mercredi 30 juin 2010

Le Vertige totalitaire, I

Il me fallait quelques jours et un remède. Après le choc encaissé à la lecture de Jan Valtin (voir mes billets précédents), j'ai éprouvé le besoin d'une courte cure de silence, pour me déprendre de l'emprise, pour ne pas dire de la fascination, que cet homme hors du commun a exercé sur moi durant près de mille pages. C'est pourquoi je ne me suis qu'à peine mêlé, pour ainsi dire pas du tout, à la polémique qui continue de faire rage en commentaires, entre les partisans inconditionnels des lendemains-qui-chantent et ceux non moins assurés d'eux-mêmes des avant-hier-qui-tuent : je n'étais d'accord avec personne et ne me sentais nullement capable de développer sereinement – aussi sereinement qu'il m'est possible – au milieu des tirs de shrapnels.

Le remède, ou si l'on préfère l'antidote, ce fut la reprise de l'irremplaçable témoignage d'Evguenia Guinzbourg : il me semblait que rien ne serait plus efficace, pour remettre Valtin à sa juste place, que de relire à quoi ses efforts ont abouti.

Pour ceux qui auraient la flemme de cliquer sur le lien ci-dessus, Evguenia Guinzbourg était professeur à l'université de Kazan lorsque, à 31 ans, en 1937, elle fut arrêtée – comme des centaine de milliers d'autres – sous un prétexte futile, absurde, mais tragique de conséquences : après deux ans de prison, dans des conditions de vie et d'isolement terribles, elle passera au total 14 années en Sibérie, d'abord comme prisonnière, puis comme “reléguée”. Au retour, elle ne retrouvera ni son mari, arrêté lui aussi, juste après elle, ni l'aîné de ses deux fils, disparu dans la tourmente de Léningrad. Son récit se scinde en deux volumes : Le Vertige raconte son arrestation, ses années de prison, l'hallucinant voyage d'un mois dans un wagon de marchandises, entre Moscou et Magadan, capitale de la Kolyma, et l'arrivée au goulag ; Le Ciel de la Kolyma est consacré tout entier à son temps de bagne et de relégation.

Ce qui fait le prix de ces huit cents pages serrées, c'est d'abord qu'il est écrit par une communiste convaincue. Naïve, elle s'en rend compte très vite elle-même, mais convaincue. Et que, malgré cet enfer de plus de 15 ans, elle ne cessera jamais tout à fait de l'être – tout comme Jan Valtin jusqu'à sa fuite d'exil restera obstinément fidèle au Komintern et à la Guépéou : phénomène vertigineux, presque monstrueux, qui contribue à dresser cet écran opaque entre ces deux personnes (intelligentes et brillantes toutes deux) et nous. Et qui, plus inquiétant encore, nous renseigne un peu sur nos propres capacités d'aliénations mentale, spirituelle, morale, face aux endoctrinements d'aujourd'hui – endoctrinements qui, n'étant pas perçus comme tels puisque, tout comme le communisme, se proclamant au service du Bien, de l'Homme ou de ses “Droits”, font d'autant plus facilement et profondément leur travail de destruction.

Mais revenons à Evguenia. Lire les deux tomes de son témoignage, c'est prendre une leçon d'humanité, au sens le plus haut mais aussi le plus violent du terme. Il ne s'agit pas ici de l'humanisme dégoulinant qui est devenu le nôtre : à la Kolyma, vouloir rester homme, refuser l'animal en quoi on veut vous transformer, c'est s'exposer au désespoir le plus noir, et le plus souvent à une mort rapide, conséquence de ce désespoir. Pourtant, Evguenia Guinzbourg fait ce pari, et le tient jusqu'au bout. En ce sens, sa lecture est extraordinairement roborative, génératrice d'un espoir qui, pour n'être pas issu de la guimauve mais durci au froid glacial de l'enfer, finit par devenir indestructible et immédiatement communicable au lecteur. (La lecture de Varlam Chalamov produit un effet semblable, mais par d'autres voies et selon des modalités toutes différentes – j'espère pouvoir y revenir d'ici quelque temps.) Aux douze heures quotidiennes d'abattage forestier, par - 50° et avec une petite “brique” de pain pour toute nourriture, Evguenia Guinzbourg oppose la récitation mentale des vers de Blok, Nekrassov, Pouchkine... Et aussi une attention aux autres, au malheur des autres, alors que tout est fait, conçu et mis en place pour que l'égoïsme le plus primitif envahisse totalement les cerveaux et y tue la conscience.

Au même moment, à Hambourg ou Copenhague ou Paris ou Londres, Jan Valtin risque chaque jour sa vie pour que le régime qui a envoyé Evguenia Ginzbourg où elle est triomphe dans l'Europe entière. Et le plus étrange est que, lisant l'un après l'autre, force est de constater que ces deux personnages ont non seulement des points communs, mais aussi des valeurs communes.

(Comme je sais qu'un billet trop long n'est jamais vraiment lu, je m'interromps ici et reprendrai plus tard...)

mardi 29 juin 2010

Le journal de mai est sorti des presses

Et il est sorti avec un jour d'avance car, allez savoir, je me suis éveillé tout à l'heure avec la certitude que nous étions le dernier jour de juin. Enfin, bon, il est bel et bien là. On notera qu'à compter de ce mois, chaque livraison mensuelle portera un titre – si possible en rapport avec son contenu mais la rédaction ne promet rien.

lundi 28 juin 2010

Ce fier exil, ce triste exil...

Que dire de ce livre prodigieux, maintenant qu'il est achevé ? Les mots débordent mais refusent pour le moment de s'ordonner. Peut-être parce que l'existence qu'ils sont chargés de décrire, de déployer, ne fut jamais rien d'autre qu'un chaos de mouvement et de violence. Je ne renie nullement ce que j'ai écrit ici après avoir lu les deux cents premières pages de Sans patrie ni frontières. Mais tout est plus complexe et plus noir. Tout est peut-être toujours plus complexe et plus noir...

Le livre bascule quelque part entre ses pages quatre et cinq cents, au moment où, janvier 1933, Hitler accède au pouvoir, miraculeusement aidé en cela par la décision prise à Moscou, et appliquée scrupuleusement partout ailleurs, et en Allemagne tragiquement, de continuer à tenir la social-démocratie comme l'ennemi principal – quitte, pour l'abattre, à sacrifier à des alliances ponctuelles avec les nazis. À ce moment, la vie de Jan Valtin, qui pouvait jusque-là évoquer celle d'une sorte d'Indiana Jones révolutionnaire, voire de Tintin rouge, cette vie plonge en enfer : arrêté dès novembre 33 par la Gestapo, il sera torturé durant trois mois, sans rien lâcher ou presque de ce qu'il sait d'important. Puis emprisonné pendant trois ans. Les militants communistes enfermés, torturés et exécutés autour de lui savent qu'ils paient le prix fort de cette stratégie criminelle que j'ai dite. Ils ont aussi la terrible amertume d'apprendre – car ils sont très bien informés, même dans les camps de concentration – que le Komintern prône désormais la stratégie dite “des fronts populaires”, c'est-à-dire d'alliance avec les partis socio-démocrates... et que Moscou a froidement abandonné le parti communiste allemand à son implacable sort. Quoi de plus “normal”, puisque, déjà, les émissaires de Ribentropp et de Molotov ont pris langue, en vue du future Pacte germano-soviétique ?

La foi de Valtin n'est cependant pas ébranlée. Pas encore. Au fond de sa prison – il a été condamné à treize ans –, il reçoit une mission du Komintern : se mettre au service de la Gestapo pour devenir agent double. Mission acceptée. Il faudra des mois de patience, d'intelligence, de ruse et de maîtrise de soi à Jan Valtin pour convaincre les chefs de la Gestapo de la réalité de sa “conversion”. Lorsqu'il est finalement libéré (par le subterfuge d'une fausse évasion) de sa prison – mais avec au cou une laisse fort courte... –, sa mission consiste à rejoindre ses amis du Komintern de Copenhague, l'un des plus actifs, afin de renseigner la Gestapo sur leurs agissements. On ne manque évidemment pas de l'avertir que, durant ce temps, sa femme et leur jeune fils seront dans l'impossibilité de quitter l'Allemagne...

C'est ce qui va provoquer chez Valtin le sursaut d'une révolte qui couvait depuis déjà quelque temps. D'abord, rejoignant ses camarades, il constate très vite que l'esprit a changé : l'heure n'est plus aux discussions, à l'entraide, à la révolte, mais à l'obéissance tremblante, au refus des responsabilités, à la peur, à la délation du camarade par le camarade. Et puis, lorsque Valtin demande qu'un petit commando soit mis sur pied pour exfiltrer d'Allemagne sa femme (elle-même membre du Parti) et son fils, ses “camarades” de plus de quinze ans, lui expliquent froidement que le Komintern n'a pas à se préoccuper de ses “problèmes d'ordre privé”.

Le mouvement de révolte de Jan Valtin entraîne immédiatement sa seule conséquence possible : il est mis au secret dans une campagne proche de Copenhague, en attendant que les instances de la Guépéou moscovite ne statuent sur son sort. Le verdict tombe après quelques semaines de cet emprisonnement : Valtin doit rejoindre Moscou. C'est-à-dire le goulag ou le peloton d'exécution. En mettant le feu à la vieille ferme où il est retenu, Valtin parvient à s'échapper le jour même de son transfert.

Après des mois d'errance et de traque – ni la Guépéou ni la Gestapo ne le laissent en repos –, mais aidé par ses anciens camarades qui ignorent encore quel “traître” il est, il parviendra aux États-Unis et finira par obtenir la nationalité américaine. Les bolcheviques s'étant arrangés pour faire savoir que Valtin avait été leur agent double au sein de la Gestapo, sa femme mourra dans une prison nazie dès la fin de 1938. Son fils sera intégré aux Jeunesses hitlériennes, probablement sous un autre nom que le sien, et Valtin n'entendra plus jamais parler de lui.

Jan Valtin est mort d'une pneumonie en 1951. Il avait 45 ans, et quatre ou cinq vies derrière lui.


(Je pense revenir sur ce livre, d'une manière plus “réflexive”, lorsque l'émotion produite par sa lecture se sera un peu dissipée.)

dimanche 27 juin 2010

Ma cafetière et ta voiture

CATHERINE, hier midi : – Tiens, il faut que je pense à nettoyer ma cafetière...

MOI, demi-sourire : – Pendant que tu y seras, lave-donc aussi la mienne !

ELLE, les yeux au plafond : – Arrête ! Tu sais très bien que je dis toujours mon, ma, mes : ma maison, mon mari, mes chiens... Il n'y a que pour la voiture que je dis “ta voiture”.

MOI : – J'ai eu du bol, j'aurais pu tomber sur la cafetière...

samedi 26 juin 2010

Symphonie en rouge et brun

« La haine aveugle contre les sociaux-démocrates prit une tournure décisive vers le milieu de janvier 1931, lorsque Georgi Dimitrov publia un mémorandum secret d'instructions pour tous les chefs et sous-chefs des colonnes communistes. (...) Résumées en une phrase, les instructions visaient à une action unique du parti communiste et du mouvement hitlérien pour accélérer la désintégration du bloc démocratique croulant, “qui gouvernait l'Allemagne”.

« (...) À partir de ce moment-là, malgré la cruauté sans cesse croissante de leurs affrontements, le parti communiste et le mouvement de Hitler joignirent leurs forces pour couper la gorge aux démocraties déjà vacillantes. C'était une alliance étrange qui ne fut jamais proclamée officiellement ou reconnue par la bureaucratie rouge ou brune : mais elle constituait un fait patent, sinistre. Beaucoup parmi les membres du Parti résistèrent obstinément. Trop disciplinés pour dénoncer ouvertement le Comité central, ils commencèrent une campagne silencieuse de résistance passive pour ne pas dire de sabotage. Cependant, les éléments les plus loyaux, dont je faisais partie, appliquèrent énergiquement ces dernières directives. Des trêves furent conclues d'un commun accord entre partisans de Staline et de Hitler chaque fois qu'il y eut à opérer une razzia ou à briser les réunions et manifestations du front démocratique.

« Durant la seule année 1931, je participai à des douzaines d'entreprises terroristes de ce genre avec les éléments nazis les plus douteux. »

Jan Valtin, Sans patrie ni frontières, p. 302-303.

Désolé de briser le beau rêve, camarades...

vendredi 25 juin 2010

Je les attendais, mes jeunes modernes...

Je ne savais pas de qui ç'allait venir, mais j'étais certain. Les petits soutiers du communisme, suite à mon billet de ce matin, je savais qu'ils allaient rappliquer. Ce fut Henri, puis ce fut Dorham. Qui ont essayé de me persuader que les communistes ont été irréprochables.

Je m'attendais à n'avoir que peu de commentaires, sur ce billet, une espèce de silence respectueux vis-à-vis de cette horreur pure que fut le communisme. Je l'ai eu, en effet. Ces gens refusent d'admettre qu'ils ont été à plat ventre devant l'une des deux pires dictatures du siècle. Même encore maintenant, de nos jours. Henri nous essaie la Résistance, Dorham tente de nous vendre les communistes italiens ou espagnols.

Ils n'ont pas tort, ni les uns ni les autres. Les communistes ont en effet participé à la Résistance. Mais pas seuls. Et pas les premiers. Et, de toute façon, cela ne change rien. Dès la fin de l'année 1940, lorsque les communistes ne tentaient qu'une seule chose (faire reparaître l'Humanité sous contrôle allemand).

Et puis, de toute façon, qu'est-ce qu'on en a foutre, de ces communistes ? Qui doivent être éliminés rapidement, maintenant qu'ils sont devenus des clowns modernants ? Non physiquement, comme ils le faisaient eux-mêmes tout tranquillement, mais idéologiquement. Ils sont un résidu de l'histoire, comme les nazis le sont. Et même visage.

De la crapulerie communiste

À Pluton.

Connaissez-vous Jan Valtin ? Non, n'est-ce pas ? Moi aussi, j'ignorais tout de son existence jusqu'à ce que me soit offert, la semaine dernière, par le dédicataire de ce billet, son principal livre, intitulé Sans patrie ni frontières. Neuf cents pages serrées, pour raconter ce que fut l'extraordinaire vie de cet Allemand itinérant entre 1905, date de sa naissance, et 1940, celle de son départ pour l'exil, aux États-Unis. J'en ai lu cent, pour le moment.

Il s'agit – la partie que j'ai lue – d'un témoignage extraordinaire, saisi sur le vif, irremplaçable, sur ce qu'a pu être l'existence d'un militant communiste, puis membre actif du Komintern, dans les années 1918-1925. Ce qui frappe d'emblée, c'est la profonde crapulerie des communistes. Valtin décrit fort bien (et sans s'en indigner le moins du monde) la manière dont les cadres du parti enseignent à ses camarades et à lui comment voler, cambrioler, saccager et même, évidemment, tuer. Tout cela dans l'endoctrinement des lendemains radieux, afin d'effacer ce qui pourrait subsister de réticences morales chez ces très jeunes gens. On voit le parti communiste allemand fomenter une grève des marins et des dockers de Hambourg, puis ordonner à ses militants de conduire les navires à bon port – de se comporter en “jaunes”, donc – car tel est l'ordre du Komintern. De même, le parti se livre en toute bonne conscience révolutionnaire au trafic d'alcool à grande échelle avec les pays où celui-ci est lourdement taxé, comme la Finlande, afin d'alimenter ses caisses. Ce même parti qui, en octobre 1923, lors de l'insurrection de Hambourg, envoie le plus possible d'ouvriers dans les rues, sachant qu'ils vont se faire mitrailler à vue par les forces de police. Pourquoi ? Parce que rien n'est meilleur pour “la cause” que des flics tirant sur une foule désarmée : principe affirmé très tranquillement par l'un des chefs de Valtin.

Et tout ceci se déroule, je le rappelle, dans les années 1918-1923, c'est-à-dire à l'époque où c'est encore le “gentil” Lénine qui dictate (verbe offert par la maison) au Kremlin, et non le “méchant” Staline. Sans aucune démonstration, simplement en laissant se dérouler les faits (c'est la grande force de son récit), Jan Valtin nous montre la vanité spécieuse de toute solution de continuité entre les deux premiers maîtres bolcheviques de Moscou : l'un a simplement prolongé et intensifié l'œuvre de l'autre, le stalinisme est tout naturellement sorti du léninisme. C'est la bonne vieille histoire du ventre fécond et de la bête immonde, mais renvoyée en boomerang dans la gueule de ses promoteurs.

En clair, ce qui ressort de ce que j'ai lu à ce jour, c'est que l'on “dressait” ces jeunes communistes exactement comme, à la même époque, on le faisait à Berlin et ailleurs pour les jeunes nazis. C'est pourquoi je terminerai ce billet par une citation :

« Ce n'est pas l'Allemagne qui va devenir bolchevique, mais le bolchevisme qui va se transformer en une sorte de national-socialisme. En plus, il y a davantage de liens qui nous unissent au bolchevisme que d'éléments qui nous séparent. (...) J'ai toujours fait la part des choses, et toujours enjoint que les anciens communistes soient admis dans le parti sans délai. Le petit-bourgeois socialiste et le chef syndical ne feront jamais un national-socialiste, mais le militant communiste, oui. »

Cette affirmation a été faite en 1934 à Hermann Rauschning. Par Adolf Hitler.

jeudi 24 juin 2010

De Loin en Loin

On peut trouver les Églogues même où elles ne sont pas. Par exemple dans Loin, roman que j'ai relu il y a quelques semaines, et que je vais re-relire le week-end prochain, pour des raisons qui seront (peut-être) révélées d'ici un mois ou deux. La scène hautement “agissante” qui m'a fait reprendre ce roman est celle où, dans le tunnel sous la Manche (un tunnel sous la Manche, déjà, quand on y songe : une cavatine sous les pieds de Don Quichotte) la jeune Ono branle le personnage principal, tout en parlant avec lui.

(Là, l'auteur trahit en quelque sorte son homosexualité : qui aurait envie de parler avec une fille occupée à le branler ?)

Scène pivot et fondatrice pour moi, mais encore une fois je ne peux rien en dire encore.

Le hasard (?) a voulu que je relusse immédiatement après L'Amour l'Automne que j'y prenne un plaisir intense (j'ai l'impression que, tout comme L'Inauguration de la salle des vents, je pourrais bien relire douze fois ce livre (ou seulement sept, comme le nombre d'églogues qu'il contient), et que me frappe une fois de plus, avec une force accrue, la puissance des noms, des noms propres, leur force agissante, l'impérialisme de l'onomastique.

Et je reviens à cette scène “pivot” (au sens éminemment turgide du terme) de l'Eurotunnel. Durant laquelle, du point de vue du personnage principal, Ono m'astique. Découvrant cela, il y eut aussitôt la jouissance d'avoir volé quelque chose à l'auteur, et en même temps de lui avoir ajouté quelque chose, au sens où Nabokov dit qu'un lecteur, etc. Car il me semble difficilement possible, considérant le peu d'attrait que l'argot a aux yeux de Renaud Camus, qu'il ait pensé à ce que je viens de découvrir.

Par conséquent, j'ai, moi, lecteur, ajouté quelque chose à ses livres, à son œuvre. Putain, trop fort, Didier Goux !

Allez, dodo...

Billet pour ne rien dire...

Si la vie s'était goupillée autrement, on serait peut-être installé là, à l'heure présente, somnolant sur la galerie en regardant la mer être ce qu'elle est. Ou bien, si j'étais resté un âne gauchiste, on me verrait installé dans la Case, au Plessis-Hébert, car je serais en grève.

Mais rien de tout cela n'étant arrivé, je suis à Levallois-Plage, dans un immeuble à peu près désert, et dans un bureau en surchauffe pour cause de climatisation en rideau. De plus, Catherine étant venue avec moi, nous avons donc apporté deux bentos et, tout à l'heure, nous allons déjeuner en vis-à-vis, chacun devant un écran d'ordinateur : le tableau va être charmant.

Pendant ce temps, Ludovic garde les chiens – ou l'inverse, on ne sait – et s'occupe à désherber le jardin, tondre la pelouse, etc., toutes activités que le taulier n'a pas loisir de faire, vu le temps qu'il passe à vous raconter ses conneries.

Voilà, quoi...

mercredi 23 juin 2010

Et vive le football, qui dit des choses !

Et tout s'est arrêté. Soudain. Équipe de machins, dont tout le monde se fout ; assemblage de divers types que personne n'a jamais pris pour une équipe de France. On est à l'orée de quelque chose de nouveau. Ou d'ancien. Nos ennemis commencent à trembler, parce qu'on les repère de plus en plus facilement, les C., les O., les d'autres, tous ces petits collabos trépignants, dont les réverbères sont déjà prêts et qui y pendront demain.

À présent, on les voit. Ils sont en pleine lumière, ces cons. Le football a cet avantage : il les révèle et on les voit. Ils peuvent bien trouver d'autres raisons à leur effondrement : le fric, le capitalisme, Sarkozy (toujours pratique), encore d'autres choses. Ils ne peuvent plus, ces idiots, cacher la réalité : cette équipe n'a jamais été une équipe de France, pour des raisons fort visibles, que le dernier des cons au fond du dernier bistrot ne peut ignorer. Du reste, pourquoi ce pays, la France, a-t-elle envoyé si peu de supporters en Afrique du Sud ? Pourquoi est-ce que tant de gens se foutent de la victoire ou de la défaite de cette bande de branques ? Devinez...

Évidemment parce qu'ils ne sont pas, ne seront jamais une équipe de France. Ils ne sont pas une équipe, c'est évident, et, plus évident et grave, ils ne sont pas la France. Ou bien, c'est que le mot France ne signifie plus rien. Ce qui est après tout possible. Peut-être que France ne veut plus dire que... que quoi ? Que rien. Juste ça : j'ai des papiers – et je t'emmerde. Pour en revenir au football, du fait qu'il n'y a plus de France, tout le monde se fout de la défaite de cette horde de millionnaires africains portant maillot bleu, de ces sapajous divers parfaitement intégrés au monde tel qu'il est censé aller.

Il est très amusant de lire les divers billets qui circulent dans la blogosphère aujourd'hui : on ne vous y dit rien, évidemment. Personne ne dit un mot de ce que n'importe quel Français sait depuis le début de cette Coupe de merde.

Que cette équipe n'est pas française, ne l'a jamais été. Et que, du coup, tout le monde se fout qu'elle perde ou gagne. Et, même...

Honte sur la France ? Mais non, pourquoi ?

En fin de compte, on aura passé un excellent moment, grâce à ces vaillants petits gars. Les voir se prendre déculottée sur déculottée par des équipes qu'ils étaient censés écrabouiller d'un orteil, c'était un plaisir dont on aurait été bien sot de se priver.

Autre plaisir, plus grand encore parce que moins ponctuel, celui de les voir infliger le plus cinglant et magnifique des démentis à tout ceux qui, depuis des années maintenant, chantent les laudes au métissage (au métissage sans race, bien entendu, puisque, de races, il ne saurait désormais plus exister la moindre), des odes au multuculturalisme, des élégies au vivre-ensemble : je ne vous refais pas le détail des guignoleries grimaçantes qui se sont succédé, vous les connaissez aussi bien que moi, c'est tout frais.

Dernier plaisir enfin : celui de voir le commencement de fébrilité de ces aèdes modernants, sur les blogs ou ailleurs, depuis hier : ça s'affole dans le poulailler du Progrès, nettement. On sent venir les lendemains qui couaquent. On accuse pêle-mêle l'argent, le capitalisme – Sarkozy bientôt, je gage –, Domenech bien sûr, et pas à tort, la fédération, la presse, la main d'Henry, celle de ma sœur qui n'en peut mais, etc. On produit du bruit et du mouvement pour éviter que le bon peuple des supporters ne regarde un peu trop fixement dans la direction où c'est défendu de.

Et puis, il y a ceux, les plus “en pointe” finalement, qui parlent d'une honte que la France devrait ressentir, du ridicule dont cette même France se serait couverte pour l'occasion. Ah mais non, mes maîtres ! La France n'a à avoir honte de rien, sinon de vous. Ce n'est pas la France qui s'est couverte de ridicule aux yeux du monde, mais vous, oui, sacrément. La France n'a rien à voir avec cette malheureuse tentative d'équipe, avec cet assemblage de riens.

Et la France pourrait bien avoir de moins en moins à faire avec vous, dans la foulée. La France pourrait se mettre à vous dire merde. Ce qui serait une bien bonne nouvelle.


Sur le même sujet, et en meilleur, vous pouvez aussi aller lire le billet de mon ami XP.

mardi 22 juin 2010

“Causeries littéraires”, de Joseph Vebret

Je n'étais certes pas la vedette de la soirée, samedi dernier, mais ce n'est pas pour autant que j'en suis reparti les mains vides, puisque Joseph Vebret avait eu la gentillesse de m'offrir son dernier né, ces Causeries littéraires auxquelles j'ai déjà fait allusion il y a quelques jours.

Je viens de terminer le livre (à la lettre Z comme Zemmour...) il y a quelques minutes. Après avoir écouté – car c'est un livre qui s'écoute – une quarantaine d'écrivains parler de leur métier, de leur rapport à l'écriture, etc. Certains connus et aimés – Camus, Chaillou, Dupré, Houellebecq, etc. –, d'autres connus et tenus à distance, et aussi des inconnus sauf peut-être de nom ou de réputation, ce qui ne veut rien dire.

Parmi les connus – mais pas fréquenté depuis des décennies –, Kenneth White, l'Écossais-Français que j'ai choisi pour illustrer ce billet vagabond. Lequel, pour parler de ce que recouvre désormais le mot “culture” dans nos sociétés égalitairement déliquescentes, s'est forgé un mot qui devrait ne pas déplaire à Renaud Camus : la ridiculture. Et lorsque le docteur Vebret, accoucheur littéraire de son état, lui demande ce qu'il entend exactement par “culture”, Kenneth White répond ceci :

« C'est l'invitation à un espace de pensée et de création qui augmente la sensation de vivre pleinement sur Terre. Pour cela, il faut qu'il y ait un fonds, pas seulement des produits. Depuis le début de l'humanité, le fonds a été constitué par le mythe, la religion et la métaphysique. Quand la culture n'a pas de fonds, elle prolifère, c'est tout. Exceptions à part, c'est un énorme creux rempli de riens. (...) »

Quelques paragraphe plus loin, il esquisse une définition de ce qu'il a nommé le “nomadisme intellectuel” :

« Disons rapidement pour définir le nomade intellectuel, qui est aussi un intellectuel nomade, qu'il n'est ni un intellectualiste abscons, ni un intellectuel engagé avec de bonnes intentions, mais se trompant régulièrement, ni le commentateur à la petite semaine de tout et n'importe quoi, il ne travaille pas dans l'arène, mais dans la distance et le silence, traversant des territoires, explorant des cultures, ouvrant un autre espace. (...) »

Un nomadisme intellectuel qui a conduit White, il y a déjà plus de vingt ans, à forger le concept de géopoétique. Et à en fonder l'Institut international. Depuis le coin de Bretagne où il vit depuis trente ans.

lundi 21 juin 2010

Et le téléphone d'Alain F. se mit alors à sonner...

Ce billet ira-t-il jusqu'à son terme ? Il me semble devoir y mettre tant de choses que j'en suis fatigué d'avance. Essayons tout de même.

Nous étions une douzaine à être scrupuleusement à l'heure, samedi, au pied de l'immeuble dont Jean-Paul Marcheschi occupe le dernier étage (la photo est prise de son balcon). D'autres participants se trouvaient déjà dans l'appartement, dont mon illustration d'hier donne une petite idée. Les seuls encore absents étaient Alain Finkielkraut et Renaud Camus, les deux stars de la soirée, le premier on ne saura pas pourquoi et le second parce que sa voiture était coincée dans un embouteillage du côté de la Porte de Bercy. Du coup, on a commencé à boire et à manger sans les attendre : charcuterie et pinard, c'est vous dire le repère de fachos dans lequel nous étions tombés.

Camus, flanqué de M. Pierre, arriva finalement bon dernier, tandis que l'un de ses lecteurs me glissait : « On est tranquille : pendant au moins six mois il n'osera plus râler dans le journal après les gens qui arrivent toujours en retard ! » Faut voir. Tout le monde se dispose plus ou moins en cercle, Camus et Finkielkraut se faisant face. Après une courte introduction de Sophie Barrouyer (et voilà que je ne suis plus du tout sûr de l'orthographe de son nom), Renaud Camus prend la parole, pour dire à Finkielkraut toute sa reconnaissance pour son rôle dans l'affaire Camus, qui a éclaté il y a tout juste dix ans : tel était d'ailleurs le prétexte à cette réunion.

Et c'est à ce moment, dans un silence quasi total, que retentit la sonnerie du portable de Sylvie Topaloff – Madame Finkielkraut à la ville. Laquelle quitta précipitamment l'appartement au milieu des rires. Elle revint du reste très vite et ce fut au tour d'Alain Finkielkraut de devoir sortir, après s'être emparé du téléphone et non sans nous promettre une explication. Lui resta absent plus longtemps.

Puis, à son retour, l'explication : il avait accepté de passer en direct sur Europe 1 au moment de la mi-temps du match, afin de donner son sentiment sur l'équipe de France, bien certain que, à cette heure, les petits discours seraient terminés – ce qu'ils n'étaient point.

Après la remise de plusieurs cadeaux à la vedette de la réunion – dont un stylo à plume, pour lui qui refuse le clavier et internet –, la soirée reprit un cours plus informel, par petits groupes sans cesse changeant. Jean-Paul Marcheschi ayant invité Catherine (et moi, donc) à venir entendre une lecture de et par Jacques Roubaud, samedi prochain dans son atelier (sis rue des Deux-Boules...), nous avons décidé d'y aller, portés par le plaisir que nous donnait cette soirée-ci. Je ne vous dirai pas qui était là et qui n'y était pas, car je ne sais ce que les uns et les autres ont raconté à leurs épouses ou maris respectifs.

Nous sommes partis peu avant onze heures, Catherine ayant, en tant que chauffeur, donné le signal du repliement. J'ai pris congé d'un certain nombre de personnes, en terminant par M. Pierre. J'étais déjà en route vers la porte lorsque celui-ci m'a rappelé : « Didier, il faut que je vous dise : je vous trouve absolument irrésistible, avec votre moustache ! »

Eh bien, on a beau être sottement hétérosexuel, quand un très beau jeune homme de trente ans vous dit cela, ça fait quelque chose...

dimanche 20 juin 2010

Nous fûmes ici


La photo a été prise par Renaud Camus peu de temps après notre départ, puisque nous étions à la maison aux environs de minuit et demie. Beaucoup de choses à dire à propos de cette soirée d'hier, parfaite en tous points. J'ai tout noté dans le journal pour être certain de m'en souvenir, mais là, le temps me faut, car nous sommes attendus pour un déjeuner de Crevette...

Et, n'en déplaise à Orage, d'aucuns trouvent ma moustache IRRÉSISTIBLE...

samedi 19 juin 2010

937 signes : il y en a un peu plus, je vous le mets quand même ?


La cinquième églogue de L'Amour l'Automne est composée de 171 phrases, chacune occupant une page à soi seule et comprenant 937 signes. À chaque page, un titre, en italique, constitué d'un simple mot précédé de son article défini. Une première question se pose : les lettres de ce titre sont-elles comprises dans les 937 signes ou bien non ? Il serait à coup sûr très facile de le savoir, en recopiant l'une de ces phrases dans un document Word puis en activant les touches control + S. Mais le lecteur – qui est aussi le narrateur du présent texte – a-t-il vraiment envie de savoir ? Rien n'est moins certain. De même qu'il ne sait pas, ou bien il a oublié, pourquoi ce nombre de 937. Il lui plaît de supposer que c'est la première phrase écrite qui a commandé à toutes ses suivantes, mais ce n'est que pure conjecture. Et, là, encore, il ne tient pas plus que cela à se forger une quelconque certitude.

Cette cinquième églogue marque une sorte de pause réflexive, ou un commentaire (parfois purement didactique) entre l'éclatement “façon puzzle” de la quatrième et le halètement furieux de celle qui va suivre. C'est également la plus longue en terme de pages (171, donc), mais il est vrai qu'elles sont pour l'essentiel constituées de blanc. J'ai choisi de recopier deux phrases, celles des pages 389 & 398 parce qu'elle sont indissociables l'une de l'autre – tout comme 98 est le renversement de 89, ce qui ne saurait être un hasard. Et aussi parce qu'elles montrent que l'on peut très bien, comme Renaud Camus, attacher un prix très grand à l'origine, à sa recherche toujours déçue mais jamais renoncée, et en même temps cultiver un sentiment (un fantasme ?) de non-appartenance, un désir de dispar'être, ainsi que le note l'auteur. Les voici :



Le rivage

Le seul trait qui gâche un peu ces rivages, ces îles, ces montagnes solitaires, ces villages, ces petits ports dont le moindre hante vos nuits et vos veilles comme un des sites par excellence de la tentation d'établissement – qu'en serait-il de vivre là, de poser là son bagage, d'y prendre « pour la vie une chambre à la semaine » ? –, c'est le folklore, le culte des ancêtres, de l'autochtonie, du clan, l'absurde prétention des gens du cru à être en ces parages plus chez eux que vous-même, cette supériorité d'appartenance qu'on lit ou que l'on imagine dans leur regard, ce statut d'étranger à jamais auquel on voit bien qu'ils vous confinent, comme s'il était des lieux sur la terre où de naissance tel ou tel aurait mieux sa place que n'importe qui d'autre, comme si le monde était un affreux lotissement héréditaire, comme si ce n'était pas l'amour, le désir, le regard, le pas qui fondent la seule présence qui vaille en droit.


La présence

Tout pourchassés qu'ils soient, traqués, empêchés de travailler, sans cesse sous la menace de l'arrestation, de la reconduite aux frontières et du retour forcé vers un pays où souvent ne les attendent que les pires dangers, les “sans-papiers” sont peut-être les êtres les plus libres qu'un État comme le nôtre, et n'importe quel État, puisse compter dans sa population, et la terre porter : en effet être sans papiers, si l'on veut bien y songer, n'est-ce pas être par excellence désafilié, inclassé, inclassable, désenrégistré, dérépertorié, et échapper de la sorte à l'état civil, aux listes, aux fichiers, aux prudences, aux attentes, aux espérances, aux précautions – à tout ce qui nous tient par l'intérêt, par le devoir, par la peur, par l'habitude et quelquefois par l'amour, et nous empêche d'éprouver tout ce que nous pourrions éprouver d'absence au monde et de présence à nous-mêmes, aux saisons, à la stupéfaction d'être là ?


Sur quoi il me faut vous abandonner jusqu'à demain, ayant rendez-vous avec l'auteur – et d'autres personnes aussi – rue Berger, où hommage sera rendu en sa présence à Alain Finkielkraut, parce qu'il le vaut bien. Il sera probablement fait relation de cette soirée ici même. Ou pas.

vendredi 18 juin 2010

De l'obscénité des marchés financiers (et des chattes rasées)

Une brune, environ 25 ans, probablement de morphologie proche à celle de l'inconnue sur la photo. Des sourcils bien marqués, une discrète toison sur le dessus des avant-bras qui laisse présager... enfin bref.

Elle est assise à la terrasse de L'Ambiance d'à côté, face à une amie que l'observateur – ni donc le lecteur – ne découvrira. Elle boit du café, l'amie du thé.

L'observateur est encore à quatre ou cinq mètres d'elle lorsqu'il la remarque. Il la trouve vraiment belle. Il se dit que s'il était moins vieux et moins marié...

Il se rapproche d'elle (forcément, puisqu'il quitte l'établissement nommé) et le son de sa voix se précise en phrases – ou en lambeaux de phrases, ce qui est bien suffisant. Il comprend, à trois mètres, que la brune aux cheveux courts et aux avant-bras duveteux est en train de développer des considérations sur les marchés financiers.

Obscénité pure.


L'observateur n'est pourtant pas encore tout à fait guéri. Il continue de s'avancer vers elle, puisqu'aussi bien c'est son chemin pour retourner faire le guignol dans son bureau. Et, soudain, la brune sourit. Sa beauté un peu trop facilement accordée s'évanouit dans l'instant, se résume à un fade attrait qui se doit entièrement à la jeunesse du sujet. Elle ne sera jamais belle, elle durera jolie et fraîche tant que ses années le voudront – rien de plus.

L'observateur remonte accomplir ses tâches mécaniques et stupides d'une démarche pesante et sans plus regarder personne. Se disant, cependant qu'il attend l'ascenseur – parce qu'il a une nette tendance à tout voir en négatif –, que, s'il se trouve, en plus, elle se rase la chatte, cette conne.

Soudain, joyeux, il dit : Camus ! – C'était Chaillou

Cependant Camus était présent également, hier soir, boulevard du Montparnasse où Joseph Vébret nous conviait à une Escale littéraire, pour la sortie de son nouveau livre, Causeries littéraires – et le moyen d'éviter la répétition de l'adjectif, dans ce cas précis ? Livre trop rapidement feuilleté dans un coin de la librairie, mais que je ne saurais trop recommander à votre boulimie.

Carlos et moi-même arrivâmes vers sept heures vingt, Camus fit son entrée (seul : il arrive que les professeurs travaillent...) une dizaine de minutes ensuite. Le temps de le saluer et de lui présenter Carlos, nous fûmes rejoint par le monsieur à cheveux blancs qui vous contemple en ce moment, de son œil à la fois très doux et légèrement inquisiteur. C'est ainsi que je fus présenté à Michel Chaillou et que j'eus l'occasion de lui dire quel enchantement avait été pour moi la lecture de son Sentiment géographique. À ce moment, après m'avoir remercié de mon compliment, il pointe l'index en direction de Renaud Camus et, sur le ton de l'évidence : « C'est à cause de lui que vous m'avez lu ! » Je fus bien obligé d'admettre que c'était exact, Camus ayant écrit plus d'une fois, à mon souvenir, qu'il tenait Le Sentiment géographique pour l'un des plus beaux livres de la littérature française de ces cinquante dernières années.

Ensuite, la conversation s'établissant entre les deux écrivains, je me fis aussi petit qu'il m'est permis, et totalement silencieux, afin de n'en pas perdre la moindre miette. Cela dura peu mais suffisamment pour constater que Chaillou tutoie Camus – pas l'inverse, bien entendu – et qu'ils se connaissent depuis très longtemps, puisqu'il fut question de la rue du Bac. Là-dessus, nous fûmes rejoints par Vebret, que l'on sentait un peu sous pression, ce qui se conçoit, et la conversation sauta sur d'autres rails.

Le moment fut fort agréable, il m'en reste ce matin des désirs de lectures – les Causeries de Vebret – et de relecture – Le Sentiment géographique ou peut-être Domestique chez Montaigne, autre livre superbe de Chaillou.

Avant de vous laissez reprendre une activité normale, je ne résiste pas au plaisir de vous citer un troisième titre de Michel Chaillou, qui fait mes délices depuis que je l'ai découvert:

La Preuve par le chien

jeudi 17 juin 2010

Décision unilatérale, limite fasciste


Comme je ne reviendrai pas sur ce blog avant demain matin, j'ai décidé de fermer complètement les commentaires jusque-là, n'ayant pas très envie d'en avoir 72 à lire et valider en rouvrant la taule aux aurores. Merci de votre compréhension. Cela étant, je laisse du pinard et du saucisson dans la souillarde, pour le cas bien improbable où certains d'entre vous seraient saisis par l'envie d'une provocation néo-nazie au moment de l'apéritif.

La retraite ? La Bérézina, oui !

Je vous rappelle, mes bons amis, que c'est moi qui suis censé être le vieux, ici et même parfois ailleurs. Or, que vois-je dans la blogosphère depuis déjà trop de temps : de jeunes petits vieillards ayant à peine entamé leur vie professionnelle et qui ne sont déjà plus obsédés que par une chose : leur retraite. Obsession qui, de plus, s'exprime sur le mode pleurnichard : « Ouiiin ! Maman ! Chuis fatigué, j'ai mal au g'nou ! Quand est-ce qu'on arrive chez Mémé ? » – ce genre-là, vous voyez. Et ça trépigne et ça s'indigne et ça rechigne, à l'idée de – peut-être – devoir travailler deux ans de plus d'ici une trentaine d'années. Et j'en vois même qui commencent à compter leurs petits sous, quand ils s'imaginent qu'on regarde ailleurs. Ah, elles sont choucardes, les forces vives de la nation, je vous le dis ! Toute une vie passée à comptabiliser des trimestres, à faire de petites croix sur le mur de la cellule, comme le premier taulard edmond-dantesque venu !

Ma retraite, je m'en fous, les gens. Je m'en bats les gonades, je m'en contre-pignole la membrane. Je ne veux ni en parler ni même en entendre parler : non-sujet absolu. Le moment venu, je prendrai ce qu'on me donnera et je m'arrangerai avec, basta. De toute façon, je n'ai aucunement l'intention de profiter de ma retraite, selon l'écœurante expression en vogue. Si je ne touche pas assez pour manger à ma faim, je me débrouillerai pour mourir, comme mes aïeux l'ont probablement fait avant moi. Si j'ai suffisamment, je ne décarrerai plus de mon fauteuil et je relirai des livres oubliés en sirotant des alcools à prix cassés.

De toute façon, qui va vous la payer, cette tant espérée retraite dont vous salivez d'avance à l'idée d'en profiter ? Les cohortes de branquignols nantis de deux bras gauches qui poussent derrière ? Vous me faites rire ! Dans trente ans d'ici, ils ne seront même plus capables de vous offrir un dentier quand vous perdrez vos chicots.

Tiens, c'est bien simple : si je n'avais pas été d'aussi excellente humeur ce matin, la simple vue de vos blogrolls aurait suffi à me déprimer. La retraite, pff ! Et le prix des caleçons molletonnés ? Quelqu'un a commencé à s'en préoccuper, du prix des caleçons molletonnés ? Et les couches pour incontinents ? Il n'est jamais trop tôt pour s'en préoccuper, vous savez.

Je vous laisse : j'ai mes trimestres à compter.


(L'illustration, c'est le Kremlin des Blogs dans une douzaine d'années...)

mercredi 16 juin 2010

De quoi le service-courrier est-il le nom ?

Au deuxième étage,
au cercle des lecteurs invisibles...

Dans une grande entreprise, moderne et performante, ce qu'on appelle le “service-courrier” assure essentiellement deux tâches, l'une principale, l'autre annexe. Commençons par cette dernière, qui consiste à distribuer les lettres arrivées à leurs destinataires – avec un chariot à roulettes le plus souvent – puis à rassembler les missives écrites par ceux-ci, afin de les envoyer se faire oblitérer plus loin dans les meilleurs délais.

La besogne principale c'est de parler football, principalement entre une heure et demie et trois heures, lorsqu'un imbécile vient tenter de lire dans le canapé qui prolonge en quelque sorte le couloir menant au dit service. Lorsque je dis “parler football”, je commets une erreur par minoration : c'est brailler football, qu'il faudrait dire. Ou beugler football. Ou... enfin, vous voyez l'idée.

Évidemment, en ces temps de championnat du monde, le service-courrier est particulièrement occupé, les tribunes sont combles, ça hooliganise à mort devant les casiers de tri. On est même devant un cas exemplaire – et donc honteux – d'exploitation des travailleurs. Car, j'ai soigneusement compté et recompté, alors que le nombre de matchs à commenter, voire à refaire entièrement du sol au plafond, est triple ou quadruple par rapport au reste de l'année, on n'a pas accordé à ces malheureux le moindre intérimaire, le plus petit CDD, ni même l'ombre d'un emploi-jeune pour les aider à faire face !

On se demande bien ce que peuvent foutre les syndicats, durant ce temps. Ils regardent le match à la permanence, vous croyez ?

Léo Ferré (1950 – 1973) et moi

Je sais qu'il n'est pas mort à 23 ans. D'ailleurs, il était né en 1916, donc... Mais mon Léo à moi est artistiquement mort en 1973, après un disque au titre qui aurait dû l'alerter lui-même : Et... basta ! Tout ce qui vient après est bon pour la poubelle, m'est avis.

Si je vous ai mis en illustration cette pochette de disque (de “double album”, au temps de ma jeunesse folle, devenu un unique et misérable CD depuis...), c'est que je le tiens pour l'acmé. Pour le disque que devraient écouter les très jeunes gens ignorant tout de cet homme-là.

J'ai découvert Léo Ferré dans les derniers jours de 1971 ou les premiers de 1972 : difficile d'être très précis à quarante ans de distance, vous verrez. C'était dans une petite boutique de disques sise, à Châteaudun, à un jet de pierre de la place du 18-Octobre : il y avait encore des boutiques de disques, à cette époque lointaine. La disquaire s'appelait Monique. C'était une vieille d'environ trente ans, brune avec des gros seins. Elle aimait bien les jeunes. La preuve : elle a vécu plusieurs années avec mon copain Gilles qui avait mon âge. Si je me souviens bien, les parents du Gilles en question (un Breton “séparatiste” qui m'avait traîné à un récital de Gilles Servat à la MJC d'Orléans-La Source) avait modérément apprécié le rapt en question, mais bon.

On y passait nos journées, dans la boutique de Monique. Je vous parle d'un temps où ni aux uns ni aux autres ne serait venu l'idée d'aller au bistrot. Peut-être par manque d'argent, tout simplement. Enfin quoi, on se retrouvait chez Monique. Quand elle avait une course à faire dehors, on tenait même la caisse, accueillait les clients, etc. Et c'est là qu'un jour l'un de nous a posé sur la platine le plus récent disque de Léo Ferré. La Solitude. Avec les Zoo, un groupe rock français hautement oubliable. Commotion totale. Lorsque, le soir même, mon père m'a fait la grâce de m'informer qu'il détestait Léo Ferré, l'amour naissant s'est mué en passion inaltérable, évidemment : je n'avais pas encore 17 ans, n'en déplaise à Arthur, mais j'étais déjà très con.

Il m'a fallu beaucoup de temps pour acquérir tous les disques du bonhomme. Même en changeant subrepticement les étiquette de prix sur les pochettes, au Leclerc de Châteaudun, ça revenait tout de même cher, et mes parents étaient chiches d'argent de poche. Mais chaque galette nouvelle rapportée à la maison en acquérait une valeur dont je ne sais si vous pouvez avoir idée. Je les ai usés jusqu'à la trame, ces maudits vinyles. Aujourd'hui, quand il m'arrive comme ce soir de récouter Léo, je conserve la nostalgie de tel grattement au milieu de tel vers de telle chanson – et ces “compacts” impeccables me rendent un peu triste.

Je n'aime plus beaucoup les chansons de Léo Ferré, encore moins le personnage lui-même. Et je serais tout prêt à abonder dans le sens de qui le mettrait plus bas que terre. Mais il m'arrive d'aimer retrouver le crétin que je fus l'écoutant passionnément. Et le HLM hideux d'Orléans-La Source, et les fureurs de mon père, et la jeunesse de ma mère, et tout ce que je croyais encore possible, pour ne pas dire certain – ce que la vie me devait.

Donc, certains soirs, quand je suis seul, je pose un de ces maudits CD dans la machine à sons. Et la valse lente de la nuit reprend son cours :

C'est ma frangine en noir
Celle que j'appelle bonsoir
C'est un gars qu'a son bien
Dans le bistrot du coin
La nuit...

Ou bien encore :

Pour tout bagage on a vingt ans
On a l'expérience des parents
On se fout du tiers comm' du quart
On prend l'bonheur toujours en r'tard...

Toujours en retard. Non, pas toujours.

mardi 15 juin 2010

Je me fais engueuler à cause d'Olympe

Catherine, tout à l'heure : – Ben... Tu as rangé le linge ?
Moi : – Oui...
Elle : – Mais arrête de féminiser ton parcours de vie, bon sang !

Quand je pense à ce que je vais prendre tout à l'heure quand, retour d'agility, elle va s'apercevoir que j'ai aussi essuyé la vaisselle... C'est violent, la vie de mari moderne, je vous le dis.

Égloguenspiel

Après Loin, je me suis replongé dans L'Amour l'Automne, que j'ai repris da capo. Est-ce l'effet bénéfique d'un certain commencement d'habitude ? Non seulement la première églogue ne m'a pas rebuté (mais elle ne me rebutait plus, déjà, la dernière fois que je m'y étais confronté), mais j'ai pris beaucoup de plaisir à sa lecture, notamment lorsque je me suis aperçu que je repérais de plus en plus de ces correspondances, renvois, échos, rappels, résonances, etc., qui innervent le texte – qui font plus que l'innerver : en sont la trame même, la raison d'être, la structure profonde ; ils sont le texte. Le plus excitant, pour moi, est de tenter, à l'apparition de tel nom, telle personne, tel lieu, etc., de prévoir ce qui va leur répondre quelques paragraphes ou pages ensuite – et le plaisir d'y parvenir (pas à chaque fois, il s'en faut de beaucoup...).

La deuxième églogue est nettement plus courte, et c'est tant mieux car elle est d'une lecture nettement plus éprouvante. Si la première églogue était une bombe, c'en serait une à fragmentation, et la deuxième serait constituée par les éclats dus à son explosion. Tout l'intérêt (non, sûrement pas tout l'intérêt...) est que de nouveaux thèmes apparaissent alors. Je ne veux pas dire forcément qu'ils sont nouveaux par rapport à la première églogue, mais bien qu'ils se dévoilent aux regards, du fait de cette fragmentation : auparavant, si présents, ils étaient trop enfouis, suffisamment enchâssés pour se dérober complètement au regard du lecteur (au moins du lecteur myope que je suis...) ; lequel lecteur se dit, au moment où il écrit cela, qu'il devrait bien relire immédiatement la première après la seconde, justement pour tenter de repérer ces traces qui lui ont échappé à la lecture précédentes et qui doivent forcément être là.

La troisième églogue marque un retour à l'ordre, une sorte d'apaisement linéaire – comme un aimant remet en ligne la limaille de fer informe et dispersée. Mais c'est une illusion de courte durée. Très vite, le récit (?) va se complexifier de nouveau, en procédant non plus par éclatement mais par ramifications proliférantes, comme une voie de chemin de fer devient deux, puis quatre, puis vingt, puis cinquante, aux abord d'une grande gare de triage. La lecture de cette troisième églogue est – paradoxe ? – à la fois labyrinthique et paresseuse. Car si les voies sont multiples, et de plus en plus multiples, la signalétique est sans faille : il suffit de se laisser guider. Seulement, la tentation est grande, çà ou là, de sauter de son rail sur celui qui court à côté. Et, si on le fait, on se retrouve irrémédiablement perdu. La tentation n'en est évidemment que plus grande.

Et je m'arrête là, car c'est là que je suis arrêté.

(Renaud Camus, L'Amour l'Automne, P.O.L)

lundi 14 juin 2010

Fuir ! là-bas fuir !

À JV.

Les choses commencent à devenir bien claires, c'est leur grand mérite. Les masques ne tombent plus – image obsolète : ils se délitent à même les visages qui se les sont incorporés au point de les prendre, ces rubicondes celluloïdes, pour leur peau même. Et ceux qui les portent, ceux qui croient qu'ils sont ces masques toujours hilares, ne voient pas qu'une merveilleuse desquamation révèle chaque jour davantage leurs trognes de salauds.

Cette minuscule et rigolarde affaire d'apéritif “saucisson pinard” est une bénédiction, puisqu'elle a donné l'occasion de ressortir la cravache à tous nos petits Pères Fêtards, qui n'ont jamais toléré que l'on puisse fêtardiser en dehors de leur contrôle, dans les angles morts de leurs miradors citoyens. C'est une très bonne chose : on les voit pour ce qu'ils sont, et de plus en plus. Leurs masques, de piètre qualité décidément, leur coulent entre les tétons, et le vent de nos rires en volutes leur embarrasse les mollets et agace la chair désormais à vif de leurs visages qui ne rient plus (et, oui, osons le lyrisme ! revendiquons la pompe et l'emphase !).

Ils ne rient plus parce qu'ils prennent peur. Alors, ils font “les gros yeux” et haussent le ton, nous signifiant qu'il n'est pas question que nous puissions roter à la face de nos futurs maîtres, encore moins leur montrer notre cul, ou alors à heures fixes et seulement le vendredi. C'est qu'il ne s'agirait pas de compromettre par nos sottises le fragile équilibre de la sujétion future (on l'a rebaptisée “vivrensemble” mais la peinture est encore fraîche, il est hors de question que de gros nauséabonds viennent foutre leurs doigts partout).

Personnellement, je ne suis pas fou du thé à la menthe, surtout à l'apéro, et le mouton me lasse assez vite. Donc, à la première occasion je me casse, si mon futur cancer m'en laisse le temps. Cap sur la Gaspésie, comme prévu. Les plus pessimistes me disent que, à terme, il en ira de là-bas comme d'ici. C'est fort probable, en effet. Mais le mal est moins avancé, les Québécois ne sont encore qu'à genoux lorsque nous sommes déjà à plat ventre et contents de barboter. Or, je n'ai pas besoin de tellement de temps...

En outre, et à tout prendre, il doit être infiniment moins triste de voir ravager un pays où l'on est étranger que de contempler sans pouvoir rien y faire la submersion de la terre qui vous a vu naître – et où reposent vos morts.

Rajout de tout de suite : sur le même sujet, un excellent billet de Fromageplus.

dimanche 13 juin 2010

Dimanche et Croix

À Catherine, évidemment...

« Dans les églises, jamais il ne lisait, sauf parfois, et alors tout à fait au hasard, des livres religieux qu'il avait trouvés là, missels ou recueils de chants liturgiques. Il aurait jugé déplacé, irrespectueux, vulgaire, de lire en de pareils endroits les livres dont il était toujours muni. Ce n'était pas la foi qui l'attirait sous ses voûtes, mais il respectait celle des autres, celles des vivants et plus encore celle des morts. Il allait même jusqu'à respecter Dieu, ce Dieu auquel il ne croyait pas croire. Rien ne lui eût semblé plus méprisable et surtout plus bête que le sacrilège, ou seulement que l'irrévérence. Les croyants lui donnaient l'hospitalité, il lui eût semblé indigne de se servir d'elle contre eux, ou de manquer de considération à leur égard. C'étaient eux qui avaient bâti ces églises. Ces agencements de piliers, d'ombres, d'emblèmes et de voûtes étaient ceux qu'impliquaient leurs croyances. Tout y témoignait de leurs convictions, qu'il ne souhaitait heurter en rien, même s'il ne les partageait pas. D'ailleurs il ne se sentait pas étranger, à leur égard, ni dans ces lieux. Cette foi avait été la sienne, il avait été élevé en elle, il en connaissait les rites et les expressions, ils étaient ceux de ses aïeux. »

Renaud Camus, Loin, P.O.L, p. 173 & 174.


Ma découverte de ce dimanche : les Préludes et fugues de Chostakovitch, par Keith Jarrett.


vendredi 11 juin 2010

J'en ai marre, de leurs flux URSS !

Alors ça, c'est bien les gauchistes en peau de lapin ! Ils passent leur temps à piailler dès qu'un maire de droite colle trois caméras de surveillance dans sa ville pour piéger ses cailleras, mais alors eux, avec leurs flux machins, leurs blogo-miradors, vous ne pouvez pas mettre un demi-orteil au-delà de la ligne jaune sans qu'ils vous fliquent pour l'éternité !

Tenez, par exemple. Je viens de passer une petite heure à rédiger (non, le mot est con : à la fois trop fort et trop faible. Je ne rédige pas, moi, Monsieur : je castagne, j'éructe ou caresse – mais jamais ne rédige) une sorte de réflexion (je ris moi-même de ce mot, dans ma barbe de jeunesse) que je ne comptais nullement publier ce soir – je deviens raisonnable. La preuve : je l'avais intitulée Brouillon. Et voilà que, les petits doigts humains étant ce qu'ils sont, je clique là où il n'aurait pas fallu : Votre message a été publié, lis-je. Il ne m'a pas fallu plus de trois ou quatre secondes pour le virer, ce brouillon se poussant du col : fier de moi j'étais.

Là-dessus, rassuré et détendu, je m'en vais faire un tour chez le Number One. Et que vois-je, en tête de sa putain de blogroll, sous mon nom ? Brouillon. Merde ! Et naturellement, demain matin, je vais avoir des mails du type : « Ben c'est quoi, ce Brouillon que j'arrive pas à lire ? » Merde !

Cela étant, je compte le peaufiner, l'enrichir et le vachardiser s'il se peut, celui-là. J'en connais qui se passeraient de le lire...)

C'est là le sort de la marine...

Il y a exactement huit jours, je vous parlais d'elle. Je l'ai revue tout à l'heure, moi fumant et elle aussi. Déjà, pinçante déception, elle n'avait plus son petit devantier en dentelles. Elle porte aujourd'hui des vêtements anodins, pâlement contemporains, sur lesquels les mots n'accrochent pas. Mais enfin, tout de même, son visage conservait encore un peu de cette grâce surannée que j'ai dite. Et la légère divergence de ses yeux noirs lui donne toujours l'air de regarder le monde en évitant de le voir trop net, de contourner l'époque en la frôlant. De cela, j'étais finalement tout prêt à me contenter : après tout, notre grand amour aphone et unilatéral ne devait pas excéder le temps de ma cigarette – une sorte de combustion rapide, régulière et simultanée.

C'est alors qu'elle a extrait son téléphone portable de la poche arrière de son jean – et qu'elle s'est mise à parler...

jeudi 10 juin 2010

Quand Didier Goux faisait dans l'islamisme radical


On comprend désormais mieux la hâte fébrile de ce sinistre personnage, dès qu'il s'agit de taper sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à un musulman : il cherche à se dédouaner ! À faire misérablement et petitement oublier qu'il a longtemps été un des leurs – et des plus sanguinaires –, comme le prouve cette photo, sans doute prise à la frontière égypto-pakistanaise vers 1995 (on reconnaît le fameux camion rouge des Moudjahidins livreurs de bière de cette chaotique région du monde). Tenter de se refaire aujourd'hui une virginité en tapant sur ses anciens frères-en-Dieu, voilà qui est particulièrement bas et méprisable ! C'est pourquoi nous appelons à un embargo total sur ce blog : pas un commentaire ne doit nourrir le renégat ! Honte sur le relaps !

Il est vrai que ce sinistre personnage a déjà été bien puni puisque, tandis qu'il enseignait à d'innocentes jeunes femmes idéalistes comment bien fixer leurs ceintures d'explosifs avant d'entrer dans les bistrots de Tel-Aviv, pendant ce temps son Irremplaçable...


... se métamorphosait en une pimpante bamboulette, pour aller hanter de sordides bas-fonds à voûtes en ogive et y séduire de grands noirs, même pas gros et même pas alcooliques. Et visiblement sans en ressentir la moindre honte, malgré l'espèce de double rideau El condor pasa dont elle a cru bon de se vêtir afin d'attirer les moineaux. Reconnaissons qu'on déclencherait des djihads à moins.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté...

Cela doit faire presque une heure que je m'escrime sur un billet, à partir des commentaires suscités par celui d'hier soir, ainsi que de ceux engendrés par le texte matinal de Nicolas. Je voulais comparer, discuter, répondre, infirmer, concéder, rectifier – et j'étais parti pour produire un libelle-fleuve, une Réfutation très Grand-Siècle.

Et finalement, non. Rien. L'inanité sonore de tout cela, de prolonger tout cela, m'a saisi au milieu du gué très incertain, et j'ai fait demi-tour avant que l'eau ne me submerge les bottes. Je m'en revins en surnageant, sur la rive dormir inerte, face tournée au ciel changeant. J'ai écouté le coassement des grenouilles s'éloigner vers les marais et j'ai bu un grand verre d'eau de Vichy Célestins, mais en ne conservant que Vichy, ce qui ne surprendra personne.

(Et j'ai gardé la photo d'Irrempe, que j'avais choisie pour ce billet fantôme...)


mercredi 9 juin 2010

Comment je me suis fait interdire de Céleste (mais je suce des pastilles pour combler le manque)

À Suzanne, en m'excusant de la rapprocher si fort de mon illustration.

La dame avait fait un petit billet parfaitement sans queue ni tête (mais il est vrai qu'elle n'a elle-même ni l'une ni l'autre), un gloubi-boulga où apparaissaient dans le désordre l'équipe de foot française (facile à reconnaître : c'est celle qui se fait éliminer au premier tour et où il n'y a que des Africains dedans), les méchants Finkielkraut et Lévy, la sarkozienne (horresco referens) Rama Yade – et en filigrane les gentils Palestiniens et toutes les victimes des ignobles blancs que nous sommes. La routine, quoi. Saisi d'un prurit malicieux, je laisse le commentaire suivant (à propos de Rama Yade, censée être le sujet principal de notre derviche tourneuse) :

Vous ne diriez pas ça si elle n’était pas femme et noire. Je trouve votre racisme larvé absolument ignoble.

Je ne dis pas que la moquerie est d'un niveau très relevé, mais enfin, il faut bien ricaner un peu et, de temps en temps, pisser au pied des statues des vierges-martyres. Sainte Blandine me répond ceci :

@D.Goux

Tout compte fait vous m’avez assez amusée. Je me suis lassée de vos pitoyables pitreries, de votre prétention, de votre bêtise sur laquelle vous tartinez des bribes de culture.

Ce commentaire, stupide , pas même drôle sera le dernier de votre part toléré sur ce blog.

And now, via!


On notera le “D.Goux”, hein. Pas Didier Goux, non : D.Goux. “Ça” dit beaucoup, je trouve... Là-dessus, arrive un Papy Joker (savourez lentement et voluptueusement ce pseudo...). Qui fait sa courbette à la goule :

Merci de nous dé-Goux-ter

L'a de l'humour, le papy bavochard. Et on sent que, ravi de son audace, il a dû en inonder ses braies. Là-dessus, la Miss Thatcher taulière se laisse aller au lyrisme :

Oui, ça fait du bien, merci de l’apprécier :-)

Pendant des mois j’ai observé, j’ai suivi à la trace la parole haineuse, raciste, réactionnaire.
J’en ai assez lu, assez vu.
Je sais maintenant que la diffusion du pire, de ce discours d’extrême droite qui maintenant se veut lettré, repose sur la complaisance de beaucoup.

Complaisance, c’est bien ça.
Pour un lien, virtuel ou non, on cautionne, on oublie, on excuse les appels à la haine et à la mort.

Et oui, d’aucun(e)s souhaitent me voir égorgée et l’écrivent, fiérot(e) de leurs bons mots.

Certains applaudissent, persifflent, rajoutent leurs crachats.
D’autres minaudent et excusent.
D’autres encore ne voient pas ne comprennent pas ne savent pas.

« Il n’y a de pire sourd que qui ne veut entendre » dit la sagesse populaire.

Mais peu importe, s’il convient de tenir à l’œil les fâcheux fachos il ne s’agit pas non plus de leur accorder une importance qu’ils n’ont pas.

Le monde passéiste et figé auquel ils aspirent est foutu. Ils auront beau gesticuler, éructer, menacer, comploter cela ne servira à rien.

L’occident a déjà perdu cette suprématie vaniteuse et injuste qui a condamné à la misère une bonne partie de la population mondiale.

Tant mieux. La roue tourne.

Et qu’importent aussi les pleutres, les niais complaisants, les girouettes et les bas-du-front-plus-bêtes-que-méchants qui se rallient à qui les flattent, il y en a toujours eu. Il suffit de regarder ailleurs pour ne pas les voir. Ils existent si peu!

Elle est pas belle, notre blogovie ? Même Number One se morfle une petite droite au passage ! On pourrait reprendre chaque phrase et la passer au crible (je l'ai fait pour moi-même : ça vaut le coup...). Mais, là, je peux pas, j'ai télé : un documentaire méga-génial sur la glorieuse légion Charlemagne, ces impérissables combattants du Reich immortel...

Ce matin, j'ai féminisé mon parcours de vie

Je ne l'ai pas fait de ma propre initiative, mais pour faire plaisir à Madame Olympe, qui semblait y tenir. De moi-même, je n'y aurais sans doute pas songé. On est parfois tellement bêtes, nous autres... Déjà, parcours de vie, ça vous a un petit côté chien-chien sur un terrain d'agility : je veux bien à la rigueur me taper le slalom entre les piquets, mais pas ramper dans la chaussette en caoutchouc, n'insistez pas je vous prie !

Mais enfin, que ne serait-on prêt à faire pour se concilier les bonnes grâce de la Dame ? Donc, allons-y, féminisons. Pour ne pas démarrer trop brutalement, j'ai commencé par féminiser ma matinée, plutôt que directement mon parcours de vie. C'est ainsi que, à l'ébahissement profond de l'Irremplaçable, j'ai rincé ma tasse à café moi-même. Et, ce faisant, je me suis surpris à fredonner du Nicole Croisille haute époque : « Je me suis enfin senti fâââmme ! ». Les chiens ont eu vachement la trouille.

Ensuite, je me suis mis de la crème hydratante un peu partout, et un peu d'ombre aux paupières mais pas trop pour ne pas faire pétasse. Du coup, j'étais en retard pour partir travailler et, dans ma hâte, j'ai pété mon talon droit. J'ai alors suggéré à l'Irremplaçable qu'elle pourrait peut-être masculiniser son parcours de vie en allant turbiner à ma place, mais elle n'a pas coupé dans la combine. « Chacun son parcours, débrouille-toi ! », m'a-t-elle dit en substance.

J'ai donc remasculinisé vite fait tout mon parcours – que j'ai mis en mémoire dans le GPS, on n'est jamais trop prudent –, et me voici à Levallois, grosse jeanne comme devant.

L'homme descend du singe, mais y remonte par le sexe

Vous pouvez bien dire : la sexualité aura toujours ce caractère profondément bestial qui lui est intrinsèque – et, pis encore, parfaitement ridicule. D'où nos efforts, et particulièrement ceux des femmes, plus sensibles que nous sans doute, pour toujours l'enguirlander d'amour. Il ne s'agit pas de nier l'existence de l'amour, bien entendu. Mais d'en disjoindre le sexe. Car il va de soi que l'on peut aimer sans baiser, l'inverse n'étant plus à démontrer depuis lulure, notamment chez les cadres du mois d'août dont l'assistante de direction est encore célibataire, ou le mari cancéreux.

À la rigueur, on m'accordera le bestial – voire, si l'on se pense “libéré”, on s'en félicitera, même. Mais nul ne me concèdera le ridicule. Or...

Toute personne ayant mis au moins une fois les pieds – et serait-ce que les pieds – dans une boîte pour couples échangistes sait parfaitement que j'ai raison : pas d'expérience plus comique, plus comiquement dérisoire, que de contempler de l'extérieur un homme et une femme en phase copulatoire. Les postures, l'aspect peu reluisant des chairs, ces clapotis de marais poitevin – sans parler des odeurs sui generis qui, précisément, sont tout sauf sui.

J'entends bien ce que vous vous apprêtez à me dire : « Ah, mais oui, évidemment, ça c'est du chimpanzé pur ! De la chair anonyme qui se mélange à de la viande inconnue ! » Ben non. Dans ces lieux de baise collective, prétendument collective, on rencontre beaucoup de couples qui n'y viennent que pour s'accoupler entre soi. Comme à la maison, en somme. Mais sous le regard d'autres. Ils font l'amour comme leurs parents, mais sous les regards des amis de leurs parents. Ils jouissent d'être caressés d'yeux inconnus. Et pourquoi pas, du reste ?

Quant à la majorité des autres, ils prennent, et cela se voit, les lits collectifs pour une scène de théâtre. Les filles s'appliquent un peu trop à la fellation, les garçons surjouent leurs éjaculations hypothétiques (car on éjacule assez peu, en ces lieux, contrairement à ce que les parfums laissent accroire), les filles – encore elles – exagèrent leur ouverture. Il n'y a guère que les mâles pour ne pas pouvoir exponentialiser leurs érections – et même souvent l'inverse, il faut le dire : ça logarithmerait plutôt, surtout passé minuit.

En revanche, ça jouit bruyant. Au fait, on ne sait pas trop si ça jouit, mais ça s'entend. Si tous vos voisins baisaient comme ces gorilles costardisés et ces babouines en robe fendue qui se réunissent le samedi soir, vous ne fermeriez jamais l'œil, dans vos petits clapiers hyper-sonorisés, avant deux ou trois heures du matin. Les femmes notamment se font entendre (nous autres, évidement, on a toujours plus ou moins notre quant-à-soi de mâles de l'espèce ; et puis, on est habitué dès l'adolescence à ce qu'elles fassent semblant), c'en devient incroyable, sur les coups (!) de deux ou trois heures du matin : plus leurs hommes bandent mou (les petits verres...), plus elle jouissent – un paradis inaccessible dans la “vraie vie”.

Mais la vraie vie, ce sera pour demain matin, elle reviendra en même temps que la gueule de bois, le sale goût dans la bouche, et Jessica qui aurait bien encore, si on prenait la peine de détailler, des traces de foutre séché en certains endroits, dont on ne peut être sûr qu'il soit le nôtre – et quand bien même ?

On aura la semaine pour se remettre, les mômes à désenbrener, et le patron à subir (que peut-être on rencontrera, braguette ouverte et sourire baveux, samedi prochain, au Two to two – mais il n'est pas sûr que cela booste une carrière, sauf si madame, éventuellement...). On y retournera, quoi qu'il en soit. Parce que, hein, les programmes-télé du samedi... Et puis, tout le monde le dit : il faut mettre du piment dans son couple, sinon on est ringard. Mort. Catho. Pis encore, peut-être.

« Kevin, j'mets ma guêpière rouge ?
– T'es ouf ou quoi ? Tu l'a mis la s'maine dernière ! Tu veux m'coller la honte ou quoi ?
– Ah ouais, esscuse... »