mardi 31 août 2010

Puisque septembre est là, souvenons-nous de juillet


Le journal de ce mois défunt est sur le présentoir habituel.


lundi 30 août 2010

Quand Monte-Cristo faisait halte à la Comète


Je sens bien qu'on ne me croit guère, que le lecteur dubitative. Et pourtant, alors que le comte de Monte-Cristo vient de quitter définitivement Paris en compagnie de Maximilien Morrel, voici ce qu'écrit Dumas, à la page 1149 de la collection Bouquins :

Une demi-heure s'écoula ; la calèche s'arrêta tout à coup ; le comte venait de tirer le cordonnet de soie qui correspondait au doigt d'Ali.
Le Nubien descendit et ouvrit la portière.
La nuit étincelait d'étoiles. On était au haut de la montée de Villejuif, sur le plateau d'où Paris, comme une sombre mer..., etc.

Or, juste derrière le nom de Villejuif, un appel de note ; et, en bas de page, par la grâce et la science de M. Claude Schopp (quel nom prédestiné pour ce qui nous occupe !), on lit ce qui suit :

Villejuif, à 8 km de Notre-Dame, sur le plateau de Longboyau entre Seine et Bièvre. La montée est constituée par l'actuelle avenue de Paris, qui succède à l'avenue de Fontainebleau sur le territoire du Kremlin-Bicêtre.

On ne me fera pas croire qu'un homme tel que le comte de Monte-Cristo, très au fait des mœurs parisiennes, omniscient à en être démoniaque, ait pu emprunter l'avenue de Fontainebleau au Kremlin-Bicêtre sans faire une halte houblonneuse au relais de poste de la Comète...

Y'en a un peu plus : je vous le mets quand même ?


Qui a dit : « Il n'y a pas d'islam modéré ou fanatique, mais un seul islam » ?

Réponse : Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre de la Turquie.

Qui a dit : « Les minarets sont les baïonnettes de l'islam » ?

Réponse : le même.


On ne pourra pas dire qu'on a été pris en traître.

Pris, en revanche, on pourra sûrement dire qu'on l'a été.

samedi 28 août 2010

Mes deux plus belles rencontres ratées

Je me demande si je n'ai pas déjà raconté l'une ou l'autre de ces anecdotes ; si c'est le cas, Maître Chieuvrou, qui est à la mémoire vive ce que Stradivarius est à la piscine gonflable, nous le dira sans doute.

La première de ces deux rencontres ratées s'est produite en 1980 – de cela je suis sûr car elle a eu lieu durant la seule période de chômage qu'a traversée ma laborieuse existence. À cette époque oisive, j'avais pour coutume de me lever vers midi, puis, douche prise, d'aller du treizième arrondissement jusqu'au premier ; plus précisément jusqu'à la rue Hérold où mon ami vietnamien Bernard tenait table ouverte mais payante à l'enseigne du Big Buddah. J'y arrivais vers deux heures, attendais patiemment la fin du service en sirotant au comptoir quelques boissons anisées, puis déjeunais généralement en tête à tête avec le taulier.

Un jour, débarquant, je le trouve en grande conversation avec deux jeunes hommes, tous trois s'exprimant dans la langue de Margaret Thatcher. Bernard m'annonce que nous allons déjeuner avec Marc et son ami, dont j'ai oublié le prénom. Bien que la chose ne me sourie guère, ne comprenant à peu près rien à l'anglais, j'accepte – au moins pour ne pas déjeuner seul comme un con. De fait, je ne participerai que fort peu à la conversation, les deux Outre-Manchots ne cassant pas une broquille de franzose. Comme j'avais deux ou trois bricoles à faire ce jour-là, j'ai argué d'icelles pour m'esquiver au moment du café.

C'est en revenant pour l'apéritif du soir au Big Buddah que j'ai appris, par Bernard, que j'avais déjeuné avec Marc Knopfler, le chanteur et leader de Dire Straits, groupe dont le nom me disait bien quelque chose, en effet, mais dont j'aurais été incapable de citer un titre ou d'identifier la moindre mélodie. Ils s'étaient connus quelques années plus tôt, en Angleterre, à l'époque où le groupe n'existait pas encore ; et, depuis, lorsqu'il venait à Paris, Knopfler passait dire un petit bonjour et casser une graine au Big Buddah.

**********

Ma deuxième rencontre ratée a eu lieu quelques années plus tard, entre 1986 et 1989. Nous étions quatre ou cinq amis (dont le même Bernard) qui sortions vers six heures du matin d'une boîte de nuit de la rue Montmartre : inutile, je pense, de préciser dans quel état. La boîte en question s'appelait le Néo-japonesque et présentait la particularité de faire bar-discothèque au sous-sol et restaurant japonais au rez-de-chaussée. La partie restaurant avait été placée sous la responsabilité d'un Hongrois cultivé, volubile et acerbe, qui faisait profession d'un très solide mépris à l'endroit de la nourriture qu'il servait.

Bref, émergeant de ce coupe-gorge au grand soleil (la scène se déroule en été), et saisis par cette faim soudaine et impérieuse qui afflige souvent les ivrognes en bout de piste, nous décidons d'aller grignoter un petit quelque chose chez Vattier, l'un de ces restaurants de bordure de Halles ouverts en continu, qui n'existe plus aujourd'hui. En chemin nous croisons un autre groupe de quatre ou cinq attardés de la nuit, dont l'un, client du Big Buddah, connaissait donc Bernard. Nous opérons notre jonction et c'est un gang d'une dizaine de zombis avinés qui s'écroule à la terrasse de Vattier. La plupart opte pour des fruits de mer, je me rabats quant à moi sur un très-chrétien petit salé aux lentilles. Il faudrait un chapitre entier pour décrire la stupeur incrédule des travailleurs qui, débouchant du métro Les Halles, pas réveillés, l'âme nauséeuse, laissent tomber leurs yeux sur mon petit salé et sur les bouteilles de vins blanc et rouge destinées à faire glisser le tout.

À la réflexion, il est possible que leurs regards aient eu davantage pour objet la fille blonde qui, par hasard, s'était retrouvée assise à ma droite, et à qui je crois bien n'avoir pas adressé la parole de tout cet étrange repas, ni même sans doute le moindre coup d'œil. Ce n'est que quelques jours plus tard que Bernard m'a informé – en se foutant copieusement de ma gueule pour ne l'avoir pas reconnue – qu'il s'agissait de Pauline Lafont. On a toujours tort de boire autant qu'on le fait.

vendredi 27 août 2010

Naples, Oléron, Aigues-Mortes, absinthe, Hélène

Je vous le dis tout net : cette affaire de refonte des programmes d'histoire, par laquelle Louis XIV et Napoléon sont priés de s'effacer au profit du Monomotapa et de je ne sais quel autre bambouliforme royaume, cette affaire me ravit en extase. D'abord – cruel défaut de culture de ma part – j'ai longtemps cru que le Monomotapa n'existait pas, qu'il avait été inventé par La Fontaine pour les besoins de la rime. Mais non, en fait le royaume a bel et bien existé, pas bien longtemps, en des époques lointaines et dans des contrées dont nul n'a grand-chose à foutre, si chacun veut bien être honnête avec soi-même, mais enfin il a.

En clair, dans un pays normal, dirigé par des gens sensés, habité par un peuple assuré de lui-même, le Monomotapa serait resté ce qu'il a toujours été : la rime d'un alexandrin fabuleux.

Seulement, la démence idéologique qui s'est emparée de cette étrange contrée que l'on continue de nommer la France par une sorte d'habitude relevant plus ou moins du gâtisme, cette démence a besoin d'une nourriture sans cesse renouvelée, et toujours plus riche en idéologie – plutôt que de nourriture on devrait mieux parler de drogue. Si bien que ce qui aurait fait éclater de rire tout le monde il y a encore six ou sept ans, et à gauche comme à droite, est aujourd'hui accueilli avec une componction et un sérieux que l'on n'oserait pas qualifier de papal, par peur de tomber dans la propagande anti-catholique, au nom de l'ouverture à l'Autre et aux cultures du monde.

Il va de soi qu'en l'occurrence on se fout des cultures du monde, puisque d'une manière générale on se fout déjà de la nôtre, comme le prouve l'éviction des deux personnages cités plus haut. D'ailleurs, pourquoi le Monomotapa ? Et pas la culture maya ? Ou balinaise ? Ou eskimaude ? Bref, pourquoi une culture africaine de préférence à toute autre, y compris à de plus brillantes ? Je pense qu'il est superflu de donner la réponse.

Mais bien sûr, au fond, tout cela n'a rigoureusement aucune importance. La grande majorité des collégiens ignore tout de Louis XIV et de Napoléon lorsqu'ils accèdent au lycée – ou ils continueront d'ailleurs de n'en rien savoir. Eh bien, à partir de maintenant, à la place, ils ignoreront tout du Monomotapa.

jeudi 26 août 2010

Hors d'ici, les preux chevaliers !

Dieu du ciel, l'horrible cauchemar ! Je me trouvais devoir rendre un service très compliqué (de plus en plus compliqué à mesure que le rêve déroulait son scénario) à un type qui s'était pris d'une sorte de passion pour moi – amicale au début mais de plus en plus équivoque – et qui se trouvait être atrocement défiguré ; non mais, vraiment, le genre pas regardable, avec la moitié gauche du visage arraché, la mâchoire à nu, plus de nez : l'Homme qui rit, à côté, c'est Brad Pitt. Or, voilà que je m'éveille dans mon lit (on est toujours au sein du rêve : je vis seul dans une maison dont toutes les issues sont fermées à clé, c'est la nuit) et sens la présence d'un corps contre mon dos. Je sais instantanément qu'il s'agit de mon Quasimodo et me mets à hurler – c'est Catherine qui m'a réveillé pour de bon, ce dont je lui sais gré.

Je sais très bien pourquoi j'ai fait ce cauchemar, moi qui n'en fais quasiment jamais : je n'aurais pas dû parler de lépreux avec la Mère Castor, lorsque nous nous trouvions dans la salle des échos, à La Chaise-Dieu. J'ai toujours éprouvé une trouille irraisonnée et malsaine des lépreux. Rien que le mot résonne assez lugubrement en moi. Il y a bien sûr le fait que j'en ai vu de vrais, en Éthiopie, dont certains qui étaient encore moins contemplables que mon visiteur nocturne d'avant-hier. Mais j'avais déjà 17 ans à l'époque, et ce n'est pas la cause première de ma répulsion.

Je devais avoir une petite dizaine d'années lorsque je suis allé (accompagné d'un oncle, plus âgé que moi de trois ans) voir Ben-Hur au cinéma Excelsior de Sedan. La scène où Charlton Heston va rechercher sa mère et sa sœur dans la grotte aux lépreux m'a considérablement ébranlé ; au point que, durant plusieurs mois ensuite, ma mère n'a jamais compris pourquoi je la suppliais de laisser la porte de ma chambre ouverte, afin de profiter de la lumière du salon. Bien sûr, ces terreurs vespérales ont diminué puis disparu. Il n'empêche que ce mot de lépreux a conservé toute sa charge, ainsi d'ailleurs que celui de Ben-Hur, un peu moins fortement tout de même.

Au tout début des années quatre-vingts, Ben-Hur est ressorti à Paris. Philippe Bernalin, qui ne l'avait jamais vu, m'a proposé de l'y accompagner – “dans un but thérapeutique”, a-t-il précisé après que je lui eus raconté l'anecdote. Et j'y suis allé. On se souvient que la fameuse scène intervient presque à la fin du film, juste avant celle de la montée au Golgotha. Si bien que j'ai passé plus de deux heures à ne rien voir du film, accroché à mes accoudoirs, une boule compacte au creux du ventre. Enfin, ce grand imbécile de Charlton a pénétré dans cette saloperie de caverne. Et j'ai pu constater que, de nos jours, ces malheureux lépreux de cinéma ne suffiraient même pas à faire interdire le film aux moins de quatre ans et demi – ma peur s'est dissipée d'un coup et, une demi-heure plus tard, j'ai repris deux fois des lasagnes.

Le plus étonnant est peut-être que plus un film est gore plus il m'amuse et me ravit, mais que ce mot, ce mot-là, celui que je n'ai que trop écrit depuis le début de ce billet, eh bien j'ai l'impression qu'il restera actif jusqu'à la fin de mes jours, comme certains vocables lovecraftiens ont une puissance de terreur qui dépasse de très loin leurs simples syllabes. C'est au point que je ne parviens même pas à trouver une chute rigolote.

mercredi 25 août 2010

L'Irène des pommes

Ne peut plus se passer de moi, Madame Irène : voilà le deuxième billet qu'elle me consacre en une semaine (peut-être un peu plus, je n'ai pas mes bottes d'égoutier pour aller contrôler la chose sur place). Deux vrais billets, rien que pour moi, et bien longs, pour dire à quel point je suis un gros méchant réac et qui traite les dames patronnesses modernœuses. Bientôt, on ne parlera plus que de moi, dans son Asile. Ce n'est plus de l'amour mais de la fureur utérine, à ce stade.

En plus, elle est restée très gamine, mon Irène – peut-être ses romans pour ados qui déteignent, allez savoir : pour ne pas que Goux Gueule m'envoie des visiteurs grâce à elle, elle a bricolé un petit lien pour venir jusqu'ici, mais un petit lien masqué, furtif, un truc passe-muraille que cette grosse bêtasse de Gougle ne peut pas repérer, si j'ai bien compris – on n'est pas plus espiègle. Donc, pour rester au niveau bac-à-sable auquel Dame Irène s'est placée, eh bien moi non plus je ne mets pas de lien vers son nouveau poulet, là. En plus, dès qu'elle tournera la tête pour regarder passer la diversité et le vivre-ensemble dans leurs corps glorieux et au son argentin des vuvuzelas, je lui piquerai sa pelle et son seau. Histoire de lui apprendre c'est qui l'homme.

Pour le pâté, en revanche, je serai bien contraint de le lui laisser : elle a le nez dedans.

mardi 24 août 2010

Didier Goux, au coin !

Didier Goux est très content. Il l'est même au carré : une sorte de double peine inversée, si vous voulez. Il est très content d'être rentré chez lui, et ravi de ces presque trois jours passés en Auvergne, dans la résidence estivale des Castor, Mère et Fidel. Ne comptez pas, au moins ce soir, sur un récit circonstancié car le patron est un peu fatigué et ne sait même pas s'il va pouvoir attendre la chute complète de la nuit qui s'avance pour aller se coucher.

Sinon, et pour faire bref, on devrait tous avoir un couple de Castor dans ses relations : ça fait beaucoup de bien à l'âme d'une manière générale, ça vous remuscle les fesses et les mollets lorsqu'ils vous emmènent crapahuter au col des Supeyres ; et ça vous nique plus ou moins la tête et l'estomac quand sortent les bouteilles – surtout si Nicolas est présent.

On a même, si la chance est de notre côté, l'occasion de rencontrer le seul (à ma connaissance) producteur de fourme d'Ambert capable de vous sortir des citations en grec ancien et de causer avec vous de Boulez et de Stockhausen ; mais aussi de Michaël Jackson – nul n'est parfait, même dans le fromage régional.

Ce sera tout pour ce soir, je dois encore aller me confectionner un sandwich au saucisson sec d'Auvergne, acheté à quelques dizaines de mètres de l'endroit où L'Irremplaçable a pris la photo qui me sert d'illustration : il vous reste à trouver où elle a été prise, justement, et ce que fait Didier Goux au coin – les commentaires sont rouverts.

samedi 21 août 2010

De l'Atlantique à l'Oural, en passant par le Puy-de-Dôme

À l'heure où vous lisez ces lignes, nous sommes peut-être déjà sur la route qui conduit de la Normandie surpeuplée vers les hautes solitudes auvergnates, contrée où nous demeurerons jusqu'à mardi, si la puissance invitante ne nous vire pas avant. J'ai programmé Roselyne pour Arlanc, Puy-de-Dôme, et ¡ vaya con Dios ! Normalement, le temps que vous veniez à bout de ce billet d'un vide abyssal, nous devrions apercevoir la flèche de Notre-Dame de Chartres. Pour ceux que ça intéresse, nous avons laissé Swann au chenil et nous sommes partis avec les deux autres : ils sont dans le coffre – enfin, j'espère...

Pour que vous ne soyez pas totalement passé ici pour rien, je me propose de vous donner un nouvel extrait de Zinoviev. Et je ferme les commentaires afin de n'être pas inondé à mon retour : je vous connais.

LA DÉBROUILLARDISE RUSSE

« J'ai mentionné la débrouillardise russe. C'est la forme par excellence de notre génie national. Leskov, un écrivain du siècle dernier, a écrit une nouvelle intitulée Le Gaucher, dont le thème est justement ce trait : les Anglais fabriquent une puce artificielle microscopique capable de sauter ; un artisan russe très habile, simple moujik, réussit à lui ferrer une patte et l'empêche ainsi de bondir.
« Récemment, une entreprise étrangère a fourni à l'Union soviétique une chaîne de montage équipée d'un robot chargé d'éliminer toutes les pièces défectueuses. Lorsqu'on mit la chaîne en route, le robot ne laissa passer aucune pièce : toutes présentaient des défauts. La direction de l'usine fut prise de panique : impossible de licencier le robot ; pas question de le soûler, de le soudoyer, ou de le blâmer en réunion du parti. C'était un travailleur sobre et consciencieux, comme il en faudrait tant pour rendre l'économie performante selon les vues gorbatchéviennes. Or, c'était précisément cet employé exemplaire qui mettait le système en danger. La situation était sans issue. Heureusement un ouvrier débrouillard trouva la solution : il attacha le bras du robot pour que celui-ci ne jette plus les pièces au rebut et se borne à en esquisser le geste. C'est ainsi que le génie russe eut raison des meilleures technologies occidentales grâce à un bout de ficelle. »

jeudi 19 août 2010

Le peuple ? Trop con : changez-le !

Ça devient amusant, vraiment. On entend cot-coter dans le poulailler, comme à l'approche du renard, et c'est bien réjouissant, allez. Les Céleste, les Delse, les Clomani et consort (et consœurs...), toutes les volailles du siècle dernier piaillent à qui mieux mieux, comme quoi le fascisme serait de retour, les heures sombres, et Sarkozy le four crématoire entre les dents, tout ça. Regardez-les courir dans tous les sens, tête coupée comme des canards promis au foie gras : ça ne vous donne pas envie de rire ? Moi oui. D'ailleurs on ne m'entend pas mais je ris.

Elles croient parler au nom du peuple, nos dindes de Noël. Mais en fait non. Le peuple, elles n'ont même pas idée de la gueule que ça peut avoir. Du reste, il faut bien avouer que, le plus souvent, il a une assez sale gueule, le peuple : je le sais, j'ai la même. Il pue un peu la droite “au lait cru”, le peuple. Et surtout, péché majeur, il n'en a plus rien à foutre de la gauche, laquelle ne fait plus les yeux doux qu'aux fonctionnaires et aux tarés dégenrés à plume dans le fion.

Du coup, le peuple, quand par hasard on lui demande son avis, ce qui est de plus en plus rare, il met un point d'honneur à confirmer qu'il ressemble effectivement à ce que la gauche new look pense de lui : il donne à sentir qu'il pue de sous les bras, que ses dents sont cariées mais que cela ne l'empêche pas de rire à gueule grand ouverte. Il ne va pas sur les marchés bio, le peuple, il n'en a rien à foutre de l'égalité, puisque justement il aimerait bien que ses mômes réussissent mieux que ceux de son voisin – histoire de l'écraser un peu, gentiment.

En plus, il est con, le peuple. Il pense que, comme ses grands et arrière-grands et même au-delà-parents vivaient déjà ici, ce pays serait plus ou moins à lui, quoi. Il n'a rien contre les grandes bouffes avec les voisins, le peuple, sauf si les invités sont quatre fois plus nombreux que sa famille, et qu'en plus il n'a pas vraiment invité tout le monde, qu'il y a des bouches inconnues, et qu'encore en plus, on lui balance le ragout à la tronche sous prétexte qu'il y a là-dedans de la viande qu'a l'air interdite par un prophète exotique. De plus, que ses invités-pas-invités boivent de l'eau ou du thé à la menthe, il s'en fout un peu, le peuple ; mais qu'on le traite de tous les noms parce qu'il se tape un coup de jaja, ben là, forcément, il commence à soupirer un peu – le peuple.

D'autant que, pendant ce temps, les messieurs-dames de la télé, de la radio et des journaux lui expliquent qu'il est très con, très laid, très puant. Et que, chaque matin que Dieu fait, il devrait plutôt remercier le Ciel de tous ces frères angéliques et dégoulinants de paix qu'on lui envoie et qui lui prouvent qu'il est en effet très con, très laid et très puant.

Et c'est bien là qu'on voit que le peuple est effectivement très con, très laid et très puant : il renâcle à l'admettre, alors que ça saute aux yeux de tout le monde. Il ne va même pas en vacances en Inde, le peuple, il semble ne pas du tout s'intéresser à ces enfants et ces femmes dont les grands yeux sont toujours souriants et innocents. Il ne va pas non plus faire de l'ethnologie chez le sous-commandant Marcos et – pis encore – il ne lui viendrait même pas à l'idée de déclarer que mi casa es tu casa au premier clampin touristique débarqué de l'autre bout du monde pour se faire des chaleurs à peu de frais.

Trop con, ce peuple. Finalement, on fait bien de nous en faire venir d'autres.

Je vous ressers une petite coupe de Zinoviev ?

Au fond, il n'y a pas de raison pour que je sois seul à profiter de mes lectures, n'est-ce pas ? Donc, voilà :

« La société soviétique produit en permanence une altération délibérée de la réalité qui transforme des mensonges flagrants en vérités incontestables. L'un des élèves de notre détachement possédait tous les défauts possibles d'un soldat : il était mouchard, froussard et flagorneur. (...) Selon le programme, nous devions effectuer plusieurs sauts en parachute. À peine avait-il mis les pieds dans l'avion qui devait, pour la première fois, nous larguer, qu'il vomit de peur et fit dans son pantalon. Quand vint son tour de sauter et qu'on le poussa hors de l'avion, il eut un infarctus. Ce fut un cadavre qu'on ramassa. Le bruit qu'un aviateur était mort se répandit en ville et notre direction décida de faire de ses funérailles l'occasion d'un travail éducatif. Le journal publia un portrait de lui accompagné d'un article qui le dépeignait comme un ardent patriote et un des meilleurs élèves pour la formation militaire et l'éducation politique. On ajoutait qu'il était mort en héros au cours d'une mission. Lors des obsèques, les camarades de section de l'ardent patriote qui avait héroïquement fait dans son froc ouvraient le cortège. Nous portions un calicot avec, en grosses lettres, cette citation tirée du Chant du pétrel de Maxime Gorki : « Nous rendons gloire à la folie des braves ! » Ce fut ainsi qu'un froussard entra au panthéon de l'école comme modèle d'héroïsme. J'avoue que ce calicot était de mon invention et que tous ceux qui assistèrent à sa fabrication ne purent s'empêcher de rire aux larmes. » (Confession d'un homme en trop, Folio, p. 245.)



J'aurais pu tout aussi bien vous faire profiter du passage où Zinoviev raconte comment l'un de ses “camarades” n'a pas hésité à venir lui emprunter plume et papier afin d'écrire une dénonciation – laquelle n'avait d'autre objet que lui-même, Zinoviev. Le délateur a ensuite commis la sottise de laisser traîner son brouillon, et c'est ainsi que le dénoncé sut à quoi s'en tenir. Je vous donne la fin du paragraphe, que je trouve d'une profonde cocasserie et très zinovéen dans son esprit :

« Le responsable de la Section spéciale me convoqua. C'était un tout jeune lieutenant-chef, fraîchement émoulu de l'école des “organes”. Comme je connaissais le dénonciateur et le contenu de la dénonciation, je me sentais plein d'assurance et l'humeur joyeuse. Je dis tout de go au Spécial que le travail de ses informateurs était mauvais et qu'ils lui fournissaient de mauvais renseignements. Je lui citai “mon” mouchard en exemple, ce qui le désarçonna complètement. Je lui précisai aussi que les “organes” m'avaient confié une mission particulière. Après l'entretien, ce lieutenant me témoigna un grand respect et me fit même dispenser de corvées. Je lui demandai de ne pas poursuivre dans cette voie pour éviter de me faire “démasquer”. » (P. 248.)

Voilà, ce sera tout pour aujourd'hui.

La Drôle de Guerre d'Alexandre Zinoviev

« Il est difficile de savoir pourquoi les petites choses se retiennent mieux que les grandes. Je serais incapable de décrire de manière précise un seul des nombreux combats auxquels j'ai participé et qui étaient fort dangereux. En revanche, j'ai gardé en mémoire une multitude d'incidents drôles ou absurdes. Ainsi, deux camions qui évacuaient les fonds d'une banque s'arrêtèrent à l'endroit où nous étions stationnés. On nous demanda de les garder. Je revois encore un capitaine de l'intendance rédiger sur un bout de papier un reçu selon lequel il prenait en garde tant de sacs d'argent. Son expression ne laissait planer aucun doute sur ses intentions. Nous en parlâmes à notre chef de section. Il eut un petit sourire qui signifiait : « Si cet idiot en a assez de la vie, qu'il parte avec l'argent. Seulement, où pourrait-il aller ? » Cela nous amusa et me donna l'occasion d'avancer une nouvelle interprétation du communisme intégral : on donnerait à chacun de l'argent selon ses besoins, sauf qu'il n'y aurait rien à acheter. Cela fit beaucoup rire mes camarades. Tout le monde avait décidément oublié que nous vivions dans un monde de dénonciation.

« Aussi décidai-je d'enfreindre mes règles de prudence et, dans une lettre à ma mère, j'écrivis : « L'ennemi, saisi de panique, fuit à nos trousses. » La censure militaire examinait le courrier selon un choix arbitraire. Le hasard tomba sur moi. L'instructeur politique me convoqua et me demanda de lui expliquer la phrase. Je lui dis que l'ennemi était effectivement saisi de panique, mais que des considérations stratégiques guidaient notre retraite. Il me rétorqua que c'était justement ce qu'il fallait écrire sans chercher midi à quatorze heures et me reprocha d'avoir un bien mauvais style pour un étudiant ! Je ne me donnai même pas la peine de refaire ma lettre. Elle ne fut pas examinée une seconde fois et arriva à destination. Ma mère la garda longtemps. »

Alexandre Zinoviev, Confessions d'un homme en trop, Folio, p. 234-235.

Mes quelques lecteurs vont peut-être commencer à trouver mauvais que je me contente de recopier ici des extraits de mes lectures plutôt que de faire l'effort de billets originaux. À cela je répondrai que lorsqu'on a rien à dire, le mieux est encore de céder la parole à ceux qui ont.

D'autre part, dans une note de bas de page de ce même livre – qui est une sorte d'autobiographie –, Alexandre Zinoviev précise très clairement que, pour lui, le mot stalinisme ne désigne nullement une certaine période de l'histoire de la Russie, et encore moins une perversion du communisme, mais exprime au contraire l'essence de ce même communisme.

Mais on viendra probablement me dire que Zinoviev était aveuglé par sa haine soviétophobe...

mercredi 18 août 2010

À Nefisa-ma-nièce


C'est elle qui m'a dévoilé le truc, Nefisa-ma-nièce, quand elle est elle est venue à la maison. Elle a été parfaitement abrupte : « Tonton, à chaque fois que tu termines un Brigade mondaine, tu rentres dans le lard d'un blogueur ou d'une blogueuse. » Je ne m'étais jamais rendu compte de cela. Du reste, il est possible que ce ne soit pas vrai : après tout, ma nièce est encore une petite fille (plus intelligente que la plupart d'entre vous, et même d'une seule main, mais enfin plus jeune). Néanmoins, elle a trouvé cela : dès que son oncle termine un bouquin, il rentre dans le lard d'un connard ou d'une connasse – plus souvent d'une connasse, si j'en juge par moi-même. Mais Nefisa se trompe parfois, il m'arrive de me foutre absolument de toutes ces choses.

Là, par exemple, je serais censé m'énerver contre la grosse Irène Delse. (Je ne se sais pas si elle est grosse, en plus je m'en fous, c'est juste histoire de dire.) Parce que la grosse en question a décidé de me sortir du formol. On ne sait pas trop pourquoi, mais elle a décidé que Didier Goux va être son ennemi personnel. C'est faux, évidemment : tout le monde se fout de Mme Delse. Mais elle a décidé que je devais être une immonde raclure raciste, elle y tient, elle le veut, je dois évidemment être raciste, puisqu'elle-même est une sorte de libellule progressiste, laquelle me reproche d'avoir une vision binaire du monde.

Moi, je me souviens, il y a quelques semaines, cette même grosse idiote, elle disait... elle disait quoi ? Ceci : elle vit dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Et elle elle n'a jamais vu ces hordes de musulmans s'agenouiller dans les les rues Machin et Trucmuche.

Non, non, la Delse, elle ne les a jamais vus, les muzz, jamais, elle avait tout le temps les yeux tournés vers ailleurs. D'ailleurs, elle s'en fout. Quoi ? ses enfants ? Ouarf ! Ils ne les verront pas non plus, on nes a éduqués pour ça. À moins que...

T'as vu, Nef : je peux quand je veux être très méchant, très mesquin, très tout ça, comme tu dis. Et surtout, même sans BM, n'en avoir rien à foutre de ces retraitées mollassonnes, presque mortes, ces grosses merdes dont tu n'as pas idée, ces bonnes femmes de ma génération qui savent très bien que personne ne les regarde ni les écoute, et qui, du coup, s'évadent du côté de... de quoi ? Ah si : ces crétins en treillis, sud-américains, les sous-commandant Machin.

lundi 16 août 2010

Que M. & Mme Propre veuillent bien aller se faire foutre

« (...) Ceux qui exigent de la République française qu’elle soit une démocratie modèle d’où seraient bannis abus de pouvoir, corruption et autres vilenies dont se rendent coupables les élus, devraient se souvenir qu’en France on ne connut qu’une seule dictature réellement totalitaire, la Terreur, et qu’elle fut exercée par Robespierre et ses amis au nom de la Vertu.

« Les préposés à l’édification du genre humain, les clercs, les vrais, religieux ou laïcs ayant considérablement failli et perdu, au moins pour quelque temps, toute crédibilité, la voie est libre pour que les moralistes amateurs, aventuriers de la pensée et charlatans de l’éthique essaient de nous fourguer des remèdes-miracles contre la propension humaine à préférer le mal au bien.

Le droit du sol n’est pas une loi

« Voilà qui lève les derniers scrupules qui me retenaient jusque-là de mêler ma voix fluette à ce concert. Je ne trancherai pas la question de savoir qui du peuple ou de BHL a raison sur la question de savoir s’il est convenable ou non de retirer la nationalité française aux naturalisés polygames ou tueurs de flics. (...) Cependant, les pourfendeurs du Sarkozy de Grenoble prétendent, pour lui faire honte, que le « droit du sol » qui régit depuis le milieu du XIXe siècle notre code de la nationalité est un héritage de la grande générosité des révolutionnaires de 1789 acceptant d’accueillir en France les victimes de la tyrannie et les amants de la liberté. Ce serait donc une composante éthique de la version française de la démocratie. Le remettre en cause serait donc, selon eux, porter un coup mortel à un héritage sacré. Foutaises ! L’octroi de la citoyenneté de la République au baron prussien Jean-Baptiste, dit Anacharsis Cloots, « orateur du genre humain », en 1792 est un fait aussi remarquable qu’isolé. La France de la Révolution, puis de l’Empire était suffisamment peuplée pour que l’État puisse se fournir sur place en chair à canon, et si cela ne suffisait pas, on préférait embaucher des mercenaires que de créer des citoyens.

« Napoléon 1er le fit passer à la trappe avec le calendrier républicain et le culte de l’Être suprême. C’est dans une visée purement utilitariste que le Second Empire en 1859 et la IIIe République en 1889 réintroduisent et amplifient le jus soli dans notre Code civil : il s’agissait de compenser le déclin démographique français par l’inclusion dans la communauté nationale d’une nouvelle force de travail, puis de potentiels soldats, en vue de la revanche contre la Prusse.

« Le peuple, dont la xénophobie plus ou moins virulente est une constante jamais démentie, accueillit chaque vague d’immigration avec une malveillance aujourd’hui bien documentée. Cette hostilité s’estompait à mesure que ces nouveaux Français se fondaient dans la masse par un phénomène aujourd’hui cloué au pilori : l’assimilation. (...) »


L'intégralité du texte de Luc Rosenzweig est à lire ici.

dimanche 15 août 2010

De la neige en été et des machines à rien faire

À midi, cependant que nous dégustions un poulet nappé d'une sauce au camembert et accompagné de tagliatelles, l'Irremplaçable m'informe soudain qu'au journal télévisé d'hier soir elle a appris l'existence, en Lorraine, d'une sorte de gigantesque bulle réfrigérée, à l'intérieur de laquelle nos joyeux modernœuds sportifs peuvent désormais aller skier même en plein été. Elle ajoute qu'elle trouve cela complètement idiot. « Pas plus que d'installer une plage au centre de Paris ! », lui rétorqué-je assez piteusement.

Puis, en y réfléchissant un peu – et en trempant mon pain dans la sauce, comme je sais qu'on ne doit pas faire –, je me suis avisé que ce n'était pas plus stupide non plus que le ski lui-même. Qu'une marche supplémentaire avait simplement été montée (ou descendue, ça dépend de la position de l'observateur), mais que de saut qualitatif il n'y avait point.

Parce qu'enfin, le ski a bien été inventé pour pouvoir se déplacer malgré la neige, non ? Il s'agit d'un ustensile utilitaire, conçu pour que la vie quotidienne et laborieuse continue d'être possible en dépit des éléments contraires, ou me gouré-je ? À partir du moment où les humains ont éprouvé le besoin d'aller à la rencontre de la neige à seule fin de pouvoir utiliser les skis acquis à grands frais et dont ils n'auraient jamais eu l'utilité autrement, là il y a eu saut qualitatif : celui qui permet de passer de l'homme au touriste, du vivant au vacancier. Mais ensuite, il n'y a plus la moindre solution de continuité entre Festivus qui allait à la neige, ses skis sur l'épaule, et Festivus Festivus qui fait venir la neige à lui, ses skis sur l'épaule – c'est le même homme (?) à deux stades successifs de la maladie qui s'apprête à l'emporter.

On devrait pouvoir mener à bien la même démonstration avec des patins à glace, mais je manque un peu de temps : il faut que j'aille finir la montagnette que j'ai érigée dans le jardin afin d'étrenner mon piolet et mes petits chaussons d'escalade.

Le mystère des patates à cul nu

Comme tout travailleur de force (30 pages écrites depuis le matin) normalement constitué, j'ai déboulé hier dans la cuisine sur les coups de six heures du soir, avec aux lèvres la question rituelle : « Qu'est-ce qu'on mange ? »

- Une bombine d'Ardèche, m'a-t-il été répondu, avec cette précision inquiétante : j'en ai jamais fait, je teste... »

Une fois à table, il s'est avéré qu'il s'agissait de pommes de terre découpées, à quoi s'ajoutaient des oignons émincés et du bouillon de poulet (innovation de l'Irremplaçable pour remplacer l'eau de la recette), plus quelques olives vertes afin de faire plaisir à ces pédés d'Ardéchois qui n'en produisent même pas si ça se trouve.

« C'est pas présentable, mais c'est bon... », m'avertit la cuisinière d'un ton vaguement menaçant, après avoir goûté. Je teste aussi, du bout de la fourchette, et miracle : cette bombine (mais quel nom à la con, je vous jure...), ça ressemblerait bien aux patates à cul nu que j'ai mangées durant toute mon enfance. Mais il manquait quelque chose... J'ai alors accompli un geste oublié depuis au moins trente ans : j'ai empoigné ma fourchette à pleine main gauche, et j'ai écrasé les pommes de terre dans l'assiette. Puis, j'ai goûté à nouveau. C'était des patates à cul nu. En plein.

« Catherine, j'ai huit ans et demi... ai-je soupiré, de la voix expirante du vieux con au bord de l'orgasme gustatif.

– Ça tombe bien, tu en as également la coupe de cheveux... », m'a-t-elle rétorqué avec l'esprit d'à propos qui la caractérise parfois.

Et, en effet, une heure plus tôt, j'étais passé sous sa tondeuse (qui sera l'objet d'un billet ultérieur : essayez de m'y faire penser) et m'en étais tiré avec la tête rasibus d'un petit Didier de huit ou neuf ans – mais sans le sourire confiant face à l'existence que celui-ci a sur les diapositives.

J'étais bien content de mes patates à cul nu, et j'ai tout fini mon assiette.

samedi 14 août 2010

La peur de la vérité

« La peur panique d'entendre la vérité sur sa propre personne, voilà un signe des temps, dit le Visiteur. Ce n'est pas la peur d'être démasqué, mais justement la peur de la vérité. Les hommes aspirent à être trompés. L'art de se tromper soi-même a atteint de tels sommets qu'il est grand temps d'organiser des congrès, des instituts et d'édicter des manuels sur ce thème. C'est sans doute une loi générale, dit le Barbouilleur. Dans leur masse, les hommes n'ont jamais eu une idée juste d'eux-mêmes et de leur époque. Oui, mais c'était pour des raisons différentes, dit le Visiteur. Autrefois, c'était par ignorance. Et maintenant ? Maintenant, c'est parce qu'ils sont trop instruits et qu'ils peuvent comprendre ce qu'ils sont et quelle position ils occupent dans la société. Cela les humilie et les afflige. De nos jours, la peur de la vérité n'est pas une peur de l'inconnu, mais une peur de quelque chose qu'on connaît très bien. Les gens ont peur d'eux-mêmes parce qu'ils savent qui ils sont. »

Alexandre Zinoviev, Les Hauteurs béantes, L'Âge d'Homme, p. 251-252.)

Le titre et l'illustration sont de Zinoviev.

jeudi 12 août 2010

Puisque c'est comme ça, je retiens ma respiration

J'aime beaucoup le blog d'Eisangélie, même si je n'ai jamais compris pourquoi il s'appelait comme ça. Je ne vous mets pas de lien, vous allez comprendre tout de suite pourquoi. J'aime bien son blog et ne suis pas le seul, c'est même là le cœur du problème. Car aujourd'hui, chez Eisangélie, on prend connaissance de ceci :

Un nombre excessif d'imbéciles lisant désormais ce blog, celui-ci s'autodétruira sous peu.

Que les amis et connaissances qui souhaiteraient poursuivre ces inutiles lectures m'envoient un courriel pour connaître la nouvelle adresse du lieu de perdition.

Tchuss!

Comme ma modestie naturelle et mon exceptionnelle mémoire m'inclinent à penser que je dois plutôt faire partie des imbéciles que des connaissances de ce garçon, je me suis abstenu de rechercher son adresse électronique pour lui envoyer ce qu'il appelle improprement un courriel. Mais le billet, dans sa gloriole naïve, par cette espèce de je-retiens-ma-respiration juvénile, le billet m'a fait sourire.

Enfin c'est dommage, parce que j'aimais beaucoup le blog d'Eisangélie.

mercredi 11 août 2010

Ah ! la douce négation du fondement des choses...

Hier après-midi, avançant dans ma lecture des Hauteurs béantes de Zinoviev, je suis tombé, page 154, sur un paragraphe se terminant par ceci :

« Ils ne comprennent pas, pensa le Bavard, même lorsqu'ils voient les choses de leurs propres yeux. S'ils les voient, ils reconnaissent le fait observé, mais ils nient le fondement des choses qui leur paraît insensé et donc inexistant. Et c'est pourquoi ils nous accusent personnellement, tout en éprouvant un sentiment de supériorité. »

Zinoviev parle là des Occidentaux, communistes ou “compagnons de route”, visitant l'URSS en état de démence idéologique avancée. Mais il me semble que l'on pourrait dire très exactement la même chose, aujourd'hui, de tous ceux que d'ordinaire je qualifie d'aveugles, à propos des transferts massifs de populations dont l'Europe s'apprête probablement à crever – mais c'est une autre histoire. Je me suis souvent demandé, publiquement, si au fond ce n'était pas moi qui étais monomaniaque ou fou, car il me semblait tout bonnement impossible que les autres ne voient pas ce qui me saute chaque jour davantage à la figure. L'explication de Zinoviev semble bien répondre à cette interrogation en la supprimant : ils reconnaissent le fait observé, mais ils nient le fondement des choses qui leur paraît insensé et donc inexistant. En bref, le nerf optique fonctionne parfaitement, les centres de réception font également très bien leur boulot, mais ensuite le haut-commandement classifie les informations, les barre d'un top secret inviolable, pour non-conformité avec la ligne directrice du parti.

Le piquant de l'affaire est peut-être que ces “négateurs du fondement des choses” sont exactement les mêmes (ou leurs petits-fils idéologiques, ce qui revient au même) que ceux qui revenaient éblouis de Moscou, le trajet de retour leur ayant suffi pour remplacer ce qu'ils venaient de voir par ce qu'ils pensaient avant leur départ de Paris. Et il y aurait, dans cette coïncidence de la bêtise dogmatique, le ressort d'une irrésistible bouffonnerie, si l'époque pouvait encore sécréter un Zinoviev – ce qu'elle fera peut-être, mais il faudrait qu'elle se dépêche un peu.

mardi 10 août 2010

Les juilettistes m'ont beaucoup déçu

Voilà au moins trois ans que l'on pouvait compter sur eux – brave gens. Lorsqu'à l'issue d'une journée stupide, passée à écrire des âneries me rapportant de moins en moins d'argent, je me trouvais de surcroît chassé de la terrasse par une pluie venteuse typiquement normande, il me restait du moins, les étés précédents, l'amer plaisir d'évoquer avec l'Irremplaçable les aventures de Kevin & Priscilla, coincés sous la tente, au camping de Berck-Plage, en compagnie de leur mère rendue hystérique par le manque de tâches ménagères à accomplir et de leur père bourré au pastis dès onze heures du matin – parce qu'on est en vacances, quoi, merde. À quoi s'ajoutait la perfide joie de constater que les nantis, eux, sur leur côte méditerranéenne, en leurs villas spacieuses et leurs piscines à débordement, jouissaient de conditions atmosphériques tout à fait idéales.

Cette année, hélas, le ciel ayant été odieusement bleu et le temps cyniquement sec, jusque sur la façade atlantique et les côtes de la Manche, même cette consolation fielleuse m'a été refusée. À mes mornes pages d'écriture journalières est venue chaque soir s'ajouter la certitude attristante que ma petite famille fictive venait de vivre dans le même temps des heures en tous points merveilleuses sur la plage de Berck. Pour remonter le moral de l'Irremplaçable, j'ai bien tenté d'imaginer ma Priscilla, désormais adolescente, s'échappant nuitamment de la tente familiale pour aller se faire engrosser au Macumba par une caillera, parachutée depuis son 9-3 natal grâce à je ne sais quel impôt citoyen, mais ce De consolatione n'a pas fonctionné plus de deux ou trois jours, malgré mes efforts de péripéties annexes – n'est pas Boèce qui veut. C'est pourquoi quelque chose s'est brisé, entre les juilletistes et moi.

Grâce au ciel, nous ne sommes que le dix du mois d'août, et voilà déjà une semaine qu'il pleut, vente et presque gèle sur nos belles plages septentrionales. Si bien que je vais je crois m'intéresser d'un peu près à Paméla & Jérémy, qui me semblent de plus en plus prometteurs.

lundi 9 août 2010

Un antidote à l'avenir radieux

« Et sais-tu ce qu'il m'a dit à la fin ? il m'a dit : j'attache beaucoup de prix à Vos œuvres. et je pourrais bien faire autoriser Votre exposition. Eh bien, allez-y, lui dis-je, qu'est-ce que cela Vous coûte ? Ça n'a pas de sens, qu'il me dit. De toute façon, on n'arrivera à rien. Vous connaissez bien le système, non ? Oui, je le connais, lui dis-je. L'art a toujours eu besoin de la protection des hommes du pouvoir. L'art véritable est en lui-même sans défense. Sans Votre protection, ils vont tout simplement me bouffer. Avec ma protection, me dit-il, ils Vous boufferont de la même façon. Qu'est-ce que cela signifie ? Les rouages de notre histoire sont en train de se mettre à nu, dit le Calomniateur. Nous vivons une époque étonnante de point de vue de ce qu'elle recèle comme possibilités de connaître la réalité. Tout se dénude à l'extrême. Souviens-toi de mes paroles, dans les années qui viennent, nous allons être dépouillés de tous nos haillons de luxe et observés tout nus. Qui le fera, demande le Barbouilleur. Cela se fait déjà, répond le Calomniateur. Il y aura suffisamment de volontaires. Et quant à la matière, il est difficile de trouver quelque chose qui intrigue davantage. C'est stupéfiant, dit le Barbouilleur. Prise isolément, la vie de chacun de nous est d'un ennui, d'une grisaille, d'une monotonie vomitifs. Mais pris tous ensemble, nous sommes un phénomène qui devient le centre de l'attention de la vie spirituelle de l'humanité. Comment expliquer cela ? Intérêt malsain des nantis ? Je ne pense pas, dit le Calomniateur. En tout cas, ce n'est pas seulement cela et ce n'est pas tellement cela. C'est plutôt qu'ils commencent à réfléchir un peu sur eux-mêmes. C'est le pressentiment du danger. En fin de compte, leur histoire future est en train de se décider chez nous. En ce moment même. Et même déjà hier. » (p. 96-97.)

Je trouve la drôlerie bouffonne de ce livre tout à fait irrésistible – irrésistible et effrayante. Avec un sérieux d'airain, Zinoviev feint de ne pas avoir conscience de ce que ses textes peuvent avoir de comique, et c'est en grande partie pour cela qu'ils le sont. Il y a aussi un vrai plaisir à perdre pied au milieu de ses raisonnements imperturbables, et à deviner qu'il rit sous son masque de comédien grec – mais sans en être tout à fait sûr. Il y a évidemment une accointance étroite (et qui serait à préciser, à approfondir) entre ces Hauteurs béantes et Le Maître et Marguerite. Sans doute à chercher du côté de la bouffonnerie justement, de l'exagération, de la caricature comme seuls moyens pertinents pour exprimer cette aberration ubuesque que fut le communisme “en actes”.

dimanche 8 août 2010

En vérité je vous le dis : vos miroirs vont finir par se lasser

Ce doit être à cause des vacances estivales. Ou de l'anniversaire de Martine Aubry. On est trop sollicité, que voulez-vous. Sinon, comment expliquer ce merveilleux et unanime silence qui entoure depuis quelques jours la mort de ces huit “humanitaires”, assassinés par les talibans au prétexte de leur christianisme ? Les progressistes de la blogosphère font des pâtés de sable ou préparent le glaçage du gâteau de Dame Martine, je ne vois pas d'autre explication à leur extrême discrétion.

De leur côté, les fameux musulmans “modérés” d'Europe ne sont pas plus bruyants dans l'expression de leur indignation face à ce massacre. Devaient tous être à la plage aussi, probablement.

Qu'un braqueur surarmé et défourailleur se fasse descendre par la police, et voilà ceux-ci qui entrent en insurrection et ceux-là qui hurlent au pouvoir fasciste. Mais huit chrétiens exécutés par balles, la belle affaire. D'abord, est-ce qu'il n'y avait pas un peu de provocation chez ces gens ? Est-ce qu'on se pointe en Afghanistan avec une Bible dans la poche ? Hein ? Ils l'auraient bien un peu cherché, tout de même. Et puis, faudrait pas oublier les Croisades, la colonisation, l'exclusion, les multinationales prédatrices, le racisme, les murs de la honte, le sionisme mondial et le poisson pas frais. Courbe-toi, fier Sicambre ! et accepte de payer le prix de vingt siècles d'oppression occidentale : nous n'expierons jamais assez face à ces damnés de la terre, à ces figures christiques à turban.

Enfin, qui nous dit que que ces retors, probablement en cheville avec l'Opus Dei, n'ont pas sciemment cherché le martyre, dans le seul but de détourner notre attention des vrais problèmes, des authentiques scandales, à savoir la question des retraites et l'affaire Bettencourt ?

C'est toujours très intéressant à observer, les poussées d'indignation sélective des modernœuds. Parce que ça bavarde énormément, l'indignation sélective. Ça dit beaucoup sur celui qui s'y abandonne, et pas forcément ce qu'il souhaiterait qu'on sache à son propos. Ils peuvent toujours se trouver beaux dans le miroir, mais c'est une glace sans tain et nous sommes derrière ; à contempler leur vrai visage en direct.

vendredi 6 août 2010

Boulat et Alexandre sur un canapé brun

C'est tellement vaste, l'intérieur d'un iPod, qu'on finit par oublier presque totalement l'existence de certaines pièces, pour peu qu'elles soient situées à l'écart des grands axes de circulation : c'est l'équivalent du grenier de chez grand-mère où l'on pénètre un jour par hasard, pour y découvrir les inévitables cartons à chapeau, les jouets cassés, les malles qui ne s'ouvrent plus, etc. Sans parler des lettres torrides écrites en sa jeunesse à grand-mère par un autre homme que grand-père.

Bref, effoiré sur mon canapé de hall, j'en étais à me demander ce que j'allais bien pouvoir écouter en poursuivant la lecture du Premier Cercle, et qui me changerait un peu du Chostakovitch de ces derniers jours, lorsque je me suis souvenu que ce petit boîtier magique disposait d'une “valise” par moi nommée International, laquelle contenait entre autres estrangèretés vocalisées un disque de Boulat Okoudjava. Un Russe en contrepoint d'un autre Russe : ça devait le faire. Eh bien non. Entendre sonner la langue de Nicolas Gogol et de Leonid Brejnev a eu très vite, quelques pages à peine, un effet paradoxal : à le lire en français, évidemment en français, pauvre monoglotte que je suis, Soljénitsyne m'a soudain paru moins russe, ses prisons moins closes et moins centro-asiatiques ses steppes : Boulat et Alexandre étaient en train de me refaire le coup des deux signes moins qui s'annulent dès qu'ils se trouvent ensemble. J'ai tout arrêté et je suis remonté travailler. Mais Boulat restait dans mon oreille...


mardi 3 août 2010

Alexandre Dumas, cet enfant de chœur

Il y a une petite heure, poursuivant ma lecture du Premier Cercle de Soljénitsyne (ah ? Je ne vous avais pas dit ? Faites excuse...), je tombe sur ce passage, situé aux pages 538 et 539 de l'édition Pavillon Poche :

« Tout en parlant, Nerjine découvrit la lecture d'Abramson et lui dit :
– J'ai eu l'occasion en prison de relire Monte-Cristo, sans toutefois aller jusqu'au bout. J'ai remarqué que Dumas, malgré ses efforts pour créer une ambiance d'horreur, peint son château d'If comme une prison franchement patriarcale. Sans parler de menus et gracieux détails, comme l'évacuation quotidienne des tinettes, qu'il omet en bon pékin qui ne saurait penser à tout, vous êtes-vous jamais demandé pourquoi Dantès parvient à s'échapper ? C'est parce que pendant des années il n'y avait pas eu de fouille dans les cellules, alors qu'elles s'imposent une fois par semaine : du coup sa galerie reste inaperçue. Ensuite, ce sont les mêmes matons qui restent de quart alors que, comme la Loubianka nous l'a bien montré, il convient de les relayer toutes les deux heures, afin que chaque surveillant tâche de surprendre l'autre en flagrant délit de négligence. Dans ce château d'If, il se passe des journées entières sans que personne pénètre dans les cellules ou y jette un œil. Pas même de judas aux portes – ce château d'If n'est pas une prison, c'est “mer et loisirs” ! On accepte qu'une casserole de métal traîne dans une cellule et c'est ce qui permet à Dantès de piocher le sol. Enfin on vous coud un mort dans un sac en toute confiance, sans le brûler au fer rouge à la morgue ni le percer d'un coup de baïonnette au poste de garde. Au lieu d'appuyer sur les effets lugubres, Dumas aurait mieux fait d'observer un minimum de méthode. »

Ah, mais c'est que les prisons de Dumas n'ont pas été édifiées au nom du Peuple et pour son plus grand profit, mon cher ! Trêve d'ironie facile, ce décalage dont s'étonne Soljénitsyne, n'importe quel lecteur d'aujourd'hui peut le ressentir à son tour en lisant l'un à la suite de l'autre les Souvenirs de la maison des morts et L'Archipel du Goulag : il trouvera pareillement que le bagne de Dostoïevski devait être bien doux – les tsars étaient des amateurs mâtinés d'humanistes, au fond.

Mais Soljénitsyne lui-même s'est fait prendre dans cette spirale. Après qu'il eut publié Une journée d'Ivan Dénissovitch dans la revue Novy Mir, il reçut de nombreuses lettres de lecteurs. L'un d'eux, après avoir exprimé son admiration, se faisait plus ironique, lui disant en substance : « Mais qu'est-ce que c'est que ce chat qui peut déambuler dans votre camp sans que personne n'ait encore songé à lui faire la peau pour le rôtir et le manger ? » Ce lecteur s'appelait Varlam Chalamov.

Du reste, quelques années plus tard, dans L'Archipel, et malgré leur brouille survenue entretemps, Soljénitsyne rendra hommage à Chalamov, disant que c'est à ce dernier et non à lui-même qu'il aura appartenu de connaître le dernier cercle de l'enfer – dont je parcours donc le premier en ce moment.

Il reste que ce simple passage que j'ai recopié pour vous (on peut déposer ses oboles dans le petit panier en rotin que l'on trouvera près de la sortie) m'a donné aussitôt une irrépressible envie de relire Le Comte de Monte-Cristo, comme je le fais tous les dix ans. Je me suis d'abord dit que ce n'était vraiment pas raisonnable, que ça tournait à l'idée fixe. Et puis, je me suis souvenu que ma découverte de ce roman devait dater de ma quinzième année environ. Par conséquent, étant entré dans ma cinquante-cinquième, le temps d'une cinquième lecture est bel et bien venu.

Et puis, quoi de plus logique, lorsqu'on a parcouru avec des guides d'exception tous les cercles du Royaume des morts, exploré l'infernale comédie du communisme, que de reprendre pied sur la terre en compagnie d'Edmond Dantesque ?

lundi 2 août 2010

Dis, tonton Didier, c'est encore loin, l'apéro ? s'interroge Nefisa


À la même distance que les croquettes des chiens, ma nièce ! répond ce gros machin déjà bien imbibé.

dimanche 1 août 2010

Puisque c'est dimanche...



Crucifiction : Récit de la Passion du Christ, tenu pour une légende par certains.