C'est un (double) billet dont j'avais tout à fait oublié l'existence ; le relisant, il m'a fait sourire. Par conséquent, comme il a déjà trois ans d'âge, et que le blogo-peuple, à mon instar, est oublieux par nature, je vous le remets – et en une seule fois, parce qu'il ne faut pas abuser non plus.
Y a-t-il humain plus stupide, plus niais, plus inconséquent qu'un
personnage de film d'horreur hollywoodien ? Poser la question est y
répondre : non. Déjà, le PF2H (Personnage de Film d'Horreur
Hollywoodien) est généralement jeune, ce qui ne plaide guère en sa
faveur – et en plus il est américain. Mais ne nous égarons pas, nous
sommes réunis ce soir pour sociologuer à donf.
Il
convient peut-être de distinguer d'emblée le PF2H que l'on dira «de
plein air» de son homologue urbain : bien que la distinction soit peu
pertinente du point de vue de leurs stupidité, niaiserie et
inconséquence, elle permettra de clarifier le débat. Nous commencerons
si vous le voulez bien par le premier.
Le PF2H de plein
air est en général quatre ou cinq : trois filles et deux garçons ou
l'inverse. Il y faut un couple établi, un qui espère concrétiser durant
le week-end et un électron libre. Notons tout de suite que le sort le
plus enviable est presque toujours celui de l'électron en question :
c'est en général lui qui, à la fin, réussit à rejoindre la route
goudronnée, en compagnie de l'unique survivante qui, bien qu'ils soient
tous deux couverts de sang, de glaires et autres humeurs moins
ragoutantes, ne va pas manquer de lui tomber dans les bras.
Les
PF2H de plein air, comme leur appellation l'indique, choissisent
toujours d'aller se faire massacrer en pleine forêt, si possible dans
une cabane en rondins abandonnée. Ils sont étudiants et fêtent ainsi la
réussite à leurs examens. Le spectateur de F2H peut sans dommage
somnoler (ou aller se soulager, rechercher une bière dans le frigo,
faire une politesse à Madame, etc.) durant les vingt premières minutes :
c'est le moment où le pick up
roule sur une route impertubablement droite. À l'intérieur, les cinq
crétins ricanent bêtement pour un rien, on se pelote vaguement à
l'arrière, tandis que l'électron libre, à la place du mort, constate,
retournant la carte dans tous les sens, qu'ils sont paumés. La seule
péripétie notable consiste généralement en un arrêt dans une
station-service datant de la fin du XVIIIe siècle, dont le pompiste est
invariablement invisible. Les garçons le cherchent en braillant toutes
les cinq secondes : "Il y a quelqu'un ?", tandis que les filles vont
pisser – au moins une, en tout cas.
Lorsque le pompiste
apparaît brusquement (pour faire peur), on constate sans surprise qu'il
a une tronche de débile profond et on se demande qui a bien pu avoir
l'idée de lui confier la station-service. S'il tient correctement sa
partie, il se doit de bredouiller quelques lambeaux de phrases
imbitables, d'où il ressort néanmoins que nos cinq PF2H feraient mieux
de retourner passer leur week-end en ville, à vider les réserves
d'alcool de leurs parents. Mais ils s'en foutent parce qu'ils sont des
esprits forts, et repartent sans avoir cessé un instant de ricaner, afin
de pallier l'absence de dialogue.
À partir de là, deux
écoles : soit ils trouvent la cabane en rondins (ou l'un d'entre eux
venait quand il était môme) ; soit ils se perdent complètement, et
arrivent à la même cabane en rondins. Là, on s'est déjà fait chier
pendant vingt minutes. Dans le quart d'heure suivant, nos PF2H vont,
dans l'ordre :
- choisir leurs lits,
- préparer à bouffer,
- ricaner,
- une des filles devra obligatoirement prendre une douche pour qu'on la voie à poil,
- un des garçon rapporte la caisse de bière du pick up,
- l'autre fille flippe parce que l'endroit l'angoisse,
- tous constatent, la dernière bouchée avalée, qu'il s'est mis à pleuvoir et que le vent fait battre un volet quelque part.
C'est
au moment où ils attaquent leur troisième bière que l'un des PF2H
trouve le livre ; il est ancien et poussiéreux, si possible nanti d'un
fermoir en acier travaillé. Il y a toujours un gros livre de ce genre
dans les cabanes en rondins désertes. Ce n'est évidemment ni un recueil
de recettes forestières, ni un guide des randonnées pédestres du coin.
C'est un livre d'incantations, écrites dans une langue de sauvages, avec des dessins qui collent aux filles une venette biblique,
comme dirait Flaubert. Pour que l'action démarre enfin, il est
nécessaire que l'un des garçons (de préférence celui qui est déjà en
couple – ne me demandez pas pourquoi) se dévoue pour les lire à haute
voix, dans le but de faire marrer ses potes.
C'est à ce
moment-là, comme il aurait été facile de le deviner, que les antiques
démons sumériens se réveillent de leur sieste millénaire, pas contents
du tout. Les forêts américaines sont bourrées de démons sumériens, il
vaut mieux le savoir, et spécialement aux abords des cabanes en rondins.
Simultanément, dehors, le pick up
coule une bielle tout seul, ou paume une bougie exprès, ou se fait
hara-kiri du delco, bref : il refusera de démarrer jusqu'à la fin du
film. Et c'est heureux car, s'il démarrait, les démons sumériens
seraient fourrés princesse et le movie barrerait en sucette.
À
partir de là, nos PF2H vont se mettre à avoir des réactions totalement
incompréhensibles, ou en tout cas incomparables avec celles d'étudiants
normaux, restés en ville. Par exemple, si une fille de modèle courant
est brusquement tirée de son sommeil par un long hululement bestial
venant du dehors, que fait-elle ? Elle se retourne de l'autre côté et
tâche de se rendormir ; après s'être éventuellement accordé un rapide
solo de mandoline pour se calmer les nerfs. La PF2H, pas du tout : elle
va se lever, sortir de la cabane en rondins, si possible pieds nus et en
petite culotte, puis s'enfoncer à couvert des arbres en demandant s'il y
a quelqu'un. Qu'est-ce que ça peut lui foutre, qu'il y ait quelqu'un ou
non ?
C'est évidemment ce qu'attendait le démon
sumérien pour tenter de lui sauter sur le paletot afin de posséder son
esprit et de lui couvrir le visage de pustules de toutes les couleurs.
Par parenthèse, on se demande ce qui peut bien pousser un démon
sumérien, ayant plus de cinq mille ans d'expérience, à posséder des
esprits tels que ceux qui nous ont été donnés à voir depuis le début du
film – mais c'est leurs oignons.
La fille se met à
courir, si possible dans la direction opposée à la cabane en rondins.
Elle prend bien soin de ne pas crier, afin de ne pas réveiller ses potes
qui risqueraient alors de lui porter assistance. Non, elle court. En
repérant soigneusement toutes les branches basses susceptibles de lui
fouetter méchamment le visage. Et voyez le miracle : elle qui, une heure
plus tôt, était encore une adolescente en pleine santé, solide sur ses
mollets, saine et sportive, la voilà qui se vautre dans les feuilles
mortes tous les trois pas. Et quand elle se remet à courir, elle prend
bien soin de ralentir régulièrement, afin de regarder derrière, sans
doute pour vérifier qu'on la suit toujours et qu'elle ne galope pas pour
rien.
En effet, on la suit. Le démon sumérien,
évidemment invisible, siffle à travers les arbres et progresse à la
vitesse d'un bobsleigh sur une piste olympique. Cela ne l'empêchera pas
de mettre un bon cinq minutes pour rattraper l'autre greluche qui
s'étale tous les dix pas. Enfin, il y parvient et, sur un cri d'horreur
muet de la donzelle, se niche confortablement dans son cerveau – où l'on
a bien compris qu'ils pourraient largement se loger à plusieurs, vu
l'espace vacant : le PF2H possède généralement un cerveau "offrant de
très beaux volumes".
Ensuite, c'est affaire de pure
routine : la jeune possédée n'a plus qu'à rentrer à la cabane en rondins
(bizarrement, elle ne trébuche plus et les branches basses lui foutent
une paix royale), et à contaminer tout le monde, sauf l'électron libre
et celle qui a pris sa douche à poil tout à l'heure. Pour occuper le
temps, l'électron va dégoter une hache (ou une scie à métaux, un
sécateur, un trombone géant...) et ventiler ses potes pustuleux façon
puzzle. Nul ne s'étonnera qu'un bras arraché continue de vaquer à ses
occupations ou qu'une tête tranchée et posée sur le poêle à bois
parvienne encore à parler le sumérien sans fautes d'accord.
Pour
les cinq dernières minutes, deux options : soit le pick up retrouve
miraculeusement sa bougie perdue et consent à démarrer, soit les deux
survivants parviennent à travers bois et à pied à rejoindre la route, où
justement passent Mr & Mrs Smith, qui rentrent de leur soirée loto
du samedi, à Hebertstown.
Le
dernier plan sera pour la cabane en rondins. Il ne pleut plus, le vent
s'est apaisé, c'est le matin, un pâle soleil se glisse dans le casting ;
et l'on voit un gentil petit écureuil ramasser une pomme de pin,
commencer à la grignoter, avant de s'immobiliser brusquement et de
relever vers la caméra ses deux yeux d'un vert violemment fluo – preuve
que les scénaristes préparent déjà une suite et que la cabane en rondins
n'est pas près de désemplir.
La semaine prochaine,
nous étudierons le cas non moins intéressant des PF2H urbains, qui
s'obstinent à toujours louer, pour une bouchée de donut, de somptueuses maisons bâties sur d'anciens cimetières indiens.
*****
On croyait avoir touché le fond avec les PF2H de plein air, on avait
tort : la vie du PF2H urbain est beaucoup plus difficile, ne serait-ce
qu'en raison des escaliers qu'on passe son temps à monter et à
descendre. Oh certes, oh certes ! vous allez me dire : mais, quoi, il
n'y a que deux étages (plus le grenier où tout le monde meurt, tout de
même...) ! C'est vrai. Seulement, dans les F2H, un escalier n'est pas un
simple assemblage de marches inertes – ce serait un peu trop facile.
Mais
reprenons depuis le début. En commençant par établir aussi précisément
que possible les différences entre les PF2H de plein air et leurs
collègues urbains. Ceux qui nous intéressent aujourd'hui ne sont
nullement étudiants ; du coup, ils ne ricanent à peu près pas, ce qui
est toujours ça de gagné durant les vingt premières minutes. En général,
ils ont 35 ans, exercent un très bon boulot et ont quitté New York
parce que le mari a un grave problème psychologique (je ne me casse pas
le cul à préciser lequel, en général on s'en fout). Il a une femme qui
l'aime et qui est blonde (c'est indispensable) ; elle est généralement
conne comme un blogueur z'influent, mais comme elle est amoureuse de
l'autre déséquilibré, on l'absout dès le départ.
Là où
ça se gâte, c'est qu'ils ont deux enfants : une fille et un garçon ;
toujours. C'est la fille l'aînée, elle est au bord de la puberté, on la
sent prête à succomber à la première bite qui passera à sa portée ; mais
il n'en passera aucune – vous pouvez regarder avec vos enfants –, car
les films d'horreur sont toujours d'une stricte correction sexuelle. Le
garçon a entre sept et onze ans, c'est obligé, il est blond, son visage
est inexpressif et donc inquiétant. On s'inquiète, on reprend une
mousse.
Les parents sont des cons indubitables (ce qui
les rapproche des PF2H de plein air) : on leur a proposé une somptueuse
maison de quinze pièces immenses (je vous rappelle qu'ils sont quatre),
avec un terrain magnifique autour, à trente minutes de Manhattan en
voiture, pour le prix d'une fermette dans le Perche : ils n'ont
absolument pas trouvé ça bizarre. Non plus qu'ils ne se sont étonnés de
la tronche terrifiée de la permanentée de l'agence immobilière, qui se
carapate à peine les signatures apposées au contrat. Elle partie, on
s'installe. Et c'est là que le festival commence.
Comme
leurs petits camarades de plein air, les PF2H urbains se mettent à
avoir des réactions incompréhensibles, dès lors que le scénariste sort
de sa léthargie alcoolique. La gentille maman trouve normal que son
fiston se balade sur le faîte du toit (les bras écartés en forme de
croix christique, si possible) en pleine nuit (alors qu'il souffle un
vent à décorner les boeufs) ; le père prend un ton de voix rassurant
pour persuader sa pré-pubère de fille que la liane friponne qui lui est
rentrée dans la chatte n'est rien d'autre qu'une plaisanterie de la
nature à laquelle elle devra s'habituer, pour peu que le vent continue à
souffler – les pommettes rouges, elle acquiesce.
Là-dessus,
tout le monde retourne se coucher, et s'endort, même si le petit garçon
voit dans le miroir de sa chambre deux petits crétins immobiles et
couverts de sang, et si la greluche se demande si la liane a l'intention
de l'épouser, ou si elle a eu tort de céder dès le premier rendez-vous.
Le
lendemain, petit-déj, on a oublié les terreurs de cette première nuit.
Sauf, en général, le petit garçon, qui ne peut pas faire un pas dans
cette baraque sans voir surgir devant lui les deux petits cons qui ont
été massacrés à la hache d'incendie trente ans plus tôt (ce qui explique
le prix ridiculement bas du loyer). Et qui ont été massacrés où ? Au
grenier, évidemment. À près de 53 ans, je ne comprends toujours pas
comment on peut avoir l'idée de grimper au grenier d'une maison
nouvellement achetée, notamment quand on est affligé d'une fille
pré-pubère et d'un petit garçon blond au visage inexpressif.
L'escalier
lui-même devrait les avertir, du reste. Une volée de marches que l'on
met dix minutes à monter, avec les yeux écarquillés d'épouvante, alors
que, cinq minutes plus tard, on la redégringolera sur le cul et en
hurlant, ça devrait tout de même vous mettre la puce à l'oreille, il me
semble. Mais, là, non.
Au bout de deux nuits (dont une
où il a vainement tenté de sabrer Madame, histoire de justifier
l'interdiction aux moins de douze ans), le père, lui, se casse en ville,
parce qu'il est censé bosser. En fait, il ne bosse pas : il rencontre,
au choix : 1) le vieux curé local, 2) le libraire spécialisé dans
l'ésotérisme. Rôles peu enviables : ils sont l'un et l'autre assurés de
mourir de mort violente, à dix minutes de la fin, lorsqu'ils viendront
prévenir nos quatre connards qu'il y a chez eux : 1) les fantômes de la
famille précédente, trucidée par le fils aîné et réfugiée au grenier
depuis 75 ans ; 2) un vieux cimetière indien sous la maison, comme je
vous le disais hier.
Normalement, si le scénariste a
bien fait son boulot, tout le monde devrait s'en tirer et repartir pour
New York, après une nuit d'enfer (je ne précise pas qu'il pleut, que
l'orage gronde, que le vent souffle : ça va de soi). Éventuellement, si
le studio est optimiste et pense qu'une suite pourrait être rentable, la
future pétasse blonde (celle qui a été violée par une liane, ou par le
tuyau de douche, ou une branche basse (rescapée du film d'hier)) se
retournera au moment de monter dans la voiture familiale, et ses yeux
deviendront vert fluo comme ceux de l'écureuil – mais sans la pomme de
pin.
Dernier plan : la maison, impavide, prête à
resservir. Éventuellement, une petite lueur rougeâtre dans
l'œil-de-bœuf du grenier, histoire de causer.