La fièvre, lorsqu'elle devient étale, et pour ainsi dire nonchalante,
est une manière d'établir le contact avec Dieu. Ou, au moins, avec des
contrées étranges parce que jamais vues. Ces quelques degrés
supplémentaires (mais il n'en faut pas trop) font naître des plaines aux
herbes bizarres, aux arbres tors, vaguement montueuses par endroits,
dont on n'aperçoit pas la fin, tout en sachant qu'elle est sans doute
là, proche, derrière le petit tertre qu'il est difficile de déterminer
naturel ou humain.
Cette plaine est tout entière emplie
de Dieu, malgré le soleil écrasant qui vous fait jaillir en eau, et le
froid brutal qui s'abat soudain – et les dents claquent. L'homme,
soudain plus petit que ce qu'il imaginait, marche sans avancer, il
arpente en rêve éveillé, et pourtant le paysage change sans cesse.
S'annoncent à l'horizon des villes fatiguées, d'un bleu méditerranéen,
et juste après de colossales cités lovecraftiennes, vides d'habitants
gigantesques morts depuis longtemps, depuis si longtemps qu'on peut à
peine les dire morts.
On marche. Le corps met une
sourdine à ses besoins fondamentaux, tout en rappelant à chaque instant
ses exigences, qui ne peuvent plus être convenablement nourries, mais ne
doivent pas être oubliées, sous peine de dessèchement physiologique -
et peut-être pis. On attend avec une impatience résignée les
rougeoiments du soir, les cris des corbeaux retour au nid, pour aller
s'acagnarder à un rocher de granite noir, qui nous protègera tout à la
fois des regards hostiles et des frissons intérieurs – croit-on. L'eau,
qui fait défaut partout autour, jaillit de soi, salée et collante, et
l'on sent, tout pareil, la nuit glaciale prête à couler de la même
source organique.
On a un peu peur, mais pas tellement
que cela. Il y a grâce au ciel – devenu invisible – cette bulle
isolante, ovoïde et dure, impassible, qui protège des loups errants et
des meutes d'humains saccadés en quête d'abreuvoirs. L'homme s'endort.
Sommeil peuplé de courbatures fugitives, de visions trop présentes pour
être honnêtes, de visages de femmes qui auraient dû être depuis
longtemps oubliés, et qui l'ont été.
Durant le sommeil,
la fièvre entretient le feu qui éloigne les bêtes dangereuses, aussi
celles qui ne demandaient sans doute qu'un peu de réconfort. La fièvre
ne fait pas de détail, elle globalise l'homme qu'elle a pris, elle le
ramasse en boule ; et il se laisse faire, finalement content qu'une
puissance quelconque ait pensé à s'inquiéter de lui.