jeudi 30 mars 2017

La vallée des avalés


En février, nous sommes partis à la recherche des disparus de Port-Royal.
Et, en un sens, nous les avons trouvés.

lundi 27 mars 2017

Eça de Queiroz : Flaubert ascendant Balzac


Serait-il exagéré de définir José Maria Eça de Queiroz comme un “écrivain français de nationalité portugaise” ? Sans doute, oui ; ne serait-ce que parce qu'il écrivait dans sa langue maternelle et non dans la mienne. Néanmoins, lorsqu'on lit La Capitale, que ce contemporain presque parfait de Zola écrivit à la fin des années soixante-dix, on a réellement l'impression de lire un roman français, avec toutefois un certain sentiment d'étrangeté diffuse, comme si une bizarrerie presque onirique s'était glissée là, subrepticement. C'est que La Capitale, de par son sujet, son déroulement, les milieux dans lesquels évolue l'histoire, lorgne de façon explicite du côté des Illusions perdues balzaciennes (du reste, Eça de Queiroz fait explicitement référence à Balzac plusieurs fois dans le livre) ; mais, en même temps, le lecteur s'aperçoit tout de suite, avant même qu'Artur Corvelo, ce “grand homme de province” ne monte à Lisbonne (est-ce que les provinciaux portugais montent à Lisbonne comme les Lorrain ou les Gascons montent à Paris ?), que ces Illusions perdues lusitaniennes ont été vidées de leurs personnages  balzaciens pour être remplacés par ceux de l'Éducation sentimentale de Flaubert, Lucien Chardon s'est mué en Frédéric Moreau, avec tous les rétrécissements que cela entraîne, de même que les autres protagonistes se sont eux aussi débalzacisés et flaubertisés. Du reste, si l'histoire doit beaucoup à Balzac, le style, lui, penche très nettement du côté de Flaubert ; au point que, souvent, il faut aller vérifier le nom de l'auteur sur la couverture pour être bien sûr qu'on est à Lisbonne et non à Paris ou à Yonville. Exemple de phrase parfaitement flaubertienne – mais je pourrais en citer cent autres (c'est moi qui souligne) : « Il mangeait d'un appétit tout provincial et les noms français des plats les lui faisaient trouver meilleurs. » Ou encore ce début de paragraphe : « Le Moyen Âge l'enthousiasma, avec ses cathédrales et ses monastères, et le Rhin gothique avec ses châteaux d'héroïques burgraves dressés sur des pitons rocheux ; l'Orient l'enchanta, avec ses cités hérissées de minarets où se posent les cigognes, les caravanes dans le désert, les jardins des sérails où soupire, en même temps que le murmure de l'eau, la passion musulmane ; puis il fut attiré par la Renaissance italienne, ses galants Décaméron et la pompe de ses papes, etc. » ; on croit voir se dérouler une des rêveries frelatées et sans prise sur rien d'Emma Bovary.

Pour autant, le Portugais n'est pas le vil imitateur de ses prédécesseurs français (pour qui il ne s'est jamais caché d'avoir une très grande admiration). Il fait preuve presque tout le temps d'un humour légèrement teinté de cynisme qui le ferait plutôt pencher du côté de Dickens, mais avec un ton bien à lui, moins “bon enfant” que celui de l'Anglais. Il peut même lui arriver d'annoncer, de préfigurer des livres encore dans les limbes. Ainsi cette phrase : « Il s'extasia devant l'illustre Fonseca qui, dans son horreur pour les expressions vulgaires, commandait un bifteck chez Carneiro en s'écriant : “Apportez-moi un lambeau du vieil Apis préparé selon les formules du progrès !” » Est-ce qu'on n'a pas, soudain, l'impression que vient de se mettre à parler le Bloch de Proust ? De même, lorsque le personnage du journaliste parasite et exploiteur de gogos (son nom est en train de m'échapper) s'exclame “Tout pour les amis, tout !”, est-ce qu'on n'entend pas déjà monsieur Verdurin ?

À ce stade de mes ratiocinations, il est temps d'avouer que je n'ai encore lu que 230 pages sur 500, et que la suite du roman va peut-être m'infliger, ce jour ou demain, de sévères démentis.

samedi 25 mars 2017

Il y a la houle qui me saoule…


Il y a deux jours, c'était dans l'après-midi, Catherine se trouvait en même temps au petit salon et aux prises avec son iPad. Au moment où, gobelet de café en main, je passais près de la porte, je l'entendis s'exclamer à mi-voix (et, oui, on peut parfaitement s'exclamer à mi-voix, foutez-moi la paix !) : « Bon, qu'est-ce qu'il y a qui ne va pas ? » In petto je me mis à fredonner :

Qu'est-ce qu'il y a
Qui n'va pas
Mon vieil Atlantique ?
Ici tout l'monde va très bien
À part mon p'tit chien…

C'était une impulsion aussi mauvaise que pernicieuse : depuis quarante-huit heures, à tout instant de la journée, il s'en trouve toujours un de nous pour chantonner le refrain maléfique et s'irriter de sa prégnance. Donc, comme il n'y a aucune raison que nous fussions les deux seuls punis, je somme les aimables passants d'écouter séance tenante ce qui vient maintenant.


mardi 21 mars 2017

Le mal vient de plus loin


Il resterait à établir pourquoi, après avoir fait l'acquisition de trois ou quatre livres portugais, j'ai brusquement, sans même les avoir entrouverts, bifurqué vers Francis Scott Fitzgerald et Christopher Isherwood. Mais ce n'est pas très important ; et, du reste, je le sais fort bien : trois phrases de Bernard Frank y ont suffi. On n'est pas plus volage que moi.

Les Européens que nous sommes ont tendance à imaginer tout neuf le problème des minorités et de nos rapports difficiles avec elles ; nous pensons souffrir d'un cancer encore jeune, dont les métastases demeureraient encore réversibles – exception faite, bien entendu, de ceux qui, clamant leur pleine santé, se persuadent qu'ils le sont réellement. Or, il semble que le mal vient de plus loin, pour parler comme Flannery O'Connor ; plus loin dans l'espace, plus loin dans le temps.

Le bref roman de Christopher Isherwood intitulé Un homme au singulier (A Single Man) date de 1964 et a été écrit en Californie, où s'était réfugié l'auteur dans l'espoir d'y vivre son homosexualité de manière moins contrainte que dans son Angleterre natale. Il raconte une journée (la dernière ? Le doute demeurera) de la vie d'un professeur d'université nommé George, homosexuel presque quinquagénaire vivant absolument seul depuis la mort de son compagnon, Jim, quelques mois plus tôt dans un accident de voiture. Dans le premier tiers du livre, c'est-à-dire au milieu de la matinée, nous assistons au cours que donne George, sur un roman d'Aldous Huxley qui n'est pas nommé mais qu'un moins ignare en littérature anglaise n'aurait sans doute aucune peine à identifier. Vers la fin de ce cours, la discussion avec certains de ses étudiants l'amène à se lancer dans une sorte de péroraison à propos des minorités (j'en supprime quelques passages, incompréhensibles pour qui n'a pas lu les soixante-dix pages qui la précèdent ; les mots et passages soulignés le sont par Isherwood) ; voici :

« Bon… maintenant, voici les libéraux – dont font partie, j'espère, toutes les personnes qui sont dans cette salle ; ils déclarent : “Les minorités ne sont que des êtres humains, comme nous.” Bien sûr, que les minorités sont des êtres humains ; des êtres humains, non des anges. Bien sûr qu'elles sont comme nous – mais pas exactement comme nous ; voilà l'état d'hystérie libérale que nous ne connaissons que trop, où l'on se met à raconter qu'en toute sincérité l'on ne voit aucune différence entre un noir et un Suédois […]

» Ainsi, reconnaissons-le, les minorités sont formées de gens dont l'aspect, les actions et les pensées diffèrent probablement des nôtres, et qui ont des défauts que nous n'avons pas. Il se peut que leur aspect et leurs actions nous déplaisent, et que leurs défauts nous soient odieux. Mieux vaut reconnaître qu'ils nous déplaisent et nous sont odieux, que d'essayer de barbouiller nos sentiments de sentimentalité pseudo-libérale. Si nous considérons nos sentiments avec franchise, nous avons une soupape de sécurité ; si nous avons une soupape de sécurité, en réalité nous risquons moins de nous lancer dans les persécutions… Je sais bien qu'une pareille théorie n'est pas à la mode aujourd'hui. Tous autant que nous sommes, nous n'arrêtons pas de nous efforcer de croire que, si nous ignorons une chose assez longtemps, elle disparaîtra purement et simplement. […]

» Bien entendu, la persécution en elle-même est toujours un mal, je suis certain que nous sommes tous d'accord là-dessus… Mais le pire, c'est que nous tombons maintenant dans une autre hérésie libérale. Parce que la la majorité persécutrice est abominable, disent les libéraux, la minorité persécutée doit être nécessairement d'une pureté sans tache. Ne voyez-vous pas combien c'est absurde ? Qu'est-ce qui s'oppose à ce que les mauvais soient persécutés par les pires ? Tous les chrétiens massacrés dans l'arène étaient-ils obligatoirement des saints ?

» Autre chose. La minorité a son propre type d'agressivité. Elle provoque positivement les attaques de la majorité. Elle hait la majorité – non sans raison, je vous l'accorde. Elle hait même les autres minorités – parce que toutes les minorités sont en compétition : chacune proclame que ses souffrances sont les plus atroces, et que les torts qu'elle subit sont les plus graves. Et plus toutes ces minorités haïssent, plus elles sont persécutées, plus elles deviennent méchantes ! »

Texte écrit il y a plus d'un demi-siècle, donc, et dans quoi est démontée presque pièce à pièce cette “compétition victimaire” dont nous pensons qu'elle est apparue chez nous, à l'abri de nos anciens parapets, il y a vingt ou vingt-cinq ans tout au plus. Il reste que, faisant immédiatement suite à celle de Gatsby – cette valse lente animant des spectres –, la lecture d'Un homme au singulier n'est pas exactement de celles qui vous donnent envie de croire en l'homme et son avenir flamboyant – à moins qu'il ne flamboie comme un Walhalla en fin de tétralogie.

lundi 20 mars 2017

Le cardinal Mitterrand et le révérend père jésuite


Il m'a toujours paru qu'établir une comparaison entre le cardinal de Richelieu et le président Mitterrand était faire un trop grand honneur à l'un des deux. Pourtant, lisant un portrait du premier, c'est bien le visage du second qui est m'apparu derrière les lignes, comme en sous-impression. On le doit, ce portrait, à la plume du R.P. Nicolas Caussin, jésuite de son état, qui fut un temps le confesseur du jeune Louis XIII ; il avait remplacé dans cet office une ribambelle d'autres membres de la Compagnie, dont le plus connu est sans doute Pierre Coton, qui avait d'abord été le confesseur du feu roi Henri IV. Même charge, donc, mais tâches radicalement différentes : autant le père Coton devait consacrer une bonne partie de sa persuasion à détourner Henri de ses passions adultérines, autant son successeur employait la sienne à faire enfin entrer le jeune Louis dans le lit de la reine Anne pour qu'il s'y comportât en souverain ; on assure qu'il finit par y parvenir, le futur Louis XIV en faisant foi. Quoi qu'il en soit, voici le cardinal vu par le confesseur :

« Son esprit est extraordinaire et a toujours affecté d'aller aux extrémitez, sans passer par le milieu. Il est plus vaste qu'il n'est grand, hautain sans être haut, et fier sans être généreux. La finesse y passe beaucoup la prudence.

» Il ne se montre à personne avec le même visage de peur de donner quelque entrée dans son esprit. Il est hardy contre les timides et timide contre les hardys. Une heure le voit espanouy, et l'autre sur des espines… La probité est bannie de son âme, et l'ambition occupe toutes les régions de son cœur…

» Son abord est gracieux et sa langue flatteuse. Il est complaisant à ceux qu'il veut gaigner, et terrible à ceux qu'il a gaignez. Il mesure la foy à ses intérêts, et on dit qu'il escrit ses promesses sur le sable. Il arrive souvent que ce qu'il dit le plus est ce qu'il veut le moins. Il attend qu'on devine ses volontés, et sy vous ne faites rien, vous estes puny pour n'estre pas devin ; si vous faites mal, vous estes blasmé de témérité. Ses ombrages trouvent assez de fondement sur des cheveux et sur des atômes.

» Sa haine est pour les généreux, et son mespris pour ceux qui l'adorent. Son humeur le rend insupportable à ses amys et irréconciliable à ses ennemis. Il se donne la gloire de tout ce quy est mal fait sur autruy, et c'est toujours un grand crime chez luy que d'estre malheureux… »

En écho, on peut citer les deux lignes lapidaires que, en ses Mémoires, Richelieu consacre au confesseur du roi, « plus plein de lui-même que de l'esprit de Dieu, plus simple que malicieux, plus dénué de jugement que de bonne volonté, brouillon, inquiet, artificieux et trop occupé des affaires de l'État ». Et l'on sent bien que, chez le cardinal, c'est ce dernier défaut, le fait d'empiéter sur ses propres plates-bandes, qui devait paraître le moins pardonnable.

jeudi 16 mars 2017

Soyons portugais, au moins pour un moment

José Saramago, 1922 – 2010
De tous les écrivains dont le Portugal n'a pas manqué de faire offrande au monde et à notre appétit, je ne connaissais que Fernando Pessoa et José Saramago ; encore n'avais-je lu qu'un seul ouvrage de chacun : Le Livre de l'intranquillité pour le premier et L'Aveuglement pour le second. Depuis, je vivais paisiblement dans l'ignorance de tous les autres. Par quel chemin escarpé et ronceux, alors, suis-je arrivé il y a quelque temps jusqu'à Miguel Torga ? Pas moyen de m'en souvenir. Toujours est-il que j'ai fait venir à moi deux de ses livres : La Création du monde, que Wikimachin qualifie assez curieusement de “roman autobiographique”, et En franchise intérieure, extraits de son journal entre 1933 et 1977. Je n'ai pas encore ouvert La Création, mais le journal fait mes délices depuis deux ou trois après-midi (mes matinées sont prises par l'histoire des jésuites…) ; en principe je n'aime pas les journaux d'écrivains autrement que complets ; mais quand on lit “en VF”, il faut savoir se contenter de ce qui a été traduit, surtout si le travail a reçu l'imprimatur de l'auteur, ce qui est le cas. 

À partir de là, une certaine contagion a gagné, dont je pense avoir perdu le contrôle, puisque je viens de commander des livres de deux autres polygraphes lusitaniens (qu'est-ce qu'on n'irait pas écrire pour éviter une répétition !), dont c'est à peine si les patronymes s'étaient déjà frayés un chemin au travers du rideau de poils que j'ai dans les oreilles (ça, c'était pour conforter Nicolas dans ses préjugés à propos des réactionnaires authentiques) : La Capitale d'Eça de Queiròs (l'accent sur l'o est dans le mauvais sens, mais pas moyen de me rappeler la façon de faire ; et puis, ils n'ont qu'à écrire comme tout le monde, ces traîne-savates), Amour de perdition de Camilo Castelo Branco ; à quoi j'ai ajouté En chair vive, le second volume du journal de Torga, qui va de 1977 à sa mort, ou presque. Si, avec tout ça, il ne me vient pas des envies irrépressibles de gambas a la plancha généreusement arrosées de vinho verde, ce sera à désespérer de l'influence de la littérature sur les centres gustatifs.

mercredi 15 mars 2017

Le Normand, un clocher, les cigognes et la Bergotte


Qu'on ne compte pas sur moi pour aligner ici les petits faits et gestes qui ont ponctué ces trois jours passés en terre concordataire : il y aura le journal de mars, pour ça. Mais comme le billet d'annonce de départ comportait une devinette, en voici une autre : en quel village de la route des vins une certaine Catherine G., du Plessis-H., a-t-elle pris ces trois photos ? Où, entre Vosges et Rhin, peut-on croiser successivement un gros Normand rougeaud et sa chienne tricolore…


…Puis un clocher pimpant flanqué de quatre échauguettes…


…Et enfin une tour coiffée d'un nid, lui-même garni de son couple de cigognes, exactement comme si l'on venait de sauter à pieds joints dans un chromo ?

jeudi 9 mars 2017

Les retraités en goguette ultravosgienne


À partir de la fin de cet après-midi, jeudi, ayant quitté la Normandie avant l'aurore aux doigts de rose, nous nous trouverons dans ce village alsacien dont je vous laisse déterminer le nom. Pour indice : nous serons logés en l'auberge ci-dessous.

 

Vendredi en fin de journée, après avoir été faire, à Colmar, notre révérence au retable d'Issenheim, nous rallierons plus au nord la ville à la cathédrale manchote, et plus précisément certaine charmante petite place de Schiltigheim, (baissez un peu les yeux et la découvrez) où nous attendent un couple d'amis historiques ainsi que, je me plais à l'imaginer, quelques flacons de breuvage local.


Vous pouvez toujours laisser vos commentaires, mais sachez qu'ils ne seront probablement pas validés avant dimanche, journée du retour. D'ici là, je demanderai aux éventuels cambrioleurs de faire bien attention, en repartant, à ne pas enfermer Golo à l'intérieur, où il se retrouverait privé de nourriture. Je leur conseille aussi de se méfier du voisin d'en face, très observateur et lourdement armé.

lundi 6 mars 2017

La petite laine de Bernard Frank


Non, ce qui est sûr c'est que Bernard Frank n'est pas un romancier ; en tout cas, pas un à ma convenance : après deux cents pages de ses Rats, j'ai dû déclarer forfait, je m'ennuyais trop, aucun des personnages n'était encore parvenu à décoller de la surface lisse du papier ; et, comme saisi de timidité après ce premier échec, je n'ai pas encore osé me lancer dans l'Illusion comique : on verra plus tard, on va un peu laisser reposer. Ce nonobstant, est-il un écrivain ? Vraiment je le crois. Mais c'en est un qui, à l'évidence, supporte mal la contrainte des genres ; et c'est lorsqu'il se lance dans un livre sans forme préétablie, dans un cérémonial dont l'étiquette se fixe au fur et à mesure, qu'il apparaît. C'est alors qu'il s'abandonne à ces embardées dont je parlais il y a quelques jours, lorsqu'il devient lui-même son propre labyrinthe, arpentable à plaisir, que l'écrivain se révèle, souvent à des détails minuscules. J'en ai noté un, que je vous livre sans plus attendre (c'est moi qui souligne) :

« Quand on relit ces écrivains, c'était comme si, en touchant une partie de son corps, on ne ressentait plus rien. Parce que ces écrivains, quel que soit leur talent – si immense soit-il – ne correspondaient plus à rien en vous ; qu'on ne voit plus chez eux que les trucs, les ficelles, la combine ; qu'ils vous laissent froids. Et lorsqu'on vieillit, le froid, c'est ce qu'on supporte le moins. »

Jusqu'au mot “froids” — pour lequel Frank, je trouve, aurait pu se dispenser de l'italique –, on a affaire à une notation assez peu originale, quoique vraie, que l'on pourrait sans doute trouver sous la plume de n'importe quel chroniqueur pas trop éteint. Mais la dernière phrase est d'un écrivain. Parce qu'elle est l'une de ces bifurcations, dont Frank est coutumier, qui font brusquement changer le paysage, ou plutôt modifient l'angle de vue que l'on avait sur lui. Ici, c'est le lecteur qui, par son irruption, fait que la simple remarque devient tableau ; un lecteur légèrement voûté dans son fauteuil, dont le livre est sur les genoux serrés, il a un châle sur les épaules, ou une petite laine, ou, au moins, une écharpe tricotée jetée autour du cou ; et ses lunettes tombent un peu sur son nez penché.

Il y a aussi ces brèves formules qui font d'autant plus mouche qu'elles se donnent l'air de n'avoir même pas remarqué qu'il y avait une cible. Bien sûr, la pointe ne fait pas l'écrivain ; mais elle ne le dépare pas non plus, peut même l'enjoliver, comme une perle discrète piquée dans un lobe d'oreille au dessin parfait. Et je vous donne celle-ci, avant de nous séparer (elle est dans Un siècle débordé) : « Plus Mauriac est naturel, plus il est à chasser. »

dimanche 5 mars 2017

Chanson du dimanche (c'est décidé, je m'y mets !)


Je sais que ça ne vole pas bien haut, mais ça peut faire sourire… ou énerver un peu :