le riz que nous avons oublié de servir hier midi à Zoridae, Balmeyer et Nicolas.

Ce début de billet pourrait nous orienter vers la comtesse de Ségur et ses Mémoires d'un nan, ou encore du côté de chez Paul-Jean Toulet et de son Amie nan – mais il n'en sera rien.

Il s'est trouvé qu'entrant dans Pacy j'ai croisé une affiche publicitaire immobile, vantant un prochain spectacle d'otaries vivantes. J'ai aussitôt cherché à imaginer à quoi pourrait bien ressembler un spectacle d'otaries mortes – j'ai rapidement renoncé. De même, je suppose qu'il doit être bien difficile, pour un amateur de numéros de puces savantes, de se figurer une représentation ne comportant que des puces stupides. Et jamais, je pense, vous ne pourrez traîner un amoureux de haute voltige à un spectacle de basse voltige.

Coming back home, mon petit panier sous mon bras, et voulant me laver les mains, comme il nous est désormais enjoint de le faire par voie d'affiches toutes plus comminatoires les unes que les autres, j'ai constaté que l'eau avait été coupée dans tout le Plessis-Hébert, pour un temps indéterminé : les ouvriers qui travaillent à changer la physionomie de la place de l'Église venaient, dans leur enthousiasme de travailleurs du lundi matin, d'exploser une canalisation.

On s'est donc brossé les dents à la Contrex, en espérant ne pas trop mincir des gencives.

samedi 26 septembre 2009

Papa, fourmi, tracteur !

Depuis quelque temps, l'Irremplaçable cherchait par quel moyen elle pourrait un peu pourrir la vie de cette malheureuse Bergotte, qui ne demande pourtant rien à personne. Elle a trouvé : l'agility.

Les deux – la maîtresse et le chien – sont allées prendre leur premier cours hier. Et, aujourd'hui, Catherine m'a traîné au terrain d'entraînement (façon de parler, puisque c'est moi qui conduisais) pour que je voie comme ça se passe. J'ai vu.

Il y a des humains, qui courent en regardant derrière eux (très dangereux, donc), et en aboyant des ordres passablement saugrenus à leur chien : saute ! monte ! au pied ! tunnel ! chaussette ! (Je vous jure que je n'invente rien : ils crient réellement "chaussette"...) Le plus surprenant est encore que ces pauvres bêtes ont l'air d'adorer ça. Personnellement, je pense que quand l'Irremplaçable se sera vautrée deux ou trois fois dans la gadoue (on court en regardant derrière soi, je me permets de vous le rappeler...), son enthousiasme devrait se modérer de lui-même...


[Mon titre mérite une petite explication. Papa, fourmi et tracteur sont les trois premiers mots qu'est censé avoir appris à prononcer le prince William d'Angleterre (en anglais, suppose-t-on...). À l'époque, France Dimanche en avait fait son gros titre de "une", sur huit colonnes, ce qui nous avait – quelques mal-pensants et moi-même – divertis pendant plusieurs mois : il ne nous fallait pas grand-chose, on était jeune (et souvent bourré...).]

vendredi 25 septembre 2009

Tournier ? Vous avez dit Tournier ?

Échange de mails. Plus de trente-cinq années à vivre séparément. Lui, m'ayant oublié, forcément, moi y pensant sinon tous les jours du moins souvent. Très souvent, en fait. Professeur de français. Pas prof : professeur. Encore moins enseignant : professeur. Il ne parle pas de "gamins", ni de "gosses". Il est face à nous, futurs adultes sans doute, et il nous parle. Il s'enthousiasme à propos de certains écrivains (des écrivains qui ne m'enthousiasment plus et qui, peut-être, ne l'emballent plus guère non plus aujourd'hui – on n'en sait rien). Mais il nous les vend. Vachement bien. On s'enflamme ; on les lit : c'est le principal.

Trois décennies plus tard, on se dit qu'il s'est foutu un peu de nous, à nous vendre Pierre, Paul ou Jacques. S'est-il foutu de notre gueule ? Non. Il nous a fait ouvrir un livre. Deux. Trois. Il nous a plus ou moins éveillés. On peut bien rejeter Pierre, Paul ou Jacques : c'est tout de même lui qui nous a fait casser ces reliures, ouvrir ces livres. Lui, ce jeune homme de 24 ans. On se moquait, parfois. Il lui arrivait de postillonner. Mais c'est qu'il parlait – parlait pour de vrai, je vous jure.

Je revois tellement son visage, tellement ses yeux, tellement son sourire (une certaine distance dans le sourire, toujours, un décalage, un demi-ton) que j'en arrive à me demander si je ne serais pas un peu pédé – des fois.

Elstir groupé (titre à la Nicolas...)

Pour ceux qui ne seraient pas passés chez l'Irremplaçable (c'est mal... très mal...), voici une photo d'Elstir, âgé d'environ... ben, j'en sais rien, en fait. Mais enfin, le 5 novembre prochain, il sera chez nous.

jeudi 24 septembre 2009

Rien... pas une photo... que dalle...

J'étais pourtant bien certain d'en trouver une : une petite photo toute simple, du lycée Émile-Zola de Châteaudun. Rien, nada, pas une. Dans ma jeunesse, en 1971, 1972, il s'appelait le lycée Civry. Parce qu'il se trouvait rue de Civry (il s'y trouve toujours, du reste). Et puis, ces connards qui présidaient aux destinées de ce lycée ont lancé un concours pour lui trouver un nom. Un autre nom.

Sorti des urnes : lycée Émile Zola. Cela avait fait rire mon professeur de français de l'époque. Il s'appelait Jean-Christophe Tournier (il doit toujours s'appeler Jean-Christophe Tournier), il avait 24 ans. Moi, 16 : je l'admirais énormément. Il nous avais fait remarquer qu'appeler un lycée beauceron Émile-Zola lorsqu'on a lu La Terre, c'était plutôt curieux. Mais, évidemment, en dehors de lui, personne n'avait lu La Terre – même pas moi, à l'époque.

Par un entrelacs blogosphérique sans intérêt, il se trouve que, trente-sept ans ayant passé, je suis en correspondance depuis hier avec ce Jean-Christophe Tournier qui m'a servi de professeur de français, à Châteaudun, durant l'année scolaire 1971 - 1972, et aussi durant les deux premiers mois de l'année suivante, avant mon déménagement à Orléans.

Et alors ? allez-vous dire. Alors, rien.

mercredi 23 septembre 2009

Nom de bouvier : le nom

Je sais bien que je l'ai déjà dit, mais je le répète : rien de plus important, pour un chien, que son nom. C'est une chose qui scelle un accord. Et qui dit des choses sur le maître, sinon sur l'animal.

Par exemple, il me semble détestable de donner à un chien un prénom d'humain (l'inverse est vrai aussi, mais, jusqu'à présent, moins fréquent) : ça dénote, ça connote, c'est nul : j'en connais, néanmoins.

Chez nous, snobisme aidant, tout le monde le sait désormais, les bestiaux ont tous des noms proustiens. On a eu Balbec, on a Swann et Bergotte. On a eu, très fugitivement un Charlus : plus un chat, en même temps que Balbec, qui s'est très logiquement appelé Cabourg.

Cet après-midi, j'ai cherché à savoir à quelle lettre on en était. Lorsque j'ai vu que 2009 était l'année des "E", j'ai commencé à flipper. De fait – vérifiez vous-mêmes –, la liste des personnages proustiens commençant par cette lettre est considérablement réduite. En réalité, il n'y en a qu'un d'utilisable.

ELSTIR

Limite prononçable (essayez, pour voir). Je me suis assez moqué de Renaud Camus avec son “Homps”... D'un autre côté, c'est ça ou rien. De plus, on a déjà Bergotte, l'écrivain ; comment résister à l'envie d'avoir le peintre ? Avec, en coin de l'œil, si on vit assez vieux pour arriver à l'année des "v", la perspective d'avoir un jour un petit Vinteuil.

L'Irremplaçable, une fois de plus, a dénoué le nœud gordien : « On n'aura qu'à l'appeler Monsieur Biche. »

Pas con.

Qui a mis le feu au nid de coyotes ?

La scène survient au début du quatrième chapitre de Blessés, roman de Percival Everett, écrivain dont on a déjà parlé ici. Le narrateur, John Hunt, un universitaire noir américain ayant quitté ce qu'il convient d'appeler la “société des hommes” pour dresser des chevaux dans un ranch de l'ouest, découvre une femelle coyote morte carbonisée. Et, cent mètres plus loin, ses deux petits, gravement brûlés mais encore vivants. Comprenant que des fermiers du coin ont aspergé le nid d'essence avant d'y foutre le feu, il ramène les deux bébés chez lui, dans les sacoches de son cheval. Le petit mâle ne passe pas la nuit, mais la femelle, dont une patte a été entièrement consumée, survit (pour l'instant : je n'ai atteint que la page 75...) – et rien ne devient plus important, pour John Hunt et son vieil oncle, Gus, que cet animal, au moins pendant les quarante-huit heures suivant son sauvetage.

Je les comprends. Je me vois très bien recueillir un bébé coyote. Ou un bébé putois. Ou un bébé crotale. Ou n'importe quel bébé animal victime de la cruauté inconsciente des humains.

[Je viens d'écrire, je crois, une double sottise. La cruauté est toujours inconsciente. Si par miracle elle accède à la conscience, des barrière morales (morales ou autres) s'érigent, et elle cesse d'être tout à fait de la cruauté. D'autre part, la cruauté est forcément humaine. Aucun animal ne peut être taxé de cruauté, dans la mesure où il n'éprouve certainement pas le besoin de faire souffrir, ignorant même sans doute ce que peut être la souffrance, en tout cas la souffrance de qui n'est pas lui. Exception faite, peut-être, pour le chat (le fameux jeu du chat et de la souris). En ce sens, et contrairement à ce que les “amoureux-des-chats” nous serinent à l'envi, ce félin dégénéré est probablement l'animal le plus proche de l'homme et le moins indépendant de nous qui soit : aucun chien n'est capable de cruauté, juste d'obéissance et de fidélité.]

La cruauté nous est propre et exclusive. On doit cependant pouvoir rompre avec elle, au moyen de ce même libre-arbitre qui l'a engendrée. Non pas se livrer à des incantations éplorées pour qu'elle disparaisse de la surface de la terre : juste rompre avec elle. À titre personnel. Lui tourner le dos. Cesser de lui parler.

C'est sans doute pour cette raison que, depuis environ trois mois, Catherine et moi ne consommons plus de viande de boucherie : par protestation silencieuse (jusque là silencieuse, puisque je suis en train de la ramener...) contre le sort fait aux mammifères comestibles dans les abattoirs.

C'est la faute de Vassili Grossman : dans l'une de ses nouvelles, il met en scène un veau séparé de sa mère à l'entrée des abattoirs, et “adopté”, quelques minutes avant la mort, par une vache qui se trouve poussée contre son flanc, dans l'affolement général. Nouvelle qui trouve une résonance, une mise en abîme au sens le plus radical de l'expression, dans une scène vertigineuse de Vie et Destin, du même Grossman, où l'on voit un enfant, descendant du train, au “terminus Birkenau”, se faire de même adopter par une femme qui va l'accompagner jusque dans la chambre à gaz et, jusqu'au bout, jusqu'au zyclon B, tenter de le rassurer, de lui insuffler quelque chose qui tente de ressembler à une humanité dégagée de la cruauté.

Les Parfait s'en prennent plein la tronche

C'est chez Manutara, et c'est jouissif de cruauté.

mardi 22 septembre 2009

Balbec nous en voudra-t-il, du fond de son enfer de chien ?

Voilà, c'est quasiment certain. Ça s'est fait tout à l'heure, en terrasse. L'Irremplaçable et moi étant entièrement d'accord pour dire que deux chiens c'était sans doute trop, on a décidé d'un commun accord d'en prendre un troisième.

Pas n'importe lequel. Un petit bouvier bernois mâle – un Balbec ressuscité, en quelque sorte, malgré le côté un peu malsain de l'affaire. Les bouviers bernois, c'est un peu comme les Asiatiques ou les Africains : on croit qu'ils se ressemblent tous quand on ne les connaît pas, mais en fait, non. (Phrase sottement provocatrice, on l'aura compris, mais qui donne néanmoins à réfléchir, pour peu que.)

J'hésite encore, cela étant. Chaque fois que je croise un bouvier bernois, une sorte d'élan imbécile me pousse vers lui. Mais, dans la même seconde, je vois bien qu'il ne s'agit pas de Balbec, et le recul s'opère, de la même manière mécanique et douloureuse.

Que dire ? Que je me sens assez stupide ? Oui, bien entendu, mais encore ? Si l'envie de ressusciter Balbec reste présente ? S'il est possible, par simple décision, de faire réapparaître quelque chose qui lui ressemble, je devrais m'en priver ?

J'ai envie de me désengluer de ce chien, forcément ; il ne me semble pas raisonnable de continuer d'y penser et de l'aimer à ce point. Mais un petit et futur lui-même y suffira-t-il ? On va voir, au fond. Il suffit de le trouver, de l'acheter, de le ramener à la maison...

Justine est amoureuse, on dirait

Si je mets en ligne ce petit extrait sans le moindre intérêt, c'est simplement parce que je sais que je n'aurai pas le temps de faire un billet ce soir, et surtout parce que je suis bien content d'avoir écrit le mot “fin” il y a une vingtaine de minutes...


- Aziz, c’est toi ? demanda Justine Sandillon, lorsqu’on décrocha, au bout de quatre sonneries.

- Non, c’est le président Sarkozy : Aziz m’a confié son portable juste avant de monter dans un charter à destination de son pays d’origine.

- Ah, c’est fin, tiens ! rigola Justine, toute heureuse d’entendre la voix chaude de son photographe préféré. Tu pourrais passer chez moi, à un moment ou à un autre ? J’aurais besoin de tes talents…

- Eh ! oh ! doucement, Mamzelle : je ne suis pas qu’un organe reproducteur, tout de même !

- Je parlais de tes talents de graphologue, idiot !

- Alors, si c’est comme ça, ça va. Cela étant, l’organe reproducteur reste à disposition de la clientèle, hein ? On peut même vous proposer un “pack toutes options”, chère petite madame, si vous voulez : analyse d’écriture + dîner en comité restreint + initiation au maniement du bâton-qui-rend-folle. Le tout pour une somme extrêmement modique : un ou deux sourires admiratifs et quelques mots tendres. Je précise que l’offre est valable uniquement pour ce soir : après, nous serons sans doute contraints de réviser nos conditions.

- Mufle prétentieux ! soupira Justine, avec un petit rire rentré. Bon, tu peux passer ou pas du tout ?

- Je sors de la Maison de la Radio, là, répondit Aziz Ourglah : je suis chez toi dans une dizaine de minutes. Ça joue ?

- Contre joue ! rétorqua Justine avant de raccrocher.

Elle se laissa partir à la renverse dans le canapé. En se demandant si elle avait le temps d’aller passer quelque chose d’un peu plus sexy que son vieux jean “de maison” et le tee-shirt devenu informe, que Géraldine Hébert lui avait rapporté d’Espagne, deux ans plus tôt.

« Dis donc, ma fille : tu ne serais pas en train de tomber un peu amoureuse, toi, des fois ? Comme ça, bêtement, à l’entrée de l’automne ? Vraiment n’importe quoi… »

D’un autre côté, Justine se dit qu’Aziz Ouarglah représentait une assez bonne façon de passer l’hiver au chaud.

Et elle bondit du canapé au premier coup de sonnette.

lundi 21 septembre 2009

Finalement, tu reviendras à Plieux (mais juste pour l'argent)

Je dois l'avouer : j'ai menti à Mathieu-avec-un-seul-t, quand je lui ai dit qu'il n'y aurait pas, au Plessis, d'apéro avant demain. Mais c'est entièrement de la faute de l'Irremplaçable.

Que s'est-il passé, ami lecteur, qui n'est nullement mon ami ? Ceci : prévoyant la fin du Brigade mondaine en cours pour demain soir, et peu encline à ressortir demain, la dite Irrempe a acheté dès ce matin une bouteille de whisky Famous grouse. Et, tout à l'heure, six heures venant de sonner, elle a fait irruption dans La Case (la maison du nègre (la maison de l'écrivain de couleur (la maison du barbouilleur divers))), me demandant innocemment si j'en avais encore pour longtemps. J'ai tout de suite compris, au ton (en emporte le vent), qu'elle avait plus ou moins envie de s'en jeter un petit – je n'avais rien contre non plus. Et on l'a fait.

Mais on n'a pas perdu notre temps ; surtout moi. Car, en trois whisky-coca (oui, je sais... mais je vous emmerde, je bois ce que je veux : quand je mourrai, je ne compterai pas sur vous non plus, alors, hein...), nous eûmes en moins d'une heure, moi parlant dans le vide et elle notant sur le calepin (et faisant aussi le “mur de squash”), dressé le scénario du prochain BM.

Il se passera de nouveau dans un village du Gers nommé Plieux. Ingrédients : une troupe de scoutesses (que l'on appelait des “Jeannettes” dans notre jeunesse de vieux), un travesti perturbé et d'origine danoise (très perturbé, plus ou moins violeur et assassin de scouteuses), deux gardiens innocents dans le château d'un écrivain absent, un indice déposé lors d'une visite du dit château, pour faire accuser nos deux gardiens innocents. Et, en toile de fond, les petits culs frais de nos scouteresses rescapées. Et la mère du travesti danois, et la femme du couple de gardiens occasionnels qui, par miracle, comprend un peu le danois.

Bref : du bruit, de la fureur, du sexe, de l'air pur, des visiteurs hautement portraiturés, du Tariquet – et un chèque au bout du compte. Bonne nuit, les pauvres !


[Je sais que ce billet n'a aucun intérêt. Sauf pour moi, et je ne savais pas où le noter. Vous ne pouvez pas savoir combien de scénarios de BM ont jailli à l'heure de l'apéro, et ont disparu corps et biens dans la nuit qui a suivi : c'est une éruption volcanique qui n'est plus que cendres froides au réveil (laissez : c'est mon côté poète). Or, j'ai passé l'âge de perdre des idées, même quand elles sont stupides. Donc, je note sur le support le plus proche. Et le support le plus proche, c'est vous – pas de bol.]

samedi 19 septembre 2009

Un œil sur l'avenir, l'autre dans le rétro

Dans un billet d'une réjouissante mauvaise foi, l'excellent Dorham grimpe à l'assaut de la désormais fameuse (tristement fameuse, dira la plupart) réacosphère, dont je suis censé, si j'ai bien compris, faire partie – je n'ai jamais rien signé, nulle part, mais enfin ce n'est pas grave, tenons l'embrigadement pour acquis.

Dans cet assaut impétueux (on croit revoir le vieil oncle d'Arsenic et vieilles dentelles hurlant sabre au clair son célèbre chaaaaarge !!!), Dorham découvre une vérité que pour rien au monde les ignobles personnages que nous sommes n'auraient souhaité voir divulguer :

« Autrement dit, les réacs luttent férocement pour la prééminence de leurs idées et pour la destruction de celles de leurs adversaires. »

C'est vrai que c'est extrêmement choquant, ça, et surtout furieusement inédit : des gens qui luttent pour la prééminence de leurs idées. Vous vous rendez compte du scandale ? Car Dorham, lui, en garçon bien élevé, est tout prêt, suppose-t-on à le lire, à admettre la non pertinence des siennes, voire à en changer immédiatement pour peu qu'on le lui demande gentiment. Dans la phrase suivante, on sent que son champ visuel est déjà en train de se restreindre :

« Ils combattent pour qu’on les entende et que les autres ferment leur gueule. »

En quatorze mots, une évidence et une contre-vérité. Ils combattent pour qu'on les entende : c'est bien le moins, non ? Bref, non seulement les réacs veulent que leurs idées prédominent mais, en outre, pour cela, ils prétendent se faire entendre : on est bien à la limite du péché mortel, là.

...et que les autres ferment leur gueule : mais non, pas du tout ! qui a jamais prétendu vous empêcher de parler ? Vous dont la quasi totalité des médias, des chanteurs et des amuseurs publics relaie désormais votre vision du monde et de son avenir en les présentant comme des faits à la fois acquis et hautement désirables (contradiction qu'ils ne remarquent même pas) ? Parlez, parlez encore, c'est très bien ! Certains, dont moi parfois, aimeraient juste que vous ne soyez pas toujours les seuls à le faire, c'est tout.

Le dernier paragraphe part un peu en vrille, c'est dommage. Mais si l'on poursuit sa lecture par celle des commentaires, d'abord on aura le plaisir toujours prisé (par moi en tout cas...) de se faire insulter : frustrés, pervers, narcissiques (?) et, bien sûr, injure suprême, celle qui cloue le papillon de nuit-des-longs-couteaux à son panonceau de liège : franchouillards. Après ça, évidemment, le réac se retire en sanglotant de honte, la queue entre les jambes.

Non sans avoir appris pour finir que si Dorham aime tant le dialogue, c'est parce qu'il est contre le débat, qui va à l'encontre de la liberté d'expression. Alors que, toujours Dorham dixit, la principale vertu du dialogue est justement qu'il y a des choses dont on ne puisse pas dialoguer.

Casuiste ? Vous avez dit casuiste ?


[En prime, Mathieu signale charitablement aux lecteurs de ce blog-ci qu'à trop me lire ils risquent de choper la vérole : on n'est pas plus prévenant.]

La crise cardiaque, meilleure amie de l'homme

Finalement, on en est arrivé à cette conclusion, lors d'une conversation fumigène au bas de l'immeuble, Nathalie – ma compagne de bureau du mercredi – et moi : pour replier son ombrelle, rien ne vaut une bonne vieille crise cardiaque. Foin de ces cancers qui traînaillent, de ces dégénérescences osseuses qui emmerdent tout le monde ! La cri-se car-dia-que, vous dis-je !

Mais, attention, pas un petit truc de chochotte : la crise cardiaque massive. Le coup de gourdin thoracique qui ne vous laisse même pas le temps de vérifier à votre poignet l'heure de votre mort.

C'est arrivé à un vieil ami à moi, il y aura bientôt trois ans, si j'ai bonne mémoire. Il était parti pour les vacances de Noël, faire du ski avec ses deux filles. Il a pris le remonte-pente, en pleine forme ; il a surfé sur la poudreuse jusqu'en bas, toujours en pleine forme et heureux d'être là. Et, une fois revenu à son point de départ, paf ! il est tombé – il était mort. On ne fait pas mieux, si ?

Évidemment, il aurait fait son intéressant vers 80 ans plutôt qu'à 50, personne ne se serait plaint de lui – et surtout pas ses deux filles, j'imagine, adultes mais encore bien jeunes pour perdre leur père. Mais, sur le fond, ça ne retire rien à ma conviction : pour votre mort, pensez “crise cardiaque”, mes drôlets.

Donc, Monsieur Infarctus, si tu me lis, sache que tu es le bienvenu sous mon toit. Mais prends ton temps, j'ai tout le mien.

vendredi 18 septembre 2009

Tous les professeurs ne sont pas des ravis de la crèche

Par exemple, mon amie France-Hélène n'a semble-t-il pas grand-chose à voir avec Mathieu...

La bonne nouvelle, putain d'Adèle !

On a réussi à maquer Georges et Pascal Labeuche : on pourrait bien être tranquille durant un petit moment, jusqu'à ce que l'un écrase l'autre (devinez lequel ?)...

Je vais m'en prendre une, c'est décidé

Je crains que la gauche n'en sorte pas renforcée...

Le désert américain est peuplé de morts vivants

Désert américain est le titre du roman de Percival Everett que j'ai commencé à midi, ayant terminé Effacement en fin de matinée. Le pitch, comme disent les cons :

Théodore Larue, professeur non titulaire de l'université de la Californie du sud, en route vers l'océan où il compte se suicider, est victime d'un accident de la route, au cours duquel il est proprement décapité. Lors de son enterrement, il se relève de son cercueil et reprend le fil de sa vie.

Il va de soi que lui-même, sa femme et leurs deux enfants (neuf et sept ans) sont dès l'abord passablement traumatisés par cet “incident”. D'autant que Ted n'a plus ni battements de cœur, ni poul, ni pression artérielle ; et que, lorsqu'il ne parle pas, il peut même se passer de respirer. Cela étant, son cerveau fonctionne et, dès leur retour à la maison, il procure à son épouse une série d'orgasmes d'anthologie – donc tout devrait en principe s'arranger.

C'est alors que débarquent les véritables zombis de cette histoire, les malfaisants appointés : journalistes, psys, animateurs de télévision, flics (débordés), etc. Le vrai cauchemar peut commencer : j'en suis là. Échantillon :

« Dehors, Emily pleurait, ayant perdu ses parents de vue, assise au milieu d'adultes agglutinés ostensiblement soucieux de son sort. Les journalistes avaient décidé, sans que l'on sût pourquoi, qu'il fallait que l'enfant fût entourée de femmes, et, qui plus est, de femmes qu'elle connaissait : les présentatrices de la télévision locale s'efforçaient donc de la réconforter. Emily regarda les visages fardés, qui avaient bien un air familier mais irréel aussi, et ressemblaient à des fantômes, plus encore que son père. »

La suite est encore plus jouissive, mais je ne vais pas pas faire tout le boulot non plus.

Nostalgie à double arbre à came (en tête)

À Marie-Georges, qui m'attend à la porte du garage...


Longtemps, je me suis demandé pourquoi la chanson de Charles Trenet, Qu'est devenue la Madelon ? exerçait sur moi un charme aussi prenant, aussi peu résistible. J'ai fini par trouver, ce matin, entre Mantes et Meulan, alors que je me la chantonnais.

C'est qu'il s'y niche une double nostalgie, une mélancolie au carré. La chanson (voir plus bas le texte) exprime la première couche de ce sentiment, celle d'un homme vieillissant repensant à l'époque de sa prime enfance. Bien. Ce pourrait être banal ; de fait ce l'est et, que je sache, la chanson en question n'a pas fait un malheur lors de sa sortie.

Seulement, vient se greffer là-dessus une sorte de surgeon mélancolique, apporté par l'auditeur lui-même, et par l'auditeur d'aujourd'hui – à condition qu'il ait l'âge requis. Cette seconde couche est celle que la nostalgie que l'on peut éprouver, d'une époque presque aussi surannée que celle de la chanson, une époque où il y avait encore beaucoup d'hommes et de femmes capables d'exprimer leur propre nostalgie des années 1910. Capables de parler de la Madelon comme d'une femme n'ayant pas cesser de parcourir les routes de France. Anonyme, mais bien vivante...


Qu'est devenue la Madelon ?

Qu'est devenue, depuis,
La Madelon jolie
Des années seize ?
A-t-elle toujours les yeux
Étonnés d'être si bleus,
La taille à l'aise ?
A-t-elle toujours ce geste
De la main un peu leste
Pour dire : "Sois sage"
A ses amis d'un jour,
Amoureux des contours
De son corsage ?

Dans quel village est-elle,
Loin de sa clientèle,
Dans quelle contrée ?
Sous le ciel de quelle ville
Vit-elle encore agile
Ou retirée ?
Est-elle passée près d'moi,
Dans la rue quelque fois ?
Mon cœur en tremble.
A-t-elle, dans sa famille,
Qui sait, une jolie fille,
Qui lui ressemble ?

En voyant, hier soir, au ciné,
Une histoire de ce temps suranné,
Je m'disais qu'à notre âge atomique,
Il est triste qu'cette époque devienne comique
Et j'allais au hasard dans les rues
Retrouvant des images disparues
D'mon enfance, d'la jeunesse de mon père,
De ma mère et aussi de la guerre.

Qu'est devenue, depuis,
La Madelon jolie
Des années seize ?
A-t-elle toujours les yeux
Étonnés d'être si bleus,
La taille à l'aise ?
A-t-elle toujours ce geste
De la main un peu leste
Pour dire : "Sois sage"
A ses amis d'un jour,
Amoureux des contours
De son corsage ?

Ils sont restés fidèles
Comme au temps où près d'elle
Ils venaient boire
A la santé d'la France,
A l'oubli d'la souffrance,
A la victoire.
Vision de ces images
Qui furent celles d'un bel âge
Et qui s'effacent,
Le feu sur un toit de chaume
Et l'empereur Guillaume,
Comme le temps passe.

jeudi 17 septembre 2009

De l'envie de suicide en milieu coléoptère

Un papillon de nuit, arpentant précautionneusement ma tapette à mouche...

Un plat qui se mange d'une seule main, je vous prie...

J'ai craqué. Un peu sottement, sans doute. J'étais installé dans le canapé du hall, avec Percival Everett. Je suis entré dans une phase intéressante de son Effacement : celle où le narrateur note les progrès, les rémissions brusques, les plongées inattendues de l'alzheimer dont sa mère est atteinte.

D'un coup, je me suis retrouvé – et malgré les gens qui passaient devant moi, ne semblant conscientes de rien du tout – dans une sorte d'entonnoir aux parois parfaitement lisses, presque sans couleur à force de l'être (lisses). Il était environ deux heures dix, et il m'est apparu, de manière violente, que je ne serais pas capable d'aller acheter un jambon-gruyère et de remonter le mastiquer seul à mon bureau.

[À ce stade du récit, l'Irremplaçable a déjà deviné la suite, et les prunelles attentives de mes lecteurs peuvent la voir froncer les sourcils dans un coin du tableau...]

Donc, oui, il a fallu cela : se transporter dans un endroit qui rendrait plus rugueuses les parois circulaires de l'entonnoir, me permettant d'en émerger ; un lieu très circonscrit, commandé par des gens me connaissant, ou, au moins, m'accordant une certaine réalité dans la vie stupide de tous les jours – sinon incontestable du moins tangible – ; des gens dont l'agitation machinale et les sourires commerciaux rendraient cette maladie romanesque incapable de survenir dans la sphère des vivants. Et principalement dans la mienne.

L'Ambiance d'à côté, donc : il n'y avait guère d'autre solution, c'était en tout cas la plus simple – j'y fus. Déjà nanti d'un pichet de sauvignon approximatif, je devine la serveuse s'approchant. Je dis “la serveuse”, parce que mon cerveau se refuse à enregistrer son prénom, depuis plus d'un an qu'elle est là. Je sais bien que ce mini-alzheimer veut juste dire qu'elle n'éveille aucune résonance érotique en moi – de fait, les parois de l'entonnoir se font plus lisses encore qu'avant d'arriver ici : je suis mal parti. Elle me demande :

– Vous avez choisi ?
Il n'est pas question, une seconde de désempoigner le roman dans lequel je glisse en cercles concentriques ; donc je m'entends répondre :
– Je voudrais quelque chose qui se mange d'une seule main, j'aimerais continuer de lire...
Elle, pas surprise :
– Le parmentier de cabillaud aux patates douces ?
Va pour...

J'ai mangé ça, en effet. Ça se picorait (comme disent les femelles journalistes de Elle...) d'une seule main, il n'y avait pas d'arnaque. Pendant mon repas, l'alzheimer a encore empiré, et je n'ai pas goûté grand-chose de ce dont j'ai lesté mon estomac – il m'en reste, encore maintenant, un arrière-goût douceâtre (la patate, supposé-je), pas désagréable mais prégnant : un peu comme l'idée d'alzheimer appliquée à... Appliquée, quoi. J'étais tellement peu là, si arcbouté sur un futur proche que je ne souhaitais pas voir, que j'ai eu du mal à finir mon unique pichet. Néanmoins, j'ai pris sur moi : tous les fronts ne pouvaient s'écrouler en même temps.

– Voici un exemple :

« L'incontinence dont souffrait Mère s'était aggravée et bien qu'elle parût assez valide pour se déplacer, elle s'en abstenait. Quand j'entrai, une infirmière et un aide-soignant changeaient ses draps, ma mère toujours allongée. Elle était découverte de la taille aux pieds et tandis que l'aide dégageait les draps souillés l'infirmière la nettoyait. Je ressortis dans le couloir, avec l'image de ma mère tournant la tête vers moi, ses yeux vides fixés dans ma direction. Elle était si loin de celle qui m'avait dit un jour qu'écouter du Mahler lui faisait voir des couleurs juste avant de pleurer. “Dans la Quatrième symphonie, je vois l'automne, me dit-elle. Les gris cendrés laissent place aux rouges et à l'ocre, tandis que le ciel s'assombrit et que tombe la fraîcheur de la nuit.” Cette femme se faisait torcher par une autre qui n'avait pas la moindre idée de qui était Mahler. »

Percival Everett, Effacement, Babel, p. 315-316.


Ma mère non plus n'a la moindre idée de qui est Mahler. – Chercher l'espoir de ce côté-là.

mercredi 16 septembre 2009

Qu'avez-vous fait du socialisme (pauvres cons) ?

Qu'en penses-tu, Monksie ?

À Roman Bernard, qui connaît la question...


« “Tu préférerais perdre la vue ou l'ouïe ?” demanda Lisa un soir où nous dînions sur la table de jardin derrière la maison. Les moustiques commençaient juste à sortir et les crabes avaient disparu pour la plupart.
“L'ouïe, répondit Bill presque aussitôt. il y a trop à voir dans ce monde. Des tableaux, des paysages, des visages. Être sourd n'empêche pas de se déplacer, et on peut apprendre à lire sur les lèvres.
– Qu'en penses-tu, Monksie ?” demanda Mère. Elle trouvait bon d'encourager ce genre de conversations entre nous.
“Je ne sais pas. La musique et les criquets me manqueraient. Mais les tableaux aussi, et ce que Bill a dit. L'ouïe, je pense. Je préférerais perdre l'ouïe.
– Moi aussi, fit Mère.
– Et toi, Père ?” demanda Bill.
Tou en mâchant, Père nous avait écoutés de son air absent. Il regarda Lisa, puis moi, comme s'il nous étudiait. Il regarda Mère à l'autre bout de la table en hochant la tête, s'attardant sur Bill. Puis, nous considérant tous à la fois, il répondit “La vue”, avec un demi-sourire qui suffit à nous faire rire de sa réponse, plus taquine qu'insultante. »

Percival Everett, Effacement, Babel, p. 222-223.


Il y a, dans ce roman, une sorte de “trou d'air”, environ à mi-chemin, constitué par le pastiche de roman dans le roman. Lequel aurait été sans doute parfaitement imbriqué s'il avait fait trente pages, mais se transforme en une sorte de tumeur excessive du fait de ses quatre-vingts pages. Du coup, ensuite, l'auteur semble patiner, peiner un peu avant de reprendre le contrôle de son récit. Il y parvient, il me semble (le livre n'est pas achevé de lire), mais au prix d'un effort, d'un rictus dont on aurait pu faire l'économie.

Néanmoins, quel beau roman, et quel talent pour les “raccourcis”. J'aime celui-ci, dès les premières pages du livre, relatant un dialogue (en mode flash back) entre le narrateur et son père (c'est moi qui souligne) :

“Tu es si détendu. Continue comme ça, mon fils. C'est peut-être ce qui te servira le plus dans la vie.
– Oui, Père.
– Ce sera aussi bien pratique pour déranger tes semblables.” Puis il se laissa aller en arrière et poursuivit par une attaque cardiaque.


Comme raccourcis, également, le narrateur confronté à la maladie d'Alzeihmer que l'on vient de diagnostiquer chez sa mère (laquelle est debout dans une barque, au milieu du lac, et donne des coups de rame à son fils qu'elle ne reconnaît brusquement plus) :

« Quand je pus voir ses yeux, il n'y avait rien à voir. Ce n'était pas Mère, mais bien sûr c'était ma mère. »

C'est tout pour aujourd'hui. Mais j'ai corné d'autres pages...

mardi 15 septembre 2009

Not' vie à nous au ghetto

Lorsque France-Hélène est arrivée à Plieux, elle n'avait pas les mains vides : trois romans – pas moins – d'un écrivain dont, shame on me, je n'avais même jamais entendu prononcer le nom : Percival Everett. Le découvrant (son nom), je me suis aussitôt figuré un Anglais trentenaire et distingué, limite upper class. Raté : c'est un noir américain de mon âge (voir photo, comme on dit dans les journaux).

Ne comptez pas sur moi pour vous en dire quoi que ce soit d'intelligent, puisque, commencé cet après-midi, seule une petite centaine de pages a été lue du premier des trois : Effacement (Erasure). [Cette dernière phrase me semble à la relecture parfaitement inextricable dans sa construction et ses accords. Je la laisse parce qu'elle me fait penser à ces dessins d'escaliers qui montent et descendent sans jamais cesser de monter.] Lecture très prometteuse, néanmoins : construction en étoile (ou en patchwork), humour, décrochage des niveaux de récits, le tout sans rien de desséchant et avec un humour à la fois franc et tout en dentelle.

De plus, belle résonance avec Les Anges rebelles de Robertson Davies, terminé ce matin, puisque les deux romans se déroulent dans le milieu universitaire, ou plus exactement littéro-universitaire, si je puis dire. Un court extrait, pour vous donner une première idée de l'humour qui se pratique ici :


« Dans l'avion, je lus dans l'Atlantic Monthly, ou dans Harpers un compte rendu du best-seller choc de Juanita Mae Jenkins, Not' vie à nous au ghetto :

C'est un chef-d'œuvre de la littérature afro-américaine que Juanita Mae Jenkins a écrit là. On entend les voix de son peuple qui traverse l'expérience de ce qui est, et ne saurait être que l'Amérique noire.
L'histoire commence avec Sharonda F'rinda Johnson, qui mène la vie typique d'une Noire dans un ghetto anonyme en Amérique. À quinze ans, Sharonda est enceinte de son troisième enfant, d'un troisième père. Elle vit avec sa mère qui se drogue et son frère Juneboy, handicapé mental qui joue au basket. Quand Juneboy est tué lors d'une fusillade provoquée par un gang rival, et que la balle traverse son précieux ballon de basket dédicacé par Michael Jordan, Sharonda, devant les gémissements de douleur de sa mère, décide qu'elle doit faire entendre sa voix en tant que représentante de sa culture.
Sharonda se prostitue pour se payer des cours de danse au centre social. Au cours de claquettes, ses prouesses sont remarquées par le producteur d'un spectacle à Broadway, et c'est la révélation. Elle devient une star, achète une maison pour sa mère, mais ses propres limites la rattrapent et elle retombe sur terre.
Si les rebondissements sont fascinants, ce qui fait la force de cette œuvre, c'est sa poignante vérité. Le ghetto est dépeint dans toute sa magie exotique. Les prédateurs rôdent, les innocents sont dévorés. Mais le roman ne s'achève pas sur une note sombre : nous quittons Sharonda alors qu'elle tente de réunir l'argent nécessaire pour retrouver la garde de ses enfants. Sharonda apparaît finalement comme l'archétype du symbole de la force dans la société noire matriarcale.

“Ça ne va pas ?” me demanda ma voisine. »


Je vous laisse : j'y retourne...

À propos de l'affaire Hortefeux...

Penser à relire La Plaisanterie, de Milan Kundera. Pour vérifier de quel côté se trouve la tentation totalitaire.

L'avenir radieux à dix mille ans près

« Hardi ! Encore un coup, les gars ! Encore un ou deux petits massacres ! La route du progrès est longue et sinueuse. L'âge de pierre est loin derrière nous. Courage ! Si nous ne voyons pas la justice et la paix, nos petits-neveux les verront. Le jour viendra. “Le jour viendra ; mais ne nous pressons pas”, comme dit Polonius dans Liluli. Un autre Polonius, mais bien réel celui-là, n'a-t-il pas dit que la guerre serait quelque jour abolie, qu'il en était sûr, qu'il en répondait à dix mille ans près. Et qu'est-ce que dix mille ans ? J'entends très bien Autolycus, le coupeur de bourse de la comédie shakespearienne, se disant à lui-même pour se consoler : “Dix mille ans plus tard, j'aurais été honnête homme. À présent, je ne peux pas voir un de ces imbéciles mal gardés sans lui prendre ce qu'il a. Dix mille ans plus tard, une telle action me ferait horreur.” Il y a moquerie, ou duperie dans l'idée de progrès. »

Alain, Politique, PUF, p. 307.

lundi 14 septembre 2009

La pédophilie ne passera pas ! (Pas par moi, en tout cas...)

Quand un preneur de clichés à nette tendance pédophile œuvre pour la bonne cause, qu'il est confortablement installé dans le sens du vent de l'Histoire, on ne dit plus qu'il est un pédophile, mais un publicitaire. Souvenez-vous-en.

Le silence de la mère ou la tuyauterie primordiale

« – Oh ! cette obsession du silence qu'ont les gens sur-éduqués ! Elle est complètement artificielle. D'une manière générale, nous sommes tous conçus avec une certaine quantité de bruit. Pendant les neuf mois où notre mère nous porte dans son ventre, nous vivons dans un vrai vacarme: tam-tam du cœur, coassements et gargouillis des boyaux, sons qui doivent ressembler à ceux que font les poulies et les cordages d'un voilier, rire bruyant de notre mère – vous vous imaginez un peu ce que doit éprouver un bébé quand il est secoué comme un prunier dans sa bouteille aqueuse alors que le diaphragme monte et descend ? Pourquoi les enfants sont-ils bruyants ? Parce que, depuis leur conception, ils ont toujours vécu dans le bruit. Les gens critiquent leurs rejetons quand ceux-ci affirment mieux travailler avec la radio allumée ; en fait, ces gosses essaient simplement de retrouver le vacarme primitif dans lequel ils ont appris à se transformer d'une goutte informe en têtard, puis du têtard en être humain. Le silence correspond à un goût acquis, tout à fait sophistiqué. Il est anti-humain.

– Que voulez-vous manger ? »

Robertson Davies, Les Anges rebelles, Rivages poche, p. 89-90.

dimanche 13 septembre 2009

Quel est ce... gros troll qui s'avance, troll qui s'avance ?

C'est ce qui s'appelle de la promo fulgurante : en deux commentaires seulement – et même pas méchants en plus –, je viens d'être bombardé troll officiel de ce blog. Encore plus fort que François 1er au congrès d'Épinay, en 71 ! Et, déjà, l'honneur qui m'est fait à peine digéré, je me demande avec épouvante si je saurai être à la hauteur des espérances que j'ai suscitées. Miroir magique, suis-je toujours le plus réac ? Le plus raciste ? Le plus homophobe ? – Non, connard : Blanche-Neige te bat à plates coutures et te relègue au rang de troll de salon ! – QUOI ??? Cette salope ? Cette pute occidentale qui ne se tape que des verticalement défiés ? Enfin, bref : j'ai un tracsir d'enfer.

Trac qui se double d'une vague angoisse : je n'arrive pas à me souvenir si, en tant que troll officiel, j'ai ou non signé un contrat d'exclusivité avec Nicolas-le-Grand. Dans l'affirmative, ce gauchiste à la ressers-moi-une-mousse (je préfère ça au classique “à la mords-moi-le-nœud”, allez savoir pourquoi) serait encore capable de me traîner devant je ne sais quel tribunal administratif ou de commerce.

La vie de troll est une immense vallée de larmes qui tombe toujours du côté de la confiture...

Nos pères ne furent pas des couards

« Le Résistant qui fut l'emblème héroïque des années d'après-guerre quitte aujourd'hui la scène au profit d'autres acteurs. Je ne m'en afflige nullement puisque j'ai toujours refusé les honneurs. Le Résistant, c'est un combattant, il fait en situation d'exception la discrimination entre l'ami et l'ennemi et il assume tous les risques. Son image ne cadre pas avec l'amollissement que l'on veut cultiver. C'est peut-être pourquoi on lui préfère aujourd'hui les victimes. Mais assurément, leur exemplarité n'est pas du même ordre. Ce que je voulais vous suggérer, j'y reviens, c'est la simultanéité de ces deux phénomènes ; le ressassement du génocide hitlérien et l'obsession antiraciste. Ils se renvoient sans cesse la balle dans un délire d'analogie. C'est extravagant. La mémoire produit un effet de sidération qui confisque l'immigration et nous interdit d'en parler autrement que dans le langage de son intrigue. [...] C'est la rééducation du passé par les procureurs de l'absolu. Cette génération hurlante n'a connu que la paix ; ce sont des nantis de l'abondance qui tranchent sans rien savoir des demi-teintes de l'existence concrète dans les temps tragiques. L'ambivalence et les dilemmes sont le lot de ce genre d'époque. Nos pères ne furent pas des couards. »

Julien Freund in Pierre Bérard, Conversation avec Julien Freund.

Et puis encore ceci :

« La décolonisation a été une réaction xénophobe de peuples qui ont profité d'une conjoncture favorable pour chasser l'étranger, redevenir maîtres chez eux et préserver avec l'indépendance politique leur identité collective. Il est contradictoire d'être en même temps un ardent partisan de la décolonisation tous azimuts et un adversaire de toute xénophobie. »

Julien Freund, Les garde-fous et le mirador.

samedi 12 septembre 2009

Je suis fatigué...

C'est toute la différence entre un réactionnaire (qui se demande qui il est) et un progressiste (assuré de lui-même) : le premier a l'amour de ce qui tombe, le second l'espoir de ce qui n'existe pas encore. Comment voulez-vous accorder ces deux jeunes gens ?

(Je dis “jeunes gens”, parce que c'est à eux que le monde appartient (momentanément, très momentanément : un jour prochain, ils s'apercevront, les uns comme les autres, que la troupe des cadets pousse derrière, avec des “idées” qui leur sembleront absurdes, et le seront, de fait).)

De toute façon, les jeunes gens gagneront, ils gagnent toujours. – En vérité, ils perdent, mais ils n'en savent rien. Et les vieilles gens perdent encore plus, puisqu'ils meurent et laissent les clés à ces jeunes crétins qui ne savent rien, qui n'ont aucune idée de ce qu'a pu être le monde, s'imaginent que la terre s'est mise à tourner le jour de leur naissance.

Cela a toujours été plus ou moins vrai, je suppose. Mais plutôt moins. Il y a encore une trentaine d'années, les plus épais cancres de ma génération savaient bien qu'il y avait eu de l'histoire avant eux. Ils ne maîtrisaient rien, s'en foutaient, mais ne l'auraient jamais avoué : il existait dans ma jeunesse une certaine honte de l'ignorance (qui est un reste de civilisation) – dont je suis encore partie prenante aujourd'hui.

Désormais, les enseignants ayant remplacé les professeurs, chacun se targuant de son ignorance militante, la France et l'Europe se diluent dans la besace de ces fourriers du renoncement satisfait. Quitte à passer pour un fossile puant, il faut bien que je le dise : les enseignants d'aujourd'hui ont été formés par les “profs“ de ma génération, que j'ai moi-même cotoyés comme élèves au temps où je l'étais moi-même. Du coup, il n'y a pas lieu de s'étonner de l'ensauvagement général.

À propos d'ensauvagement, qu'on ne compte pas sur moi pour entonner l'hymne à l'Europe blanche et chrétienne : j'en ai marre. Si personne, ici même, ne tient plus que ça à survivre, je ne vais pas survivre tout seul. Ou alors, tiens, je passe le relais à mes jeunes amis trentenaires : qu'ils prennent les armes, moi j'ai passé l'âge.

Et puis, soyons franc : j'ai participé à cet abaissement. Dans ma jeunesse immonde, j'ai bien dû être une sorte de Céleste encouillée – quelque chose comme ça. Si je regrette ? Bien sûr que je regrette, eh, con ! Et je fais quoi, pour effacer le connard que j'ai été ? D'après toi ?

Rien, naturellement. D'autant moins que je ne regrette pas TOUT de ce que j'ai été, n'est-ce pas ? Par exemple, ces manifestations devant l'ambassade US, après le 11 septembre (1973), je n'en rougis pas. Pas davantage celles devant l'ambassade d'URSS, au moment de Solidarnosc (pas beaucoup de gens de gauche, là, vous pouvez me croire : trop catholiques pour être soutenables, les gens de Solidarnosc...).

En gros, j'ai ouvert ma gueule. Faute de mieux, probablement : si, le même soir, j'avais eu l'occasion de tremper le biscuit, tu parles comme je me serais foutu de la Pologne, du Chili, de ta sœur et de ma mère réunis ! Mais enfin, l'occasion ne s'est pas présentée, si je me souviens bien, donc j'étais aux manifs. Et j'y croyais – il me semble.

Il n'empêche : il y avait quelque chose de viril, dans ces histoires. Dans nos manifs-à-nous, on n'organisait pas de lâchers de ballons multicolores, mes drôles, on n'était pas festif pour deux ronds, on n'arpentait pas le bitume avec le kéké sur les épaules : la politique était encore une affaire d'hommes. S'il y avait des femmes ? Ben je veux ! Mais elles aussi étaient viriles, à ce moment précis de leur existence (je sais bien que vous ne pouvez plus comprendre) ; bien qu'elles fussent plus féministes que vous ne le serez jamais, dans vos bisounourseries aseptisées, elles auraient détesté être ce que vous êtes devenues, mes pauvres sœurs. Du reste, je pense qu'elles vous méprisent profondément – mais le moyen de le dire ?

Puisqu'on en parle : je serai féministe jusqu'à ma mort, et d'autant plus que la vague reflue actuellement, sous les coups de boutoir de... de qui vous savez, quoi. Mais féministe à la mode des années soixante-dix, malgré tout le ridicule que vous pourrez trouver à ces filles-là, et que je peux leur trouver moi-même éventuellement.

Nous étions tous un peu ridicules, disons-le. Vous n'y parvenez même plus. Vous êtes devenus d'un raisonnable effrayant, mes bons successeurs. Vous ne songez plus qu'à une chose : en appeler à la justice (et à ses bois, si vous l'osiez). Vous avez tellement peur... tellement peur de qui ne pense pas comme vous que les juges sont votre seule échappatoire.

Le grand large vous effraie tellement, que vous avez planté ces quatre ou cinq poteaux, afin de vous faire ce qu'on appelait dans ma jeunesse un “parc” : cet enclos de bois articulé où l'on faisait évoluer les très jeunes enfants afin qu'ils y apprennent à marcher. Vous refusez de sortir de votre parc, dont les quatre clôtures vous sécurisent : TOLÉRANCE – RACISME – DIVERSITÉ – FASCISME. Ouf ! nous voilà à l'abri !

Vous ne savez même pas ce que signifient ces mots.

TOLÉRANCE : Le fait de ne pas interdire, détruire, ce que l'on pourrait détruire. Donc, on pourrait : il faudrait arrêter de nous concasser les burettes.

RACISME : théorie consistant à considérer une race supérieure aux autres, conduisant à une domination de celle-là sur celle-ci. Rien de plus, rien de moins.

DIVERSITÉ : aucune définition valable à ce jour, au sens moderne du terme. Mot-valise, valise vide. Tentative de définition post-moderne : semble désigner les gens les moins divers des sociétés européennes actuelles, tous unis dans le rejet haineux de cette même société.

FASCISME : Fourre-tout servant, après la disparition totale et complète du véritable fascisme historique, à désigner toute personne ayant une petite remarque à formuler à propos de la gauche hégémonique.

Entre les quatre petites barrières de son parc, bébé s'ébat, montre ses dents de lait, bande dans sa couche. Et ensuite ?

Ensuite, il y a ce que Saramago, dans l'un de ses plus magnifiques romans, a appelé L'Aveuglement. Dans ce livre, les gens deviennent brusquement aveugles. Sans raison. Mais tout ne devient pas noir, au contraire : les aveugles ne voient plus que du blanc. Ils baignent dans du lait. Mes jeunes contemporains baignent dans ce lait – impression que j'ai. Ils ne voient rien, mais tout est lumineux. Tout est enfance. tout est maternel, c'est-à-dire profondément mortifère.

Lorsque, dans une société donnée, les femmes relèvent la tête et donnent de la voix, c'est que le monde dont il est question est en train de s'enterrer lui-même. Une société ne vit que par ses hommes – c'est peut-être dommage (?) mais il n'y a pas de contre-exemple. (Épargnez-moi ces micro-tribus soi-disant matriarcales dont personne n'a rien à foutre, je vous prie !) Les femmes ont leur importance, cela va de soi, mais elles ne sont pas là pour faire marcher la société : leur rôle est sans doute plus essentiel.

Or, que se passe-t-il chez nous ? Oui : les femmes donnent de la voix. Mais, malheureusement pour elles, à contre-sens. Je n'aimerais pas être à leur place, en fait. Franchement. Rendez-vous compte : elles étaient pratiquement au bout du chemin ; on avait abdiqué ; on était d'accord avec elles – sincèrement d'accord (moi, en tout cas, je l'étais). Et puis...

Et puis, hop ! changement de société. Jours séparés dans les piscines pour les hommes et les femmes (très bientôt dans les écoles, je suppose : on ne pourra pas compter sur les “enseignants” pour s'y opposer), interdiction de critiquer le bâchage au nom du droit des femmes à s'habiller comme elles le veulent ; bientôt on expliquera doctement aux parents qu'ils doivent apprendre à leurs filles à se couvrir, sinon c'est provoquer les petits singes à capuche, maîtres des rues ; vos filles apprendront – elles apprennent déjà.

Dans leurs salons en bois durable, les mères – pas trop ridées, poitrines refaites de fond en comble – pérorent : elles se sont battues pour l'égalité, elles ont vaincu les pires orages, il leur reste deux ou trois poches de résistance à réduire : elles ne gagnent que 4000 € quand leur voisin de bureau s'en fait 5000. Elles vaincront.

Pendant ce temps, leur fille passe, au fond du salon, vers sa chambre. Sachant bien ce qu'elle devra, elle, affronter demain matin, au lycée. Et, probablement, durant le reste de sa vie.

Mais maman est contente, c'est déjà bien.

Moi je voulais pas, c'est l'Irremplaçable qui m'a forcé !

Vers le milieu de la matinée, alors que je pitonnais comme un furieux sur ce clavier, et qu'elle repassait mes petits Lacoste à côté de moi, l'Irremplaçable me dit :

– Tiens, si Ludovic retourne bien à Paris cet après-midi, on pourrait peut-être se prendre un petit apéro, ce soir ? Ça fait longtemps, là...

Longtemps, chez nous, c'est sept jours, hein ! (Oui, bon, ben, sept jours à l'eau, je voudrais vous y voir !) Bref, je sursois au pitonnage, et ma réponse fuse :

– À coup de pompes dans le cul, que je vais le virer avant six heures, moi, le Ludo !

Et je me replonge dans mes turpitudes en bâtiment avec une ardeur renouvelée, la plus efficace, celle du bourrin qui pressent l'abreuvoir tout proche. Mais, sur les coups de deux heures, au sortir du déjeuner, patatras ! voilà Ludovic qui se mêle de faire une déclaration officielle :

– Finalement, je pense que je ne partirai que demain matin : ça ne vous dérange pas ?

Bêêê non, tu penses ! Voilà donc un apéritif qui prend son envol, fait deux fois le tour de la maison pour prendre les courants, et disparaît à tire d'ailes. Il m'a bien fallu jusqu'à cinq heures et demie pour faire tout bien comme il faut mon travail de deuil (en plus du Brigade mondaine). Et, à six heures moins vingt, irruption de l'Irremplaçable :

– Hem... Je me disais que, finalement, on pourrait peut-être se prendre un petit apéro quand même, qu'est-ce que tu en penses ?

À ton avis, grosse hypocrite, j'en pense quoi ?

Bon, je vous laisse : j'entends les glaçons...


(Question annexe : qui est sur la photo servant d'illustration ?)

Le Privilégié et la Seine-Saint-Déni

Notre camarade enseignant aurait-il forcé sur l'herbe-qui-fait-rire ? Toujours est-il qu'il se lance ce matin dans un ébouriffant exercice de sociologie immobilière...

vendredi 11 septembre 2009

Didier Goux offre un nouveau concept : le psittracisme

Le sourcil en croc de boucher, l'œil déjà guillotineur, la lippe flétrisseuse et le tarin raide de vertu : il est très parlant, ce portrait du sieur Fouquier-Tinville, vous ne trouvez pas ? On le croirait tout à fait de notre époque. D'ailleurs, il l'est.

On rit comme rarement, dans la blogosphère de gauche, depuis hier soir. Les milices antifascistes se sont reformées dare-dare et, en rang par quatre, le bonnet (pardon !) phrygien entre les ratiches, ils sont prêts à monter à l'assaut du nid d'aigle de la place Beauvau (c'est la bonne orthographe, m'sieur Bonnet : vous pourrez corriger chez vous en recopiant ici), où se terre la bête immonde – c'est reparti comme en avril 2002 : on est tous des petits Jean Moulin, on va vous refaire Valmy, z'allez voir !

Depuis ce matin, en plus, l'effet boule de neige joue à plein son rôle. Ils veulent tous en être, les chéris ! Qui n'a pas mis sa petite vidéo en ligne ? Allez, allez, prenez la file : il y aura de la conscription pour tous les braves sans-culottes ! Et, quand vous aurez signé l'engagement, n'oubliez pas de retirer à la coop associative votre kit “spécial psittracisme”, avec plein de bons slogans à l'intérieur, un guide du vivrensemble, des adresses d'alter-restaurants et d'épiceries citoyennes, un abonnement à Rue89, un “jeu de l'oie de la tolérance” et trois préservatifs bio (mais non recyclables). Regardez-les se bousculer pour être sur la photo, au premier rang ! C'est à celui qui aura la tête au plus près du Bonnet.

Entendons-nous, hein : je ne songe nullement à défendre le ministre de l'Intérieur. Je trouve même que ce qui lui arrive est un peu bien fait pour sa gueule, si vous vous voulez tout savoir. Il croyait acheter la neutralité des antiracistes encartés et judiciolâtres, en leur faisant rouler la tête d'un préfet jusqu'aux pieds des miradors : mauvais calcul. Ah, mais c'est qu'une fois que ç'a goûté au sang impur, ça ne demande qu'à continuer d'abreuver les sillons, ces gens-là, Monsieur le ministre, vous auriez dû le savoir ! Ils ont des âmes de Croisés, ces petits vertueux de la onzième heure. Et si Saint-Jean-d'Acre est trop loin – et un peu dangereux... –, eh bien, on se contentera du krak Beauvau, on ira vigiler faubourg Saint-Honoré.

Donc, exit le ministre, coupable d'avoir participé à un échange de plaisanteries traditionnelles entre militants d'un même parti, au sortir d'un meeting probablement aussi stupide qu'inutile (Im-par-don-na-ble ! s'égosille mamie Vigilante). De toute façon, ils s'en foutent bien de ce qu'a pu dire ou ne pas dire le ministre. L'important, c'est le chahut dans le bac à sable, les coups de cymbales dans les blogounets, pouvoir tous ensemble beugler Ra-ciste ! ra-ciste ! dans le petit bassin. Montrer qu'on existe, nom d'un dieu laïque et durable !

Se montrer qu'on existe, quoi, merde...