vendredi 21 février 2020

Jean Daniel ou le bonheur d'être soi

Jean D., 21 juillet 1920 – 19 février 2020.

Mort de Jean Daniel : encore un qui a raté son centenaire de peu. C'est un homme que je n'ai jamais eu l'occasion de croiser, mais je me rappelle que, dans toutes ses apparitions télévisées – et Dieu sait qu'elles furent nombreuses ! – il dégoulinait littéralement de la satisfaction d'être Jean Daniel ; satisfaction qu'il tentait de camoufler sous une modestie de vieux sage qui n'aurait dû tromper personne tant elle était appliquée, factice. Je me souviens aussi qu'au moindre livre qu'il faisait paraître, on était sûr, la semaine suivante, d'en trouver, sur deux voire quatre pages, un éloge délirant dans le Nouvel Observateur, journal sur lequel il régnait en maître, l'ayant fondé. Il me semblait, à moi, mais c'était sans doute de la naïveté, sinon de la bêtise, qu'il fallait avoir bien peu de fierté pour faire chanter ses louanges dans son propre journal. Et je m'imaginais avec beaucoup d'amusement les intrigues des plumitifs de fond de rédaction pour être celui qui allait avoir l'honneur de trompéter le petit péan de rigueur à la gloire de son presque saint patron.

Qui se souvient encore d'un livre de Jean Daniel ?

jeudi 20 février 2020

Voyons voir


Il est des gens pour croire que certains esprits particulièrement conformés sont capables de prédire l'avenir. Il en est d'autres pour n'y pas croire, mais regrettant beaucoup que de telles visions ne soient pas possibles, car elles clarifieraient grandement l'obscur paysage temporel qui s'étend devant eux. 

Tous ont tort. Les premiers parce que, en effet, il est impossible de prédire l'avenir, de même qu'il est très difficile de modifier le passé. Quant aux seconds, ils ne se rendent pas compte que si même certaines personnes pouvaient leur révéler de façon certaine ce qui va leur arriver dans les années futures, cela n'éclairerait en rien leur chemin personnel ; peut-être même l'obscurcirait davantage. Prenons deux exemples concrets.

Commençons par le jeune baron d'Anthès, Georges-Charles de son prénom. Admettons que, vers 1835, une véritable voyante, connue pour ne se tromper jamais, ait annoncé à ce futur sénateur du Second Empire que son nom serait encore connu et cité dans la plupart des pays civilisés du monde au début du XXIe siècle. Assurément, ambitieux comme on peut l'être à 23 ans, le jeune Alsacien se serait rengorgé de fierté, s'imaginant une carrière politique et historique aussi éblouissante qu'exceptionnelle. Malheureusement pour lui, la dite carrière sera parfaitement grisâtre, celle d'un politicien sans la moindre envergure. Pourtant, sa voyante ne l'avait pas trompé : on parle encore de lui aujourd'hui (la preuve). Mais c'est parce que, deux ans après cette séance de divination, il allait tuer en duel Alexandre Sergueïevitch Pouchkine.

Faisons, si ce n'est pas trop vous demander, un bond en avant de près d'un siècle et demi. 

En l'année 1975, une autre voyante – peut-être une descendante de la première, allez savoir – prédit à un jeune bachelier d'Orléans, qui se rêve tantôt en Proust et tantôt en Balzac, qu'il va écrire et publier plus d'une centaine de romans, lesquels se vendront, tous titres confondus, à des millions d'exemplaires. On peut tenir pour assuré que, malgré un net surpoids, ce jeune crétin va se mettre à sauter au plafond d'allégresse. D'un côté il a raison de se réjouir, car la prédiction se révélera, un quart de siècle plus tard, scrupuleusement exacte. Et d'un autre côté non, car les livres en question seront des Brigade mondaine.

La morale de cela ? Il n'y en a pas. Enfin, pas à ma connaissance. On pourra éventuellement en tirer la conclusion qu'il faut être particulièrement neuneu pour s'intéresser à l'avenir, ce mirage des songe-creux. Mais c'est là une conclusion toute personnelle.

dimanche 9 février 2020

Billet en O


Après Álvaro et Alejo, place à Ernesto ! En ayant, provisoirement, fini avec le Colombien Mutis, puis avec le Cubain Carpentier, je me suis tourné vers l'Argentin Sábato. (Juste avant lui, j'avais tenté ma chance avec un autre écrivain-en-o : le Paraguayen Augusto Roa Bastos ; mais l'accord ne s'est pas fait entre nous et nous nous sommes quittés par consentement mutuel.)

Physicien de formation – il a travaillé, à Paris, avec les Joliot-Curie, dans les années trente –, Sábato n'a écrit que trois romans, ce qui est fort reposant pour qui décide d'aborder son œuvre par là. De plus, ils forment trilogie et doivent donc, de préférence, être lus dans leur ordre d'écriture et de parution, lesquelles se sont échelonnées de 1948 à 1974 : d'abord Le Tunnel, puis Héros et Tombes et enfin L'Ange des ténèbres. Si la première phrase du Tunnel ne vous donne pas envie de vous précipiter sur le livre toutes autres lectures cessantes, je ne puis plus rien pour vous ; la voici :

« Il suffira de dire que je suis Juan Pablo Castel, le peintre qui a tué Maria Iribarne ; je suppose que le procès est resté dans toutes les mémoires et qu'il n'est pas nécessaire d'en dire plus sur ma personne. »

Moyennant quoi, Juan Pablo Castel ne va évidemment parler que de lui (et de Maria Iribarne…) durant les 130 pages suivantes, d'une façon toute en détours à laquelle il me semble difficile de résister – au moins quand on est moi. J'ajouterai ceci, que le troisième des quatre chapitres composant le volume suivant, Héros et Tombes, s'intitule Rapport sur les aveugles, titre qui m'a toujours ravit, sans que je sache trop bien pourquoi.

Une dernière chose, liée à cette marotte qui me pousse à rechercher les gens plus ou moins célèbres, écrivains surtout mais pas seulement, qui ont non pas atteint les cent ans d'existence mais qui ont manqué ce centenaire de très peu ; l'exemple le plus célèbre sous nos latitudes étant bien entendu Fontenelle (11 février 1657 – 9 janvier 1757). Donc, bienvenu dans mon petit panthéon personnel à Ernesto Sábato, né dans la province de Buenos Aires le 24 juin 1911 et mort dans cette même province, quelques kilomètres plus loin, le 30 avril 2011. Qu'on ne se moque point : il a fait ce qu'il a pu.

mardi 4 février 2020

Remontons vers Amont


Pour je ne sais quelle raison, mais qui doit probablement relever du démoniaque, je ne cesse de fredonner depuis ce matin une chanson un peu sotte de Marcel Amont. Vous la connaissez peut-être aussi ; elle fait :

Bleu, bleu, le ciel de Provence
Blanc, blanc, blanc, le goéland,
Le bateau blanc qui danse,
Blond, blond, le soleil de plomb 
Et dans tex yeux mon rêve en bleu, etc.

J'écoutais cela quand j'étais en “culottes courtes”, comme je suppose qu'on ne dit plus ; et sans doute aussi l'hiver, quand on me forçait à mettre des pantalons, ce que je détestais – je ne me souviens plus pourquoi. Le disque, un “super 45 tours” doit toujours se trouver à Fontaine-le-Dun, chez ma mère.  En tout cas, je ne vois pas où il pourrait se trouver ailleurs que là.

Comme tout super 45 tours se respectant, celui-là contenait quatre chansons. L'une, le titre “phare”, vous la connaissez aussi, forcément :

Les bleuets d'azur
Dans les grands blés mûrs
Nous font des clins d'œil
Au haut du clocher
La pie vient percher
Sa robe de deuil
Et tandis qu'au ciel
Le silence est tel, etc.

Les deux autres, les fonds de tiroir, sont évidemment moins connues. Moi-même, malgré des dizaines et des dizaines d'écoutes, échelonnées en gros de 1960 à 1975, j'ai un peu de mal à me les rappeler nettement.  C'était, en tout cas, des ritournelles à vocation comique. Sur un air sautillant, le refrain de l'une faisait ainsi :

Y'en avait pas beaucoup, pas beaucoup, pas beaucoup
Y'en avait pas beaucoup
Y'en avait si peu, si peu, si peu,
Y'en avait si peu
--------------------
Y'en avait pas beaucoup, pas beaucoup, pas beaucoup,
Presque pas du tout.

On voit le genre. Par exemple, je ne me souviens plus du tout de quoi il pouvait y avoir si peu, si peu, si peu. Quant à la dernière, dont je crois bien qu'elle était signée d'Aznavour, il s'agissait d'une sorte de parodie du style sirupeux, only-youiste, des Platters, quintet de “Lyonnais” bien propres sur eux et fort en vogue en cette époque aussi stupide que bénie. Il ne m'en reste, de la chanson d'Amont, que quelques bribes. Dans ce genre :

Si je devais-ais ouh ouh ou-ou-ouh !
Mourir d'amour, etc.

C'était assez drôle, léger, facétieux. Ce qui est bien le moins quand on est un chanteur né un premier avril. Celui de l'an 1929. 90 ans révolus, voilà qui mérite bien un petit coup de chapeau, celui de Mireille ou un autre. Allez, tenez :


samedi 1 février 2020

En remontant l'Orénoque


Il fut très mutique, ce mois de janvier