vendredi 29 février 2008

À toutes les «mamans»...

Et la Mère, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et très fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences,
L'âme de son enfant livrée aux répugnances.

Tout le jour il suait d'obéissance ; très
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampe
On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté
A se renfermer dans la fraîcheur des latrines :
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
Derrière la maison, en hiver, s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son oeil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots !
Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,
Sa mère s'effrayait ; les tendresses, profondes,
De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.
C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment !

A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes,
- Huit ans - la fille des ouvriers d'à côté,
La petite brutale, et qu'elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos en secouant ses tresses,
Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons ;
- Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.

Il craignait les blafards dimanches de décembre,
Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,
Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;
Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.
Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Où les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des édits rire et gronder les foules.
- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor !

Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulements, déroutes et pitié !
- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, - seul, et couché sur des pièces de toile
Écrue, et pressentant violemment la voile !

(Arthur Rimbaud)

C'est bon, d'avoir des oreilles...

Déterminé à descendre m'encrasser les éponges au grand air, je me retrouve devant les deux ascenseurs, en compagnie d'un coursier. Nous attendons notre cage mobile durant une éternité d'au moins trois minutes trente et, sitôt à l'intérieur, mon compagnon de voyage et moi-même entamons une conversation sur les ascenseurs. Échange très courtois que ce brave homme, une fois au rez-de-chaussée, conclut par la sentence suivante :

«Des fois, il faut pas grand-chose pour détraquer le petit grain de sable !»

Cela m'a fait repenser à un garçon d'étage que nous avions à Neuilly, mort depuis. Un jour que je refusais la main qu'il me tendait, au motif que nous nous étions déjà dit bonjour plus tôt dans la journée (c'était faux, mais j'ai horreur des paumes moites et les siennes l'étaient outrageusement), il avait réfléchi une paire de seconde, avant de conclure :

« Enfin, mieux vaut deux fois qu'une que pas du tout !»

Et, pendant que nous y sommes, je vous laisse méditer la réponse que fit le gardien du parking (toujours à Neuilly) à un mien confrère lui demandant, avec une certaine indifférence courtoise, si le boulot se passait bien :

«M'en parlez pas : on n'est pas sorti de l'auberge de la journée !»

That's all, folks...

jeudi 28 février 2008

Mongo, Johnny, go !

Une cigarette au bas de l'immeuble, il y a deux minutes. Je suis seul à être tout seul, les autres sont en groupes de deux à quatre, et ils parlent, parlent, au point de ne pas s'entendre. Passe un homme d'une soixantaine d'années, coiffé d'une casquette, vêtu d'une sorte de parka bon marché (je suppose, à l'oeil nu) verte.

Derrière lui, marche un garçon à qui il est difficile de donner un âge précis, en raison de son faciès manifestement mongoloïde, mais on peut supposer qu'il s'agit de son fils. Il est coiffé d'un bonnet. (Pourquoi la plupart des mongoliens portent-ils des bonnets ?)

Passant devant l'immeuble, celui que l'on appellera le fils de l'homme tourne sa pauvre figure vers nous, pas très longtemps, et ne manifeste pas plus d'intérêt que nous n'en méritons en réalité (ce qui est peut-être bien une preuve d'intelligence de sa part).

J'en suis à la moitié de ma cigarette et, jusqu'à l'extrême du mégot, je me demande si ce garçon n'est pas plus heureux que nous, nanti d'un père probablement omniscient (dans le brouillard qui est le sien), circulant dans un monde d'une grande et limpide simplicité.

Ou bien, au contraire, est-il profondément misérable et souffrant, parce que Dieu ou le hasard lui ont donné juste assez d'entendement pour se rendre compte que la totalité qui l'entoure lui échappera toujours, et sans qu'il ait rien fait pour mériter cela ?

À nos Zemmour

Pour escagasser mes bons amis socialistes, un article du chroniqueur du Figaro qui me semble pertinent.

Première, seconde, point mort... et on recommence !

Vivre à la campagne tout en travaillant à Levallois-Perret présente de très réels avantages, en dehors même du fait qu'on peut dormir loin de Balkany, ce qui est la garantie d'un sommeil plus paisible : il y a l'air pur, le doux babil des taille-haies et tondeuses à gazon, le plaisir sans mélange de pouvoir sauter à pieds joints dans une grosse bouse de vache, si d'aventure on se sent d'esprit ludique.

Il y a aussi des inconvénients. Comme celui d'apprendre qu'à compter du 28 février, et jusqu'au 30 juin, pour cause de travaux méga-lourds et hyper-importants, l'autoroute A 13 passe de trois voies de modèle standard à deux voies étroites. Conséquence imparable pour les quatre mois à venir : une demi-heure de bouchon tous les matins, entre Mantes-la-Pourrie et Poissy-la-Poisseuse.

Or, si je suis passé maître dans l'art de faire sauter les bouchons, même en état d'ébriété avancé, certains me laissent encore totalement désemparé et impuissant, probablement en raison de leur nature non-liégeuse.

mercredi 27 février 2008

Mémoires d'une fille publique

Humble proposition de titre :

Ma vie en dessous de tous

Harrison ne manque pas de piquant

À Martin P.


Le 24 novembre 1999, Jim Harrison écrit à son ami, l'écrivain et éditeur alsaco-morvandiau Gérard Oberlé :

« En fait, j'ai fini par comprendre que j'aimais à la fois la nourriture sauvage et la cuisine sophistiquée, c'est la "banlieue" entre les deux qui m'embête. Manger une grouse ne manque pas de grandeur, mais les chapons élevés en plein air que j'achète chez la fermière du bord de route peuvent aussi être superbes. Les meilleures volailles du monde sont les poulets demi-deuil que j'ai dégustés chez toi et à L'Espérance, le merveilleux restaurant de Marc Meneau. Ceux que j'évoque là sont au sommet de l'excellence. Ils surplombent un véritable gouffre, un fond, un trou, le nadir dans lequel stagne le Kentucky Fried Chicken et les autres enseignes de restaurations rapides.

« (...) Demain c'est Thanksgiving, et nous devrons une fois de plus affronter la banalité de la dinde traditionnelle. Un jour, Christian Bourgois m'en a préparé une délicieuse à Paris, mais elle était petite. Les nôtres sont trop grosses. La différence est la même qu'entre Juliette Binoche et une grosse dame de foire qui pèserait deux quintaux. »

Je t'assure : ça censure !

L'article de Robert Redeker est certes un peu long, mais, à mon sens, il mérite d'être lu.

La sentence est tombée

Pour les quelques ceux qui auraient encore des doutes...

mardi 26 février 2008

Sains préceptes

À Nicolas J...



« Il existe des centaines de soupes et de ragoûts que l'on peut servir chauds - les daubes, les bourrides, les carbonades, les cioppinos, même le très saint menudo des Mayas. À côté de chaque assiette, disposez un magnum de Woodbridge, un merveilleur cabernet de table que j'ai dégusté récemment. Je préconise un magnum par personne, car il n'y a pas d'expérience plus désagréable que de se retrouver piégé devant un verre vide entre deux casse-couilles. »

Jim Harrison, Aventures d'un gourmand vagabond.

J'ai bu des mousses avec un gauchiste et j'ai survécu (je le jure) !

J'avais rendez-vous, ce soir, au Kremlin-Bicêtre (oui, je sais, c'est dur : respirez profondément par le nez, ça va passer), pour boire un verre avec Nicolas (je fais exprès de le mettre en lien : y a pas de raison que M. Balmeyer soit seul à trinquer...).

D'abord, on n'a pas bu qu'un verre (même que j'ai dormi deux plombes dans ma caisse, pour être en état de faire la route, et que, du coup, j'ai des courbatures un peu partout, mais bon). L'honnêteté (vertu de droite, comme chacun sait) m'oblige à préciser que Nicolas est un garçon charmant, bien que de gauche. D'abord, il est gros : on sent tout de suite l'affinité. Ensuite, il vide ses mousses aussi vite que moi, ce qui force le respect et impose de dépasser les clivages bassement politiques.

Bien sûr, comme vous et moi, il a des défauts et des faiblesses. Le premier, qui saute aux yeux quand on arrive dans son troquet, c'est qu'il a un ami nègre (il s'appelle Tonnegrande, il a un blog, mais je n'arrive pas à trouver son lien chez Nicolas, j'espère qu'il me pardonnera : de toute façon, comme il doit avoir une plus grosse bite que moi, je ne lui dois rien, j'estime. Mais il est vachement sympa (pour un nègre)).

Sinon, comme tous les mecs de gauche, Nicolas a plein de potes de tas de races différentes. Ils sont du reste tous très fréquentables. Du coup, à un moment, je me suis demandé si je n'étais pas moi-même de gauche - et ce m'a été un peu désagréable ou, en tout cas, destabilisant.

Si on veut en finir avec les trucs pénibles, je me dois de signaler que le réactionnaire patenté que je suis portait une chemise à col ouvert, alors que le dangereux gauchiste qui éclusait à ma gauche (forcément) arborait fièrement une cravate, impeccablement nouée. Heureusement, elle était à chier - on peut se raccrocher à ça.

dimanche 24 février 2008

Brigitte Bichoux

Elle s'appelait comme ça : Brigitte Bichoux.. Elle vivait alors à Châteaudun (Eure-et-Loir), et moi aussi. Elle était extrêmenent jeune, et moi aussi. C'était en 1971 (peut-être 72, on s'en fout un peu).

Je crois que Brigitte Bichoux m'aimait bien. Je crois que j'étais trop con pour m'apercevoir que Brigitte Brichoux m'aimait bien.

Je vais vous dire : Brigitte Bichoux avait une merveilleuse peau blanche et de somptueux cheveux noirs. Elle avait également (mais j'avais juste 15 ans, et elle m'excitait beaucoup) des seins (deux) et un cul, pommé comme il est défendu.

Brigitte Bichoux avait une particularité : enfant, elle avait posé sa langue sur une prise électrique branchée, et avait perdu une partie de l'organe en question (je ne plaisante pas : elle avait une demi-langue, elle me l'a montrée souvent, et elle ne me plaisait pas moins pour autant : j'aimais bien cette petite langue atrophiée - et quand j'y pense encore aujourd'hui...).

Un jour : dans un cours (dont tout le monde se fout), elle et moi étions assis l'un près de l'autre. Et elle m'a demandé (à voix basse) quelle fille de la classe je trouvais... je trouvais quoi ? bandante ? non, on ne parlait pas comme ça, à cette époque. Elle était assise à ma gauche (je ressens encore sa chaleur, aujourd'hui, en cet instant). Laquelle je trouvais... je trouvais...

Et j'en ai désignéé une (dont je me foutais), et j'ai balancé son nom, alors que, bien sûr, Brigitte Bichoux voulait que je lui dise "toi", ce que je mourais d'envie de lui dire. (Ça paraît si simple, quand on est adulte, hein ? ) Et j'avais très envie de lui dire : "toi". Souvent, le soir, dns mon lit, je me branlais en pensant à elle (une petite robe jaune, que je revois encore aujourd'hui, sur des cuisses dorées, des espoirs de choses encore jamais vues, et pas seulement ça : ce sourire, cette rondeur de visage, cette jeunesse que nous avions...).

Elle avait pris sur elle pour me poser cette question, je suis sûr, elle espérais une réponse, et j'ai été pitoyable.


D'autant plus pitoyable (mais, bon, j'avais 16 ans, hein...) qu'elle me faisait invraisemblablement bander, tout le temps. Je me souviens avoir effleuré ses seins, une fois ou deux, sans le faire exprès, vraiment, et m'être de cela excusé ; et, elle, avec un sourire qui, 35 ans après me crucifie, me dire (mais d'une voix ! avec un regard d'une douceur...) que, non, je n'avais aucune raison de m'excuser...

Une invitation. Sois gentil, montre-toi un homme, ou au moins une tentative... Regarde-moi... Vois ce que signifie mon sourire...

Bien. Brigitte Bichoux a été l'une des premières filles qui m'aient fait me sentir vaguement mâle. Le pire, c'est que je crois... (je ne sais même pas pas comment le dire)... ce n'est même pas que je crois : JE SAIS. Elle m'a fait comprendre des choses qu'elle ne savait pas elle-même, qu'elle ne sait sans doute toujours pas.

Où est-elle ? Qui est-elle ? Se souvient-elle qu'elle m'a, un jour, rencontré ? À quoi ressemble-telle, aujourd'hui ?

N'importe quel mec comprendra ce que je veux dire (et, je suppose, les filles aussi) : jusqu'à la fin de ma vie, Brigitte Bichoux ...

En réalité, je ne sais plus trop ce que je voulais dire. Je me souviens juste du sourire de Brigitte Bichoux - et de sa demi-langue, et du désir pitoyable que j'avais pour elle. Et je pense parfois - pas très souvent - à ce qu'est devenue Brigitte Bichoux. Que j'aime encore, malgré tout. Parce qu'on ne cesse jamais tout à fait d'avoir 16 ans.

La maison s'agrandit

Je viens de créer un nouveau blog, qui se trouve ici, mais également en lien dans la colonne verte, à droite. Je suis en train d'y réunir deux catégories des textes de l'ancien et défunt blog, ceux que j'avais regroupés dans une rubrique "Généalogie" et ceux qui s'appelaient "Dialogue d'ombres", ces derniers, au départ, ayant été la raison de la création du blog (mon Dieu quelle phrase à chier !)

Pour l'instant, seule "Généalogie" est installée. Les textes sont d'un seul tenant, mais j'ai fait les titres intermédiaires suffisamment gros et gras (ça vous rappelle quelqu'un ?) pour qu'ils soient facilement repérable lorsqu'on fait dérouler l'ensemble.

Il s'agit d'une édition diplomatique : j'avoue n'avoir pas le courage de tout relire (au moins pour l'instant), afin de corriger les fautes qui s'y trouvent immanquablement. Enfin, du fait du passage par Word, tous les liens ont sauté et il se peut que certains paragraphes en soient rendus peu ou difficilement compréhensibles.

Soyez indulgents : le taulier est vieux et fatigué...

La minute diététique

« (...) C'est à cet instant précis que le secret m'est venu à l'esprit et j'aimerais maintenant que chacun et chacune d'entre vous note ces quelques mots cruciaux dans son journal intime : " Ne mangez jamais en une seule journée davantage que le poids de votre propre tête."»

Jim Harrison, Aventures d'un gourmand vagabond.

samedi 23 février 2008

Entriste, entriste était mon âme

Ça y est, les filles : j'ai réussi à me retrouver en lien sur un blog de gauche ! Mieux que Jospin au PS, je suis trop fort !

Faites s'abattre des grands cieux / Les chers corbeaux délicieux

Ô triste, triste était mon âme
A cause, à cause d'une femme.

Je ne me suis pas consolé
Bien que mon coeur s'en soit allé,

Bien que mon coeur, bien que mon âme
Eussent fui loin de cette femme.

Je ne me suis pas consolé,
Bien que mon coeur s'en soit allé.

Et mon coeur, mon coeur trop sensible
Dit à mon âme : Est-il possible,

Est-il possible, - le fût-il,
Ce fier exil, ce triste exil ?

Mon âme dit à mon coeur : Sais-je,
Moi-même, que nous veut ce piège

D'être présents bien qu'exilés
Encore que loin en allés ?

(Paul Verlaine, Chansons sans paroles.)


Ce poème (pris totalement au hasard, on l'aura compris...) me ramène à Paul Léautaud, par des détours un peu sans intérêt, à son amour avoué (dans les entretiens radiophoniques de 1950 avec Robert Mallet, que je recommande à quiconque) pour un autre magnifique poème de Verlaine, que voici :

L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
Que ne t'endormais-tu, le coude sur la table ?

Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,
Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercé.

Midi sonne. De grâce, éloignez-vous, madame.
Il dort. C'est étonnant comme les pas de femme
Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.

Midi sonne. J'ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors ! L'espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah ! quand refleuriront les roses de septembre !

Le même Léautaud plaçait très haut Les Chercheuses de poux de Rimbaud. Et puis, il y a cette anecdote, que j'ai déjà relatée sur mon défunt blog, mais que je vous remets tout de même.

Un jour des années 1890, le très jeune Paul Léautaud (qui gagne à peine de quoi payer sa chambre et ses nouilles quotidiennes), descendant le boulevard Saint-Michel, reconnaît, sur l'autre trottoir, Paul Verlaine, attablé comme il se doit à une terrasse de café. Il avise une marchande de fleurs ambulante, lui achète un petit bouquet de violettes et lui demande de le porter à ce vieux monsieur (pas si vieux que cela, du reste, mais ayant beaucoup servi...), là, en face, sans lui dire de qui cela vient. Puis, ayant contemplé l'air interloqué de Verlaine face à ce présent inattendu, Paul Léautaud s'éloigne...

Ce sera tout pour ce soir.

vendredi 22 février 2008

Proust, Céleste, toi et moi (mais surtout moi)

On ne se méfie jamais assez de la vieillesse, mon bon Bergouze. Je sais que tu peux difficilement comprendre cela, mais je te demande simplement de me croire : on en arrive à tout oublier. Ainsi, il y a dix minutes, assis dans le salon, écoutant Webern, un paquet de cigarettes à main gauche et un verre de Gigondas dans l'autre, j'ai trouvé une merveilleuse première phrase pour le billet que je voulais t'adresser. Et puis...

Et puis, pfft ! plus rien ! envolée, la phrase ! Mais, tout de même, je me souviens de ce dont j'avais envie de te parler. De Proust. Marcel. Écrivain. Tu ne l'as jamais lu, je le sais - pas le temps. Petros, je ne jurerais de rien, en tout cas à l"époque.

Car je parle d'un épisode qui s'est passé entre 1981 et 1983. Je peux justifier des deux dates. J'ai lu La Recherche pour la première fois en 1980, lors de ma première et unique période de chômage (oui, ma poule : je fais partie des mecs qui bossent, imagine-toi...). Et puis, en 1984, le crabe s'est intéressé sérieusement à ton cas et tu as eu autre chose à foutre que des virées culturelles beauceronnes. Si tu veux des détails, je me revois parfaitement, dans le jardin de la grande maison de Sologne, sous le sapin, à droite, me colletant avec ce volume de Pléiade (première version, celle en trois tomes, de Clarac et Ferré, celle des Vieux proustiens...) qui me résistait tant qu'il pouvait, j'entendais Proust ricaner comme un connard de pédé qu'il est : "Laisse tomber, abruti, je n'ai pas écrit tout ça pour toi, ferme ce livre !"

Je ne l'ai pas fermé : j'ai horreur de me laisser dicter mes lectures, quelles que soient les moeurs de l'auteur.

Bref, un week-end de ces années quatre-vingts, Petros et toi vous êtes retrouvés dans la grande maison de Sologne. Je suppose que ma mère nous a gavés de nourritures terrestres, ce serait assez son genre, et mon père a dû nous abreuver de vins qu'il pensait fins et qui, bien sûr, ne l'étaient pas. Toujours est-il que, le lendemain, nous sommes partis pour Illiers-Combray.

Je me souviens d'une halte à Châteaudun (où j'ai vécu en 1971 et 1972), dans un bistrot de la place du 18-octobre (sois sympa, ne me demande pas à quoi correspond ce putain de 18 octobre...). Là, première piqûre de rappel : je tombe face à un garçon qui a été l'un de mes "meilleurs copains" (comme on dit à cet âge), Gilles Piedallu (dont le nom m'a à ce point fasciné que je crois l'avoir utilisé dans au moins deux ou trois Brigade mondaine...). Naturellement, nous n'avons rien à nous dire et nous reprenons la route.

À Illiers-Combray, il n'y a à peu près rien d'autre à faire que de visiter la maison de Tante Léonie. Si je me souviens bien (mais je ne suis certain de rien), il y a visite guidée toutes les heures. Naturellement, nous arrivons trop tard (ou trop tôt) ; il faut donc patienter, et Petros, toi et moi nous rapatrions au café de ce village qui, sans Marcel Proust, serait resté bête et triste à pleurer (et même avec lui, d'ailleurs...).

Nous sommes assis à une table de bois verni, je nous revois très exactement, lorsqu'il se produit un certain mouvement dans la rue déserte. Un groupe de piétons, assez jeunes, entourant une très vieille dame. Ils passent.

Nous apprenons, juste après qu'il y a, ce jour-là, je ne sais quel colloque, à Illiers-Combray, consacré bien entendu à Proust, et que la vieille dame que nous venons de voir passer à quelques mètres de nous, est Céleste Albaret (dont, à cette époque, je n'ai pas encore lu les mémoires).

Céleste Albaret, passant dans la rue, et toi, Bergouze, vivant, à une table de bistrot d'Illiers-Combray. Je ne sais plus trop ce que je voulais dire, en commençant ce billet, mais ce souvenir-là : Céleste - Bergouze, eh bien...

Eh bien, rien, en fait. Mais, tout de même, un jour, c'est arrivé. Il s'est produit que, dans ma vie, Marcel Proust et Philippe Bernalin ont, d'une certaine manière, été vivants au même moment et au même endroit. J'en rends grâce à Dieu, s'il me fait l'honneur d'exister.

Sinon, tant pis, j'ai quand même vécu ça...


jeudi 21 février 2008

Pub éhontée


Elle n'a pas l'air à la fête, la pauvre ! Pourtant, et ce devrait lui suffire, elle est en couverture du dernier livre (Théâtre ce soir) de Renaud Camus qui, pour la première fois (à ma connaissance) se lance dans le théâtre. Je l'ai en main depuis moins d'une demi-heure (que Jean-Paul Bayol, l'éditeur, en soit ici remercié), je n'en ai pas encore lu une ligne (c'était l'heure de l'apéro et, je m'excuse, il y a des priorités). On en reparlera donc plus tard.

Ah, si, tout de même : en quatrième de couverture figure, comme il est de tradition, une présentation de l'auteur. Elle dit ceci :


Renaud Camus est...

(non, rien)


On se perd en conjectures quant à l'auteur de ce texte, pour le moins ramassé (mais ramassé où ?)...

J'ai un clavier tout neuf

C'est vrai : j'ai vraiment un clavier tout neuf. Tout beau, tout blanc, sans aucune empreinte digitale : la police scientifique peut venir vérifier ; je les attends, ceux-là ! Je vois ton sourire, mon obsédant Bergouze : tu sembles douter que je puisse écrire des choses différentes, des phrases un peu moins convenues, uniquement sous ce très mince prétexte. Tu as raison : je vais continuer à mouliner les mêmes farines industrielles. Tu attendais de moi des pains craquants et dorés, enfermant des mies fondantes, et je produis de la baguette en série sous cellophane. Je sens bien que cela te rend un peu mélancolique. Tu n'es pas trop d'accord avec ce qui se passe. Seulement, ton avis, vois-tu, j'arrive presque, désormais, à m'en foutre : on ne doit pas être très loin de la fin.

Enfin ! c'est officiel...

Grâce aux talents webmagiques de l'Irremplaçable, la rumeur est désormais vérifiable : oui, Didier Goux est bel et bien un troll, comme on peut le vérifier ci-contre. Ça fait tout de même du bien, de se retrouver en accord avec soi-même...

mercredi 20 février 2008

Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place

C'est une catégorie qui existe, dans la blogosphère, je suppose que je ne suis pas le premier à l'avoir remarquée. Des blogueurs de gauche (croient-ils) qui se sont regroupés sous cette flamboyante bannière :


LES BLOGUEURS VIGILANTS


Contre quoi sont-ils vigilants ? Contre ce qui nous menace tous : le fascisme (en français moderne : Nicolas Sarkozy). Je les fréquente pas mal, depuis quelque temps. Certains sont intelligents et drôles, d'autres intelligents et moins drôles, d'autres effrayants de sottise, plus la cohorte de pleurnichards compassionnels inévitables. Bref, ils ressemblent comme des frères à leur pire ennemi : les blogs de droite, chez qui on rencontre à peu près les mêmes catégories. Ils sont des reflets dans le miroir, ils se voient, se reconnaissent, le refusent, se haïssent - c'est très divertissant.

Laissons les blogs de droite de côté pour l'instant et penchons-nous sur nos blogs vigilants. Ils ont ont un point commun, une référence absolu, un totem, un maître qui les gouverne malgré eux (et néanmoins avec leur assentiment transi d'amour) : Nicolas Sarkozy. Ils lui lancent des appels désespérés tous les jours : "S'il vous plaît, Maître tout-puissant, idole vénérée et détestée, remplacez vite notre précédente idole détestée et vénérée, prenez la place de ce bon Jean-Marie, nous en avons un besoin vital !"

Leurt amour-haine atteint parfois à des délires réjouissants, certains n'hésitant pas à se comparer à L'Armée des ombres, ce qui devrait faire pouffer Melville, si Melville avait été du genre à pouffer. On les sent, transpirant d'angoisse, occupés à rédiger des tracts clandestins dans des caves non sécurisées, tandis que, par l'unique soupirail, on voit passer les bottes impeccablement cirées des milices sarkoziennes (probablement entraînées à Guantanamo - je ne vois pas autre chose).

Ne nous moquons cependant pas trop : leurs tracts sont en effet de la dynamite. On ose y aborder des sujets proprement nucléaires comme Carla Bruni, la baisse de 35 € du pouvoir d'achat des fonctionnaires, ou même les prochaines élections du cantonnier, à Trégasoil ou à Ploumazout. De quoi faire sauter le régime et déposer le pays, exultant de fierté retrouvée, dans la jolie main manucurée du petit facteur neuilléen.

Avec, au-dessus de ces humbles, de ces sans-nom, de ces sacrifiés de la liberté, de ce peuple de clochards dont parlait Malraux, la figure lumineuse, tutélaire et légèrement aphasique de la chaisière du Poitou.

C'est beau.

[Roulements de tambours de la Garde Républicaine]

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux dans la plaine ?
Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu'on enchaîne ?
Ohé ! partisan, ouvrier et paysan, c'est l'alarme...
Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes...

mardi 19 février 2008

Non seulement les pauvres sont complètement cons, mais en plus ils ont des goûts de chiotte dispendieux (démonstration)

À tous mes amis des blogs "vigilants"...


Vous avez tous, comme moi, poussé un jour ou l'autre le charriot dans l'hypermarché le plus proche de votre gourbi ignoble (vous, plus : moi, j'ai l'Irremplaçable...). Et, arrivé à la caisse, n'ayant rien de mieux à faire en attendant votre tour, vous avez forcément inspecté le contenu des charriots alentour. Qu'avez-vous constaté ?

Plusieurs choses. D'abord que, majoritairement, vous étiez cernés par de putains de salauds de pauvres en surcharge pondérale, à l'organe vocal surdéveloppé, et fringués comme des clowns violemment multicolores.

Ensuite, donc, vous avez jeté un oeil fatigué sur le contenu de leur charriot. Vous y avez vu quoi ? Pour faire bref (et un peu caricatural, mais à peine) des pizzas surgelées, des frites tout pareillement traitées, du Coca lourd et du mauvais pastis pour papa.

Moi, ce soir, j'ai mangé un plat sublime, composé de queue de boeuf et de carottes, concocté par l'Irremplaçable. La queue de boeuf (je me suis renseigné) coûte environ cinq euros le kilo. Les carottes, je vous laisse voir, mais ce n'est pas un légume à ruiner un smicard. On a arrosé cela de deux verres d'eau du robinet (chacun : on adore picoler un peu trop...). Bref, on a dû merveilleusement dîner pour environ 3,50 € par personne.

Si on avait eu une brusque envie de frites - ce qui nous arrive parfois -, on aurait acheté cinq pommes de terre, on les aurait épluchées, lavées, découpées et cuites. Et on aurait mangé de très bonnes frites, bon marché à s'en pisser parmi, et non des merdes de cantine d'entreprise.

La conclusion est dans le titre...

Haute voltige

Il y a dix minutes, de retour devant ce clavier, je découvre dans la boîte idoine un mail émanant de l'assistante de mon éditeur, par lequel elle me supplie de lui donner de toute urgence le titre du Brigade mondaine dont la sortie est prévue pour le mois de mai, et que je dois donc remettre vers le 20 mars au plus tard. Je réfléchis durant une minute douze et décide que le roman en question s'intitulera...


LES DESSOUS DE LA PRESSE PEOPLE


Tous les problèmes ont donc été réglés quasiment dans l'instant, grâce à ma conscience professionnelle en béton. Tous sauf un : il me reste exactement quatre jours pour bâtir une histoire correspondant au moins de loin au titre qui, l'espace d'une seconde, m'a traversé l'esprit, et qui, la seconde suivante est devenue une dure réalité.

Un de ces jours, à jouer au con ainsi qu'il le fait, l'écrivain en bâtiment va finir par se prendre son pot de peinture sur la gueule.


Gloriole

Je suis en train de devenir une vedette à part entière (avec quelques comparses...) sur le blog de Georges...

lundi 18 février 2008

Environnement immédiat

Cela se produit le soir, à peine avalée la dernière bouchée du dîner (que nous prenons tôt, par une habitude familiale qui vient de moi). Je quitte la maison pour rejoindre la Case, où se trouve mon bureau, mon ordinateur et l'un de mes deux appareils à musique. L'un des signes, l'un des "capteurs" de ce que va être la soirée - ce qu'il en reste - est précisément ce que je choisis d'écouter. Ce soir, ce sont les pièces de Rameau jouées par Tharaud, que j'écoute beaucoup en ce moment : n'y cherchez aucune signification précise, en tout cas pas trop vite.

Ensuite, comme chacun de vous, je m'installe à ce clavier. Mais, avant cela, j'ai donc parcouru le court espace qui sépare les deux habitations - et qui sont en train de devenir pleinement deux habitations, en effet...

Il y a plusieurs fenêtres éclairées, devant et derrière. Devant, toutes proches ; derrière plus lointaines : le champ, à chevaux ou à vaches, c'est selon, entre nous. Les voisins de devant, on peut raisonnablement prétendre les connaître. Ils sont gentils, peu bruyants finalement, et d'une irrémédiable stupidité.

Ceux de derrière nous sont inconnus, mais les échos qui nous en reviennent font d'eux des paysans (des vrais : avec des champs, des bêtes et des fromages de chèvre) cupides, bornés et agressifs (si besoin est : on le suppose, on n'en sait rien...), comme il y en a dans les histoires de gens qui n'aiment pas les paysans.

Je sais que je n'échangerai jamais un vrai mot avec eux, ceux de devant ni de derrière. Par désintérêt, lassitude, vague angoisse, souci de solitude, je ne sais trop. Mais, certains soirs, assez souvent, parcourant ce court espace, contemplant ces rectangles de lumière devant tout au néon, je me dis que, nous voyant transportés dans un quelconque camp de concentration, je serais, de nous tous, le premier à succomber à la violence qui nous serait faite.

Ils sont, d'une certaine manière, armés - et moi pas.

dimanche 17 février 2008

Il attendra, le Suédois mort !

Je suis venu ici, tout à l'heure, avec l'idée de vous parler de Millenium, ce triple et volumineux roman suédois (trois bonnes raisons de passer au large, donc) dont il paraît qu'il convient de l'avoir lu (ce que j'ai commencé à faire hier), et à force d'aller traîner sur les blogs des uns et des autres, je m'aperçois que je n'en ai plus le temps ni l'envie. De toute façon, qu'est-ce qu'on en a à foutre, de mon avis ?

Pour l'instant, sachez seulement que, né en 1954, l'auteur a sottement calanché en 2004. Donc, à l'heure qu'il est, je lui mets déjà deux ans dans la vue, à ce grand crétin blondasse.

samedi 16 février 2008

Plein la poire

Pour ceux que ça amuse (dont moi), on se fout de ma gueule ici...

Cousu d'enfants

Mon cher Bergouze, il est des choses dont tu n'as guère idée, le vieillissement ne t'ayant guère effleuré, contrairement à nous. Par exemple, tu ignores totalement ce qui se passe comme divorce brutal dans la tête et le corps d'un quinquagénaire de modèle courant (et, en l'occurrence, je te prie de croire que je ne parle pas de moi - ou pas complètement).

Un ami qui fut mon chef - un chef qui fut mon ami, si tu préfères - viens de faire son quatre ou cinquième enfant, avec sa trois ou quatrième femme différente. Elle a, comme il se doit, la moitié de son âge. Elle ne le sait pas encore mais, connaissant la bête, je peux te dire que le divorce est en droite ligne, et que c'est lui qui récupérera la garde, comme on dit. Parce qu'il est plus vieux, plus retors, plus vicelard. Et, pour tout dire, généralement, plus intelligent que ses proies.

Qu'est-ce qui le pousse, chaque fois, à épouser et à enfanter ? Je n'en sais rien. À l'époque où nous nous voyions régulièrement, j'ai essayé de percer ce mystère, mais il m'est apparu rapidement que c'en était un aussi complet pour lui. Ou, plus exactement, qu'il n'avait jamais jugé bon de se poser la question. Car, quand je disais qu'il était plus intelligent que ses proies, cela ne signifiait pas forcément qu'il fût réellement intelligent.

Peut-être se passe-t-il simplement, chez lui, ce phénomène commun à beaucoup d'hommes que la tête continue de vagabonder alors même que le corps s'alourdit et laisse prévoir le forfait final ? Mais, durant ce temps, l'usine à mômes continue de tourner à bon régime...

vendredi 15 février 2008

Jim, my name is Jim...

Mon bon vieux Bergouze (je commence toujours comme cela pour qu'on sache à qui je m'adresse...), je viens de découvrir (pas tout seul : merci à Élise Pellerin (que j'aime énormément, sans l'avoir jamais rencontrée (pour l'instant)...)) un écrivain américain qui s'appelle Jim Harrison, magnifique romancier, que j'aurais aimé que tu lises. Mais bon.

En dehors des livres qu'il écrit, il se trouve que cet homme a exactement la gueule que j'aurai dans dix ans, ce qui me le rend évidemment plutôt sympathique. Sinon, si je suis mort avant cela, je serai néanmoins content qu'il ait existé - et content surtout de t'avoir retrouvé dans la douce paix de Dieu, s'il existe lui aussi (mais tu dois le savoir, depuis le temps).

Grosse pouffe

Ce midi, à L'Ambiance d'à côté, où je déjeunais (sans penser à mal) avec Brice et François. Arrive un couple (si on peut dire), en très nette surcharge pondérale (surtout l'homme : du genre "gros mou", 25 ou 30 ans mais déjà gélatineux). Elle (blondasse, un peu du style marine-le-pénienne) passe l'essentiel de ce déjeuner pendue à son téléphone portable. Elle parle un français répugnant (auquel vous allez devoir vous habituer, car c'est, je le crains, la langue de demain).

Le gros mou se goinfre, tandis que Marine avale son cabillaud d'une main tout en téléphonant de l'autre. À un moment, j'ai le choix entre la couvrir d'injures sexistes et dégueulasses ou aller fumer dehors.

Je suis allé fumer dehors.

Je suis fort, comme garçon.

jeudi 14 février 2008

Sarkozydiot

À propos de la nouvelle initiative du Mickey que nous (plutôt vous, d'ailleurs...) avons élu comme président, il me semble qu'à peu près tout est dit ici.

Une sorte d'ombre

Mon vieux Bergouze, il me semble que ton père est toujours vivant. En tout cas, je l'ai vu, tout à l'heure. Ce n'était pas exactement lui, bien entendu, néanmoins...

J'étais à L'Ambiance avec Brice, je suis sorti fumer une cigarette dehors - nous en étions au café. Est arrivé un vieux monsieur, habillé à l'ancienne mode, presque scandaleux tellement il n'était pas dans l'époque. Plus beaucoup de cheveux, mais blanc bleuté, la calvitie cachée sous un chapeau mitterrandien.

J'ai éprouvé une sorte de commotion, tellement il ressemblait à Maurice. Le temps et l'espace se sont abolis d'eux-mêmes, avec une certaine complaisance, je me suis retrouvé au 17 de la rue Nuzilly, à Caluire - le temps que passe ce vieil homme, ça m'a fait un mal de chien, je te l'avoue. Il avait réellement ce regard égaré qui était très souvent celui de ton père de son vivant (je sais bien qu'il n'est pas mort, mais je ne suis pas persuadé qu'il soit encore vivant pour cela).

J'ai fini ma cigarette, je suis revenu m'asseoir à ma place, tu ne m'as plus quitté depuis, mais personne, par chance, n'en a rien su. Je reste caché, avec toi, ne dis rien.

Remémoration cinéphile

Pourquoi, tout à l'heure, sur l'autoroute, ce souvenir est-il brusquement remonté à la surface de mon pauvre cerveau exténué ? Toujours est-il que je me suis alors rappelé être allé voir, au cinéma de Châteaudun, en 1971 ou 1972, le film J'irai cracher sur vos tombes. Et il m'est revenu que, au bas de l'affiche, avait été ajouté un panonceau écrit à la main et précisant que le film était tiré du célèbre roman de Jean-Paul Sarthe...

C'est ce qu'on doit appeler, j'imagine, la culture beauceronne.

mercredi 13 février 2008

Les Américains votent aussi

À propos des prochaines élections américaines, ce point de vue, qui n'est pas forcément le mien mais qui, il me semble, mérite d'être entendu...

Dehors, les connards (please) !

Si le connard, évidemment anonyme, qui s'obstine à reproduire le message que je m'obstine, de mon côté, à supprimer, pouvait s'évanouir dans la blogosphère et se consummer dans sa propre aigreur, j'avoue que ça m'arrangerait...

mardi 12 février 2008

Islam dans ta gueule

Pour ceux qui pensent que l'Islam est une gentille religion de Bisounours (et accessoirement que Ségolène Royal est autre chose qu'une répugnante créature) : c'est par ici la visite...

Naïf et globuleux

Photo de l'Irremplaçable

Au moment même où je vous parle, à trois mètres de la fenêtre de la Case, au milieu de la pelouse, un hérisson est occupé à boulotter les croquettes pour chat que l'Irremplaçable vient de lui servir. Je suppose qu'ensuite il retournera dans l'abri que la même Irremplaçable avait installé pour lui à la fin de l'automne, afin d'y attendre sagement et doctement la terminaison de l'hiver, cependant que nous autres, bipèdes, continuerons de vaquer comme des cons à des occupations superfétatoires.

lundi 11 février 2008

Le camp du Bien

Je vous conseille la lecture du billet que je mets ici en ligne. En réalité, plus que le message lui-même, d'une sottise assez anodine, je vous recommande vivement la lecture des commentaires lui servant de garniture, notamment ceux de MM. Desvigne et Pisano. Vous pourrez observer in vivo à quel degré d'abaissement nous en sommes rendus.

La véritable tristesse est qu'une pente de cette ampleur ne se remonte jamais, je le crains. Ils ont gagné, retirons-nous.

Le niveau monte

Je viens d'atterrir sur un blog tenu par un professeur, où l'on apprend, sans fard ni précautions oratoires, ce qu'est réellement la vie quotidienne d'un malheureux condamné à quasi perpète dans un lycée de banlieue. Allez jeter un coup d'oeil, c'est édifiant...

dimanche 10 février 2008

Garçon fatigué

Comment faire ? Quelle solution choisir ? Éliminer telle ou telle personne des commentaires ? D'une part, je n'ai pas découvert comment la chose est possible (ce qui ne surprendra personne, je crois), d'autre part cela me répugne plutôt. Fermer les commentaires à tout le monde ? Je suis tenté, je l'avoue, dans la mesure où certains d'entre vous semblent incapables de se taire quand l'éducation leur commanderait de le faire. Mais, d'autre part, il s'en trouve quelques-uns dont les interventions (et les blogs) me sont chers. Donc, pourquoi m'en priver ? D'autant que ce sont précisément ceux-là qui ont compris que leurs interventions seraient d'autant mieux reçues qu'elles seraient remises à plus tard.

Fermer le blog ? Je l'ai fait une fois et me suis ensuite couvert de ridicule en rouvrant exactement le même, deux jours plus tard.

Laisser tout le monde s'ébattre, en ne répondant point ? C'est, on l'a compris, la solution temporaire que j'ai choisie. Au moins jusqu'à demain (date butoir). Bien entendu, on n'est pas obligé de me croire sur parole ; certains d'ailleurs n'ont pas manqué de noter la "défiance" que ma personne leur inspirait (et qu'elle peut m'inspirer à moi-même, parfois). C'est ce qu'on appelle des "prédateurs d'affût", embusqués derrière leur petit rocher, les crocs aiguisés et la bave digérante prête à l'emploi.

Pour avaler la masse de viande concernée, il faudra qu'ils viennent à plusieurs, je préfère les en prévenir : l'homme a peu de ressources, mais il a le volume pour lui.

Bref, ce blog est en survie jusqu'à demain (je salue mon ami inconnu, Gai Luron, au passage, il comprendra, je pense...). Et soyez aimables de ne pas considérer que je dis cela pour attirer de quelconques suppliques à poursuivre.

Je commence, ce jour, une autre partie de ma vie : je peux me passer de vous comme vous pouvez vous passer de moi, c'est aussi simple et évident que cela. Que les accros aux statistiques de Wikio m'oublient, de même les destructeurs auto-proclamés de la blogosphère : ils m'indiffèrent autant les uns que les autres, tant ils se ressemblent, d'un point de vue girardien.

Est-ce qu'un peu de silence, de moindres criailleries, serait trop demander ?

L'évidence même

Toutes les femmes, même les plus sottes, savent très bien que nous sommes des cons.

samedi 9 février 2008

Et pourtant il tourne...

Depuis ce matin, je m'intéresse à la vie quotidienne dans les maisons closes, à la Belle Époque - en vue du prochain BM, ainsi qu'on l'aura deviné. Il s'ensuit que mon esprit flotte dans une sorte de rêverie nostalgique sans objet précis, qui a pour effet d'accroître encore l'état d'errance dans lequel je me trouve depuis hier. L'impression de tourner sans fin autour de soi-même et de ne jamais réussir à voir autre chose que son propre dos.

vendredi 8 février 2008

Je l'ai fait...

Je sortais de L'Ambiance, où j'avais déjeuné et bu (modérément les deux, dans la mesure où j'étais seul et où je lisais avec une passion jubilatoire l'autobiographie de Jim Harrison, En marge), et revenais vers le doux nid de la rue Thierry-Le Luron.

Arrive, face à moi, un jeune noir, 30 ans, mince, très beau, disons assez beau. Mû par un un instinct farceur, je coupe la parallèle, marche droit sur lui, sourire aux lèvres, main tendue :

- Monsieur Obama ! Vous êtes la chance de l'Amérique ! Je vous souhaite un triomphe !

Il a un instant d'hésitation, puis éclate de rire, et me serre la main. Il rit encore dans mon dos, on s'éloigne l'un de l'autre, chacun satisfait de soi-même...

jeudi 7 février 2008

L'inflexion des voix chères qui se sont tues

Gai Luron vient de publier ce qui est à mon avis son meilleur message (depuis que je le lis en tout cas), et annonce dans la foulée la fermeture de son blog, ce qui m'attriste un peu. C'est en tout cas une bonne raison pour ne pas passer à côté de cet ultime...

I' pique mes sous, i' m'fout des coups...

C'est curieux, et pourtant je n'ai rien contre le fait que les psys du futur se fassent un max de blé, mais je trouve très malsain, et même inquiétant, qu'une mère célibataire (pardon : une famille monoparentale) appelle naturellement son fils de dix ou onze ans : "mon homme".

(Au moment où je termine cette phrase, je me demande si je n'ai pas déjà dit exactement la même chose ici : arrêtez-moi si je commence à radoter. Il n'empêche que ça me semble tout de même assez "glauque", pour parler moderne.)

mercredi 6 février 2008

Le petit bonhomme perdu

Il descend fumer, comme nous tous, à intervalles plus ou moins longs. Il a trente ans, à peu près - c'est de toute façon sans importance, mais il ne le sait pas encore. Il s'est fait un look : cheveux en brosse sur le dessus du crâne, nuque rasée, visage imberbe mais avec un petit bouc sous le menton, grosse boucle d'oreille à une seule oreille.

Il fume seul, en s'appliquant à un air dégagé. Lorsque des filles sortent de l'immeuble, il leur jette malgré lui un regard rapide (elles, non), avant de détourner les yeux avec ce qu'il croit être une nonchalance étudiée, et qui porte tout le poids de sa propre invisibilité. Je suis certain, l'observant, que sa boucle d'oreille doit alors tinter douloureusement à son tympan.

Il ne le sait pas encore, mais il se dépouillera très bientôt de ses attributs de carnaval. Il gravira trois échelons dans la hiérarchie qui est la sienne actuellement, terminera sa vie dans un deux-pièces "bien situé", sans se rendre compte que sa braguette luisante, lorsqu'il sort de chez lui, déclenche une amorce de grimace mi-dégoûtée, mi-apitoyée sur le faciès des jeunes filles qui ne sont pas encore nées - mais attendent leur heure.

Zarbi début (de journée)

Parfois, ça commence comme ça : bizarre, limite pénible. Ainsi, ce matin. Je passe le péage de l'A13 (avec lequel, d'ordinaire, j'entretiens d'assez bons rapports) et le panneau lumineux immédiatement suivant m'annonce...

Poissy 31 mn

Le temps normal étant de quatorze minutes, je sens mon sphincter anal se contracter légèrement, mais sans que l'inquiétude fondamentale ne se répercute jusqu'au cerveau (lui-même en roue libre, grâce à Alexandre Tharaud jouant des pièces de Rameau).

Une dizaine de minutes après, violent ralentissement (tout le monde fout les warning, en serrant les miches, de peur que l'autre con, là, derrière, soit justement en train de composer un numéro sur son portable et ait perdu la route de vue...). En effet, comme les dieux du panneau d'affichage l'ont annoncé à l'humanité itinérante, on se retrouve tous à trente à l'heure, avec les inévitables excités qui slaloment d'une file à l'autre pour gagner treize secondes et demie (j'ai compté, faites pas chier).

À l'embranchement entre l'A 13 (d'où je viens) et l'A 14 (où je vais), nouveau panneau lumineux, avec cette indication très étrange :

A13--->BP : bouchon
Manif en cours

["BP", pour les provinciaux et les mal-comprenants, signifie "Boulevard Périphérique...]


"Manif en cours", donc. SUR l'autoroute. J'ai le temps d'y réfléchir sereinement, puisque j'emprunte quant à moi l'autoroute des riches (ainsi appelle-t-on populairement l'A 14, eu égard à son prix, qui nous évite la proximité toujours pénible des bagnoles déglinguées de pue-la-sueur). Et la question qui jaillit immanquablement, dans mon cerveau d'opulent sarkoziste est évidente :

QUE PEUVENT DONC BIEN FOUTRE DES MANIFESTANTS AU MILIEU DE L'AUTOROUTE ?



J'obtiendrai le fin mot de l'affaire en arrivant à la rédaction : manifestations des chauffeurs de taxi qui, bien entendu, ne supportent pas l'idée que les usagers puissent trouver une voiture au moment où ils en ont besoin et comptent bien continuer à organiser la pénurie.

Du coup, m'est venue (dans mon petit bouchon) une question adventice : que pensent de tout cela mes petits amis de gauche parisiens ? Vont-ils défendre les chauffeurs de taxis (victimes broyées d'avance du grand capitalisme à face de robot grimaçant), alors qu'ils pestent tous les samedis soirs de n'en pas trouver ? Mais tout en sachant que la plupart d'entre eux votent Sarkozy (à défaut de Le Pen), par haine des bougnouls et des nègres ?

Ou bien vont-ils les larguer en rase campagne parce que, au fond, mes bons amis progresso-socialistes ne se sont jamais intéressés à personne d'autre qu'aux profs, aux cheminots, aux postiers et aux électriciens, bref : aux petits fonctionnaires, seuls résidus de ce qui fut, en un siècle où j'ai vécu, la gauche ?

mardi 5 février 2008

Au trébuchet

Il est coutume, de nos jours, de condamner en bloc les hommes qui explosent la tronche à leurs épouses légitimes, sur un coup de colère. Bien sûr, ça part d'une bonne intention. Mais je dis : attention de ne pas faire d'amalgame hâtif. Sachons juger au cas par cas...

lundi 4 février 2008

C'est rien que des mantras

À propos de la prétendue main-mise de Nicolas Sarkozy sur l'ensemble des médias français, que mes bons amis de gauche dénoncent en boucle depuis près d'un an, je conseille la lecture du dernier billet de Gai Luron.

Le temps léger s'enfuit

Qui n'a jamais eu envie de changer d'époque ? D'oublier les ridicules, les grotesques et l'horreur de la sienne propre, pour s'en aller bivouaquer dans une autre, forcément plus accueillante, de même que l'herbe est plus verte aux vaches et aux veaux dans le pré voisin ? En bref et en clair, s'effacer de l'ardoise magique pour aller s'inscrire ailleurs. Encore faut-il savoir en quel siècle se transporter, bien sûr.

Durant quelque temps, je fus incertain de l'époque de mon choix. La fin du 12ème siècle me tentait assez. Je me serais bien vu, les après-midi de soleil, sortir ma petite chaise cannelée et aller contempler à l'oeuvre les bâtisseurs de Notre-Dame, ainsi que, dit-on, Dante aimait à le faire avec le Duomo de Florence. L'époque des Guerres de religions, dans un genre plus rock n'roll, me séduisait aussi pas mal.

Mais finalement, j'ai choisi la prudence, la sécurité sur le long terme, les intérêts médiocres mais garantis par l'État. Je suis donc né en 1821, comme Baudelaire et Flaubert (et quantité d'autres, dont on se fout pour le quart d'heure), dans une famille orléanaise - des bourgeois plutôt à leur aise, mais sans plus. Comme j'étais un élève doué, bien que paresseux, j'ai décroché mon bac, en 1839, et, l'année d'après, suis "monté" à Paris. Mon père avait tenu à ce que je fasse mon droit, mais j'ai vite déserté l'antique Sorbonne, pour aller grenouiller du côté des nombreux journaux qui éclosaient, mourraient, renaissaient de leurs cendres à peine attiédies, dans cette France louis-philipparde, encore toute suante de la tempête révolutionnaire et de l'épopée napoléonienne.

Je suis alors ce qu'on appelle un libéral républicain - c'est de mon âge -, je me gausse de ce roi constitutionnel, bourgeois et mesquin, dont au fond je m'accommode fort bien. La bourrasque de 48 me trouve enthousiaste, quoique prudent dans mes engagements. J'encourage la montée aux barricades, mais toujours depuis les diverses salles de rédaction qui veulent bien me payer, ou dans l'un des salons privés du Rocher de Cancale, mon restaurant favori, où, certains soirs, on peut voir Honoré de Balzac, vieilli avant l'âge mais toujours bedonnant, attablé devant trois douzaines d'huîtres arrivées par la marée du matin.

Il m'arrive aussi de croiser Hugo ou Lamartine, mais comme personne ne songe à nous présenter, il ne se conserve nulle trace de ma personne dans les écrits de ces deux personnages. Je m'en consolerai.

Le 2 décembre 1851 - je viens d'avoir 30 ans -, je comprends assez vite que la fête est finie et qu'il est temps de faire fructifier mon absence de talent. Accroissant encore ma production au sein des rares journaux autorisés par le nouvel empereur, évitant soigneusement ceux qui sentent un peu trop le soufre, je me lance parallèlement dans la production de petits romans bon marché, qui paraissent d'abord en feuilletons dans différents journaux parisiens, puis dans les feuilles des provinces, avant de finir en volumes entre les mains crasseuses des colporteurs de campagne. Je deviens une sorte de sous-Paul de Kock, de simili Ponson du Terrail, d'ersatz de Paul Féval. Je fais dans tous les genres, à la coupe comme chez le fromager, l'argent rentre.

En 1863, à 42 ans, je songe qu'il est temps de m'établir. Étant d'une nullité crasse en matière de finances, j'ai raté le coche des spéculations hausmaniennes, mais suis tout de même assis sur un confortable édredon, rembourré d'une monnaie merveilleusement stable. J'épouse Adélaïde, de 21 ans ma cadette, avec l'idée de lui faire trois enfants - ce que je ferai en effet. Mes deux fils seront suffisamment intelligents pour ne causer aucune inquiétude quant à leur avenir, mais pas assez pour faire de l'ombre à leur père : de bons garçons.

Ma fille, Albertine, sera le soleil de ma première vieillesse, avant qu'elle ne se mette en tête d'épouser contre ma volonté un godelureau barbouilleur de toiles.

La seule véritable peur de ma longue vie me sera causée par la guerre de 1870, durant laquelle je me réfugierai prudemment dans ma campagne de Mantes, afin d'entendre le tonnerre des canons prussiens pilonnant Paris, mais pas de trop près. Mes romans d'aventures et de mystère marchent moins bien, je passe de mode, mais ils rapportent suffisamment encore pour ne point ajouter l'inquiétude de l'avenir aux angoisses du présent.

À partir de 1892, date du mariage maudit d'Albertine, je vends mon appartement de la plaine Monceau pour m'installer définitivement à Mantes, avec Adélaïde. En bonne épouse qu'elle a toujours été, elle fait semblant de ne rien voir lorsque ma main vient à s'égarer sous le tablier de l'une de nos bonnes successives.

L'attaque mortelle vient me surprendre le 19 mars 1912, près de mes poiriers en espaliers, à la droite du verger que j'ai fait planter, sur le côté qui regarde la Seine. Les domestiques ont juste le temps de me ramener dans mon lit, tandis que la bonne court chercher le curé de Mantes. Je disparais à point nommé pour ne pas entendre les lointains fracas de la guerre qui va lézarder l'Europe, avant de l'abattre tout à fait, au long du siècle qui commence. De toute manière, je suis totalement sourd depuis huit ans déjà.

Ma dernière joie, avant dissolution, est d'imaginer la tête de mon gendre, à l'ouverture de mon testament, lorsque le notaire va lui apprendre que j'ai totalement déshérité Albertine, rien que pour le faire chier, lui.

Mon seul regret est de n'avoir pas eu la possibilité de revoir mes quatre petits-fils. Qui, de toute façon, disparaîtront bientôt, à quelques mois d'intervalle, dans la glaise des tranchées de la Somme.

Et j'aurais bien aimé, aussi, avoir le temps de lire le gros livre de Marcel Proust. Mais même lors d'une vie aussi longue, on ne peut pas tout avoir.

samedi 2 février 2008

Les épreuves du Bach

De toute façon, quand je commence à ne plus pouvoir écouter autre chose que les suites pour violoncelle et L'Offrande musicale, c'est qu'il y a un truc qui déconne...

Ils ont (presque) réussi

Vingt-cinq ans. Un quart de siècle que je travaille dans ce journal, que les cons méprisants et mal renseignés nomment "à scandales" et qui n'est pas autre chose que du roman Harlequin mis sous forme de presse. Vingt-cinq ans que j'aime les femmes (elles sont très majoritaires) qui, chaque semaine, distraient quelques euros d'un budget à pleurer pour lire ce que d'autres et moi écrivons. Des gens incapables, pour leur propre compte, d'écrire autrement qu'en une sorte de bouillie syntaxique (pas tous, cependant), mais à qui, justement, nous devons, nous, précisément pour cette raison, l'exigence la plus haute de correction stylistique. C'est en tout cas ainsi que je conçois, ai toujours conçu, le travail pour lequel on me paie.

Durant ces années, après chaque période de vacance - qu'il s'agisse d'une retraite brigadière et mondaine ou de réelles vacances-au-pluriel -, j'étais content de retrouver la place qui était la mienne au sein de cette rédaction.

C'est terminé. Je ne suis plus content. Même pas mécontent, ce qui est pire que tout. Juste indifférent. Si le but était de nous dégoûter tous, en ce qui me concerne c'est un véritable triomphe. Comme un bateau qui court sur son erre, je continue à faire mon travail du mieux possible (c'est-à-dire du mieux tout court puisque je me trouve être le meilleur, dans ce petit domaine étroit et dérisoire qui est le mien), mais j'ai cessé d'éprouver le moindre intérêt pour ce que je fais.

Je sais pourquoi, il n'y va pas que de la faute des "patrons" - raison toujours commode à invoquer. Conséquence du dernier (en date...) plan social en vigueur dans le groupe de presse qui me salarie, il se trouve que, en ce moment, disparaissent tous les gens plus âgés, plus anciens que moi, ceux qui ont plus ou moins accueillis le jeune crétin de 26 ans que j'étais à mon arrivée dans cette rédaction. Dans deux ou trois mois, à l'exception d'un seul (mais pour combien de temps ?...), je serai le plus ancien de ce journal, alors qu'est encore vivace, et agréable, en moi le souvenir de l'époque où j'en étais le plus jeune membre (membre étant en l'occurrence très exagéré...).

Pourquoi cette réalité-là (somme toute inévitable ou à peu près) m'est-elle tombée sur le coin de la gueule précisément cette semaine ? Allez savoir. La conséquence (hautement prévisible) est que j'ai bu plus que de raison durant ces trois derniers jours (car, chez moi, vous le savez, tout finit par l'échanson...), ce qui - on connaît bien les effets de la cause - contribuait dès le lendemain matin à voir s'écrouler, ou au moins se lézarder, un nouveau pan de cet inaltérable optimisme qui a fait ma renommée et mon succès auprès de vous.

Mais ils ne m'auront pas ! (Enfin, si, peut-être, d'ailleurs...) L'homme va se battre comme un lion, peut-être l'inverse, on verra. Je ne leur ferai pas ce plaisir de m'évacuer moi-même. Il reste qu'ils ont tout de même tué l'envie, le désir, le plaisir, et même, j'ose le dire, une certaine fierté. Mais j'accuse sans preuve : c'est peut-être tout simplement un effet de l'âge, de mon âge.


[En d'autres temps, j'ai ironisé, ici même, sur les blogs-de-pleurnichard : je trouve, me relisant, que, dans ce domaine, c'est une belle entrée en fanfare...]

vendredi 1 février 2008

On baise idiot

À midi, n'ayant rien de plus intelligent à nous dire, Brice et moi évoquions les filles les plus stupides avec lesquelles nous avons, par le passé (ma chérie, reste tranquillement allongée, j'ai dit : par le passé !) entretenu de fugaces commerces charnels. C'est Brice qui a gagné (et Dieu sait, pourtant, ce que de connes j'ai sailli...), en me citant cete créature d'après lui hautement charnelle, qui pensait qu'il existait, au sud de la Méditerranée, deux pays : l'Afrique du Nord et l'Afrique du Sud.

Pour le coup, j'ai remis un pichet sur mon compte.