Ce matin, à l'heure où cette feignasse d'aube ne blanchit même pas encore la campagne, nous sommes partis. Pour notre villégiature habituelle. J'espère que, lisant ce billet, le digne M. Pluton pensera à mettre une bouteille au frais. On ne sait jamais...
samedi 27 décembre 2008
vendredi 26 décembre 2008
On a mangé des oeufs sur le plat
Que les gens à qui il arrive de manger des oeufs AU plat aient l'extrême obligeance de quitter immédiatement ce blog : ici, on se régale d'oeufs SUR le plat – et les deux factions sont aussi irréconciliables que des Horace et des Curiace, armés de fourchettes et de pain frais jusqu'aux dents.
Repas de ce soir, donc. Avec une petite roquette pour faire bandocher les végétariens. Dix minutes avant de passer à table, l'Irremplaçable pose la question cruciale, chaque fois reformulée : « T'en veux combien ?» Ayant surmonté les quelques secondes de dépressurisation mentale suivant immanquablement ce type de question, la sueur au front je réponds bravement : « Trois !». Je crois être tiré d'affaire, je me trompe lourdement, le passé s'apprête à me sauter à la gorge.
Une demi-cohorte de secondes plus tard, une voix me parvient de la cuisine toute proche : « Oh ben... comme ils sont tout petits, je crois que je vais en manger trois aussi.» Cet "aussi" (comme l'indiquent le gras et l'italique) me transperce littéralement ; me transporte dans une contrée parallèle que je ne reconnais pas, tout d'abord. Je m'entends asséner, d'une voix étrangement peu mienne : « Dans ce cas, j'en prendrai quatre ! » (Notez une fois de plus le gras et l'italique...)
Pourquoi cet éclat très "maréchal d'Empire" ? Ma faim, suivant la pente de mon gosier en appétence houblonnée, était-elle en train de... Non, pas spécialement. Tenais-je, à ce point, et à ce degré de ridicule, à marquer une sorte de prééminence virile s'incarnant brusquement dans l'oeuf de poule ? Bien entendu, non ; mais d'une certaine manière, oui.
M'est alors revenu le petit combat se livrant chez mes parents, autour de la table de cuisine (de mon enfance de richard et de snob, j'ai conservé un amour immodéré pour les repas pris autour des tables de cuisine – allez comprendre), toutes les années d'enfance durant – donc un siècle –, chaque fois que nous mangions des oeufs. Combat opposant mon frère cadet (de quatre années) et moi ; combat qui était finalement le seul dont j'étais assuré de sortir vainqueur — et sans lutte réelle.
Philippe supportait mal de devoir manger un oeuf de moins que moi ; il protestait, récriminait, pleurnichait volontiers. Or, bien entendu, l'affaire a duré aussi longtemps que notre accession à la déchéance adulte : lorsque j'avais droit à deux oeufs, il n'en avait qu'un, lorsque j'ai été promu à trois, il n'est passé qu'à deux ; et lorsque, enfin, j'ai accédé au nirvânâ de la tétralogie, il n'a pu se hisser qu'à une misérable et très terrienne trinité.
Philippe a vécu le comble de l'humiliation réservée à tous les cadets le jour où ma mère, fatiguée, indulgente et retorse, a accepté de lui servir le même nombre d'oeuf qu'à moi, et qu'il a été incapable de venir à bout de cette assiette surgarnie.
Parfois, je me demande si ce n'est pas pour conformer sa vie à cette scène fondamentale qu'il est ensuite parti vivre en Angleterre de son plein gré, et qu'il a... Mais non, ce serait par trop invraisemblable.
Laissez tomber : l'opacité est parfois bien douce, aux familles déjà anciennes.
Repas de ce soir, donc. Avec une petite roquette pour faire bandocher les végétariens. Dix minutes avant de passer à table, l'Irremplaçable pose la question cruciale, chaque fois reformulée : « T'en veux combien ?» Ayant surmonté les quelques secondes de dépressurisation mentale suivant immanquablement ce type de question, la sueur au front je réponds bravement : « Trois !». Je crois être tiré d'affaire, je me trompe lourdement, le passé s'apprête à me sauter à la gorge.
Une demi-cohorte de secondes plus tard, une voix me parvient de la cuisine toute proche : « Oh ben... comme ils sont tout petits, je crois que je vais en manger trois aussi.» Cet "aussi" (comme l'indiquent le gras et l'italique) me transperce littéralement ; me transporte dans une contrée parallèle que je ne reconnais pas, tout d'abord. Je m'entends asséner, d'une voix étrangement peu mienne : « Dans ce cas, j'en prendrai quatre ! » (Notez une fois de plus le gras et l'italique...)
Pourquoi cet éclat très "maréchal d'Empire" ? Ma faim, suivant la pente de mon gosier en appétence houblonnée, était-elle en train de... Non, pas spécialement. Tenais-je, à ce point, et à ce degré de ridicule, à marquer une sorte de prééminence virile s'incarnant brusquement dans l'oeuf de poule ? Bien entendu, non ; mais d'une certaine manière, oui.
M'est alors revenu le petit combat se livrant chez mes parents, autour de la table de cuisine (de mon enfance de richard et de snob, j'ai conservé un amour immodéré pour les repas pris autour des tables de cuisine – allez comprendre), toutes les années d'enfance durant – donc un siècle –, chaque fois que nous mangions des oeufs. Combat opposant mon frère cadet (de quatre années) et moi ; combat qui était finalement le seul dont j'étais assuré de sortir vainqueur — et sans lutte réelle.
Philippe supportait mal de devoir manger un oeuf de moins que moi ; il protestait, récriminait, pleurnichait volontiers. Or, bien entendu, l'affaire a duré aussi longtemps que notre accession à la déchéance adulte : lorsque j'avais droit à deux oeufs, il n'en avait qu'un, lorsque j'ai été promu à trois, il n'est passé qu'à deux ; et lorsque, enfin, j'ai accédé au nirvânâ de la tétralogie, il n'a pu se hisser qu'à une misérable et très terrienne trinité.
Philippe a vécu le comble de l'humiliation réservée à tous les cadets le jour où ma mère, fatiguée, indulgente et retorse, a accepté de lui servir le même nombre d'oeuf qu'à moi, et qu'il a été incapable de venir à bout de cette assiette surgarnie.
Parfois, je me demande si ce n'est pas pour conformer sa vie à cette scène fondamentale qu'il est ensuite parti vivre en Angleterre de son plein gré, et qu'il a... Mais non, ce serait par trop invraisemblable.
Laissez tomber : l'opacité est parfois bien douce, aux familles déjà anciennes.
jeudi 25 décembre 2008
Le réveillon bafouille
Je sais : c'est très pénible, surtout ce soir. Vous venez de rentrer chez vous, ce qui vous reste de cervelle carillonne tel Big Ben, vous êtes écoeuré de la vie, du monde, de vous – et des enfants, si par malheur il y en a dans votre entourage proche.
Une fois de plus, vous vous dites que ce qu'il y a de pire, dans le réveillon de Noël, ce n'est pas le réveillon ; c'est Noël. Ce lendemain de la veille qui tue. Vous avez commencé à digérer l'immonde foie gras de votre beau-père ("C'est un copain qui me l'envoie : reprends-en donc une tranche !") vers six heures du matin ; vers neuf heures, après la cérémonie des cadeaux au pied du sapin (et en ayant été vomir discrètement entre les trois Barbies de Vanessa et la playstation de Brandon), vous avez réussi à avaler et surtout à garder un café sans sucre.
Et voilà que Belle-Maman vous assène une assiette de dinde, moins de dix minutes après votre sortie de la douche. Il est de notoriété publique que, depuis qu'elle a dépassé les 90 kg, Belle-Maman cuisine beaucoup plus légèrement qu'avant. Moyennant quoi, les quelques centaines de grammes de bidoche blanche qu'elle vous colle d'autor sous les mandibules flottent sur une sorte de beurre fondu et brûlé – et c'est sans compter la chair à saucisse dont elle a sodomisé vigoureusement la bête avant de l'enfourner. Les pommes dauphines qui servent de garniture sentent le rayon surgelé de chez Degueule Price, vous vous prenez à rêver de garnitures de freins, juste pour pouvoir manger moins vite. Et la journée poursuit impitoyablement son cours...
Eh bien, nous, non. Il restait des oeufs de caille d'hier, il y avait des fromages sur le plateau, qui avaient encore belle allure, on s'est donc contenté de rejouer le réveillon d'hier, en mode mineur. Il n'y a que pour les bouteilles qu'on n'avait pas prévu trop large : j'ai été obligé de retourner chez le caviste ce matin.
D'un autre côté, un peu d'exercice et d'air frais après un réveillon...
Une fois de plus, vous vous dites que ce qu'il y a de pire, dans le réveillon de Noël, ce n'est pas le réveillon ; c'est Noël. Ce lendemain de la veille qui tue. Vous avez commencé à digérer l'immonde foie gras de votre beau-père ("C'est un copain qui me l'envoie : reprends-en donc une tranche !") vers six heures du matin ; vers neuf heures, après la cérémonie des cadeaux au pied du sapin (et en ayant été vomir discrètement entre les trois Barbies de Vanessa et la playstation de Brandon), vous avez réussi à avaler et surtout à garder un café sans sucre.
Et voilà que Belle-Maman vous assène une assiette de dinde, moins de dix minutes après votre sortie de la douche. Il est de notoriété publique que, depuis qu'elle a dépassé les 90 kg, Belle-Maman cuisine beaucoup plus légèrement qu'avant. Moyennant quoi, les quelques centaines de grammes de bidoche blanche qu'elle vous colle d'autor sous les mandibules flottent sur une sorte de beurre fondu et brûlé – et c'est sans compter la chair à saucisse dont elle a sodomisé vigoureusement la bête avant de l'enfourner. Les pommes dauphines qui servent de garniture sentent le rayon surgelé de chez Degueule Price, vous vous prenez à rêver de garnitures de freins, juste pour pouvoir manger moins vite. Et la journée poursuit impitoyablement son cours...
Eh bien, nous, non. Il restait des oeufs de caille d'hier, il y avait des fromages sur le plateau, qui avaient encore belle allure, on s'est donc contenté de rejouer le réveillon d'hier, en mode mineur. Il n'y a que pour les bouteilles qu'on n'avait pas prévu trop large : j'ai été obligé de retourner chez le caviste ce matin.
D'un autre côté, un peu d'exercice et d'air frais après un réveillon...
mercredi 24 décembre 2008
Elle est née, Ludivine enfant
Réveillon bouclé ? Réveillon bouclé ! De retour devant cet écran, à neuf heures moins cinq, j'ai une pensée émue et attristée pour tous les ceusses d'entre vous contraints de se taper un interminable repas de famille, absurdement retardé jusqu'à dix ou onze heures du soir, se terminant donc sur les coups de deux heures, convives verdâtres après avoir ingurgité à huit ce qui suffirait à nourrir quinze personnes, cent cinquante dans le tiers-monde – et je me refuse même à évoquer les malheureux cousus d'enfants, qui vont devoir se lever demain aux aurores, l'estomac barbouillé et l'esprit au bord de la tombe, afin d'affronter la cérémonie du déballage de cadeaux et les hurlements hystériques qui vont avec. Bref, chacun sa croix, comme on dit à Noël quand on prévoit l'avenir.
Nous, on s'est installé à l'apéro vers six heures et demie : champagne pour l'Irremplaçable, chablis premier cru pour moi, qui déteste le champagne, bien que né au milieu du dit vignoble. J'avais choisi des cantates de Bach, dont je suis total client, ainsi que nul n'ignore. Une heure plus tard, Catherine est allée chercher les oeufs de caille en gelée, préparés par ses soins l'après-midi même et accompagnés d'oeufs de truite : d'habitude, ce sont des oeufs de saumon, bien meilleurs et plus chers. Mais, en période de crise, les commerçants des régions de salauds de pauvres ne proposent même plus d'oeufs de saumon, et les riches souffrent beaucoup – les saumons aussi, mais ils ont la décence de se taire.
On a enchaîné avec un petit plateau de fromages sur mesure qui comportait :
- Du gruyère (du vrai, suisse et sans trou)
- Du livarot
- Un roquefort à tomber
- Un chaource à ne pas se relever
- Un fromage corse au lait de brebis, rond, orangé, à croûte lavée, très odorant mais un peu décevant en bouche.
Là-dessus, il était neuf heures ou presque, et on a décidé d'un commun accord que le sacrifice aux traditions avait assez duré : Catherine s'est trouvé un film, et j'ai quant à moi décidé de me réfugier entre le boeuf et l'âne, c'est-à-dire entre deux blogueurs – mais je ne citerai aucun nom, j'ai assez de procès comme ça en souffrance.
Allez, tiens, pour finir, comme on est au jour de la plus grande fête chrétienne, une réjouissante nouvelle : les travaux indispensables à la réfection de la cathédrale de Strasbourg, inscrits au budget de 2002, ont été interrompus faute d'argent, et les dégâts causés par la tempête de 1999 n'ont toujours pas été réparés. En revanche, le chantier de la grande mosquée de cette même ville, financée à hauteur de 26 % par des subventions publiques, devrait se terminer en temps et heure.
Bonne dinde, mes frères.
(Et pensez à cliquer sur la photo : elle vaut la peine...)
Nous, on s'est installé à l'apéro vers six heures et demie : champagne pour l'Irremplaçable, chablis premier cru pour moi, qui déteste le champagne, bien que né au milieu du dit vignoble. J'avais choisi des cantates de Bach, dont je suis total client, ainsi que nul n'ignore. Une heure plus tard, Catherine est allée chercher les oeufs de caille en gelée, préparés par ses soins l'après-midi même et accompagnés d'oeufs de truite : d'habitude, ce sont des oeufs de saumon, bien meilleurs et plus chers. Mais, en période de crise, les commerçants des régions de salauds de pauvres ne proposent même plus d'oeufs de saumon, et les riches souffrent beaucoup – les saumons aussi, mais ils ont la décence de se taire.
On a enchaîné avec un petit plateau de fromages sur mesure qui comportait :
- Du gruyère (du vrai, suisse et sans trou)
- Du livarot
- Un roquefort à tomber
- Un chaource à ne pas se relever
- Un fromage corse au lait de brebis, rond, orangé, à croûte lavée, très odorant mais un peu décevant en bouche.
Là-dessus, il était neuf heures ou presque, et on a décidé d'un commun accord que le sacrifice aux traditions avait assez duré : Catherine s'est trouvé un film, et j'ai quant à moi décidé de me réfugier entre le boeuf et l'âne, c'est-à-dire entre deux blogueurs – mais je ne citerai aucun nom, j'ai assez de procès comme ça en souffrance.
Allez, tiens, pour finir, comme on est au jour de la plus grande fête chrétienne, une réjouissante nouvelle : les travaux indispensables à la réfection de la cathédrale de Strasbourg, inscrits au budget de 2002, ont été interrompus faute d'argent, et les dégâts causés par la tempête de 1999 n'ont toujours pas été réparés. En revanche, le chantier de la grande mosquée de cette même ville, financée à hauteur de 26 % par des subventions publiques, devrait se terminer en temps et heure.
Bonne dinde, mes frères.
(Et pensez à cliquer sur la photo : elle vaut la peine...)
mardi 23 décembre 2008
Tu reviendras à Félix
« Pas d'affrontements dans mon oeuvre
C'est une oeuvre frileuse
Peureuse comme moi (...)
Rangez-moi avec les musiciens
Les outardes
Les innocents
Les contemplatifs
Toute ma vie loin de la foule
Mais aussi toute ma vie
Seule en face d'elle
À défaire des noeuds. »
C'est une oeuvre frileuse
Peureuse comme moi (...)
Rangez-moi avec les musiciens
Les outardes
Les innocents
Les contemplatifs
Toute ma vie loin de la foule
Mais aussi toute ma vie
Seule en face d'elle
À défaire des noeuds. »
Récoutez-moi donc ce garçon-là, juste une fois de temps en temps...
Tu ramèneras ta science
« Quand j'entends le mot "culture", je sors mon revolver. » Tout le monde évidemment connaît cette phrase. Dans son journal, François Mauriac l'attribue au maréchal Goering : il a tort ; la plupart des gens pensent que son auteur est Joseph Goebbels : ils ont tort aussi ; les mieux renseignés — dont je fais partie — sont certains qu'elle émane de Baldur von Schirach (on ne rit pas...), le fondateur des jeunesses hitlériennes : ils ont tort comme les autres.
En réalité, cette phrase émane d'un personnage, participant à la pièce Schlageter (1933) de Hans Johst, dramaturge nazi n'ayant laissé que peu de traces dans l'histoire du théâtre mondial. Ce bon Schirach n'a donc fait que reprendre à son compte une réplique destinée, sans lui, à retourner à la poussière dont elle n'aurait jamais dû sortir, et dont la traduction la plus fidèle serait quelque chose comme : « Quand quelqu'un prononce devant moi le mot "culture", j'ai envie de sortir mon revolver. »
Hans Johst aurait-il été un précurseur du monde moderne ? Je ne sais. Néanmoins, répétez-vous sa célèbre phrase, en remplaçant (par exemple) culture par identité, ou race, et le mot revolver par code pénal, et revenez m'en parler, si vous n'avez rien de mieux à faire.
En réalité, cette phrase émane d'un personnage, participant à la pièce Schlageter (1933) de Hans Johst, dramaturge nazi n'ayant laissé que peu de traces dans l'histoire du théâtre mondial. Ce bon Schirach n'a donc fait que reprendre à son compte une réplique destinée, sans lui, à retourner à la poussière dont elle n'aurait jamais dû sortir, et dont la traduction la plus fidèle serait quelque chose comme : « Quand quelqu'un prononce devant moi le mot "culture", j'ai envie de sortir mon revolver. »
Hans Johst aurait-il été un précurseur du monde moderne ? Je ne sais. Néanmoins, répétez-vous sa célèbre phrase, en remplaçant (par exemple) culture par identité, ou race, et le mot revolver par code pénal, et revenez m'en parler, si vous n'avez rien de mieux à faire.
lundi 22 décembre 2008
Petite pièce confinée et malodorante (en trois actes)
— Fais gaffe, elle va te niquer...
— Avec quoi ?
— Déconne pas, elle va te niquer !
— Non...
— Ah ? Et pourquoi ?
— Elle en a trop envie.
— Comprends pas...
— Mais si, voyons ! C'est trop important...
— Important ? Pour qui ?
— Pour personne, eh, con ! Mais pour elle, oui. C'est sa vie, si tu veux...
—Je veux bien, mais je ne comprends pas trop ce que tu racontes.
— Elle non plus.
— Ouais, enfin... n'empêche que t'as ses crocs dans les mollets !
— Non.
— Si !
— Non. Une image de crocs dans les mollets, peut-être, et encore. Cette fille, c'est... pff !... Une image...
— Elle est sage ?
— Malin...
— Ben alors ?
— Je veux dire... Enfin, c'est une... Comment dire ? Une représentation.
— Une... Mais une représentation de quoi ? De cirque ?
— si tu veux, oui. Une représentation d'elle-même. Pour essayer de voir si elle vit dans le monde des autres, si vivante, si 37°2 le matin, si... Elle joue.
— À quoi ?
— On ne sait pas trop. Sans doute à rien... À essayer de faire peur...
— À qui ?
— On ne sait pas trop non plus.
— Putain, t'es chiant ! T'es sûr qu'elle existe, au moins ?
— Non.
— Ben alors ?
— Alors quoi ?
— Alors, c'est tout ! Tu l'as baisée ou pas ?
— Je ne crois pas, non...
— Comment ça, tu ne crois pas ? Merde !
— C'est difficile... À déterminer, je veux dire...
— Déterminer, déterminer ! Oh, putain ! Je le crois pas !
— Moi non plus, pas tellement, en fait. Pourtant, il s'est passé un truc...
— T'es sûr ?
— Non.
— Avec ça, tu l'as baisée ?
— C'est pas le problème...
— Ben tiens ! Un peu quand même !
— Non.
— Putain, t'es chiant !
— Chiant pour qui ?
— Merde, t'es vraiment chiant...
[ Ils se taisent un moment. Chacun fait mine d'oublier l'autre, la présence de l'autre ; et aussi le motif de leur conversation. Ils contemplent leurs pieds, avec des yeux vaguement fixes, qui semblent douter de ce qui vient d'être dit. Puis, comme on n'est pas là seulement pour se taire, le dialogue reprend, mais un ton en dessous — le spectateur se demande s'ils n'y croient pas déjà un peu moins.]
— T'as beau dire : je comprends rien à ton histoire de représentation...
— Je sais, moi non plus... C'est une idée en l'air...
— Arrête ! C'est pas une idée en l'air !
— Qu'est-ce que t'en sais ?
— J'en sais... ce que j'en sais : c'est pas une idée en l'air !
— Non, c'est vrai...
— Bon, c'est quoi ?
— Tu fais chier ! Je ne sais pas, moi ! Une représentation, c'est... C'est une idée de femme, tiens !
— N'importe quoi !
— Pas du tout.
— Et c'est quoi, une idée de femme ?
— Attends, faut que j'aille pisser...
— Facile ! Tâche de nous trouver à boire, au moins...
[Il revient peu après, avec deux canettes de Goudale, une bière du Nord. Sa démarche est hésitante, mais l'assise est on ne peut plus franche — avec un soupir pneumatique.]
— C'est de la bière ?
— Non, de l'eau-qui-pique.
— Connard ! Donne...
[Il boit, un peu goulûment il faut bien l'avouer, réprime le premier rot, exprime le second avec une certaine satisfaction ; reboit.]
— Alors, donc : une idée de femme, hein ? Tu me fais marrer, tiens ! Elle devait bien avoir des nichons, une chatte, un cul, ton idée ?
— Oui, c'était une idée assez prenante...
— Merde, t'es trop con !
— C'est le piège de l'idée...
— Bon, d'accord, OK. Elle était comment, ton idée-en-italiques ? T'en donnerais quoi, comme représentation ?
— Tu veux dire quoi ?
— Rien, putain ! J'essaie d'alimenter, là !
— D'alimenter qui ?
— Oh, merde ! Bon, tiens, par exemple : elle était blonde ?
— Tu l'as vue, non ?
— Je te parle pas de ses cheveux ! On s'en branle, de ses cheveux !
— Ah...
— Sois sympa, noie pas le poisson : t'en as été content ?
— De quoi ?
— Vache ! Repasse-moi une bière...
[ Ils se taisent un moment, échangent quelques regards un peu flottants, mais sans excès. Néanmoins, un observateur à jeun sentirait peut-être, entre eux, un début d'animosité — mais rien n'est certain en ce domaine. ]
— Au fond, ce que tu as envie de savoir...
— Rien ! Fous-moi la paix ! Tu veux que je te dise ?
— Wof...
— Tu veux que je te dise ? T'as rêvé ! T'as rien fait avec cette fille ! Si ça se trouve, tu l'as même jamais rencontrée !
— Possible... Et ça change quoi ?
— Ça change quoi à quoi ?
— Là, c'est toi qui devient pénible...
— Pénible ?
— Pénible, yes Sir ! Pour ne pas dire pire...
— Pire que pénible ?
— Pire.
— Donc ?
— Je ne sais pas, tu m'emmerdes ! On est là, dans le froid, on cause d'une radasse à peine existante, même pas moyen de savoir si tu l'as sautée ou non, alors qu'on est censé être potes, et c'est tout juste si on finirait pas par s'engueuler.
— S'engueuler à propos de quoi ?
— Tu te fous de ma gueule ? La radasse, bon sang de bois !
— C'est pas une radasse, juste une représentation. Une idée que j'ai eue, à un moment...
(Rideau.)
— Avec quoi ?
— Déconne pas, elle va te niquer !
— Non...
— Ah ? Et pourquoi ?
— Elle en a trop envie.
— Comprends pas...
— Mais si, voyons ! C'est trop important...
— Important ? Pour qui ?
— Pour personne, eh, con ! Mais pour elle, oui. C'est sa vie, si tu veux...
—Je veux bien, mais je ne comprends pas trop ce que tu racontes.
— Elle non plus.
— Ouais, enfin... n'empêche que t'as ses crocs dans les mollets !
— Non.
— Si !
— Non. Une image de crocs dans les mollets, peut-être, et encore. Cette fille, c'est... pff !... Une image...
— Elle est sage ?
— Malin...
— Ben alors ?
— Je veux dire... Enfin, c'est une... Comment dire ? Une représentation.
— Une... Mais une représentation de quoi ? De cirque ?
— si tu veux, oui. Une représentation d'elle-même. Pour essayer de voir si elle vit dans le monde des autres, si vivante, si 37°2 le matin, si... Elle joue.
— À quoi ?
— On ne sait pas trop. Sans doute à rien... À essayer de faire peur...
— À qui ?
— On ne sait pas trop non plus.
— Putain, t'es chiant ! T'es sûr qu'elle existe, au moins ?
— Non.
— Ben alors ?
— Alors quoi ?
— Alors, c'est tout ! Tu l'as baisée ou pas ?
— Je ne crois pas, non...
— Comment ça, tu ne crois pas ? Merde !
— C'est difficile... À déterminer, je veux dire...
— Déterminer, déterminer ! Oh, putain ! Je le crois pas !
— Moi non plus, pas tellement, en fait. Pourtant, il s'est passé un truc...
— T'es sûr ?
— Non.
— Avec ça, tu l'as baisée ?
— C'est pas le problème...
— Ben tiens ! Un peu quand même !
— Non.
— Putain, t'es chiant !
— Chiant pour qui ?
— Merde, t'es vraiment chiant...
[ Ils se taisent un moment. Chacun fait mine d'oublier l'autre, la présence de l'autre ; et aussi le motif de leur conversation. Ils contemplent leurs pieds, avec des yeux vaguement fixes, qui semblent douter de ce qui vient d'être dit. Puis, comme on n'est pas là seulement pour se taire, le dialogue reprend, mais un ton en dessous — le spectateur se demande s'ils n'y croient pas déjà un peu moins.]
— T'as beau dire : je comprends rien à ton histoire de représentation...
— Je sais, moi non plus... C'est une idée en l'air...
— Arrête ! C'est pas une idée en l'air !
— Qu'est-ce que t'en sais ?
— J'en sais... ce que j'en sais : c'est pas une idée en l'air !
— Non, c'est vrai...
— Bon, c'est quoi ?
— Tu fais chier ! Je ne sais pas, moi ! Une représentation, c'est... C'est une idée de femme, tiens !
— N'importe quoi !
— Pas du tout.
— Et c'est quoi, une idée de femme ?
— Attends, faut que j'aille pisser...
— Facile ! Tâche de nous trouver à boire, au moins...
[Il revient peu après, avec deux canettes de Goudale, une bière du Nord. Sa démarche est hésitante, mais l'assise est on ne peut plus franche — avec un soupir pneumatique.]
— C'est de la bière ?
— Non, de l'eau-qui-pique.
— Connard ! Donne...
[Il boit, un peu goulûment il faut bien l'avouer, réprime le premier rot, exprime le second avec une certaine satisfaction ; reboit.]
— Alors, donc : une idée de femme, hein ? Tu me fais marrer, tiens ! Elle devait bien avoir des nichons, une chatte, un cul, ton idée ?
— Oui, c'était une idée assez prenante...
— Merde, t'es trop con !
— C'est le piège de l'idée...
— Bon, d'accord, OK. Elle était comment, ton idée-en-italiques ? T'en donnerais quoi, comme représentation ?
— Tu veux dire quoi ?
— Rien, putain ! J'essaie d'alimenter, là !
— D'alimenter qui ?
— Oh, merde ! Bon, tiens, par exemple : elle était blonde ?
— Tu l'as vue, non ?
— Je te parle pas de ses cheveux ! On s'en branle, de ses cheveux !
— Ah...
— Sois sympa, noie pas le poisson : t'en as été content ?
— De quoi ?
— Vache ! Repasse-moi une bière...
[ Ils se taisent un moment, échangent quelques regards un peu flottants, mais sans excès. Néanmoins, un observateur à jeun sentirait peut-être, entre eux, un début d'animosité — mais rien n'est certain en ce domaine. ]
— Au fond, ce que tu as envie de savoir...
— Rien ! Fous-moi la paix ! Tu veux que je te dise ?
— Wof...
— Tu veux que je te dise ? T'as rêvé ! T'as rien fait avec cette fille ! Si ça se trouve, tu l'as même jamais rencontrée !
— Possible... Et ça change quoi ?
— Ça change quoi à quoi ?
— Là, c'est toi qui devient pénible...
— Pénible ?
— Pénible, yes Sir ! Pour ne pas dire pire...
— Pire que pénible ?
— Pire.
— Donc ?
— Je ne sais pas, tu m'emmerdes ! On est là, dans le froid, on cause d'une radasse à peine existante, même pas moyen de savoir si tu l'as sautée ou non, alors qu'on est censé être potes, et c'est tout juste si on finirait pas par s'engueuler.
— S'engueuler à propos de quoi ?
— Tu te fous de ma gueule ? La radasse, bon sang de bois !
— C'est pas une radasse, juste une représentation. Une idée que j'ai eue, à un moment...
(Rideau.)
Le fils de la mère, et l'homme par-dessus tout
J'aime beaucoup mes lectrices (pas forcément toutes), mais je crois qu'elles n'ont rien à faire ici, ce jour. Je parle aux hommes, rien qu'à eux. Parce qu'il va être question de leur mère ; or, seuls les hommes ont une mère véritable : les femmes n'ont rien de plus, en ce domaine, qu'une borne un peu encombrante — ou une rivale quand les dents se mettent à dépasser des gencives.
[Avant d'entrer dans le vif du sujet que je vous propose, il convient de noter que je parle des vraies mères, des supportables, celles qui vivent avec ce qu'on appelle encore un père. Les autres, les isolées, les prédatrices, les laissées pour compte, les j'élève-mon-enfant-tout'-seule ne sont que les pourvoyeuses des cabinets de psychanalystes de demain matin : no way.]
Revenons donc à ceux d'entre nous qui ont eu la chance hasardeuse ("hasardeuse" est pour vous, mes jeunes amis) d'avoir une mère, et non seulement une couveuse solitaire ; une femme avec laquelle on a plus ou moins tenté de grandir, et avec laquelle on va immanquablement vieillir — surtout elle, et c'est la question.
Une mère et son fils passent le temps de manière très différente ; il ne s'étire pas de la même manière, c'est à peine si on se sent frétiller dans le même univers. Et plus le temps s'accélère, moins on... N'étant nullement équipé pour la théorie et le raisonnement, je vais vous prendre un exemple.
Mon premier réflexe, lorsque les gentils brutus (ceux qui travaillent) de l'autoroute A 14 m'ont embastillé et sucré mon permis de conduire, a été de dire à Catherine (et à ma soeur) : "Que ma mère n'en sache rien." Elle n'en a rien su, je crois. Pourquoi cette idée ? J'y ai pensé depuis. Deux raisons apparemment contradictoires :
1) l'homme responsable que je suis devenu ne voulait pas que sa mère vieillissante se ronge les sangs pour rien ;
2) le petit garçon que je suis resté ne se sentait qu'à moitié (et encore) capable d'affronter le regard de reproche qu'il devinait par avance.
Les deux options ne sont pas incompatibles, elles sont même parfaitement complémentaires, et bien articulées l'une à l'autre, je crois. Mais, alors, s'érige la barrière de l'âge. Observez vos mères, mes bons amis. Non, mieux que cela : regardez-les vraiment ; traquez leurs gestes amoindris, leurs yeux plus troubles, leur pas alourdi ; et cette indulgence à votre endroit qui semble devenir moins rieuse, presque un regret — ou alors quelque chose comme un regard s'efforçant de percer le mur du monde, celui ou elles ne seront plus et où vous continuerez à plastronner, au moins à faire semblant.
On ne fait pas tous semblant de la même façon. Je pourrais citer des noms, mais ça n'a guère d'intérêt. L'homme de cinquante ans ne peut avoir la même mère que celui de quarante, mais ils sont proches de se rejoindre ; celui de trente ne peut encore rien comprendre à tout cela — son temps viendra, il est même très proche, mais il n'en sait rien et c'est tant mieux.
Aucun trentagénaire (je viens de l'inventer : je vous l'offre) ne peut deviner la mutation qui l'attend ; comment pourrait-il savoir, petit garçon éternel, qu'il va pourtant devoir, le demeurant, se préparer à devenir l'homme — enfin l'homme, le fort et l'unique — que rien ne l'a préparé à être ? Et comment soutiendra-t-il ce poids de chair et de passé qui continue de le porter — sans même l'idée d'un jugement quelconque ?
[Avant d'entrer dans le vif du sujet que je vous propose, il convient de noter que je parle des vraies mères, des supportables, celles qui vivent avec ce qu'on appelle encore un père. Les autres, les isolées, les prédatrices, les laissées pour compte, les j'élève-mon-enfant-tout'-seule ne sont que les pourvoyeuses des cabinets de psychanalystes de demain matin : no way.]
Revenons donc à ceux d'entre nous qui ont eu la chance hasardeuse ("hasardeuse" est pour vous, mes jeunes amis) d'avoir une mère, et non seulement une couveuse solitaire ; une femme avec laquelle on a plus ou moins tenté de grandir, et avec laquelle on va immanquablement vieillir — surtout elle, et c'est la question.
Une mère et son fils passent le temps de manière très différente ; il ne s'étire pas de la même manière, c'est à peine si on se sent frétiller dans le même univers. Et plus le temps s'accélère, moins on... N'étant nullement équipé pour la théorie et le raisonnement, je vais vous prendre un exemple.
Mon premier réflexe, lorsque les gentils brutus (ceux qui travaillent) de l'autoroute A 14 m'ont embastillé et sucré mon permis de conduire, a été de dire à Catherine (et à ma soeur) : "Que ma mère n'en sache rien." Elle n'en a rien su, je crois. Pourquoi cette idée ? J'y ai pensé depuis. Deux raisons apparemment contradictoires :
1) l'homme responsable que je suis devenu ne voulait pas que sa mère vieillissante se ronge les sangs pour rien ;
2) le petit garçon que je suis resté ne se sentait qu'à moitié (et encore) capable d'affronter le regard de reproche qu'il devinait par avance.
Les deux options ne sont pas incompatibles, elles sont même parfaitement complémentaires, et bien articulées l'une à l'autre, je crois. Mais, alors, s'érige la barrière de l'âge. Observez vos mères, mes bons amis. Non, mieux que cela : regardez-les vraiment ; traquez leurs gestes amoindris, leurs yeux plus troubles, leur pas alourdi ; et cette indulgence à votre endroit qui semble devenir moins rieuse, presque un regret — ou alors quelque chose comme un regard s'efforçant de percer le mur du monde, celui ou elles ne seront plus et où vous continuerez à plastronner, au moins à faire semblant.
On ne fait pas tous semblant de la même façon. Je pourrais citer des noms, mais ça n'a guère d'intérêt. L'homme de cinquante ans ne peut avoir la même mère que celui de quarante, mais ils sont proches de se rejoindre ; celui de trente ne peut encore rien comprendre à tout cela — son temps viendra, il est même très proche, mais il n'en sait rien et c'est tant mieux.
Aucun trentagénaire (je viens de l'inventer : je vous l'offre) ne peut deviner la mutation qui l'attend ; comment pourrait-il savoir, petit garçon éternel, qu'il va pourtant devoir, le demeurant, se préparer à devenir l'homme — enfin l'homme, le fort et l'unique — que rien ne l'a préparé à être ? Et comment soutiendra-t-il ce poids de chair et de passé qui continue de le porter — sans même l'idée d'un jugement quelconque ?
dimanche 21 décembre 2008
Imaginons Maginot
« Certains spectateurs étrangers du conflit actuel se plaignent que l'intérêt languit et se demandent, paraît-il, pourquoi nous faisons une guerre aussi ennuyeuse. »
François Mauriac, Journal, 22 décembre 1939.
François Mauriac, Journal, 22 décembre 1939.
samedi 20 décembre 2008
Tu reviendras sans l'avoir vue
Les piétons vont et viennent le long du trottoir ; pas elle : elle va. Ils marchent dessus ; pas elle : elle le piétine. Elle pense que l'éclat de son sourire et la dureté de ses poings fermés, aux jointures grossies par des années de rage sans objet particulier, la font marcher droit et fier ; il n'est pas certain que, parmi les gens qui la croisent, certains n'aient pas l'oeil dévié par le flottement à peine perceptible de sa démarche, qu'ils ne soient pas vaguement effrayés, le temps du croisement, par la cassure aiguë de ses hanches, cependant qu'elle avance. Deux ou trois, sans doute, comprennent qu'elle n'avance pas ; qu'elle fonce, sans savoir vers quoi. Alors, ils entrent dans le café le plus immédiat, pour avaler n'importe quoi de chaud ou d'alcoolique. Puis, ils l'oublient et repartent.
Mais elle ne s'oublie pas. La dureté résistante du trottoir lui est un défi, presque une insulte ; de même les regards indifférents et les hommes dont les épaules n'expriment aucun désir, la dépassant sans le savoir. Pour faire paraître moins long le trajet, elle élabore des plans de vengeance. Elle est très douée pour la vengeance. Pas pour la haine ni la férocité, mais pour la vengeance, l'attaque en second. Elle se rêve parfois tigresse, elle se découvre hyène, et c'est ce qui accentue son sourire. Elle pense que ses mâchoires sont un râtelier, duquel pendent des armes toutes prêtes ; et elle croit que cela se voit. Elle tue le trottoir, à chaque pas.
Elle tient une laisse à la main ; personne au bout. La rugosité du cuir attiédi suffit à ses mains callées par les caresses machinales, elle serre les phalanges — et tandis que les passants s'écoulent à ses bords, comme l'huile au flanc des poissons morts, elle avance vers la bouche sombre ; s'y plonge, le sourire bien immobile, presque photographique.
Elle écrase chaque marche, assurée qu'aucune, jamais, ne lui résistera ; les degrés restent silencieux, et elle ressent un début d'agacement, une montée de salive, à leur indifférence. Le besoin se fait sentir de chairs à déchirer — mais il faut attendre encore un peu, être patiente ; et ne pas cesser surtout de sourire, même pour personne, surtout dans le vide.
Le vide lui appartient, elle le sait ; comme à tous ceux à qui n'arrivent que des choses fausses. Elle produit un considérable effort des muscles et des nerfs pour ne remarquer personne en étant vue de tous. En réalité, un observateur plus attentif, ou simplement compatissant à la douleur de la solitude, remarquerait que ses yeux ont ce tremblement incertain qui s'appelle une prière. Mais le blasphème transparaît derrière ses rogations, et nul ne lui prête attention ; ses jointures se durcissent encore et le sourire se fait fondant.
Enfin, elle ressort des boyaux de la terre, avec les autres mais sans eux, irrémédiable séparée ; elle marche vers le rectangle lumineux — phalène sursitaire —, derrière lequel ses futurs adorateurs grenouillent comme des proies.
Elle pose ses doigts trémulants sur les petits carrés alignés, blancs ou noirs, et, sourire envolé, tape le code de son paradis — cet éden où elle était seule dès avant sa naissance.
Mais elle ne s'oublie pas. La dureté résistante du trottoir lui est un défi, presque une insulte ; de même les regards indifférents et les hommes dont les épaules n'expriment aucun désir, la dépassant sans le savoir. Pour faire paraître moins long le trajet, elle élabore des plans de vengeance. Elle est très douée pour la vengeance. Pas pour la haine ni la férocité, mais pour la vengeance, l'attaque en second. Elle se rêve parfois tigresse, elle se découvre hyène, et c'est ce qui accentue son sourire. Elle pense que ses mâchoires sont un râtelier, duquel pendent des armes toutes prêtes ; et elle croit que cela se voit. Elle tue le trottoir, à chaque pas.
Elle tient une laisse à la main ; personne au bout. La rugosité du cuir attiédi suffit à ses mains callées par les caresses machinales, elle serre les phalanges — et tandis que les passants s'écoulent à ses bords, comme l'huile au flanc des poissons morts, elle avance vers la bouche sombre ; s'y plonge, le sourire bien immobile, presque photographique.
Elle écrase chaque marche, assurée qu'aucune, jamais, ne lui résistera ; les degrés restent silencieux, et elle ressent un début d'agacement, une montée de salive, à leur indifférence. Le besoin se fait sentir de chairs à déchirer — mais il faut attendre encore un peu, être patiente ; et ne pas cesser surtout de sourire, même pour personne, surtout dans le vide.
Le vide lui appartient, elle le sait ; comme à tous ceux à qui n'arrivent que des choses fausses. Elle produit un considérable effort des muscles et des nerfs pour ne remarquer personne en étant vue de tous. En réalité, un observateur plus attentif, ou simplement compatissant à la douleur de la solitude, remarquerait que ses yeux ont ce tremblement incertain qui s'appelle une prière. Mais le blasphème transparaît derrière ses rogations, et nul ne lui prête attention ; ses jointures se durcissent encore et le sourire se fait fondant.
Enfin, elle ressort des boyaux de la terre, avec les autres mais sans eux, irrémédiable séparée ; elle marche vers le rectangle lumineux — phalène sursitaire —, derrière lequel ses futurs adorateurs grenouillent comme des proies.
Elle pose ses doigts trémulants sur les petits carrés alignés, blancs ou noirs, et, sourire envolé, tape le code de son paradis — cet éden où elle était seule dès avant sa naissance.
vendredi 19 décembre 2008
Le Père Noël est (aussi) en avance rue Doudeauville
Il me semble avoir déjà raconté ici comment, en villégiature dans le Périgord, il y a quelques années, l'Irremplaçable et moi n'avions cessé de buter sur Julian Barnes et ce qui devait bien être son épouse, en tout cas une personne de sexe féminin. Enfin, bon : on l'avait croisé deux fois en dix jours, ce n'est pas Au-delà du réel non plus.
Avant-hier, à l'issue d'un fort agréable dîner inter-blogueurs, réunissant des personnes dont je tairai les noms, dans la mesure où qu'il ne fait pas bon être vu en ma compagnie ces derniers temps, je me suis vu offrir Arthur et George, roman de ce même Julian Barnes. Dont je vais aller de ce pas commencer la lecture. D'où la fin abrupte de ce billet. Je sais, c'est nul.
Avant-hier, à l'issue d'un fort agréable dîner inter-blogueurs, réunissant des personnes dont je tairai les noms, dans la mesure où qu'il ne fait pas bon être vu en ma compagnie ces derniers temps, je me suis vu offrir Arthur et George, roman de ce même Julian Barnes. Dont je vais aller de ce pas commencer la lecture. D'où la fin abrupte de ce billet. Je sais, c'est nul.
jeudi 18 décembre 2008
Tu reviendras à Flaubert (en passant par Chevillard)
« Tel que vous me voyez, j’ai lu toutes les lettres de Flaubert. Parfois, il m’appelle Ernest Chevalier, parfois Jules Duplan, parfois même Mademoiselle Leroyer de Chantepie, c’est moi, pourtant, c’est bien moi, ondoyant et divers, que seul son pénétrant génie pouvait ainsi percer à jour. »
Éric Chevillard
Éric Chevillard
Tu reviendras à Pacy
La rue Isambard de Pacy-sur-Eure (ses commerces, sa mairie, ses passages pour piétons, ses chiens aux grands yeux compréhensifs), six heures du soir et la bruine qui va avec, tout embarbouillée de guirlandes alternatives, et les haut-parleurs qui vous hèlent les esgourdes avec El condor pasa joué à la flûte andine : il faut avoir connu ça une fois, au moins, si l'on veut prétendre au titre d'homme.
mercredi 17 décembre 2008
La paix des cimes
« Pour en terminer avec cette Nuit blanche, une anecdote si vous le voulez bien : à quelque temps de cette sainte Nuit-là, on a appris que le chef de service des cimetières de la Ville de Paris venait d'être viré par le maire adjoint à l'environnement, un Vert nommé Contassot, sous le prétexte qu'il avait eu le culot de s'opposer à la volonté du dit Contassot d'inclure le Père-Lachaise dans l'opération Nuit blanche. Par quoi l'on peut une fois de plus vérifier que le festivisme est un despotisme. Et ce despotisme devient même furieux lorsqu'on l'empêche de transformer en friches à raves les grands cimetières sous la lune. Delanoë c'est : J'irai karaoker sur vos tombes. »
Philippe Muray, Festivus festivus, Fayard, p. 252.
(Je laisse les commentaires fermés encore un jour ou deux : la Mère Tapedur et ses divers corollaires sont très agités ces temps-ci et cherchent le meilleur moyen de m'expédier dans le plus proche cul de basse-fosse : il faut bien qu'envie de pénal se passe...)
Philippe Muray, Festivus festivus, Fayard, p. 252.
(Je laisse les commentaires fermés encore un jour ou deux : la Mère Tapedur et ses divers corollaires sont très agités ces temps-ci et cherchent le meilleur moyen de m'expédier dans le plus proche cul de basse-fosse : il faut bien qu'envie de pénal se passe...)
mardi 16 décembre 2008
Aujourd'hui, je lui ai bourré la gueule (à mon iPod)
C'est mon cadeau que le Père Noël a apporté en avance, afin de ne pas être trop charrette le 24, d'autant que, ce soir-là, il doit arrêter son traîneau à la con devant la Comète, avant le début de sa tournée. Comme celle-ci se termine traditionnellement par le Tiers-Monde, il risque d'y avoir de la perturbance dans la distribution des bols de riz, c'est à craindre.
Bref, j'ai remplacé mon vieux nano (pas plus d'un an au compteur, tout de même) par un classic, beaucoup plus gros, mais petit néanmoins. Ce machin de la taille d'un paquet de clopes et épais comme une pochette d'allumettes contient, me souffle-t-on dans l'oreillette, quelque chose comme "120 GO". Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte, mais de nos jours, on peut faire tenir 120 «Gentils Organisateurs», dans une demi-boîte de sardines : ça représente tout de même trois ou quatre Choeurs de l'Armée Rouge - dont je reste par ailleurs très fan. Avant de brancher la bête, j'ai grossièrement calculé que je lui pouvais enfourner l'équivalent de deux mille CD dans la panse, au gars classic. Et le vertige m'a saisi.
Car commander un iPod est la partie facile et rapide de l'opération. Ensuite, il faut le nourrir. Et ça bouffe plus qu'un tamagoshi, je vous prie de croire. J'y suis depuis trois jours, à ne rien faire d'autre (sauf prendre connaissance des insultes des uns et des autres sur les petits blogounets, le mien compris - mais bon, c'est moi qui ai commencé, rien à dire...). Je suis tout de même effaré de constater que la Tétralogie du gars Wagner (dont je suis très... Comment dites-vous déjà ?) a à peine suffi à faire frémir le curseur lumineux et coloré indiquant le remplissage de mon tamagoshi hurleur.
Le pis est que, n'ayant strictement rien compris à son manuel d'utilisation, quelque chose me dit que, lorsqu'il sera plein, je vais me retrouver avec quelque deux mille heures de musique entassée dans le plus complet désordre, et de ce fait totalement inaudible. Voilà ce que c'est, de se fier à un Père Noël aussi alcoolo qu'un left blogueur.
Bref, j'ai remplacé mon vieux nano (pas plus d'un an au compteur, tout de même) par un classic, beaucoup plus gros, mais petit néanmoins. Ce machin de la taille d'un paquet de clopes et épais comme une pochette d'allumettes contient, me souffle-t-on dans l'oreillette, quelque chose comme "120 GO". Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte, mais de nos jours, on peut faire tenir 120 «Gentils Organisateurs», dans une demi-boîte de sardines : ça représente tout de même trois ou quatre Choeurs de l'Armée Rouge - dont je reste par ailleurs très fan. Avant de brancher la bête, j'ai grossièrement calculé que je lui pouvais enfourner l'équivalent de deux mille CD dans la panse, au gars classic. Et le vertige m'a saisi.
Car commander un iPod est la partie facile et rapide de l'opération. Ensuite, il faut le nourrir. Et ça bouffe plus qu'un tamagoshi, je vous prie de croire. J'y suis depuis trois jours, à ne rien faire d'autre (sauf prendre connaissance des insultes des uns et des autres sur les petits blogounets, le mien compris - mais bon, c'est moi qui ai commencé, rien à dire...). Je suis tout de même effaré de constater que la Tétralogie du gars Wagner (dont je suis très... Comment dites-vous déjà ?) a à peine suffi à faire frémir le curseur lumineux et coloré indiquant le remplissage de mon tamagoshi hurleur.
Le pis est que, n'ayant strictement rien compris à son manuel d'utilisation, quelque chose me dit que, lorsqu'il sera plein, je vais me retrouver avec quelque deux mille heures de musique entassée dans le plus complet désordre, et de ce fait totalement inaudible. Voilà ce que c'est, de se fier à un Père Noël aussi alcoolo qu'un left blogueur.
Du déclin et de l'optimisme
Une rencontre intéressante entre Emmanuel Todd et Élisabeth Lévy. Pour causer.
lundi 15 décembre 2008
Tu reviendras sur le sujet
Près de cinquante commentaires, donc, à seule fin de savoir si on peut être "fan" de Jean-Sébastien Bach (de lui ou de sa musique, du reste ?) ou non. Quelques-uns m'approuvant, beaucoup contestant l'avis que j'avais exprimé, plus les amusantes variations habituelles (tout à fait dans le ton, pour le coup), sans compter la petite rafale de Kalachnikov d'usage. Avec, en toile de fond, l'inévitable élitisme, ce mot devenu gros.
Enfin, une remarque de M. Balmeyer, de tonalité plutôt critique et qui, me semble-t-il, élargit un peu la perspective, ou, plus exactement, quitte la question initiale pour en poser une autre, située dans un champ différent. Voici le commentaire qui m'est fait :
« Mais moi j'ai trouvé qui était le "fan de Bach" ! Et je l'aime beaucoup ce garçon là. Oh, je n'ai pas eu à chercher bien longtemps dans nos "lectures communes", connaissant bien les "bouquets missaires" de Didier...
« D'ailleurs Didier, vous êtes - et je n'aurais pas le prix Nobel pour cette révélation - un chieur ! Mettre une citation sans préciser la source, histoire de faire de nous les complices involontaires de vos humeurs, ce n'est pas très... cool. Et je ne suis pas très... fan ! »
D'abord, pourquoi, en effet, n'avoir pas cité nommément le blog où j'avais puisé mon inspiration ? Pour une raison fort simple : je n'avais, au fond, aucune raison d'en stigmatiser le tenancier, qui ne m'a fourni qu'un prétexte à réflexion (courte, la réflexion, je vous l'accorde), et auquel je ne m'intéresse que pour des motifs que l'on pourrait qualifier de blogo-anthropologiques. J'ai d'autres réservoirs du même tonneau, si je puis dire .
(Du reste, dans le même ordre d'idée mais en sens inverse, je dois bien avoir deux ou trois visiteurs qui ne viennent me lire, régulièrement ou non, que pour vérifier la manière dont "fonctionne" un gros con réac : je les comprends fort bien et les accueille de grand coeur.)
Revenons à ce que dit M. Balmeyer, ou plus exactement à ce qu'il me reproche. Une chose simple : d'avoir cité un garçon qu'il aime bien (lui et son blog, je suppose) sans dire qu'il s'agissait de lui. Et donc, précise-t-il, d'avoir fait de lui, Balmeyer, le complice involontaire de mes humeurs.
Que signifie cette plainte ? Je ne vois pour ma part qu'une explication : que, me lisant, M. Balmeyer s'est trouvé d'accord ("complice") avec moi et a ri de ma "cible anonyme". Qu'il a, à un degré ou un autre, trouvé le syntagme "fan de Bach" en effet un peu ridicule. Mais voilà que, dans un deuxième temps, il découvre que l'expression malheureuse émane d'un garçon qu'il aime beaucoup.
Du coup, c'est contre moi qu'il se retourne (gentiment, certes) ; moi qui deviens à ses yeux coupable de son propre rire. Et l'on comprend, on croit deviner, que, si j'avais d'entrée cité l'auteur de la formule, M. Balmeyer n'aurait pas ri, se serait astreint à gommer le comique de la formule employée par le garçon-qu'il-aime-beaucoup. Il aurait eu toute lattitude, en bref, de fermer les yeux et les oreilles, possibilité dont je l'ai un peu sadiquement privé en ne révélant pas le nom du garçon-etc. Par conséquent, il m'en veut, sans moi rien ne serait arrivé : on n'est pas très loin du messager grec, exécuté pour la mauvaise nouvelle qu'il apporte.
Et je trouve cette attitude, malgré sa résonance antique, éminemment moderne.
Enfin, une remarque de M. Balmeyer, de tonalité plutôt critique et qui, me semble-t-il, élargit un peu la perspective, ou, plus exactement, quitte la question initiale pour en poser une autre, située dans un champ différent. Voici le commentaire qui m'est fait :
« Mais moi j'ai trouvé qui était le "fan de Bach" ! Et je l'aime beaucoup ce garçon là. Oh, je n'ai pas eu à chercher bien longtemps dans nos "lectures communes", connaissant bien les "bouquets missaires" de Didier...
« D'ailleurs Didier, vous êtes - et je n'aurais pas le prix Nobel pour cette révélation - un chieur ! Mettre une citation sans préciser la source, histoire de faire de nous les complices involontaires de vos humeurs, ce n'est pas très... cool. Et je ne suis pas très... fan ! »
D'abord, pourquoi, en effet, n'avoir pas cité nommément le blog où j'avais puisé mon inspiration ? Pour une raison fort simple : je n'avais, au fond, aucune raison d'en stigmatiser le tenancier, qui ne m'a fourni qu'un prétexte à réflexion (courte, la réflexion, je vous l'accorde), et auquel je ne m'intéresse que pour des motifs que l'on pourrait qualifier de blogo-anthropologiques. J'ai d'autres réservoirs du même tonneau, si je puis dire .
(Du reste, dans le même ordre d'idée mais en sens inverse, je dois bien avoir deux ou trois visiteurs qui ne viennent me lire, régulièrement ou non, que pour vérifier la manière dont "fonctionne" un gros con réac : je les comprends fort bien et les accueille de grand coeur.)
Revenons à ce que dit M. Balmeyer, ou plus exactement à ce qu'il me reproche. Une chose simple : d'avoir cité un garçon qu'il aime bien (lui et son blog, je suppose) sans dire qu'il s'agissait de lui. Et donc, précise-t-il, d'avoir fait de lui, Balmeyer, le complice involontaire de mes humeurs.
Que signifie cette plainte ? Je ne vois pour ma part qu'une explication : que, me lisant, M. Balmeyer s'est trouvé d'accord ("complice") avec moi et a ri de ma "cible anonyme". Qu'il a, à un degré ou un autre, trouvé le syntagme "fan de Bach" en effet un peu ridicule. Mais voilà que, dans un deuxième temps, il découvre que l'expression malheureuse émane d'un garçon qu'il aime beaucoup.
Du coup, c'est contre moi qu'il se retourne (gentiment, certes) ; moi qui deviens à ses yeux coupable de son propre rire. Et l'on comprend, on croit deviner, que, si j'avais d'entrée cité l'auteur de la formule, M. Balmeyer n'aurait pas ri, se serait astreint à gommer le comique de la formule employée par le garçon-qu'il-aime-beaucoup. Il aurait eu toute lattitude, en bref, de fermer les yeux et les oreilles, possibilité dont je l'ai un peu sadiquement privé en ne révélant pas le nom du garçon-etc. Par conséquent, il m'en veut, sans moi rien ne serait arrivé : on n'est pas très loin du messager grec, exécuté pour la mauvaise nouvelle qu'il apporte.
Et je trouve cette attitude, malgré sa résonance antique, éminemment moderne.
dimanche 14 décembre 2008
Tu éteindras les polémiques
Alors, au final, comme disent les ralentis de la pensarde, peut-on être fan de Bach ou pas ? Qui a raison, qui a tort ? Les sympas ont-ils écrasé les réacs ? En commentaire du billet concerné, ma soeur, Isabelle, qui apprend depuis quelques années à jouer du violoncelle, vient de clore le débat en déclarant que, pour sa part, elle était cello-fan.
Tu reviendras à Philippe Muray
« Festivus festivus, je le répète est un possédé. Le Possédé. Comme tel, il souffre. Tout ce qui ne lui plaît pas le fait tellement saigner qu'il porte plainte ; mais il jouit encore tellement lorsqu'il porte plainte qu'il est incapable de se voir en train de porter plainte et de rire de lui-même. C'est ainsi qu'il est comique, d'un douloureux comique que plus personne n'ose nommer ainsi. C'est un comique de doléance, comme il y a un comique de répétition, et ce nouveau comique, absolument inconnu des anciennes littératures, est souvent très réussi. Par exemple comme en mai dernier, je vous en ai déjà parlé, quand une militante se réclamant du "Fonds de lutte contre l'homophobie" se plaignait non seulement de "l'idéologie hétérocentriste" véhiculée par "Loft Story", mais encore de la "prime à l'hétérosexualité" que ce programme lui paraissait coupablement proposer et de "l'incitation" à la "couplitude hétérosexuelle" qu'il recelait. Cette personne était évidemment très comique ; mais pas davantage que la nommée Savigneau, un peu plus tôt, dans Le Monde, concluant une de ses inénarrables post-critiques ainsi : "Les homosexuels s'irriteront de cette affirmation fanatique d'hétérosexualité qui ne va pas sans homophobie" (immaginons la phrase inverse pour continuer à bien rire : les hétérosexuels s'irriteront de cette affirmation fanatique d'homosexualité qui ne va pas sans hétérophobie). Tous ces gens sont très drôles. Comme le sont tous les malheureux dont la damnation est de ne pas pouvoir ne pas se prendre au sérieux. Comme le sont aussi les non moins inénarrables Chiennes de garde quand elles lancent sur leur site Internet un "appel à témoignages" qui n'est qu'un pur et routinier désir de remplir le sac universel à délations : "Il vous est arrivé d'être insultée sur votre lieu de travail par un homme hiérarchiquement supérieur, inférieur ou égal (...) Votre témoignage intéresse les Chiennes de garde", etc. Et le brave type qui, encore dans Libération, mais cette fois à propos de la lutte contre la pédophilie, écrivait il n'y a pas longtemps qu'«apprendre aux enfants leurs droits face à l'adulte, et le poids de leurs mots face aux mots des "grandes personnes", est aussi le moyen de préparer des générations futures qui trouveront naturel de dénoncer les crimes de leurs semblables» (je souligne) était aussi très drôle ; d'autant que, dans la foulée, il se défendait textuellement "d'inciter à la simple délation de précaution" et de "promouvoir un climat de suspicion généralisée". Tout cela fait partie des extases actuelles du judiciarisme. »
Du logos aux legos
Lorsque le faramineux Marc Cohen m'a parlé de ça, hier soir, j'ai d'abord pensé qu'il avait abusé des boissons à bulles, ou bien qu'il avait glissé quelques brins d'herbe-qui-fait-rire dans ses Gitanes. Il y a quelques minutes, il m'a envoyé un mail pour me prouver la véracité de ses dires : oui, la Bible en legos, ça existe bel et bien ! On dira ce qu'on voudra, mais je trouve que les Tables de la Loi ne sont plus ce qu'elles étaient...
Tu reviendras à L'Aventure
Bizarrement, on n'a pas trop bu. On était là où j'ai dit dans le précédent billet de ce blog, et on fêtait les 50 années du garçon qui se trouve en photo juste sur votre droite. Lequel sévit dans des salons hautement recommandables, à mon sens. La soirée commençait à huit heures et demie, et, en bons ploucs campagnards que nous nous flattons d'être, l'Irremplaçable et moi sommes arrivés vers neuf heures moins vingt, persuadés que ce retard nous rendait furieusement parisiens. Faux : à l'exception d'une femme blonde absorbée dans sa lecture, nous étions les premiers ; même la puissance invitante brillait pas son absence, la gent féminine faisant office de personnel était encore en pyjama, on servait quasiment le café au lait aux tombés du lit.
On a quand même eu droit à un verre de vin blanc, et à des petits machins à grignoter - pas crades, les machins. Il y avait de la musique de merde, comme on pouvait s'y attendre, mais pas trop fort : heureuse surprise (momentanée). Peu de temps après notre arrivée, on est remonté en surface et à l'air libre, pour fumer. On a pris langue avec les deux voituriers, mais rien de particulièrement sexuel. Ce sont ces deux jeunes gens qui nous ont appris que le maître de cérémonie était "tout petit". C'est comme ça qu'on a su qu'il arrivait, quand il est arrivé, en dehors du fait qu'on connaissait sa trogne grâce à la photo ci-dessus. En fait, il n'est pas beaucoup plus petit que je ne suis gras, ce qui veut dire qu'il est d'une taille parfaitement normale. En revanche, il lui manque quelques cheveux, mais un avis de recherche a été lancé.
On a fait connaissance. Peu après, arrive un couple, que cet hôte parfait nous présente. Je vois, à son oeil vide et à son visage en jachère, que Catherine ne reconnaît nullement l'élément mâle du couple en question : c'est le cinéaste Philippe Harel, elle l'apprendra dans la voiture, pendant le trajet du retour. J'ai l'intention de lui dire que j'ai beaucoup aimé son adaptation de l'Extension du domaine de la lutte, de Houellebecq, l'occasion ne se présente pas, je ne lui dis rien, je vais au bar me faire resservir un verre de vin blanc (excellent).
Ensuite, les "people" arrivent par brassées compactes. Mais des people d'avant-hier : Jean-Pierre Castaldi et Jean-Luc Lahaye sont les plus connus, c'est vous dire. (J'ai oublié de signaler que Catherine est très surprise, en début de soirée, de voir débarquer une fille brune ne portant qu'un soutien-gorge entre sa taille et son cou, alors qu'il fait zéro degré dehors - mais on peut supposer qu'elle a laissé un manteau au vestiaire du rez-de-chaussée.)
Peu de temps plus tard, le décidément excellent Marc nous présente un homme dont je connais le nom, le style et l'intelligence, pour les fréquenter sur un forum où j'ai mon rond de serviette. Il est accompagné de son épouse (fort charmante : si j'avais été célibataire et lui absent... enfin bref...), laquelle se reconnaît rapidement native de Toronto : une guerre en dentelle se déclare entre la "maudite Anglaise" et ma Québécoise d'Irremplaçable.
Plus tard dans la soirée, arrive Élisabeth Lévy, aussi speed qu'elle est mince, couillue comme pas un, même que si j'étais marié avec elle, je pense que c'est moi qui ferais la lessive, les courses et le ménage - et en fermant ma gueule, encore (te fâche pas, Lisbeth, je déconne, c'est juste pour le blog...). On parle de Philippe Muray, dont elle a co-signé le dernier livre, et puis de "Causeur", le meilleur forum de la blogosphère (avec celui de l'In-nocence, voir le lien plus haut), et puis encore de Philippe Muray. Un peu plus tard, elle me présentera à la veuve du même Muray, que, depuis deux heures, j'observe à la dérobée, en me demandant qui elle est et où diable j'ai bien pu la rencontrer déjà. C'est elle-même qui me rafraîchira la mémoire : nous fûmes présentés l'un à l'autre par Jean-Paul Bertrand, il y a un petit paquet d'années, à l'occasion de l'installation des éditions du Rocher, dans les anciens locaux des éditions Robert-Laffont, place Saint-Sulpice. Cette femme (brune et méditerranéenne, tout bien comme j'aime) me signale alors qu'à cette même occasion, Philippe Muray et moi fûmes présentés l'un à l'autre, alors que j'étais persuadé ne l'avoir jamais rencontré. Un souffle de nostalgie navrée passe sur ma soirée, et je vais reprendre un verre de blanc au bar.
Il se trouve que cette femme, avant de vivre avec Philippe Muray, était l'épouse de mon ex-chef du rewriting, devenu un ami il y a près d'un quart de siècle, dont j'ai vu grandir les deux fils, et voyant régulièrement toujours l'un d'eux, Alexandre.
À un moment, je me suis retrouvé, par le jeu des vagues humaines successives qui agitent ce genre de microcosme humain, propulsé dans les parages immédiats de Basile de Koch, avec lequel j'ai bien dû échanger trois mots (mais surtout lui). Puis, on s'est une fois de plus échoués sur le trottoir, où Marc Cohen m'a offert une Gitane sans filtre, cigarettes que je fumais quand j'étais jeune et, donc, avant qu'on invente les cancers généralisés qui tuent les Philippe Bernalin à 28 ans.
Là-dessus, Irrempe - qui ne buvait pas, pour cause de conduite automobile - a un peu décidé que ça suffisait comme ça et on est rentré à la maison. Bien contents de notre soirée parisienne. Et, comme des cons, on n'a même pas eu d'accident sur la route.
On a quand même eu droit à un verre de vin blanc, et à des petits machins à grignoter - pas crades, les machins. Il y avait de la musique de merde, comme on pouvait s'y attendre, mais pas trop fort : heureuse surprise (momentanée). Peu de temps après notre arrivée, on est remonté en surface et à l'air libre, pour fumer. On a pris langue avec les deux voituriers, mais rien de particulièrement sexuel. Ce sont ces deux jeunes gens qui nous ont appris que le maître de cérémonie était "tout petit". C'est comme ça qu'on a su qu'il arrivait, quand il est arrivé, en dehors du fait qu'on connaissait sa trogne grâce à la photo ci-dessus. En fait, il n'est pas beaucoup plus petit que je ne suis gras, ce qui veut dire qu'il est d'une taille parfaitement normale. En revanche, il lui manque quelques cheveux, mais un avis de recherche a été lancé.
On a fait connaissance. Peu après, arrive un couple, que cet hôte parfait nous présente. Je vois, à son oeil vide et à son visage en jachère, que Catherine ne reconnaît nullement l'élément mâle du couple en question : c'est le cinéaste Philippe Harel, elle l'apprendra dans la voiture, pendant le trajet du retour. J'ai l'intention de lui dire que j'ai beaucoup aimé son adaptation de l'Extension du domaine de la lutte, de Houellebecq, l'occasion ne se présente pas, je ne lui dis rien, je vais au bar me faire resservir un verre de vin blanc (excellent).
Ensuite, les "people" arrivent par brassées compactes. Mais des people d'avant-hier : Jean-Pierre Castaldi et Jean-Luc Lahaye sont les plus connus, c'est vous dire. (J'ai oublié de signaler que Catherine est très surprise, en début de soirée, de voir débarquer une fille brune ne portant qu'un soutien-gorge entre sa taille et son cou, alors qu'il fait zéro degré dehors - mais on peut supposer qu'elle a laissé un manteau au vestiaire du rez-de-chaussée.)
Peu de temps plus tard, le décidément excellent Marc nous présente un homme dont je connais le nom, le style et l'intelligence, pour les fréquenter sur un forum où j'ai mon rond de serviette. Il est accompagné de son épouse (fort charmante : si j'avais été célibataire et lui absent... enfin bref...), laquelle se reconnaît rapidement native de Toronto : une guerre en dentelle se déclare entre la "maudite Anglaise" et ma Québécoise d'Irremplaçable.
Plus tard dans la soirée, arrive Élisabeth Lévy, aussi speed qu'elle est mince, couillue comme pas un, même que si j'étais marié avec elle, je pense que c'est moi qui ferais la lessive, les courses et le ménage - et en fermant ma gueule, encore (te fâche pas, Lisbeth, je déconne, c'est juste pour le blog...). On parle de Philippe Muray, dont elle a co-signé le dernier livre, et puis de "Causeur", le meilleur forum de la blogosphère (avec celui de l'In-nocence, voir le lien plus haut), et puis encore de Philippe Muray. Un peu plus tard, elle me présentera à la veuve du même Muray, que, depuis deux heures, j'observe à la dérobée, en me demandant qui elle est et où diable j'ai bien pu la rencontrer déjà. C'est elle-même qui me rafraîchira la mémoire : nous fûmes présentés l'un à l'autre par Jean-Paul Bertrand, il y a un petit paquet d'années, à l'occasion de l'installation des éditions du Rocher, dans les anciens locaux des éditions Robert-Laffont, place Saint-Sulpice. Cette femme (brune et méditerranéenne, tout bien comme j'aime) me signale alors qu'à cette même occasion, Philippe Muray et moi fûmes présentés l'un à l'autre, alors que j'étais persuadé ne l'avoir jamais rencontré. Un souffle de nostalgie navrée passe sur ma soirée, et je vais reprendre un verre de blanc au bar.
Il se trouve que cette femme, avant de vivre avec Philippe Muray, était l'épouse de mon ex-chef du rewriting, devenu un ami il y a près d'un quart de siècle, dont j'ai vu grandir les deux fils, et voyant régulièrement toujours l'un d'eux, Alexandre.
À un moment, je me suis retrouvé, par le jeu des vagues humaines successives qui agitent ce genre de microcosme humain, propulsé dans les parages immédiats de Basile de Koch, avec lequel j'ai bien dû échanger trois mots (mais surtout lui). Puis, on s'est une fois de plus échoués sur le trottoir, où Marc Cohen m'a offert une Gitane sans filtre, cigarettes que je fumais quand j'étais jeune et, donc, avant qu'on invente les cancers généralisés qui tuent les Philippe Bernalin à 28 ans.
Là-dessus, Irrempe - qui ne buvait pas, pour cause de conduite automobile - a un peu décidé que ça suffisait comme ça et on est rentré à la maison. Bien contents de notre soirée parisienne. Et, comme des cons, on n'a même pas eu d'accident sur la route.
samedi 13 décembre 2008
Tu reviendras à la place du mort
Ce soir, l'Irremplaçable et moi sommes invités à dignement célébrer le demi-siècle de ce monsieur. Et les réjouissances se dérouleront ici. Si l'affaire reste racontable, petit récit demain...
vendredi 12 décembre 2008
Tu reviendras aux Beatles
C'est comme ça, on se promène. D'un blog à l'autre. Et soudain, on tombe sur une phrase de ce genre : « Je suis un fan de Jean-Sébastien Bach. »
Un fan de Jean-Sébastien Bach, n'est-ce pas. On comprend bien, tout de suite, que ce garçon (car c'est un garçon) a peut-être déjà écouté Bach, mais qu'il ne l'a jamais entendu. Car on ne peut pas être fan de Jean-Sébastien Bach. De même qu'on ne peut pas être pote avec Charles de Gaulle, ni hyper-client de Jésus-Christ, par exemple.
Je suis moi-même ce que Stravinsky appelait un illettré de la musique. Mais je sais néanmoins qu'on ne peut pas être fan de Bach. On peut l'être des Beatles, ou de Bashung, de Gainsbourg, ou de qui vous voudrez, dans ce domaine, finalement, mais pas de Bach : c'est proclamer à tout vent sa surdité irrémédiable. Les mots jurent, s'entrechoquent ; on fait la preuve d'une espèce de sottise, dont on n'est finalement pas du tout responsable, mais qui vous colle aux semelles et ne vous lâchera jamais, jusqu'à la fin de vos jours.
Je suis moi-même aussi con que ce garçon dont je parle, aussi frappé de surdité. Mais il me semble que je le sais. Ça ne me donne aucun avantage sur lui, et Bach se fout de moi comme de lui.
Un fan de Jean-Sébastien Bach, n'est-ce pas. On comprend bien, tout de suite, que ce garçon (car c'est un garçon) a peut-être déjà écouté Bach, mais qu'il ne l'a jamais entendu. Car on ne peut pas être fan de Jean-Sébastien Bach. De même qu'on ne peut pas être pote avec Charles de Gaulle, ni hyper-client de Jésus-Christ, par exemple.
Je suis moi-même ce que Stravinsky appelait un illettré de la musique. Mais je sais néanmoins qu'on ne peut pas être fan de Bach. On peut l'être des Beatles, ou de Bashung, de Gainsbourg, ou de qui vous voudrez, dans ce domaine, finalement, mais pas de Bach : c'est proclamer à tout vent sa surdité irrémédiable. Les mots jurent, s'entrechoquent ; on fait la preuve d'une espèce de sottise, dont on n'est finalement pas du tout responsable, mais qui vous colle aux semelles et ne vous lâchera jamais, jusqu'à la fin de vos jours.
Je suis moi-même aussi con que ce garçon dont je parle, aussi frappé de surdité. Mais il me semble que je le sais. Ça ne me donne aucun avantage sur lui, et Bach se fout de moi comme de lui.
Tu reviendras à Lisbonne
J'ai découvert un nouveau blog. C'est tenu par une fille, et en plus elle est portugaise (donc avec des poils : gag idiot pour Tica...).
C'est là.
C'est là.
Tu reviendras à la Comédie humaine
En vérité, je vous emmerde. Vraiment. Lisez donc ce que vous voulez. Les choses les plus sottes. Je vous les laisse. Gardez-moi Balzac. Ou, plus exactement, plongez-vous-y. Tout de suite. Laissez tomber le monde tel qu'il va, oubliez ce que vous croyez savoir, plongez-vous dans ce fleuve ; mettez votre vie entre parenthèses, oubliez qui vous êtes , oubliez tout le reste : LISEZ. Les romans les uns à la suite des autres, dans l'ordre que Balzac a voulu : il vous domine, vous écrase, et moi avec.
Savez-vous qui est cet homme ? Non, moi non plus, bien entendu. Chacun a son Balzac, celui des Contes drolatiques (qui ne me fascinent guère), celui de Saumur ou d'Angoulême ou d'Alençon, que je préfère, celui des Illusions perdues ou de la Cousine Bette. Ou d'autre chose encore : chacun le sien.
Arrêtez tout, tout de suite : plongez-vous dans Balzac, abandonnez tout le reste. Il est le plus grand (avec Proust, bien sûr). Gorgez-vous, mes frères, gorgez-vous.
Savez-vous qui est cet homme ? Non, moi non plus, bien entendu. Chacun a son Balzac, celui des Contes drolatiques (qui ne me fascinent guère), celui de Saumur ou d'Angoulême ou d'Alençon, que je préfère, celui des Illusions perdues ou de la Cousine Bette. Ou d'autre chose encore : chacun le sien.
Arrêtez tout, tout de suite : plongez-vous dans Balzac, abandonnez tout le reste. Il est le plus grand (avec Proust, bien sûr). Gorgez-vous, mes frères, gorgez-vous.
jeudi 11 décembre 2008
Tu reviendras chez toi
Bien sûr, il y a d'autres plaisirs que celui-ci. Des plus violents, des plus immédiats, des plus immédiatement perceptibles - par la chair et l'os. Mais il n'y en a pas, je crois, de plus profond et durable : revenir chez soi. Raccourcir le chemin, kilomètre après l'autre, qui vous rapproche de la fenêtre éclairée, de la truffe frémissante des chiens, du sourire tranquille (ou inquiet, certaines fois) de Madame.
On est très nombreux, sur l'autoroute : ça ajoute au plaisir différé. Bientôt, dans quarante, trente, dix kilomètres, on sera seul, dans la nuit et le silence. Avec ce rectangle debout, violemment éclairé de l'intérieur. Durant les derniers cinq cents mètres, défileront les presque vingt années écoulées, les bas-côtés de la route serpentine se donneront des airs immuables, la jeunesse affleurera des fossés, invisible sauf pour moi.
J'ai téléphoné, avant de quitter le monde précaire. J'ai demandé à ce qu'on vienne mettre en éveil les deux radiateurs de ce bureau où je suis, où le fracas absurde s'abolit. Le silence est d'une épaisseur rassurante, mais aussi d'une légèreté impalpable - non, non : pas impalpable ; le véritable mot m'échappe, et la légèreté se rit, discrètement.
La voiture ralentit, elle tourne le coin de la rue de l'Église, le village dort déjà ou fait semblant, il est complice. Une autre voiture surgit de la mémoire ; rouge ; longeant la voie de chemin de fer., le train grondant vers Lamotte-Beuvron. Ma mère est au volant, il est huit heures moins dix, le soir - si le train de Paris n'a pas de retard. Les sapins noirs et serrés sont un symbole, mais on ne sait pas trop de quoi, mon père guette par le rectangle de la fenêtre de la cuisine, Catherine aussi guette, mais dans une autre époque ; tout le monde guette, peut-être ; et je n'en finis pas d'arriver.
J'ai mon sac de linge sale à mes pieds, des regrets de filles inconnues, même pas rencontrées, des pesanteurs d'alcool ; le silence perd de son épaisseur et se fige dans le froid - il fait toujours froid dans ces souvenirs-là, mais un froid immobile, cristallisé, accueillant. Un froid de jeunesse, car la jeunesse a tout le temps froid - c'est pour cela qu'elle crie, à tort et à travers.
Ensuite la tiédeur se répand, et la vieillesse se fige dans un amollissement complaisant. Mais avec une sorte de sourire vague.
On est très nombreux, sur l'autoroute : ça ajoute au plaisir différé. Bientôt, dans quarante, trente, dix kilomètres, on sera seul, dans la nuit et le silence. Avec ce rectangle debout, violemment éclairé de l'intérieur. Durant les derniers cinq cents mètres, défileront les presque vingt années écoulées, les bas-côtés de la route serpentine se donneront des airs immuables, la jeunesse affleurera des fossés, invisible sauf pour moi.
J'ai téléphoné, avant de quitter le monde précaire. J'ai demandé à ce qu'on vienne mettre en éveil les deux radiateurs de ce bureau où je suis, où le fracas absurde s'abolit. Le silence est d'une épaisseur rassurante, mais aussi d'une légèreté impalpable - non, non : pas impalpable ; le véritable mot m'échappe, et la légèreté se rit, discrètement.
La voiture ralentit, elle tourne le coin de la rue de l'Église, le village dort déjà ou fait semblant, il est complice. Une autre voiture surgit de la mémoire ; rouge ; longeant la voie de chemin de fer., le train grondant vers Lamotte-Beuvron. Ma mère est au volant, il est huit heures moins dix, le soir - si le train de Paris n'a pas de retard. Les sapins noirs et serrés sont un symbole, mais on ne sait pas trop de quoi, mon père guette par le rectangle de la fenêtre de la cuisine, Catherine aussi guette, mais dans une autre époque ; tout le monde guette, peut-être ; et je n'en finis pas d'arriver.
J'ai mon sac de linge sale à mes pieds, des regrets de filles inconnues, même pas rencontrées, des pesanteurs d'alcool ; le silence perd de son épaisseur et se fige dans le froid - il fait toujours froid dans ces souvenirs-là, mais un froid immobile, cristallisé, accueillant. Un froid de jeunesse, car la jeunesse a tout le temps froid - c'est pour cela qu'elle crie, à tort et à travers.
Ensuite la tiédeur se répand, et la vieillesse se fige dans un amollissement complaisant. Mais avec une sorte de sourire vague.
Tu reviendras au coin
Lorsque Nicolas a répercuté cette chaîne idiote, j'ai poussé un soupir de soulagement : je n'étais pas dans les tagués (sauf exceptions exceptionnelles, j'ai horreur de répondre à des questionnaires. Mais comme j'ai bon coeur...). Finalement le coup m'a tout de même atteint, mais venant d'une fenêtre de tir dont je ne me serais pas méfié le moindre. Donc, il s'agit d'étaler ses lacunes dans cinq domaines. On y va.
I) Le cinéma : En dehors de Chaplin, Griffith, Murnau, Pabst, Eisenstein et un ou deux autres, je n'entends à peu près rien au cinéma muet.
2) Les livres : J'ignore tout ou presque des littératures africaines et asiatiques ; deux ou trois Japonais (Kawabata, Michima...), l'Égyptien Mahfouz, rien de plus. Et chaque fois que j'ai essayé de m'attaquer à un classique chinois, j'ai dû m'avouer vaincu.
3) La géographie : Je crois ne pas trop mal connaître la France physique. Pour le reste du monde, mon total désintérêt pour les voyages ne m'a évidemment pas beaucoup aidé...
4) Les mathématiques : 9/20 au bac, ce qui m'a valu de rater la mention "bien" d'un quart de poil pubien. Mais c'était tout de même un bac "D" (je ne sais comment il s'appelle de nos jours). Depuis, j'ai à peu près tout oublié, il va sans dire. Mais les maths n'ont jamais été ma "bête noire". J'étais juste trop fainéant pour y réussir.
5) Gastronomie & oenologie : contrairement à ce qu'on pourrais penser, je ne connais rien au vin. Je crois même ne pas l'aimer tant que ça. En fait, l'ivresse m'attire davantage que son véhicule. Mais enfin, je ne répugne pas à un bon bourgogne blanc. Pour ce qui est de la gastronomie, je ne connais presque rien de la nourriture africaine. Je dois dire que le peu que j'en aie goûté m'a dissuadé de creuser le sujet plus avant. Même chose à peu près pour les habitudes alimentaires sud-américaines.
Et je ne repasse cette chaîne à personne, vu que j'ai déjà assez d'ennemis comme ça.
I) Le cinéma : En dehors de Chaplin, Griffith, Murnau, Pabst, Eisenstein et un ou deux autres, je n'entends à peu près rien au cinéma muet.
2) Les livres : J'ignore tout ou presque des littératures africaines et asiatiques ; deux ou trois Japonais (Kawabata, Michima...), l'Égyptien Mahfouz, rien de plus. Et chaque fois que j'ai essayé de m'attaquer à un classique chinois, j'ai dû m'avouer vaincu.
3) La géographie : Je crois ne pas trop mal connaître la France physique. Pour le reste du monde, mon total désintérêt pour les voyages ne m'a évidemment pas beaucoup aidé...
4) Les mathématiques : 9/20 au bac, ce qui m'a valu de rater la mention "bien" d'un quart de poil pubien. Mais c'était tout de même un bac "D" (je ne sais comment il s'appelle de nos jours). Depuis, j'ai à peu près tout oublié, il va sans dire. Mais les maths n'ont jamais été ma "bête noire". J'étais juste trop fainéant pour y réussir.
5) Gastronomie & oenologie : contrairement à ce qu'on pourrais penser, je ne connais rien au vin. Je crois même ne pas l'aimer tant que ça. En fait, l'ivresse m'attire davantage que son véhicule. Mais enfin, je ne répugne pas à un bon bourgogne blanc. Pour ce qui est de la gastronomie, je ne connais presque rien de la nourriture africaine. Je dois dire que le peu que j'en aie goûté m'a dissuadé de creuser le sujet plus avant. Même chose à peu près pour les habitudes alimentaires sud-américaines.
Et je ne repasse cette chaîne à personne, vu que j'ai déjà assez d'ennemis comme ça.
Tu reviendras dans le champ de pastèques
« Deux paires de brodequins parcouraient les sillons.
Tu vas pas m'croire.
Menteur comme je te connais y a pas beaucoup de chances.
Quelqu'un baise mes pastèques.
Quoi ?
J'ai dit que quelqu'un...
Non. Non. Bon Dieu non. Du diable si t'as pas l'esprit tordu.
J'te dis que...
J'veux pas le savoir.
Regarde donc là.
Et là.
Ils longèrent le rang extérieur du carré de pastèques. Il s'arrêta pour pousser une pastèque du bout du pied. Des guêpes bourdonnaient avec férocité dans le suintement. Certains fruits étaient fichus depuis un bon moment et s'avachissaient mous et pourris, ridés, au bord de la décomposition.
Ça y ressemble bien, hein ?
J'te dis que j'l'ai vu. Je savais vraiment pas ce qui se passait quand il a laissé tomber son pantalon. Et puis quand j'ai vu ce qu'il faisait j'en croyais toujours pas mes yeux. Mais voilà.
Qu'est-ce que t'a l'intention de faire ?
Bon sang, j'en sais rien. Y sera bientôt plus temps de faire quoi que ce soit. Il s'est presque envoyé tout le carré. Je comprends pas pourquoi il s'est pas contenté d'une seule. Ou de quèques-unes.
Ben, j'imagine qu'y se prend pour un séducteur. Un peu comme un marin dans un bordel.
J'imagine que c'qui voulait pas c'est qu'une de ces guêpes lui pique le bout de la quéquette. Là il a été malin.
C'était quoi, un petit jeune et tout ?
Je sais pas s'il était jeune ou quoi mais c'était un type qui y allait comme j'en ai rarement vu.
Ben j'crois pas qu'y reviendra.
J'en sais rien. Un rapide comme lui doit pas avoir de souci pour aller où ça lui chante. Pour voler ou autre chose.
Et si y revient ?
Je le coince si y revient.
Et puis après ?
Ben. Je sais pas. Ça serait rudement gênant maintenant que j'y pense. Je le ferais travailler pour moi, voilà.
C'est bien, je trouve. Enfin, je sais pas.
Tu crois qu'il faudrait appeler le shérif ?
Pour lui dire quoi ?
Ils marchaient lentement le long des rangs.
Jamais entendu une histoire pareille. Et toi ? Pourquoi tu te marres ? C'est pas drôle. Un truc pareil. Moi je trouve pas. »
Cormac McCarthy, Suttree, Points-Seuil, p. 45.
Menteur comme je te connais y a pas beaucoup de chances.
Quelqu'un baise mes pastèques.
Quoi ?
J'ai dit que quelqu'un...
Non. Non. Bon Dieu non. Du diable si t'as pas l'esprit tordu.
J'te dis que...
J'veux pas le savoir.
Regarde donc là.
Et là.
Ils longèrent le rang extérieur du carré de pastèques. Il s'arrêta pour pousser une pastèque du bout du pied. Des guêpes bourdonnaient avec férocité dans le suintement. Certains fruits étaient fichus depuis un bon moment et s'avachissaient mous et pourris, ridés, au bord de la décomposition.
Ça y ressemble bien, hein ?
J'te dis que j'l'ai vu. Je savais vraiment pas ce qui se passait quand il a laissé tomber son pantalon. Et puis quand j'ai vu ce qu'il faisait j'en croyais toujours pas mes yeux. Mais voilà.
Qu'est-ce que t'a l'intention de faire ?
Bon sang, j'en sais rien. Y sera bientôt plus temps de faire quoi que ce soit. Il s'est presque envoyé tout le carré. Je comprends pas pourquoi il s'est pas contenté d'une seule. Ou de quèques-unes.
Ben, j'imagine qu'y se prend pour un séducteur. Un peu comme un marin dans un bordel.
J'imagine que c'qui voulait pas c'est qu'une de ces guêpes lui pique le bout de la quéquette. Là il a été malin.
C'était quoi, un petit jeune et tout ?
Je sais pas s'il était jeune ou quoi mais c'était un type qui y allait comme j'en ai rarement vu.
Ben j'crois pas qu'y reviendra.
J'en sais rien. Un rapide comme lui doit pas avoir de souci pour aller où ça lui chante. Pour voler ou autre chose.
Et si y revient ?
Je le coince si y revient.
Et puis après ?
Ben. Je sais pas. Ça serait rudement gênant maintenant que j'y pense. Je le ferais travailler pour moi, voilà.
C'est bien, je trouve. Enfin, je sais pas.
Tu crois qu'il faudrait appeler le shérif ?
Pour lui dire quoi ?
Ils marchaient lentement le long des rangs.
Jamais entendu une histoire pareille. Et toi ? Pourquoi tu te marres ? C'est pas drôle. Un truc pareil. Moi je trouve pas. »
Cormac McCarthy, Suttree, Points-Seuil, p. 45.
mercredi 10 décembre 2008
Tu reviendras en mon giron
Comme le dit ailleurs l'Irremplaçable, Bergotte - trouillarde de nature - ne se sent jamais très à son aise lorsque Ludovic est en nos murs, vu que ce grand crétin chevelu prend un malin plaisir à lui coller les flubes. Du coup, elle cherche refuge où elle peut...
mardi 9 décembre 2008
Tu reviendras en zig-zag
C'est ce qu'on pourrait appeler un engrenage fatal. Ou, plus simplement : une mauvaise foi crasse. En début d'après-midi, coup de téléphone de Ludovic pour signaler qu'il comptait bivouaquer ce soir au domicile parent et beau-parental. Comme nous devions sortir pour tout à fait autre chose, j'ai charitablement proposé à l'Irremplaçable que nous achetions quelques bières pour ce pauvre garçon, si démuni de tout. Juste après, il nous est apparu qu'il serait vraiment très mal élevé de le laisser boire seul. Par conséquent : décidés à rompre le jeûne, nous fîmes également l'emplette d'une bouteille de whisky Famous Grouse (que je vous recommande au passage : excellent rapport biture - prix). On le sent bien venir, le dérapage ?
[Il est actuellement cinq heures et quart : pause. On continue après le repas. Et l'apéro, donc.]
Eh bien, voilà, il est donc huit heures et quart. On a bu confortablement. Et mangé comme vous n'avez pas idée, notamment un foie gras au poivre de Setchouan, que l'Irremplaçable tenait à nous faire tester (à Ludovic et moi, pauvres cobayes) avant de le proposer à... à qui, d'ailleurs ? On verra bien. Bon, en tout cas, c'était un succès absolu, je vous le dis.
Et maintenant ? Rien. Dodo. Tout à l'heure, vers cinq heures, attendant Catherine sur le parking du Super U, j'ai eu cette idée d'un petit texte à envoyer à Zoridae, afin de repeindre son plafond : comment reste-t-on vivant après avoir rencontré en vrai un blogueur - ou pire : une blogueuse ? Je vais l'écrire, et lui envoyer. Ça lui apprendra...
[Il est actuellement cinq heures et quart : pause. On continue après le repas. Et l'apéro, donc.]
Eh bien, voilà, il est donc huit heures et quart. On a bu confortablement. Et mangé comme vous n'avez pas idée, notamment un foie gras au poivre de Setchouan, que l'Irremplaçable tenait à nous faire tester (à Ludovic et moi, pauvres cobayes) avant de le proposer à... à qui, d'ailleurs ? On verra bien. Bon, en tout cas, c'était un succès absolu, je vous le dis.
Et maintenant ? Rien. Dodo. Tout à l'heure, vers cinq heures, attendant Catherine sur le parking du Super U, j'ai eu cette idée d'un petit texte à envoyer à Zoridae, afin de repeindre son plafond : comment reste-t-on vivant après avoir rencontré en vrai un blogueur - ou pire : une blogueuse ? Je vais l'écrire, et lui envoyer. Ça lui apprendra...
Tu n'en reviendras pas
Je viens d'aller me promener dans les tréfonds d'un blog. J'y ai trouvé un billet faisant la promotion des paniers ethniques, et un autre recommandant l'achat d'une couette équitable. Je vous jure que je n'invente rien.
Tu reviendras au phallus
« J'aime tellement le saucisson que je me demande si la pulsion phallique, chez moi, n'est pas un simple substitut à cette passion fondamentale. »
Renaud Camus, Le Royaume de Sobrarbe - journal 2005, jeudi 3 novembre, Fayard.
Il faudrait évidemment savoir à quel âge l'auteur a contracté cette appétence pour le saucisson, et à quel autre son attirance pour le phallus. Une fois de plus, jusque dans cet anodin exemple charcutier, la littérature est tout entière conduite, dirigée par ce qu'elle tait. C'est à se demander si on ne ferait pas mieux de retourner se coucher, d'autant qu'il ne fait même pas beau.
Renaud Camus, Le Royaume de Sobrarbe - journal 2005, jeudi 3 novembre, Fayard.
Il faudrait évidemment savoir à quel âge l'auteur a contracté cette appétence pour le saucisson, et à quel autre son attirance pour le phallus. Une fois de plus, jusque dans cet anodin exemple charcutier, la littérature est tout entière conduite, dirigée par ce qu'elle tait. C'est à se demander si on ne ferait pas mieux de retourner se coucher, d'autant qu'il ne fait même pas beau.
Tu reviendras au petit salon
À l'heure où, du temps de notre splendide et assoiffée jeunesse, se faisait entendre le doux tintinnabulis des glaçons, il faisait hier soir déjà -2°, aussi celsius qu'il est permis de l'être. Cela n'a pas empêché l'Irremplaçable d'affronter le frette pour aller prendre cette photo, qu'elle a doublée d'une seconde.
Le livre que je tiens en main s'intitule Sexus politicus. Je ne le lis pas pour mon plaisir, mais en vue d'une série de six doubles-pages que je dois écrire pour France Dimanche. Car on ne peut pas éternellement faire sa chochotte avec Proust, Mauriac et autres fiotes de même calibre : de temps en temps, il faut bien se plonger les avant-bras dans la graisse, afin de remettre en route la pompe à phynances...
Le livre que je tiens en main s'intitule Sexus politicus. Je ne le lis pas pour mon plaisir, mais en vue d'une série de six doubles-pages que je dois écrire pour France Dimanche. Car on ne peut pas éternellement faire sa chochotte avec Proust, Mauriac et autres fiotes de même calibre : de temps en temps, il faut bien se plonger les avant-bras dans la graisse, afin de remettre en route la pompe à phynances...
lundi 8 décembre 2008
Une décision inique et intolérable, aux relents nauséabonds
Virginie, États-Unis - L'entraîneur d'une équipe de basketball a été accusé de racisme après avoir licencié huit des joueurs noirs de son équipe. Détail important : tous les membres de l'équipe étaient noirs.
La source.
La source.
Tu reviendras à Combray
Dans le Journal de François Mauriac, à la date du 12 mars 1933, je tombe sur ce court paragraphe :
« Qui nous absoudra de notre vie ? Croyez-vous être très différent de l'enfant coupable que vous fûtes, et qui ne pouvait pas s'endormir avant d'avoir obtenu le pardon de sa mère, avant que le baiser de paix lui eût rouvert les portes du sommeil ? »
Pardon, absolution, culpabilité... On se dit dans un premier mouvement, qui est presque d'humeur, que Mauriac aura tôt fait de ramener Dieu dans ses filets ; et de fait. Seulement, il y a dans ces quelques lignes une sorte d'invocation à Marcel Proust, auteur aussi peu religieux que possible, je crois bien. Il ne s'agit pas seulement de la scène fondatrice de Combray, du baiser refusé par sa mère au jeune narrateur, pour cause de présence de Charles Swann au jardin ; on y entend d'autres échos proustiens, moins tonitruants sans doute mais terriblement insistants, directement venus de ces deux textes essentiels que sont La Confession d'une jeune fille et surtout les stupéfiants Sentiments filiaux d'un parricide, ce dernier paru dans le Figaro en janvier 1907. Dans ce texte, Proust insiste sur le caractère sacré d'Oedipe après le double crime qui lui est imputé, s'approchant au plus près des futures découvertes de René Girard.
« "Qu'as-tu fait de moi ! qu'as-tu fait de moi !" Si nous voulions y penser, écrit Proust en conclusion de son article, il n'y a peut-être pas une mère aimante qui ne pourrait, à son dernier jour, souvent bien avant, adresser ce reproche à son fils. Au fond, nous vieillissons, nous tuons tout ce qui nous aime par les soucis que nous lui donnons, par l'inquiète tendresse elle-même que nous inspirons et mettons sans cesse en alarme. Si nous savions voir dans un corps chéri le lent travail de destruction poursuivi par la douloureuse tendresse qui l'anime, voir les yeux flétris, les cheveux longtemps restés indomptablement noirs, ensuite vaincus comme le reste et blanchissants, les artères durcies, les reins bouchés, le coeur forcé, vaincu le courage devant la vie, la marche alentie, alourdie, l'esprit qui sait qu'il n'a plus à espérer, alors qu'il rebondissait si inlassablement en invincibles espérances, la gaîté même, la gaîté innée et semblait-il immortelle, qui faisait si aimable compagnie avec la tristesse, à jamais tarie, peut-être celui qui saurait voir cela, dans ce moment tardif de lucidité que les vies les plus ensorcelées de chimère peuvent bien avoir, puisque celle même de don Quichotte eut le sien, peut-être celui-là, comme Henri van Blarenberghe quand il eut achevé sa mère à coups de poignard, reculerait devant l'horreur de sa vie et se jetterait sur un fusil pour mourir tout de suite. (...) »
« Qui nous absoudra de notre vie ? Croyez-vous être très différent de l'enfant coupable que vous fûtes, et qui ne pouvait pas s'endormir avant d'avoir obtenu le pardon de sa mère, avant que le baiser de paix lui eût rouvert les portes du sommeil ? »
Pardon, absolution, culpabilité... On se dit dans un premier mouvement, qui est presque d'humeur, que Mauriac aura tôt fait de ramener Dieu dans ses filets ; et de fait. Seulement, il y a dans ces quelques lignes une sorte d'invocation à Marcel Proust, auteur aussi peu religieux que possible, je crois bien. Il ne s'agit pas seulement de la scène fondatrice de Combray, du baiser refusé par sa mère au jeune narrateur, pour cause de présence de Charles Swann au jardin ; on y entend d'autres échos proustiens, moins tonitruants sans doute mais terriblement insistants, directement venus de ces deux textes essentiels que sont La Confession d'une jeune fille et surtout les stupéfiants Sentiments filiaux d'un parricide, ce dernier paru dans le Figaro en janvier 1907. Dans ce texte, Proust insiste sur le caractère sacré d'Oedipe après le double crime qui lui est imputé, s'approchant au plus près des futures découvertes de René Girard.
« "Qu'as-tu fait de moi ! qu'as-tu fait de moi !" Si nous voulions y penser, écrit Proust en conclusion de son article, il n'y a peut-être pas une mère aimante qui ne pourrait, à son dernier jour, souvent bien avant, adresser ce reproche à son fils. Au fond, nous vieillissons, nous tuons tout ce qui nous aime par les soucis que nous lui donnons, par l'inquiète tendresse elle-même que nous inspirons et mettons sans cesse en alarme. Si nous savions voir dans un corps chéri le lent travail de destruction poursuivi par la douloureuse tendresse qui l'anime, voir les yeux flétris, les cheveux longtemps restés indomptablement noirs, ensuite vaincus comme le reste et blanchissants, les artères durcies, les reins bouchés, le coeur forcé, vaincu le courage devant la vie, la marche alentie, alourdie, l'esprit qui sait qu'il n'a plus à espérer, alors qu'il rebondissait si inlassablement en invincibles espérances, la gaîté même, la gaîté innée et semblait-il immortelle, qui faisait si aimable compagnie avec la tristesse, à jamais tarie, peut-être celui qui saurait voir cela, dans ce moment tardif de lucidité que les vies les plus ensorcelées de chimère peuvent bien avoir, puisque celle même de don Quichotte eut le sien, peut-être celui-là, comme Henri van Blarenberghe quand il eut achevé sa mère à coups de poignard, reculerait devant l'horreur de sa vie et se jetterait sur un fusil pour mourir tout de suite. (...) »
À chacun son péché originel, son enfer portatif. Privé qu'il était de la Sainte Table de Mauriac, une fois écartée la tentation vaine du fusil, il ne restait à Proust que La Recherche, cette forme personnelle de l'Eucharistie.
dimanche 7 décembre 2008
Tu reviendras en Abitibi
Un jour de 1997, Boris, un camarade rewriter, est arrivé à France Dimanche avec une colle qui m'était destinée. « Cette nuit, à la radio, j'ai enregistré une superbe chanson d'un Québécois dont il n'ont pas donné le nom, me dit-il en substance. Est-ce que tu le connais ? » Et il m'a posé d'autor le casque de son walkman (on disait encore comme ça, yes sir !) sur les oreilles. Une voix rocailleuse, nantie d'un accent à débiter à la hache de bûcheron, s'est mis à chanter :
J'ai roulé 400 milles
Sous un ciel fâché
Aux limites de la ville
Mon coeur a clenché...
Non, je ne le connaissais pas, Catherine non plus, ni aucun de ses trois enfants. Mais je suis tombé en amour ben raide avec ce chanteur-là. Ce fut d'ailleurs mon dernier vrai coup de coeur en matière de variétés. Ce que j'ai découvert ce jour-là, c'est la chanson que vous pourrez écouter en fin de ce billet, si je ne me plante pas dans mes manips you-tubardes. Ensuite, j'ai acheté tous les disques disponibles de Richard Desjardins. Je les réécoute, parfois. Quand il fait bien nuit.
(Naturellement, la vidéo REFUSE de s'inscrire plus de cinq secondes sur ce blog avant de disparaître ! Je dois donc me contenter de vous la mettre en lien...)
J'ai roulé 400 milles
Sous un ciel fâché
Aux limites de la ville
Mon coeur a clenché...
Non, je ne le connaissais pas, Catherine non plus, ni aucun de ses trois enfants. Mais je suis tombé en amour ben raide avec ce chanteur-là. Ce fut d'ailleurs mon dernier vrai coup de coeur en matière de variétés. Ce que j'ai découvert ce jour-là, c'est la chanson que vous pourrez écouter en fin de ce billet, si je ne me plante pas dans mes manips you-tubardes. Ensuite, j'ai acheté tous les disques disponibles de Richard Desjardins. Je les réécoute, parfois. Quand il fait bien nuit.
(Naturellement, la vidéo REFUSE de s'inscrire plus de cinq secondes sur ce blog avant de disparaître ! Je dois donc me contenter de vous la mettre en lien...)
samedi 6 décembre 2008
Tu reviendras à Honoré
Il m'arrive très peu souvent d'envier l'Irremplaçable. Ce qui est parfaitement normal, on en conviendra : je suis l'homme, elle n'est que la femme. Néanmoins, depuis deux ou trois semaines, oui.
Catherine lit Balzac. Je veux dire : elle a commencé à lire Balzac. Et je trépigne. Je lui envie ces 28 volumes devant elle, que j'ai moi-même parcourus deux fois déjà - elle découvre ; elle en est tout émerveillée. Je ne peux plus, moi, en être abasourdi de la même manière, il m'est juste possible de redécouvrir, approfondir - ce que je ne me priverai pas de faire demain, après-demain, l'année prochaine, un de ces jours.
On peut parfaitement se retirer sur l'île déserte avec juste Balzac. La Comédie humaine et moi-même (plus un gros congélateur, car je me vois mal chasser ma bouffe pendant 40 ans, à la pointe de flèches bricolées, faut pas déconner non plus).
Balzac n'est guère en question, en réalité. Ce qui existe est que je viens de parler de lui durant une bonne heure (et quand je dis une bonne...), en sifflant quelques verres de whisky ordinaire. La question est la suivante : peut-on parler de Balzac à jeun ? L'aurais-je fait ? Ai-je des choses intelligentes à en dire ? Lui-même supporterait-il qu'un écrivain en bâtiment ouvre sa gueule le concernant ? Pour faire bref : Didier Goux peut-il prendre pour prétexte l'un des plus grands génies que ce pays (ou ce "coin du monde", si l'on veut parler de l'Europe) ait engendrés , à seule fin de meubler avec son épouse une conversation de pendant-boire ?
Est-ce que, pour parler net et définitif, Didier Goux ne devrait pas se résoudre, une bonne fois, à fermer sa gueule ? Et, dans un silence nonchalant, laisser Catherine dévider pour elle-même les 28 volumes de la Comédie qu'il lui reste à parcourir ?
On peut parfaitement se retirer sur l'île déserte avec juste Balzac. La Comédie humaine et moi-même (plus un gros congélateur, car je me vois mal chasser ma bouffe pendant 40 ans, à la pointe de flèches bricolées, faut pas déconner non plus).
Balzac n'est guère en question, en réalité. Ce qui existe est que je viens de parler de lui durant une bonne heure (et quand je dis une bonne...), en sifflant quelques verres de whisky ordinaire. La question est la suivante : peut-on parler de Balzac à jeun ? L'aurais-je fait ? Ai-je des choses intelligentes à en dire ? Lui-même supporterait-il qu'un écrivain en bâtiment ouvre sa gueule le concernant ? Pour faire bref : Didier Goux peut-il prendre pour prétexte l'un des plus grands génies que ce pays (ou ce "coin du monde", si l'on veut parler de l'Europe) ait engendrés , à seule fin de meubler avec son épouse une conversation de pendant-boire ?
Est-ce que, pour parler net et définitif, Didier Goux ne devrait pas se résoudre, une bonne fois, à fermer sa gueule ? Et, dans un silence nonchalant, laisser Catherine dévider pour elle-même les 28 volumes de la Comédie qu'il lui reste à parcourir ?
vendredi 5 décembre 2008
Tu reviendras dans la ville dont le prince est un enfant
« Notre pays est miné au-dedans, attaqué au-dehors. L’étranger est chez nous, par infiltration souterraine. Je vois le sentiment national débilité ou indécis, le défaut total d’esprit public, un conformisme du désordre qui a toute la sottise qu’il prête au conformisme de l’ordre. Aucune indignation, aucune réaction seulement un peu vive, de personne : la France est un fromage mou, où l’on entre, que l’on taille comme on veut. On m’a reproché quelquefois de n’avoir pas beaucoup d’amour, mais j’ai de l’indignation, qui est une forme de l’amour. »
Un texte d'Henry de Montherlant, écrit en 1932, que j'ai trouvé ici, en venant de chez l'excellent Hoplite, dont je vous recommande au passage le billet du jour.
Tu reviendras au Bled
Pour vous le dire tout franchement, je n'en puis plus. Pourquoi devrions-nous nous laisser benoîtement écorcher les oreilles par ces parlures piteuses qui se répandent autour de nous comme le feu sur une traînée de poudre ? Comment faire pour enrayer les scies langagières qui nous agressent et, surtout, pour éviter d'être nous-mêmes contaminés par elles ? Je préconise la fuite en avant, le grossissement du trait, la caricature absurde. Ainsi de sur. Cette mignonne préposition, qui durant des siècles n'a rien demandé à personne, accomplissant modestement sa tâche, se voit depuis quelques années propulsée sur un devant de scène où le moins que l'on puisse dire est qu'elle ne parvient à éblouir personne.
« On déjeune, demain ? - Ah, non, demain ch'peux pas, chuis sur Paris. »
Pourquoi se contenter de ce petit sur ? Bousculant toute timidité, j'ai décidé de promouvoir, à compter de cet instant, au-dessus, histoire de prendre un peu de hauteur :
« On déjeune, demain ? - Ah, non, demain ch'peux pas, chuis au-dessus de Paris. »
Et pendant que nous y sommes, que les ceusses qui croient avoir un souci au final prennent conscience qu'ils n'ont rien de plus qu'un problème. Finalement.
Tu reviendras à Malagar
Nous marcherons ainsi, ne laissant que notre ombre
À cette terre ingrate où les morts ont passé.
Nous nous parlerons d'eux...
Une brume tremble sur les landes : réserve immense de torpeur qui va s'étendre sur la plaine jusqu'au crépuscule. C'est dimanche, et je n'entendrai même pas le bruit des sulfateuses. Caoubet et Laouret dorment dans l'étable noire. Les cloches des vêpres ne sonnent plus dans les villages sans prêtres et « les grands pays muets » dont parle Vigny ne sont muets que parce qu'ils sont mourants. Combien de temps nous faudra-t-il pour reconnaître que cette vie qui se retire d'eux, c'est la nôtre ? Par le flanc ouvert des coteaux, notre jeunesse déjà s'est répandue et perdue. Hier soir, sur la terrasse, alors qu'aux étoiles filantes répondaient les pauvres fusées d'une fête locale, il n'y avait plus en moi de quoi animer la grande mécanique céleste, plus assez de vie pour en insuffler à ces mondes morts. Mes frères endormis, n'était-ce pas notre façon de nous affirmer les maîtres de l'univers ? Nous lui prêtions notre propre coeur, la passion, la souffrance et les songes de notre jeunesse. Hélas ! l'homme déclinant découvre que ce n'est pas sa vie toute seule qui se retire lentement de la terre mourante : tous ceux dont il est seul à se souvenir, et qui ont rêvé à cette terrasse, mourront avec lui-même une seconde fois. À ma mort, Malagar se déchargera d'un coup de tous ses souvenirs, il aura perdu la mémoire.
François Mauriac, chronique dans L'Écho de Paris, 13 août 1932.
À cette terre ingrate où les morts ont passé.
Nous nous parlerons d'eux...
Une brume tremble sur les landes : réserve immense de torpeur qui va s'étendre sur la plaine jusqu'au crépuscule. C'est dimanche, et je n'entendrai même pas le bruit des sulfateuses. Caoubet et Laouret dorment dans l'étable noire. Les cloches des vêpres ne sonnent plus dans les villages sans prêtres et « les grands pays muets » dont parle Vigny ne sont muets que parce qu'ils sont mourants. Combien de temps nous faudra-t-il pour reconnaître que cette vie qui se retire d'eux, c'est la nôtre ? Par le flanc ouvert des coteaux, notre jeunesse déjà s'est répandue et perdue. Hier soir, sur la terrasse, alors qu'aux étoiles filantes répondaient les pauvres fusées d'une fête locale, il n'y avait plus en moi de quoi animer la grande mécanique céleste, plus assez de vie pour en insuffler à ces mondes morts. Mes frères endormis, n'était-ce pas notre façon de nous affirmer les maîtres de l'univers ? Nous lui prêtions notre propre coeur, la passion, la souffrance et les songes de notre jeunesse. Hélas ! l'homme déclinant découvre que ce n'est pas sa vie toute seule qui se retire lentement de la terre mourante : tous ceux dont il est seul à se souvenir, et qui ont rêvé à cette terrasse, mourront avec lui-même une seconde fois. À ma mort, Malagar se déchargera d'un coup de tous ses souvenirs, il aura perdu la mémoire.
François Mauriac, chronique dans L'Écho de Paris, 13 août 1932.
jeudi 4 décembre 2008
Tu reviendras à l'air pur
Oublions un peu ces gamineries de droite et de gauche : fermons la porte, les fenêtres, les volets et revenons aux fondamentaux ; replions-nous sur nos minima.
Tu reviendras à Albertine (retrouvée)
Je viens de découvrir un blog. Je sais bien que ce sont des choses qui arrivent fréquemment. Mais celui-ci, je suis vraiment content de l'avoir trouvé, en feuilletant mes Carnets baroques. Et si l'auteur est indubitablement une personne de sexe féminin, elle ne tient pas un blog-de-fille pour autant. Allez donc faire un tour chez Albertine et dites-lui bonjour de ma part.
Tu reviendras à Girard
Lorsque vous érigez votre voisin en modèle-obstacle, vous n'avez ensuite plus qu'un désir, impérieux, et c'est de prendre sa place. C'est ce qu'on pourrait appeler le pousse-toi-de-là-que-je-mimétisme...
Tu reviendras par tant de pluie
J'aime beaucoup ces journées-là. Lorsque, dès le matin, avant même le réveil complet, on perçoit les lamentations régulières d'une pluie qui ne devrait jamais finir. Le ciel est d'un incroyable grisâtre, comme si les nuages avaient été dessinés au crayon gras. L'atmosphère se referme tel un cocon, ou une boîte à musique redevenue silencieuse. Même dans la définitive horreur de cette partie de Levallois où je suis, les fenêtres éclairées des bureaux d'en face ont quelque chose de chaleureux ; on se dit que, pour une fois, les petits ludions qu'ils renferment pourraient bien être heureux de se trouver là - ou au moins un peu réconfortés. On laisse ouvertes les lumières tout au long de cette journée qui se refuse à en être vraiment une, qui louche avec envie du côté de la nuit qu'elle n'a pas eu la chance d'être. Nous-mêmes nous sentons un profil nocturne, mais davantage du côté de Chopin que de celui d'une leçon de ténèbres. Nous arriverons au soir tout tranquilles, et à l'heure de l'endormissement continuera de tomber la même pluie du matin.