vendredi 21 juillet 2023

Dear old Fellowes !


 Les cinéphiles et les amateurs de séries télévisées connaissent bien Julian Fellowes – devenu Lord Julian Fellowes en 2011 ; les cinéphiles parce qu'il fut le scénariste oscarisé du Gosford Park de Robert Altman ; les autres parce qu'ils ont vu, et donc aimé, Downton Abbey, peut-être aussi ses deux créations moins connues mais tout aussi réussies : Belgravia qui, comme son nom l'indique, se passe à Londres, et The Gilded Age qui nous transporte à New York (mais toujours, Dieu et Julian en soient loués, chez les riches,  ces “heureux du monde” dont parlait Edith Wharton, avec ce qu'il faut d'ironie, il y a un siècle).

Mais savait-on qu'avant d'être scénariste de premier plan, notre dear old Fellowes avait longtemps été acteur de seconde zone, au cinéma comme à la télévision, en Angleterre mais aussi en France (on peut le croiser dans le Place Vendôme de Nicole Garcia) ? Et qui se doutait, ici en tout cas, qu'il était également romancier ? 

Depuis hier je suis plongé dans le premier de ses trois “opus”, sobrement intitulé Snobs. Il m'a été récemment, au milieu d'autres livres de belle facture, offert par un ami (dont je tairai le nom, de peur qu'il ne voie bientôt son humble chaumière envahie par des hordes de blogueurs parasitaires, avides de profiter cyniquement de sa générosité livresque), que je remercie au passage pour les excellentes heures que je passe grâce à lui.

Le nom de Julian Fellowes brillera-t-il en éternelles lettres de feu dans le panthéon magnifique de la littérature anglaise ? Probablement pas, non. But who cares ? Et après tout qu'en sais-je ? De toute façon, la question n'est pas là. D'ailleurs, il n'y a même pas de question : il y a une évidence. Dès les premières pages de Snobs, le lecteur sait qu'il ne lâchera pas l'affaire avant le point final, et que ces quatre cents pages seront comme un voyage parfait, dépourvu de cahots douloureux et d'embardées trop brutales, tout à la fois familier et réservant de petites surprises presque à chaque tournant de route. 

On pourrait dire aussi que l'on tient en main un très beau fruit, dans lequel il suffit de mordre une fois pour savoir que sa pulpe a juste ce qu'il faut d'acidité pour en fouetter la saveur et la texture sans jamais les dénaturer. Ce pourra sembler n'être pas grand-chose, mais cela change agréablement de tous ces romans-fruits qui réussissent le prodige d'être à la fois verts et blets.

Le “pitch” de Snobs pourrait difficilement être plus pauvre et plus mince qu'il n'est en apparence. On pourrait, rien que pour lui, créer le terme de pitchounet. La belle Edith Lavery est la fille d'un expert-comptable vaguement enrichi, lui-même petit-fils d'un Juif ayant fui la Russie pogromesque de Nicolas II. Grâce au narrateur, un comédien de seconde zone (tiens, tiens !) ayant des accointances avec divers membres de la bonne société, sa route croise celle du comte Charles Broughton, le dessus de panier de l'aristocratie. Elle devient par mariage Lady Broughton (je ne casse aucun suspense, la chose étant évidente dès les dix premières pages). Quelques mois plus tard, toujours par l'entremise du narrateur, elle va se trouver en présence de Simon Russel, acteur de séries télévisées (re-tiens, tiens !) beau comme un dieu et gaulé comme un légionnaire.

Voilà, c'est tout. Ce pourrait être le prélude d'une guimauve insipide. Et même, logiquement, ça devrait l'être. En fait, non. Parce que, sur cette tête d'épingle, Julian Fellowes va faire tenir trois planètes et leurs habitants : l'aristocratie pétrie d'une morgue d'autant plus courtoise qu'elle est haute, la bourgeoisie qui ne rêve que d'accéder au “paradis” de la noblesse, et le petit monde du showbiz, qui feint d'être libéré de tous ces préjugés et envies ridicules mais dont Fellowes nous montre qu'il est en réalité régi par des lois de castes aussi impérieuses que les deux autres.

Édith Lavery, c'est le satellite qui se retrouve placé aux confins des sphères d'attraction de ces trois planètes sur lesquelles, tour à tour, elle va tenter de régner. Ou, au moins, de s'y tailler une place qu'elle s'est imaginée enviable.

La force principale de Julian Fellowes, outre le fait essentiel qu'il connaît fort bien les trois “planètes” que j'évoque, c'est qu'il parvient toujours à conserver un équilibre parfait entre l'ironie que lui inspirent les mœurs sociales et culturelles qui y règnent (l'acidité dont je parlais il y a un instant) et la tendresse souriante qu'il ressent pour tous ses personnages sans exception. Le résultat est un roman…

Bon, je pourrais, au prix d'un petit effort, trouver une demi-douzaine de qualificatifs disant tout le bien que je pense de Snobs. Je vais faire plus simple et rapide :

Snobs est un roman qui se lit comme un roman.

16 commentaires:

  1. "Snobs est un roman qui se lit comme un roman." Heureusement que vous ne commentez pas des films de cul.

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    1. Je ne me souviens plus si vous avez déjà regardé Downton Abbey, vous ? Si ce n'est pas fait, vous devriez : on ne fait pas mieux.

      (Encore que, regarder une telle chose en version doublée, ce serait franchement Margaritas ante porcos, mais bon…)

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    2. Eh bien... vous attendez quoi pour vous y mettre, hmm ?

      DG

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  2. Alors là ! Merci.
    Je ne regarde que Downton Abbey et The Gilded Age.
    Vous avez le mot juste : on ressent une grande tendresse envers tous les personnages.
    Tous ont leur grandeur et leurs faiblesses.
    Tous font face à leur destin avec une grande force.
    Les dames cuisinières sont de splendides specimen d'humanité courageuse et bienveillante.
    Quant aux majordomes... Plus nobles que leurs employeurs. J'allais dire leurs maîtres.
    Un bémol pour Cora Russell la nouvelle parvenue new-yorkaise mais elle n'est pas le diable non plus.
    Les décors sont beaux et les acteurs à la hauteur du propos.
    Carine005

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    1. Si vous mettez la main dessus, lancez-vous sur"Belgravia" : c'est du tout bon aussi !

      DG

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    2. Je ne connais pas, je vais chercher.
      Mais je vais d'abord lire Snobs.
      Carine

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    3. Du reste, avant de devenir une série télévisée, Belgravia a d'abord été un roman… que je n'ai point lu.

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  3. Bertha Russell, pardon.
    Carine

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  4. Votre billet et surtout ses commentaires m'embêtent assez: A force de lire les rétentions des séries Netflix que fait Nicolas Jégou, je me demandais si dans un avenir proche je devais prendre, moi aussi, un abonnement à cette chaine. A le lire, certains feuilletons semblent épatants. Et là, tout à trac, vous annoncez que la seule série que j'ai vue, Downton Abbey, est la meilleure. Cela me coupe toutes mes envies netflixiennes !

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    1. D'abord, personne n'a dit que Downton Abbey était "la meilleure série", ce qui est pure affaire de goût.

      Ensuite, un tel palmarès serait de toute façon impossible à établir (et idiot), dans la mesure où il existe de nombreux genres de séries n'ayant rigoureusement rien à voir entre eux.

      Enfin, ne vous laissez pas impressionner par les recensions (et non rétentions…) de Nicolas, qui est bien connu pour avoir un indécrottable goût de chiotte.

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    2. Goûts de chiotte que je n’avais pas avant de vous connaître, le vieux.
      NJ

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    3. oups, un coup à finir en rétention!

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    4. Et, à part ça, que reprochez-vous donc à Downton Abbey ?

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.