Joseph Roth (1894 – 1939), à d., avec Stefan Zweig, à Ostende, en juillet 1936. |
On parle toujours de l'Américain Philip Roth, écrivain que, pour ma part, j'aurais tendance à trouver légèrement surfait. On parle moins de l'Autrichien Joseph Roth, écrivain que, pour ma part, j'aurais tendance à trouver lourdement sous-estimé. C'est lui que je suis occupé à relire depuis deux jours, et je ne compte pas l'abandonner de sitôt, possédant une bonne douzaine de ses livres, au rayon teuton de ma modeste bibliothèque. Mais lire ou relire quoi ? Les relecteurs de Roth n'ont certes pas besoin de mes avis ou conseils, mais les autres, les découvreurs potentiels ? La question est toujours la même : par quoi commencer ? Par où l'attaquer ?
Il importe de savoir que l'on a affaire ici à deux romanciers en un, même si, bien sûr, la frontière entre eux n'est nullement étanche : un Joseph Roth juif et un Joseph Roth austro-hongrois. Leur point commun est que tous deux nous plongent dans des mondes disparus. Le premier dans cette communauté juive de Galicie, c'est-à-dire des confins russo-ukraino-polonais, en gros, que le nazisme a pratiquement fait disparaître de la surface de ces “terres de sang”, pour reprendre l'appellation de l'historien Timothy Snyder ; le second dans cet empire rayonnant loin à partir de Vienne, à quoi la Première Guerre mondiale a porté le coup mortel, et dont Roth a traîné toute sa courte vie la nostalgie douloureuse, puisqu'il considérait que l'empire austro-hongrois était sa véritable terre natale, son pays, son lieu d'enracinement primordial.
L'idéal, si l'on veut découvrir son univers, est de rendre une visite à chacun de ces deux mondes. Pour ce qui concerne le versant austro-hongrois, je n'ai aucune hésitation à conseiller La Marche de Radetzky, roman qui, en plus d'être son plus connu (il a été adapté à la télévision…) est aussi un de ses deux ou trois meilleurs. C'est aussi l'un des plus amples, puisqu'il embrasse trois générations de Trotta, la famille qui en est à la fois le pivot et le fil. On pourra ensuite en compléter la lecture par celle de La Crypte des capucins, roman postérieur au précédent et qui nous ramène à la famille von Trotta.
En ce qui concerne le versant juif, je n'ai pas davantage d'hésitation : il faut commencer par Job, roman d'un homme simple, livre qui, dans une traduction plus récente, est bizarrement devenu Le Poids de la grâce – et c'est plus sûrement sous ce nouveau nom qu'on le trouvera aujourd'hui. Évocation poignante et dense de la destinée de Mendel Singer et de sa famille, des confins russo-polonais du XIXe siècle jusqu'au New York de la guerre de 14.
(Quand je parle de “bizarrerie”, je ne veux pas dire que Le Poids de la grâce serait un mauvais titre ; au contraire, il est parfaitement adapté au contenu et à l'esprit du roman. Seulement, si Joseph Roth avait voulu qu'il porte ce nom, eh bien il le lui aurait donné. S'il a préféré Job, roman d'un homme simple – fidèle traduction du titre allemand, que je vous épargne –, je ne vois pas au nom de quel impératif, ou fantaisie, un traducteur et un éditeur se permettent d'en changer.)
Après avoir découvert ces deux romans essentiels, si le désir de lire d'autres livres de Joseph Roth vous point… découvrez cette pure merveille qu'est La Légende du saint buveur. C'est une simple nouvelle d'une cinquantaine de pages, c'est l'ultime texte écrit par Joseph Roth quelques mois avant sa mort, c'est un bijou, c'est un miracle.
C'est une chose vraiment à part, ni "juive", ni "austro-hongroise". C'est une bulle iridescente.
RépondreSupprimerLe plus étonnant est qu'il ait pu écrire cela dans les derniers mois de sa vie, alors qu'il était alcoolique au dernier degré, buvant des alcools forts du lever au coucher, et contraint de les mélanger entre eux pour en conserver l'effet. Il y a là quelque chose de tout à fait incompréhensible – pour moi, en tout cas.
Servez moi la même chose, et bien fraîche s'il vous plaît !
RépondreSupprimerAh sur le sujet des traducteurs, j'avoue que je ne comprends pas non plus leurs manières.
Je lisais hier un poème de Fernando Pessoa, le plus connu sans doute, qui commence ainsi : je ne suis rien, jamais je ne serai rien, je ne puis vouloir être rien...eh bien à partir de la 6° ligne le traducteur prend une liberté qui me parait parfaitement inutile. Je précise que je ne suis pas portugais mais que la compréhension du texte n'est pas d'une particulière difficulté...
RépondreSupprimerElie Arié ( de nouveau emberlificoté dans son compte Google)
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Ce qui m'épate toujours, c'est l'attachement de ce petit groupe de Juifs si productifs de la Vienne d 'avant la 1ère guerre, et qui se connaissaient tous ( Roth, Zweig,Schindler, Freud, etc.) à l'empire austro-hongrois pourtant assez antisémite, leur difficulté à survivre à son écroulement,et leur lucidité à comprendre que le sionisme était une solution artificielle qu'aucun d 'entre eux n'a envisagée. Peu d'hommes, dans l' Histoire, se sont identifiés à ce point à leur pays ( qui pourtant ne les aimait guère) et à leur époque.
Je crois que l'empire était nettement moins antisémite que la Russie voisine… ou que la Pologne.
SupprimerÇa vous laissera le temps de vider une bouteille, histoire de vous mettre dans l'ambiance !
RépondreSupprimerMouarf ! Il semblerait que le mal est fait !
RépondreSupprimerJe partage votre admiration pour "La Marche de Radetzky", ce chef-d’œuvre, et votre billet m'incite à poursuivre ma découverte de cet auteur.
RépondreSupprimerMerci pour vos conseils !
Une précision bibliographique, cependant : il existe plusieurs traductions françaises de "Hiob : Roman eines einfachen Mannes" :
- "Job, roman d'un simple juif" (par Charles Reber) paraît en 1931
- "Le poids de la grâce" (par Paule Hofer-Bury) est parue pour la première fois en 1965 (disponible dans Le Livre de poche)
- et c'est plus récemment que deux autres traductions sont revenues à un titre conforme à l'original : "Job : roman d'un homme simple" (Jean-Pierre Boyer et Silke Hass en 2011 réédité en 2018, d'une part / Stéphane Pesnel en 2012, disponible en Points, d'autre part).
Agnès Démay
Merci pour ces précisions.
Supprimermerveilleuse lecture que la Légende du saint buveur, en effet.
RépondreSupprimerPour Joseph, je n'en ai lu que deux, et ça ne m'a pas bouleversé. Pour Philip, il y en a des très bons, et des vraiment lourdauds, longuets, médiocres. Je pourrai vous faire ma liste +/- si vous voulez.
RépondreSupprimerJe suis preneur ! (Pour Philip…)
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