Le constat est d'une indéniable vérité : les “soirées entre potes” du XVIIe siècle avaient une autre allure que les pauvres nôtres, même sans tenir compte du fait qu'elles se déroulaient généralement sans muselière à élastiques auriculaires.
Au soir du 4 février 1665 – qui tombait un mercredi, comme on s'en souvient peut-être –, Simon Arnauld de Pomponne est enfin de retour à Paris, après une interminable année d'exil. Il est le fils d'Arnauld d'Andilly et, par conséquent, le neveu du Grand Arnauld – pour vous situer un peu le bonhomme. Pourquoi l'exil ? Pour prix de son amitié un peu trop public avec le ci-devant surintendant Nicolas Fouquet ; lequel, au moment où nous parlons, s'apprête à prendre le chemin de son ultime “résidence sur la terre”, soit la forteresse de Pignerol.
Bref, à l'instar des loups teutons, Pomponne est entré dans Paris. Que fait-il, à peine descendu de voiture ? Il se précipite à l'hôtel de Nevers, en lequel Madame du Plessis-Guénégaud reçoit ses amis lorsqu'elle se trouve à Paris. Et c'est là, passé le seuil du salon, que pour nous la rêverie commence.
Car ce soir-là, en l'hôtel de Nevers, sont réunis la marquise de Sévigné et sa fille – la future Madame de Grignan –, la comtesse de La Fayette, le duc de La Rochefoucauld, au milieu d'une douzaine d'autres, dont les noms sonneraient moins haut à vos oreilles. La conversation va son train, quand arrive Nicolas Boileau, venu lire ses dernières satires inédites. Il est suivi de près par Jean Racine, qui déclame les deux premiers actes de son Alexandre le Grand, que nul n'a encore vu jouer sur une scène. Puis, les lectures achevées, les discussions peuvent reprendre, tandis que passent les rafraîchissements. Brillante époque…
Brillante mais aussi heureuse, cette époque où si quelqu'un de vos relations vous apprenait qu'il venait de “passer un mois à Fresnes”, vous étiez davantage enclin à l'envier qu'à le plaindre. Car vous compreniez bien que votre ami n'avait nullement été engeôlé dans un cul de basse fosse surpeuplé de mahométans violents et obtus, mais qu'il avait été invité dans le château de campagne des du Plessis-Guénégaud – les mêmes que tout à l'heure –, résidence bucolique à laquelle le grand Mansart lui-même avait mis la truelle et le fil à plomb.
Là aussi, là encore plus, les talents d'hôtesse de la maîtresse de maison font merveille. Dans ce décor idylliquement champêtre, on retrouve souvent les mêmes invités qu'à Paris, plus Mademoiselle de Scudéry, plus Madame de Motteville qui rêve dans un coin aux mémoires qu'elle s'apprête à écrire, mais moins Arnauld de Pomponne qui, entretemps, a été nommé par le roi ambassadeur en Suède et qui, chez ces grands crétins blonds et nordiques, se languit de ses amis parisiens et du château de Fresnes où il n'est point.
C'est probablement là, en ce château, que se sont nouées les amours du duc de La Rochefoucauld et de Mme de La Fayette – bien que Mme de Sévigné, qui sait parfois se montrer chipie, soutînt que l'auteur des Maximes n'avait jamais été amoureux sa vie durant, en étant incapable. Mauvaise langue ? Peut-être bien. Car le duc semble tout de même avoir eu un certain mal à se remettre de sa rupture avec la duchesse de Longueville (Anne-Geneviève de Bourbon-Condé de son petit nom), sœur aînée du Grand Condé.
C'est à Fresnes encore que la marquise de Sévigné écrit quelques-unes de ses lettres les plus fameuses, celles dans lesquelles elle narre au jour le jour les rebondissements de l'interminable procès de son grand ami Fouquet. Le dit surintendant, à l'époque de sa splendeur, aurait bien aimé mettre la belle marquise dans son lit, ou au moins sur un quelconque canapé – mais il semble qu'il n'y est pas parvenu, malgré sa gloire, sa fortune et sa prestance. Ces lettres ne sont pas destinées à sa fille, dont on a vu qu'elle était encore auprès d'elle, mais à son remuant cousin, Bussy-Rabutin, qui, en ce début d'année 1665, vient d'être élu à l'Académie française, mais ne va pas tarder à prendre le chemin de la Bastille, puis la route de l'exil, c'est-à-dire de son château bourguignon où il terminera sa vie, un bon quart de siècle plus tard – ce qui nous éloigne presque autant du château de Fresnes que de l'hôtel de Nevers.
Le salon de la comtesse du Plessis-Guénégaud avait en quelque sorte, et avec plusieurs autres, remplacé celui, très célèbre, de la marquise de Rambouillet qui, dès le début des années 20 de ce siècle-là, avait pour ainsi dire inauguré la “vie de société”, en recevant divers amis et hôtes de marque, voire très-illustres, dans la fameuse “Chambre bleue” de son hôtel, sis en la rue Saint-Thomas-du-Louvre. Inutile de chercher cette artère sur un plan du Paris actuel : elle a cessé d'exister au XIXe siècle. Avant cela, elle reliait la place du Palais-Royal à la Seine, passant, à quelques mètres près, à l'emplacement où s'élève désormais, pour notre honte à tous, la pyramide de M. Pei.
Comme quoi, il n'y avait pas que les soirées entre potes pour être plus élégantes au XVIIe siècle qu'au nôtre.