Qu'on ne compte pas sur moi pour dire du mal des féministes. D'abord, je n'en connais pas, donc ce serait parler sans savoir. (D'un autre côté, parler sans savoir, étant dans l'univers des blogs, ça ne détonerait pas.) Mais il est vrai que, de temps à autre, j'aime bien aller m'y frotter.
Asticoter les féministes (je dis "les" parce que c'est groupées qu'elles sont le plus savoureux, comme les grains de raisin) comme je me suis un peu amusé à le faire depuis deux jours (mais là, c'est bon, j'ai ma dose), c'est un peu comme s'offrir un déjeuner dominical dans une auberge de famille, on est à l'abri des surprises, bonnes ou mauvaises : une petite cuisine bourgeoise égale à elle-même et agréablement traditionnelle, une décoration qui n'a pas changé depuis trente ans et se contente de jaunir lentement au fil des années ; bien sûr, la patronne n'est plus la même, mais la nouvelle a tout laissé
dans son jus, pour ne pas bousculer les habitués. C'est
cool.
Avec nos chères
Anna soror, c'est la même chose. Ce sont des traditionalistes qui s'ignorent (ou
signorina, si l'on préfère). Elles poussent le respect de l'authentique, du comme-au-bon-vieux-temps, jusqu'à ranimer, à chaque entrée de printemps et durant vingt-quatre heures, les merveilleux slogans qui ont rythmé notre adolescence et qui, le temps d'un
Vendredi Sein, vont ranimé les passions assoupies et les combats oubliés. Un cortège féministe, c'est un peu comme ces
semaines médiévales que les commerçants organisent dans les petites villes de province : on en parle longtemps à l'avance, on se passe le mot, se donne rendez-vous – on trousse même quelques couplets qu'on ira chanter bras dessous, bras dessus, du haut en bas de l'avenue du Général-Leclerc ; et cependant que les commerçants enluminent leurs devantures, les féministes se dépeignent les façades, le temps que dureront les festivités.
Traditionalistes, disais-je. Il ne faut ni ici ni méchanceté ni ironie : elles n'ont pas le choix. Si l'on veut que les mots d'ordre de maman et de tante Clotilde resservent, il faut bien feindre de croire que les situations aussi sont restées les mêmes. Et puis, dans une époque où chacun court après son statut de victime institutionnelle, il serait beau que nos
Anna soror soient les seules à s'en voir refuser le brevet ! Opprimées, vous dis-je !
Il est amusant de constater que, face à cette charmante tradition, l'attitude des mâles est elle aussi restée la même, et que les oppresseurs phallocrates se distribuent toujours plus ou moins entre les trois mêmes catégories :
1) Les gros beaufs réacs (je ne nomme personne mais chacune me reconnaîtra...) qui assistent au défilé depuis le comptoir du
Balto et qui soupirent : "Ça leur passera avant que ça me reprenne", tout en faisant signe à Dédé de remettre la même chose ;
2) les attentistes prudents (c'est le gros de la troupe, mais il y a de nombreuses voies de passage avec la catégorie précédente) qui s'adaptent au discours du jour, notamment s'il traîne des femelles dans les parages, en comptant bien ne pas changer leur façon de vivre d'un iota, se persuadant avec quelque raison que donner des gages verbaux à l'adversaire est déjà bien gentil de leur part et en dit assez long sur leur largeur d'esprit ;
3) les collabos, sincères ou non. Ceux-là sont mes préférés, voilà près de 35 ans que je les fréquente et observe : triste et unique privilège de l'âge. Les plus à plaindre, ce sont les collabos sincères, bien entendu. Ceux-là, je les ai vus gratter de leurs ongles aux portes des réunions féministes des années soixante-dix, en sanglotant pour être admis, car ils ne supportaient plus leur peau velue de tyran et de violeur potentiel, voire putatif. Le dimanche, ils allaient défiler avec les camarades en criant "Notre ventre est à nous !", et ils connaissaient alors un fugitif moment de félicité symbiotique.
Les collabos faux derches, c'était tout autre chose. Ils marchaient dans le sillage des sincères comme les hyènes suivent les lions. Ils s'introduisaient derrière eux dans les antres féminines avec la ferme intention, pour parvenir à leurs fins charnelles, d'opiner à tous les discours qu'on voudrait bien leur dérouler : le collabo faux derche est un opineur compulsif, si l'on veut bien me passer l'assonance. Et qu'on ne vienne pas me dire que je caricature ou invente : j'en ai connus, je me souviens même de leurs noms et de leurs visages – je pourrais dénoncer, si je voulais, mais il y a prescription. Je dois dire qu'ils ne rentraient pas toujours bredouilles de leurs petits séminaires séminaux chez les
Anna soror.
Mais voyez comme vous êtes, mes soeurs : vous me faites parler, pérorer, plastronner, débobiner mes souvenirs de sépulcre blanchi, et, avec tout ça, je ne sais même plus ce que je voulais vous dire en commençant. Et c'est dommage parce que c'était tellement fort, tellement puissant, tellement vrai, que vous ne vous en seriez pas relevées. Enfin, tant pis : la mémoire me faut, comme le reste.
Pour la peine, après-demain, j'irai l'acheter, votre
Vendredi vulvocrate, tiens. S'il est en vente à la maison de la presse de Pacy-sur-Eure, ce qui n'est pas sûr : je les soupçonne d'être un peu pas mal androcentrés, dans cette taule.