Les politiciens n'ont nul besoin d'attendre d'accéder aux plus hautes responsabilités pour se montrer nuisibles et sots : même lorsqu'ils se contentent de grenouiller dans le marécage municipal, ils savent déjà faire la preuve de leur nullité pompeuse. Témoin
celui-ci, homme de Progrès (de Lyon) bien évidemment, qui prend prétexte du jour où nous sommes pour jouer les esprits forts et, ce faisant, s'enduire d'un ridicule qui, rassurons-nous, ne le tuera pas.
La sottise, ou la mauvaise foi, est en place dès le titre : Non aux fêtes du 11 novembre, vestige d'une guerre civile européenne. Difficile d'accumuler autant d'erreurs en si peu de mots. D'abord, aucune fête n'a jamais eu lieu le 11 novembre, mais des commémorations. (Je passe sur ce “vestige” au singulier, dont on ne sait pas à quoi exactement il se rattache.) Ensuite, il y a cette étrange guerre civile européenne, qui est un non-sens complet. Une guerre civile, nul ne l'ignore, est un conflit se déroulant à l'intérieur d'un État, ou de toute autre entité politique reconnue. On ne voit donc pas comment la guerre de 14 – 18 pourrait être à la fois civile et mondiale. En revanche, on comprend bien le “raisonnement” de M. Blachier, qui non seulement considère que l'Union européenne est d'ores et déjà une entité de ce type, mais qui, en outre, l'applique rétrospectivement à l'Europe de 1914. À ce compte, toute guerre pourra désormais être dite civile, si l'on prend pour repère le jour lointain et hasardeux où toute la terre sera unifiée politiquement. Par exemple, en Irak, les Américains ont donc mené une guerre civile mondiale.
Autre lambeau de phrase : Bien sûr je me rends aux célébrations du 8 Mai, pour célébrer celle qui fut réellement la der des der et la victoire contre le nazisme […]. Pourquoi “bien sûr” ? Mais voyons : parce que M. Blachier, en inoxydable progressiste qu'il est, reste tout entier dressé contre le nazisme, et qu'il ne peut même pas imaginer que l'on en doute. Et comme, de plus, il a vu dans sa boule de cristal aux reflets roses que cette guerre fut réellement la der des der, nous n'avons plus qu'à nous incliner.
Du reste, M. Blachier fait preuve d'une cohérence intellectuelle que l'on devrait lui envier. Ainsi : […] évidemment je suis partisan de maintenir le souvenir, la mémoire.
Mais je trouve aujourd’hui que commémorer solennellement la guerre de 14-18 est obsolète. Maintenir la mémoire sans commémorer, n'est-ce pas…
Et pourquoi une telle commémoration est-elle “obsolète” ? Pour ceci : Déjà plus un poilu n’est encore vivant. On s'étonne, les sans-culottes ayant sans exception trépassé depuis longtemps, que M. Blachier ne jette pas toutes ses forces citoyennes dans la lutte pour la suppression du 14 juillet. Ensuite, on revient aux errances du titre : Mais si la seconde guerre mondiale fut une victoire contre le nazisme,
14-18 fut un conflit entre nations européennes, une guerre civile entre
européens. La grande cohérence intellectuelle de M. Blachier, la même qui lui faisait dire qu'il convenait de maintenir la mémoire sans commémorer, lui fait donc poser comme rigoureusement équivalents un conflit entre nations et une guerre civile.
Et quand bien même la Première Guerre serait ce qu'en dit M. Blachier ? Il semble lui avoir tout à fait échappé que, le 11 novembre, cela n'a jamais été la guerre qu'il était question de célébrer, mais au contraire sa fin. À ce titre, il n'y a pas de différence essentielle entre le 11 novembre et le 8 mai. Lequel 8 mai ne fut qu'accessoirement une victoire contre le nazisme, et avant tout contre l'Allemagne et ses alliés (dont le Japon, qui n'était pas nazi).
Je ne résiste pas au plaisir de citer les trois dernières lignes de ce billet, dont la misère conceptuelle n'a d'égale que sa richesse d'involontaire cocasserie ; les voici : Je voudrais, qu’à la place de ce qui est pour moi une tragique guerre
civile européenne [c'est bon, vieux, on a compris…], on célèbre sérieusement le 9 mai, fête de l’Europe,
fête de notre nation à venir, vraie fête de notre futur à construire en
ces temps incertains.
Commémorer ce qui reste à naître, fêter ce qui est à venir : s'il est un endroit où je n'aimerais pas habiter, c'est bien la tête de M. Blachier.