À Michel D., voix de la tentation…
Est-il possible qu'un déjeuner vous revienne à 495 €, alors que le repas est offert ? Vous m'auriez posé la question il y a trois jours, je n'aurais même pas pris la peine de répondre, me contentant d'un vague haussement d'épaules apitoyé. Mais, ça, c'était il y a trois jours…
Je suppose que Michel était animé des meilleures intentions lorsque, entre œuf en gelée et tarte aux noix, il me signala que les éditions Plon venaient de rééditer, en cinq volumes – papier bible, reliure dorée à l'or fin – sous coffret, la correspondance générale de Marcel Proust. Jamais on ne vit un virus prendre plus facilement et plus vite complète possession de son hôte.
Cette correspondance générale était jusqu'à maintenant disponible en 21 volumes dont, pour des raisons devenues obscures avec le temps, je ne possède que les dix derniers. Quand je qualifie cette collection de “disponible”, c'est par un net abus de langage, puisque précisément elle ne l'est plus depuis jolie lurette, si bien que les volumes séparés – et notamment ceux qui me font défaut – se négocient à peu près au prix du Béluga. Et voilà que, tout soudain, M. et Mme Plon me proposaient l'ensemble pour moins de cinq cents euros (oui, je sais, je sais : pas beaucoup moins…) ? Il aurait fallu être spartiate ou romain pour résister…
Je n'ai pas résisté, le coffret est arrivé ce matin, Dame Amazone ayant fait particulière diligence.
Ils se présentent fort bien, ces cinq volumes proustiens. Pourtant, je dois reconnaître avoir eu un net haut-le-corps en constatant que la préface générale de M. Thierry Laguet – romancier et traducteur absolument inconnu de moi jusqu'à ce jour – occupait les 55 premières pages de l'ensemble. Je m'attendais déjà à un interminable et indigeste rata universitaire, voire unidiversitaire, qui allait me faire monter aux lèvres une mousseuse bave rabique...
Heureuse surprise ! Il s'agit d'un texte fort élégamment écrit, dépourvu de ce jargon pâteux et auto-satisfait que je redoutais, s'attachant à retracer dans ses lignes maîtresses la vie et surtout l'immense travail de Philip Kolb, l'architecte magnifique de cette correspondance générale. Dans le maquis de laquelle je n'ai plus qu'à m'enfoncer, pour un périple de 12 000 pages – notes comprises.