vendredi 29 mai 2020

Homoïcide et Zomomos



À Jean S.

Un vieil ami, Charentais d'adoption et dédicataire de ce court billet, m'a fait parvenir une “brève” publiée par la Charente libre le 20 mai dernier. On y apprend la triste conséquence d'un vrai drame de l'amour… ou de la malchance, c'est selon. 

Au sein d'un ménage comme-les-autres (entendez : homosexuel), la discussion s'étant quelque peu échauffée, Papa n°1 aurait tenté d'y mettre fin en tranchant le cou et la carotide de Papa n°2, un jeune homme de 22 ans, mort peu après son arrivée à l'hôpital de Poitiers. Transporté, lui, à la maison d'arrêt d'Angoulême, Papa n°1 a bien entendu été mis en examen pour “tentative d'homicide”. Pour lui, tout ça est de la faute à pas de chance, Papa n°2 ayant, au cours de leur virile empoignade, trouvé malin de tomber gorge la première sur un tesson de verre qui se trouvait là. 

Ce qui a fortement interpelé mon ami Jean, c'est cet emploi du terme passe-partout et non genré d'“homicide”. Et il a mille fois raison, bien sûr ! À l'heure où fleurit, croît et prolifère le si bien venu “féminicide”, il serait tout à fait injuste, discriminant, stigmatisant, que les hommes homos (les zomomos…) n'aient pas droit eux aussi à leur petit vocable privé, dès lors qu'ils décident de s'étriper. 

Mon charentais ami propose donc : homoïcide. Je lui trouve assez belle allure, et propre à donner un certain lustre, dorénavant, aux massacres gayment conjugaux. J'ai cherché si on pouvait trouver mieux… et n'ai rien trouvé de satisfaisant. Gayïcide est imprononçable, bougricide fait trop vieillot et risquerait de n'être point compris des masses. Quant à fioticide, il sent vraiment trop le soufre, de même que tafiolicide. Donc, souhaitons longue et heureuse vie à homoïcide !

Néanmoins, quand il leur prendra l'envie de se foutre sur la gueule, que les papas n°1 et les papas n°2 fassent attention aux tessons qui traînent.

mardi 26 mai 2020

L'autre Roth

Joseph Roth (1894 – 1939),  à d., avec Stefan Zweig, à Ostende, en juillet 1936.

On parle toujours de l'Américain Philip Roth, écrivain que, pour ma part, j'aurais tendance à trouver légèrement surfait. On parle moins de l'Autrichien Joseph Roth, écrivain que, pour ma part, j'aurais tendance à trouver lourdement sous-estimé. C'est lui que je suis occupé à relire depuis deux jours, et je ne compte pas l'abandonner de sitôt, possédant une bonne douzaine de ses livres, au rayon teuton de ma modeste bibliothèque. Mais lire ou relire quoi ? Les relecteurs de Roth n'ont certes pas besoin de mes avis ou conseils, mais les autres, les découvreurs potentiels ? La question est toujours la même : par quoi commencer ? Par où l'attaquer ?

Il importe de savoir que l'on a affaire ici à deux romanciers en un, même si, bien sûr, la frontière entre eux n'est nullement étanche : un Joseph Roth juif et un Joseph Roth austro-hongrois. Leur point commun est que tous deux nous plongent dans des mondes disparus. Le premier dans cette communauté juive de Galicie, c'est-à-dire des confins russo-ukraino-polonais, en gros, que le nazisme a pratiquement fait disparaître de la surface de ces “terres de sang”, pour reprendre l'appellation de l'historien Timothy Snyder ; le second dans cet empire rayonnant loin à partir de Vienne, à quoi la Première Guerre mondiale a porté le coup mortel, et dont Roth a traîné toute sa courte vie la nostalgie douloureuse, puisqu'il considérait que l'empire austro-hongrois était sa véritable terre natale, son pays, son lieu d'enracinement primordial. 

L'idéal, si l'on veut découvrir son univers, est de rendre une visite à chacun de ces deux mondes. Pour ce qui concerne le versant austro-hongrois, je n'ai aucune hésitation à conseiller La Marche de Radetzky, roman qui, en plus d'être son plus connu (il a été adapté à la télévision…) est aussi un de ses deux ou trois meilleurs. C'est aussi l'un des plus amples, puisqu'il embrasse trois générations de Trotta, la famille qui en est à la fois le pivot et le fil. On pourra ensuite en compléter la lecture par celle de La Crypte des capucins, roman postérieur au précédent et qui nous ramène à la famille von Trotta.

En ce qui concerne le versant juif, je n'ai pas davantage d'hésitation : il faut commencer par Job, roman d'un homme simple, livre qui, dans une traduction plus récente, est bizarrement devenu Le Poids de la grâce – et c'est plus sûrement sous ce nouveau nom qu'on le trouvera aujourd'hui. Évocation poignante et dense de la destinée de Mendel Singer et de sa famille, des confins russo-polonais du XIXe siècle jusqu'au New York de la guerre de 14.  

(Quand je parle de “bizarrerie”, je ne veux pas dire que Le Poids de la grâce serait un mauvais titre ; au contraire, il est parfaitement adapté au contenu et à l'esprit du roman. Seulement, si Joseph Roth avait voulu qu'il porte ce nom, eh bien il le lui aurait donné. S'il a préféré Job, roman d'un homme simple – fidèle traduction du titre allemand, que je vous épargne –, je ne vois pas au nom de quel impératif, ou fantaisie, un traducteur et un éditeur se permettent d'en changer.)

Après avoir découvert ces deux romans essentiels, si le désir de lire d'autres livres de Joseph Roth vous point… découvrez cette pure merveille qu'est La Légende du saint buveur. C'est une simple nouvelle d'une cinquantaine de pages, c'est l'ultime texte écrit par Joseph Roth quelques mois avant sa mort, c'est un bijou, c'est un miracle.

samedi 23 mai 2020

Vie et destin d'un grand roman russe

J'ai plusieurs fois parlé ici de Vassili Grossman et de son chef-d'œuvre, Vie et Destin. Le hasard vient de faire que, musant dans les allées virtuelles de Youtube, je suis tombé sur une émission d'Arte consacrée à ce roman et à son auteur. Émission digne d'éloges en tous points, ce qui ne semble pas être si fréquent lorsqu'il s'agit de la chaîne pseudo-culturelle. Que vous ayez lu ou non ce livre majeur du siècle qui fut le nôtre, si vous en avez assez des ressassements covidiens qui sont notre pénible lot ces temps-ci, si vous avez une heure à ne pas perdre, je vous encourage vivement à la passer en compagnie de Vassili Grossman : je serais surpris si, après cela, vous ne vous précipitiez pas sur Vie et Destin. Surpris et un peu triste.


vendredi 22 mai 2020

Brève chronique des temps asilaires


Dans ce qu'on pourrait appeler des Chroniques des temps asilaires, je consigne ceci, que Catherine a lu chez Ternette : en Allemagne, les boîtes de nuit vont pouvoir rouvrir… mais il sera formellement interdit d'y danser.  Dans un semblable esprit, on pourrait laisser rouvrir les bistrots mais y prohiber toute boisson, rouvrir les églises mais gare à celui qui y serait surpris en train de prier, rétablir les maisons closes mais avec une stricte observance des distances de sécurité, etc.

Dans le même genre, Catherine est passée tout à l'heure chez l'horloger-bijoutier de Pacy afin qu'il installe une pile neuve dans le boitier de ma montre. Eh bien, il faudra y retourner demain pour récupérer la montre en question. Pourquoi ce délai absurde ? « Désolé, Madame : c'est le protocole… » Il y a donc, quelque part, dans un ministère inutile, un dérisoire crétin qui a jugé nécessaire que les montres passent désormais vingt-quatre heures dans le tiroir du réparateur avant que d'être rendues à leurs propriétaires. Sinon, gare à la recrudescence du petit Chinois ! 

Et la restitution, elle va s'opérer comment, demain ? L'horloger va me tendre ma montre au bout d'une longue pince métallique, préalablement passée à l'étuvée ? Il va la déposer sur le pas de sa porte et se barricader derrière son rideau de fer avant que j'aie le droit de m'approcher de sa boutique ? Et après quel délai, dûment prévu et homologué en haut lieu, aurai-je latitude de passer la montre à mon poignet sans provoquer l'ire de la maréchaussée aux aguets ?

Dieu sait que je ne suis nullement ennemi d'une existence délicatement saupoudrée d'inattendu, de cocasse, de saugrenu et même de complet absurde. Mais tout est dans le “saupoudrée” : si l'absurde devient la règle, et une règle dont on se sert pour me taper sur les doigts du matin au soir ; si la cocasserie est reçue et acceptée avec un sérieux confinant à la dévotion ; si l'inattendu se mue en prévisible et que le saugrenu se fait obligatoire, il va advenir un moment, pas très éloigné d'ici, où les survivants au petit Chinois vont commencer, du fond de leurs douillettes cellules capitonnées, à regretter amèrement leur immunité et à envier leurs chers et si paisibles morts.

Le pont de l'Ascension


Je suis occupé à terminer Le Pont sur la Drina, roman d'une grande richesse, et passionnant pratiquement de bout en bout. Il y a encore quelque temps, j'aurais sans doute tenté de transformer cette lecture en billet pour ce blog. Je me serais probablement efforcé de montrer que ce fameux pont est bel et bien le “personnage” central du roman, l'axe qui lui confère son unité et sa cohérence (ou cohésion), en ce que non seulement il relie les deux berges de la rivière – ce qui est bien le minimum qu'on puisse attendre d'un pont –, mais aussi qu'il met en contact tout autant qu'il les sépare les Serbes et les Bosniaques, c'est-à-dire, en gros, l'Orient et l'Occident ; et qu'en plus de cela, il est le trait d'union entre les siècles, l'invariant de ce creuset toujours instable que sont les Balkans en général, et ce coin-ci en particulier. 

J'aurais aussi évoqué, très certainement, quelques-uns des nombreux personnages qui jalonnent cette foisonnante chronique, qui arrivent, agissent ou “sont agis”, puis disparaissent pour laisser place à d'autres, eux-mêmes sombrant dans l'oubli ou se transformant en légendes. Oui, j'aurais à l'évidence essayé de mettre un peu tout cela en forme.

Mais je n'en ai plus très envie.

Comme trace un peu pérenne de cette lecture, je vais tout de même en conserver une phrase et la placer en exergue provisoire de ce blog, parce qu'elle m'a frappé lorsque je l'ai rencontrée :

Tous voulaient plus, exigeaient mieux ou craignaient pire.

mardi 19 mai 2020

Toute ressemblance avec une situation présente, etc.

Ivo Andrić (1892 – 1975), posant devant le pont sur la Drina.

« Survint alors une de ces périodes où chacun s'efforce de se faire petit et invisible, où chacun cherche un abri et un refuge, à tel point que l'on disait alors en ville que “même un trou de souris vaut mille ducats”. La peur planait sur Travnik comme le brouillard, pesant sur tout ce qui respirait et pensait.

« C'était une grande peur, invisible et impossible à mesurer, mais toute-puissante, qui de temps en temps s'abat sur les communautés humaines et fait courber ou tomber les têtes. Nombre de gens, affolés et aveuglés, oublient alors qu'il existe la raison et le courage, que tout a une fin dans la vie et que, si la vie de l'homme, comme toute chose, a sa valeur, cette valeur n'est pas illimitée. Et, abusés de la sorte par les sortilèges momentanés de la peur, ils payent leur existence bien plus cher qu'elle ne vaut, commettent bassesses et lâchetés, s'humilient et se couvrent de honte ; mais lorsque ce moment de peur passe, ils comprennent qu'ils ont payé un prix bien trop élevé pour survivre ou encore qu'ils n'étaient même pas menacés, mais ont seulement cédé à l'illusion irrésistible de la peur. »

Ivo Andrić, La Chronique de Travnik, Le Serpent à plumes, pp. 603 – 604.

Précisons que, à cette époque, 1813, les membres des diverses communautés de Travnik ont, eux, quelques sérieuses raisons de céder “à l'illusion irrésistible de la peur” : ils viennent en effet de toucher un nouveau vizir, lequel fait tomber les têtes – au sens propre – avec l'ardeur et la facilité d'une association lucrative sans but pompant de l'argent public.

(J'ai choisi la photo ci-dessus parce que Le Pont sur la Drina est le titre du roman le plus connu d'Ivo Andrić ; la Drina étant la rivière qui, sur une bonne partie de son cours, sert de frontière entre la Bosnie et la Serbie.)

lundi 18 mai 2020

Nous, le troupeau


L'épisode tragi-comique du petit Chinois nous aura au moins appris une chose : personne ou presque n'en a rien à faire de la liberté, tout le monde ou presque est disposé à se laisser traiter comme une bande d'enfants irresponsables, et même à exiger de l'être encore davantage. Du moment qu'on nous laisse le droit d'applaudir chaque soir, à heure fixe, à nos balcons. En clair, nous venons, collectivement, d'administrer la preuve que nous étions mûrs, et même plutôt enthousiastes, pour n'importe quelle dictature à qui il plaira de nous mettre en rangs, pour peu qu'elle ait la bonne idée de nous fournir gratuitement les mouchoirs en papier destinés à éponger nos larmes de reconnaissance pour le soin qu'elle prend de son trémulant troupeau. 

Et je n'arrive pas à déterminer ce qui l'emporte, dans cette lugubre pantalonnade, entre son côté comique – les pleurnicheries et les hurlements d'indignation des froussards – et son aspect tragique – cette soumission empressée aux contraintes les plus absurdes et les plus humiliantes, cette cavalcade panique vers la servitude volontaire. 

Je suppose que cela doit dépendre de mon humeur du moment.

jeudi 14 mai 2020

Le Serbe surgi de nulle part


… Et j'étais là, flottant, devant les rayonnages. Peu avant, j'avais abandonné Thomas Wolfe après cent cinquante pages, pour des raisons futiles qui tiennent davantage à moi qu'à lui : qu'aucun reproche ne lui soit fait. Maintenant, il fallait trouver quelqu'un pour prendre sa place au salon. Je me faisais l'effet d'être cette blonde qui, devant sa penderie bourrée de vêtements de toutes sortes, pleurniche qu'elle n'a plus rien à se mettre. 

Je n'avais même pas ouvert les deux portes du petit placard où sommeillent les Russes et les Sud-Américains. J'écartai les Yankees dont je sortais tout juste, négligeai les Anglais, fis fi des Espagnols. Mes regards descendirent jusques aux rayons inférieurs. Là, entre genoux et chevilles, c'est un petit royaume bigarré du vivre-ensemble où cohabitent quiètement une poignée de Japonais, un Égyptien, quelques Italiens, un Slovène égaré, une minuscule communauté chinoise, quatre Scandinaves, deux Polonais et leur voisin tchèque, etc.

Mes yeux se posèrent sur Ivo Andrić, écrivain serbe, prix Nobel en 1961, dont je ne sais même pas comment on prononce son nom. Il n'y avait pas un livre de lui mais bien deux. Le premier, Le Pont sur la Drina, je me suis souvenu de l'avoir lu en effet, même si je serais bien incapable de dire “de quoi ça cause”. Je me rappelle une rivière et un pont l'enjambant, c'est tout – et je me fais un peu l'impression d'être Woody Allen parlant de Guerre et Paix (« Je l'ai lu : ça se passe en Russie ! »).

Mais quant à l'autre… C'est un gros volume des éditions du Serpent à Plumes, qui compte près de sept cents pages  et porte le titre de La Chronique de Travnik. Je l'ai découvert avec le même étonnement incompréhensif que celui qu'on aurait, rentrant chez soi, en avisant un parfait inconnu occupé à préparer le dîner dans sa propre cuisine. L'avais-je lu ? Seulement parcouru ? Ou acheté et rien d'autre ? J'ai grande peur qu'on n'en sache jamais rien. À moins qu'il ne soit arrivé là tout seul, flottant impalpable dans l'éther durant des années, jusqu'à ce qu'il trouve un lieu favorable, ici, pour se matérialiser : ce sont des choses qui se sont déjà vues, quoique assez rarement.

Je l'ai donc ouvert et ai commencé à en tourner les pages. Je me suis trouvé transporté en février 1807, dans la ville de Travnik, dont je viens de découvrir qu'elle n'est nullement imaginaire puisque se situant en Bosnie-Herzégovine ; d'après le recensement de 2013, elle compterait 16 534 habitants (57 543 pour l'ensemble de la Municipalité). Au début de 1807, toute la ville bruit depuis des semaines d'une rumeur, celle de l'arrivée d'un consul. Mais personne ne sait lequel et chacun à ses préférences : les Orthodoxes souhaitent qu'il soit russe, les catholiques pencheraient plutôt pour un émissaire de l'empereur d'Autriche, cependant que les Juifs en tiennent pour un consul français, parce que Bonaparte, disent-ils, s'est montré envers leurs coreligionnaires “bon comme un bon père”. Quant aux Turcs, ils n'en souhaitent aucun et englobent toutes les hypothèses dans une égale méfiance.

Ce sont finalement les Juifs qui ont lieu de se réjouir, car c'est Jean Daville qui, le dernier jour du Ramadan, fait son entrée solennelle à Travnik. Il est accompagné par un autre Français, monsieur Pouqueville, qui va continuer son voyage jusqu'à Jannina, où son frère est, lui aussi, consul de France.

Cette ville de Jannina est fameuse auprès de tous les lecteurs d'Alexandre Dumas, puisque son pacha, quelques années après le présent de notre récit, sera odieusement trahi par le Catalan Fernand Mondego ; lequel, devenu comte de Mortcerf, sera démasqué et détruit par Edmond Dantès, lui-même métamorphosé en comte de Monte-Cristo : c'est un implacable règlement de comtes.

Mais nous nous sommes éloignés d'Ivo Andrić et de son consul Jean Daville. En fait, celui-ci vient tout juste d'arriver, et je ne peux en dire grand-chose : qu'on me laisse le temps de faire un peu connaissance. Sa première visite officielle a été pour le vizir, ce qui les a obligés, lui et sa suite, à traverser tout le quartier turc, au long duquel ils ont dû subir sans broncher les crachats des gamins et les malédictions incompréhensibles lancées par les femmes, tandis que les commerçants faisaient mine d'être absorbés par leurs étals afin de ne pas voir passer le consul de France, qui ne peut être qu'un faiseur d'embarras et un ennemi du Sultan. Le séjour s'annonce donc plutôt mouvementé pour Jean Daville, dont par ailleurs le passé semble de prime abord un peu obscur, du moins mouvementé.

Enfin, on verra bien.

lundi 11 mai 2020

Les grenouilles qui demandent un roi


Les déambulations erratiques du petit Chinois ont répandu dans leur sillage une frousse d'anthologie – une “venette biblique”, aurait dit Flaubert –, parmi les citoyens de cette fière nation. Partout ce ne fut plus que tremblements et cliquetis de mâchoires mal serrées. D'un même élan, comme des enfants courant partout après le jupon maternel, les grenouilles demandèrent un roi.

Or, elles s'aperçurent qu'elles l'avaient déjà ; du moins, sinon un roi, un ersatz élu qui pouvait faire office. Toutes les grenouilles se tournèrent donc vers lui, qui n'en pouvait mais. La mare tout aussitôt s'emplit de leurs coassements, qui parurent de deux sortes opposées mais étaient en réalité semblables, puisque provoqués par la même venette et tournés vers le même Olympe.

Il y eut les grenouilles qui, enflées de sainte colère, accusèrent leur succédané de monarque d'être responsable de tous leurs maux, de laisser sciemment se répandre germes et pestilences, ou au moins de se retirer sur les hauteurs en abandonnant cyniquement la mare à tous les miasmes venus de l'Orient.

Il y en eut d'autres, boursouflées d'indignation, pour coasser au blasphème dès que s'élevait la moindre critique envers le roi, le plus petit doute quant à son pouvoir divin de guérir écrouelles et toussotements par simple apparition télévisuelle. Et si, vexé de ces critiques, le Grand Thaumaturge allait pour de bon laisser son peuple batracien agoniser sans secours sur les feuilles de nénuphar qu'il avait, avec gratitude, reçu l'injonction de ne quitter sous aucun prétexte ? Celles-ci récitèrent donc, chaque jour, mainte action de grâce, dans l'espoir de balancer les injures vomies par celles-là.

Mais, grenouilles enflées comme grenouilles boursouflées, toutes se trouvèrent d'accord pour dire que, perte ou salut, leur sort dépendait entièrement de cet être mystérieux et d'une autre essence, à qui elles avaient un jour confié le sceptre et dont elles ne savaient plus trop s'il valait mieux l'implorer ou le honnir.

Durant ce temps, les plus prophétesses d'entre les grenouilles coassaient à longueur de jour pour savoir si la mare de demain ressemblerait ou non à la mare d'avant.

samedi 9 mai 2020

La méthadone du people par temps de claquemurage


Il ne faut pas s'étonner outre mesure de ces déclarations tonitruantes qui fleurissent actuellement chez Ternette, émanant de “people” plus ou moins célèbres ( voire en situation de célébrité, pour parler comme Mme Hidalgo), tels que la consternante Juliette Binoche, le pontifiant Vincent Lindon, le délirant Monsieur Hulot, et deux ou trois autres dont l'histoire se fera, je gage, un plaisir d'oublier les noms. 

Tous ces exemplaires d'humanité, acteurs, chanteurs, amuseurs en tous genres, sont pour la plupart drogués au regard d'autrui, ovatio-dépendants si je puis dire. Or, de quoi le Grand Claquemurage les a-t-il brutalement privés ? Justement de cela qui leur est indispensable ! Plus personne ne les regarde avec admiration, aucun cri d'amour-haine ne monte plus vers leurs oreilles, nulle main tremblant de désir ne caresse dévotieusement le bas de leur vêtement, etc.  Pour survivre, il ne leur restait donc plus que ce produit de substitution, ce succédané de gloriole, cette méthadone spécial showbiz : la vidéo youtubarde.

D'où ces miasmes pathogènes que postillonnent à profusion et sans filtre nos histrions en manque, ces virus creux et redondants contre lesquels il n'existera malheureusement jamais de vaccin efficace, puisque, on ne le sait que trop bien, bêtise crasse et pompeuse connerie sont en mutation permanente depuis la fondation du monde.

mercredi 6 mai 2020

Un président qui sait où il va


On dira ce qu'on voudra d'Emmanuel Macron – “on” ne s'en prive d'ailleurs pas –, mais il est très rassurant pour tous les Français de constater qu'ils se sont dotés d'un président ayant au plus haut point le sens des priorités. Ainsi apprend-on que les droits des intermittents du spectacle vont être prolongés jusqu'en août 2021 et que de chouettes petites mesures, évidemment financières, seront incessamment prises envers le “monde de la culture”. 

Il a raison notre Grand Syndic de faillite : il est toujours préférable de soigner ses parasites bruyants plutôt que des pue-la-sueur silencieux. Ceux-ci, il suffit de les distraire en donnant de jolies couleurs aux départements et en transformant le pays en une sorte de grand Monopoly covidien. Et pendant que les uns avanceront de trois cases, trop contents d'avoir évité la prison, les autres recevront vingt mille sans jamais avoir quitté la case départ.

mardi 5 mai 2020

Quand Hulot ulule


Nicolas Hulot, imbécile en chef et fier de ses galons cousus main, vient d'affirmer, à propos du petit Chinois baladeur, que “la nature nous avait envoyé un ultimatum”. C'est notre nouveau prophète Philippulus, hâtivement barbouillé de vert et frappant son tambourin en nous enjoignant de nous repentir car, bien évidemment, la fin du monde est proche. 

Ce qui est bien, avec l'obscurantisme, c'est que les apôtres de la modernité bougiste ont beau tenter de le repousser vers les siècles passés de leurs petits bras musclés, il est toujours prêt à reparaître, frétillant de jeunesse, dans les yeux vides d'un Hulot ou sur la face de musaraigne enchifrenée d'une quelconque Greta nordique. En réalité, la nature nous a bel et bien envoyé un effrayant ultimatum : eux-mêmes.

dimanche 3 mai 2020

Les Wolfe ne se mangent pas entre eux


J'ai dit ici, il y a huit jours – Dieu comme le temps file quand on est bien claquemuré au chaud ! –, tout le bien que je pensais des quatre romans de Tom Wolfe, 1930 – 2018, même si j'ai dû rabattre un peu de mon enthousiasme premier en relisant Bloody Miami, moins réussi que dans mon souvenir. Qu'importe, je pensais en avoir terminé avec les Wolfe…

Guillaume C., par himmel, me signale que Tom Wolfe a eu un aîné homonyme, Thomas Wolfe, 1900 – 1938, qui a lui aussi écrit quatre romans, à côté desquels il serait, selon lui, bien dommage que je passasse. Son signalement n'était d'ailleurs pour moi qu'un rappel, puisque j'avais découvert l'existence de cet Américain du Kentucky, justement à l'époque où je m'étais intéressé à Wolfe-le-cadet (c'est bon ? Tout le monde suit ?). Je ne sais plus trop pourquoi je n'avais acheté aucun livre de lui, alors. Peut-être parce qu'on ne les trouvait que d'occasion, et à des prix un peu trop élevés pour mon goût. Néanmoins, j'y retournai voir, à tout hasard…

Petit miracle : alors que Guillaume C. me recommandait tout particulièrement le premier roman de Wolfe-l'aîné, Look Homeward, Angel, je tombai pile sur lui, rebaptisé en français Aux sources du fleuve et affichant crânement ses 16,50 € – port en sus. Commande fut promptement passée.

Bien sûr, il va falloir attendre que le volume arrive jusqu'à ma thébaïde héberto-plessiste, ce qui, en ces temps asilaires, risque de prendre, tout comme le fût du canon pour refroidir, un certain temps. Je m'en bats l'œil : j'ai commencé hier à relire Les Fous du roi de Robert Penn Warren, grand roman “sudiste” dont j'ai naguère tenté de dire le bien que j'en pensais ici même. Et j'ai encore deux autres romans de Warren qui n'aspirent qu'à être relus, si bien que même si Thomas Wolfe fait le voyage à dos de mulet, j'ai de quoi l'attendre sans me languir ni m'impatienter.

Je me demande bien ce que je pourrais exiger de plus de l'existence.

vendredi 1 mai 2020

Cap sur Park Avenue !


Une artère que j'ai bien arpentée en avril.