À Bristol où il vit, mon frère a un ami qui travaille dans une grande imprimerie spécialisée dans l'impression des billets de banque. Il lui a récemment révélé que, depuis quelque temps, ils s'étaient mis à imprimer, en très grosses quantités, des drachmes et une autre ancienne monnaie européenne, dont mon frère n'est plus certain absolument qu'il s'agit de la peseta. Étrange, non ?
samedi 30 mars 2013
vendredi 29 mars 2013
François H. : Moi, rien de la République…
Comme il est assourdissant, le silence qui règne ce matin, dans les blogs dits de gouvernement ! Si l'on n'en avait tout de même quelques micro-traces çà et là, on finirait par douter de la réalité du passage à la télévision de François H., hier soir, à l'heure où la soupe refroidit dans les auges. L'esprit mal intentionné qui régit ce blog-ci aurait tendance à en déduire que le rien de la République s'est contenté de distraire le petit Pujadas et de montrer qu'il ne perdait pas ce jovial humour qui est sa marque, son empreinte la plus profonde. L'exercice est d'ailleurs méritoire : parvenir encore à faire bouger ses orteils pour amuser les tout-petits quand on est assis sur un pain de plastic, ça signale des nerfs d'acier – ou pas de nerfs du tout.
jeudi 28 mars 2013
Les progressistes neuneus dans la cour de la ferme
Mais qu'est-ce qu'on s'amuse, dites ! Il aura suffi d'une belle et grande manifestation pour que tout ce que la blogosphère compte de progressistes neuneus se mette à courir en zigzags, comme une volée de canards cou coupé dans la cour de la ferme natale. On a commencé soft, en feignant sérieusement de croire que les défilants de dimanche n'étaient bien que trois cent mille (mais pourquoi une telle timidité ? Pourquoi pas cent mille ? Ou trente mille ?). On s'est aperçu que ça ne suffirait pas. Alors, vite, on a dégotté une photo où cinq abrutis tonsurés lèvent le bras droit, et hop ! la menace néo-nazie est resservie toute chaude, comme au bon vieux temps ! La République en danger, la peste brune, et toutes ces sortes de choses. En plus – danger nouveau – les gestapistes aux étoiles sont désormais armés de poussettes et d'enfants qu'ils lancent à l'assaut des tirs ennemis comme de vulgaires Palestiniens, c'est dire le péril. On a même vu la brave Élodie-pleine-d'o ressortir février 34 de son bocal à formol et les neuneus lyonnais affronter un raz-de-marée vert-de-gris hier soir, lorsque des “indignés” pas du bon bord sont venir dire à Mme Taubira ce qu'ils pensaient exactement d'elle et de son action. D'après Le Progrès – dont on ignorait qu'il eût été racheté par les Identitaires –, ils étaient cinq cents. Le bon Juan Sarkofrance, qui n'était pas là, n'en a compté qu'une “petite centaine” : c'est toujours aussi grandiose, les maths-à-neuneu.
Et tout ce petit monde de s'inquiéter des compromissions (oui, ils parlent comme ça) de la droite “institutionnelle” avec ces hordes de zombis à croix gammée toutes prêtes à déclencher une nouvelle nuit de cristal, ou des longs couteaux, ou un Élysée-sur-Glane, on ne sait plus trop bien ce qu'il convient de craindre, mais ça craint. En plus, voilà que ces zozos se sont avisés de chanter la Marseillaise, dites donc ! Là, c'est Mamie Rosa qui est montée au front : désormais, c'est elle la gardienne du chant sacrée, elle qui distribuera les permis de chanter, selon que vous aurez le bon profil ou non. Elle aura son stand à l'entrée des manifs, comme autrefois on attribuait aux rombières nécessiteuses un bureau de loterie.
Bref, les canards ont les foies, il va falloir songer à faire griller les toasts.
mercredi 27 mars 2013
Permanence du fleuve
La question revient régulièrement parmi les blogueurs “politiques” : doit-on s'aventurer en territoire ennemi, c'est-à-dire aller lire les blogs de la rive d'en face, voire pactiser avec le riverain en prenant langue avec lui ? Au contraire, est-il préférable de n'en rien faire et d'ignorer totalement l'adversaire, ou au moins lui faire croire qu'on l'ignore afin de le mortifier un peu ?
Bien que faisant indubitablement partie de la première catégorie, il me semble que les deux attitudes reviennent au même, sont également négatives en termes de résultats, dans la mesure où elles auront également pour effet une radicalisation du blogueur considéré.
C'est évidemment plus immédiatement compréhensible dans le second cas : il a été établi plus ou moins scientifiquement – mais je n'ai pas le courage ni le temps de rechercher par qui – qu'à ne fréquenter que des gens partageant la même vision du monde que soi, la même idéologie, les mêmes craintes, frustrations, etc., les idées avaient mécaniquement tendance à s'extrémiser, sans même que celui qui les porte ait la possibilité de s'en aviser.
À rebours, il serait tentant de croire que fréquenter ceux qui pensent différemment (on part du principe que les blogueurs pensent : ceci n'est pas un billet réaliste, comme on voit) va permettre de relativiser ses propres pulsions idéologiques, de les tenir plus ou moins en lisière de soi. Or, il me semble qu'il n'en est rien, et même au contraire. L'exaspération que peut faire naître la lecture de théories ou de raisonnements que l'on estime ridicules voire abominables conduit souvent à vouloir rendre colère pour colère et, dans ce but, à adopter des positions qui n'étaient pas forcément les nôtres au départ mais dont on sait qu'elles seront lues “en face” et provoqueront le résultat souhaité, à savoir l'énervement, la fureur, le dégoût, etc. Bref, quoi qu'on fasse, on ne peut que s'embêtir chaque jour davantage.
La solution serait sans doute de tourner le dos à ce fleuve boueux, s'éloigner de son flux (RSS) et aller se claquemurer dans sa case pour y relire saint Augustin et Marc-Aurèle. Mais c'est peut-être, pour endiguer l'extrémisme, adopter une position extrême.
mardi 26 mars 2013
Le CO2, c'est bon pour ta planète !
L'ami Hashtable – en réalité un ignoble libéral qui aime arracher les bras des petits enfants écoresponsables – publie ce matin un billet passionnant sur l'état de notre fucking planète. Un court extrait :
Il y a bel et bien un accroissement de la couverture végétale, partout dans le monde.
En regardant de plus près les quantités de données collectées, celles-ci permettent d’expliquer la moitié de cet accroissement par l’augmentation des pluies. Ceci permet d’expliquer un reverdissement du Sahel, par exemple (au contraire de ce qu’on nous serinait il y a encore quelques années). Quant à l’autre moitié de ce verdissement surprise, il viendrait bel et bien de l’augmentation de la quantité de CO2 dans l’atmosphère.
Or, si ce CO2 provient très majoritairement de sources naturelles (l’océan, se chauffant, tend à relâcher une partie du CO2 qu’il stocke normalement), une partie (même modeste) provient inévitablement de l’activité humaine. Oui, vous avez bien lu (et bien entendu si vous avez regardé la vidéo de Matt Ridley) : l’activité humaine et son rejet de CO2 dans l’atmosphère rend la planète plus verte ! Voilà une découverte particulièrement gênante pour les écolos, non ?
Faites-vous plaisir : offrez-vous l'intégrale…
lundi 25 mars 2013
C'est un joli nom, camarade…
Un lycéen a été poignardé, à Blaye, au sein de son établissement scolaire, le 19 mars. Il en est mort, il s'appelait Sylvain, apprend-on dans les différents journaux en ligne qui, manifestement, se recopient les uns les autres à la virgule près. Quand on est mort assassiné, on a droit à un prénom, en France. Peut-être même s'agit-il de son véritable prénom.
Ces mêmes journaux en ligne – qui portent si bien leur nom, eux – nous indiquent, avec le même impeccable ensemble, que Sylvain a été poignardé par un camarade. Un camarade. Ce que les mots veulent dire.
Quand on tranche plus ou moins la carotide à un camarade, on n'a pas droit à un prénom ; même pas à un faux. On est juste l'agresseur présumé. Ou encore le mis en cause. Pourquoi une telle pudeur ? On nous dira sans doute qu'il s'agit de protéger l'assassin présumé. D'abord, il ne doit pas l'être tellement, présumé, puisque son acte de camaraderie s'est produit au cours d'un atelier de plomberie, c'est-à-dire au vu et au su des autres élèves ; et que, par conséquent, la moitié au moins de la ville de Blaye doit savoir de qui il s'agit. D'autre part, en quoi le fait de donner son prénom le mettrait-il en danger ? En principe, à l'heure qu'il est, il doit être plutôt en détention qu'à traîner à la terrasse chauffée des bistrots de la ville, je suppose ; donc, hors de portée d'une éventuelle vengeance d'un ami ou parent de Sylvain qui, à son tour, se sentirait une poussée de camaraderie à son endroit. Pourtant, il n'a pas de prénom. Il est le mis en cause. Ce que les mots veulent dire, et ce qu'ils taisent.
On peut bien entendu imaginer encore deux ou trois autres raisons plus plausibles à cet anonymat unanime. Mais à quoi bon ? Les gens que la mort de Sylvain Tout-Court a atteints de plein fouet savent déjà à quoi et à qui s'en tenir, quant au mis en cause Sans-Prénom. Et ils vont avoir du temps pour méditer sur la notion de camaraderie.
dimanche 24 mars 2013
Sur le bord d'un étang bleu il y avait un âne…
Sans doute titillée par un démon farceur dominical, Suzanne fait remarquer à la blogueuse-sans-nom qu'elle a eu tort d'écrire : « C'est là où le bats blesse un peu », dans la mesure où l'orthographe correcte du mot employé est bât. (Elle aurait pu, d'un même mouvement, lui signaler que “là où” est un pur pléonasme et que “là que” aurait été pleinement satisfaisant, mais passons.) Avec cette amusante particularité psychique qui la caractérise – et fait les délices de ses lecteurs, dont votre serviteur –, au lieu de corriger simplement son erreur somme toutes anodine, la donzelle entre en crise de tétanie mentale ; puis, les membres agités de violents et incontrôlables soubresauts, répond ainsi à ce qu'elle considère visiblement comme un outrage (à part la mise en italique, j'ai respecté scrupuleusement la forme de ce qui suit) :
On ne va pas recommencer la dialectique du fond/ forme. C'est fatiguant. Bien entendu que chacun fait des fautes, on le sait.
Il n'empêche que je m'étonne qu'une personne aussi cultivée que vous puisse ne pas connaître l'orthographe "bats", qui est l'orthographe originale de bât ( vous ne savez pas que l'on a utilisé l'accent circonflexe afin de remplacer des "s" qui devenaient inutile, pas glissement linguistique de l'évolution de la langue?)
Ayant été très tôt en contact avec des textes dont on n'avait pas encore épuré la langue en la modernisant (du moyen-âge au XVIIIème siècle), j'ai donc dû employé cet orthographe sans m'en rendre compte.
Bast est devenu bats puis bât, définitivement.
Cela valait-il un commentaire de votre part?
Pardon d'avoir été un peu trop conservatrice dans mon emploi de ce mot, mais on va le conserver tel quel, histoire d'enrichir un peu tous les réacs qui viennent ici le nez bouché, un peu d'histoire du Français ne fait pas de mal, non?
Il n'empêche que je m'étonne qu'une personne aussi cultivée que vous puisse ne pas connaître l'orthographe "bats", qui est l'orthographe originale de bât ( vous ne savez pas que l'on a utilisé l'accent circonflexe afin de remplacer des "s" qui devenaient inutile, pas glissement linguistique de l'évolution de la langue?)
Ayant été très tôt en contact avec des textes dont on n'avait pas encore épuré la langue en la modernisant (du moyen-âge au XVIIIème siècle), j'ai donc dû employé cet orthographe sans m'en rendre compte.
Bast est devenu bats puis bât, définitivement.
Cela valait-il un commentaire de votre part?
Pardon d'avoir été un peu trop conservatrice dans mon emploi de ce mot, mais on va le conserver tel quel, histoire d'enrichir un peu tous les réacs qui viennent ici le nez bouché, un peu d'histoire du Français ne fait pas de mal, non?
Chaque ligne de ce commentaire est à savourer lentement et plusieurs fois, la dame s'y peint en pied et, ce faisant, atteint dans la cocasserie à l'irrésistible.
Que bât vienne de l'ancien bast, c'est en effet avéré. Sauf que, bien entendu, comme le veut le très banal “glissement linguistique de l'évolution de la langue”, on est passé directement de celui-ci à celui-là, sans passer par l'épisode du “s” sauteur auquel, dans sa rage d'auto-justification, la malheureuse nous demande de croire sur parole. Il va tout autant de soi que jamais un accent circonflexe n'est venu se substituer à un “s” qui ne suivait pas immédiatement la voyelle qu'il chapeaute (hospital ---> hôpital, maistre ---> maître, etc.)
On atteint presque au comique de Molière dans le paragraphe suivant, lorsque la femme savante se fait précieuse ridicule pour tenter de nous persuader qu'il lui arrive couramment, dans ses moments de moindre concentration et du fait d'une trop grande intimité avec elle, d'employer la langue du XVIIIe siècle : ce que c'est que d'être distraite et cultivée, tout de même…
Mais enfin, elle a raison : un peu d'histoire du français (sans majuscule initiale…) ne fait jamais de mal.
samedi 23 mars 2013
L'homme devrait bien devenir un loup pour l'homme
Livre passionnant que celui-ci, tout juste achevé. Il s'appelle Kamala, une louve dans ma famille. Son auteur, Pierre Jouventin, est un éthologue à la retraite, ex-directeur de recherches au CNRS. En 1975, jeune chercheur, il a rapporté chez lui, dans l'appartement montpelliérain qu'il partageait avec sa femme et leur fils de 10 ans, un louveteau femelle âgé de quelques jours ; ce, à l'encontre de tous ses principes d'éthologue, mais avec la double excuse que depuis son enfance sa femme rêvait d'élever un loup, et d'autre part que l'animal allait de toute façon être euthanasié, le zoo de Montpellier ne pouvant pas le garder. Kamala est morte accidentellement en 1980 ; mais, durant ces cinq années, elle a véritablement fait partie de cette “meute interspécifique” en quoi son arrivée a transformé la famille Jouventin. Cette expérience, riche et difficile, aboutirait forcément à des catastrophes si vous ou moi avions la fort mauvaise idée de la tenter ; mais, de par sa formation et son métier, Pierre Jouventin a su en faire une réussite féconde en enseignements que, trente ans plus tard, il a finalement rendus publics.
Si j'ai d'abord ouvert ce livre, ce fut dans l'idée d'y puiser un sujet d'article, je l'avoue, et non par un intérêt particulier et personnel pour son sujet. De fait, la partie anecdotique – la vie quotidienne en appartement urbain avec un loup –, qui ne constitue guère plus que le quart du volume, va m'en fournir un. Mais c'est tout le reste qui a été pour moi une découverte : l'étonnante proximité de mode de vie entre cet animal et l'homme, au moins l'homme primitif ; leurs similitudes de comportement, en particulier lors de la chasse ; les ressemblances entre leur meute et notre clan – tout cela faisant que, si l'homme reste génétiquement et morphologiquement proche des grands singes, il l'est bien davantage du loup d'un point de vue social. Les pages que Jouventin consacre à l'altruisme inné du loup – que seule la vie commune avec Kamala lui a permis de mettre pour la première fois en lumière – sont prodigieuses par ce qu'elles ouvrent de perspectives, mais aussi, d'un point de vue non scientifique, par la profonde rêverie qu'elles autorisent.
Le loup, animal capable d'entente, de stratégie complexe, de férocité envers les membres de meutes intrusives, mais aussi de sacrifice pour sauver un membre de son propre groupe, y compris un petit qui n'est pas le sien, puisque seul le couple dominant est autorisé à procréer : tout cela de manière innée, sans le secours de la culture qui fut nécessaire à l'homme pour parvenir au même résultat, de manière à la fois moins parfaite et plus fragile. Le loup qui, au départ – lorsque, venant du Nord, il s'est rencontré avec Homo sapiens montant du Sud –, avait tous les atouts pour sortir vainqueur de la confrontation, de la lutte pour les territoires et les proies, et qui a pourtant dû s'incliner. Par quel retournement ? Parce que l'homme a su domestiquer une partie de ses congénères et se servir ensuite de leurs capacités naturelles contre les loups restés loups ; on les a appelés les chiens.
Quant au loup, il est venu occuper dans l'imaginaire une place inévitable : celle de l'ancien rival, de l'ennemi dangereux, finalement vaincu et donc diabolisé, enténébré. Alors qu'il aurait été peut-être plus sage de s'en inspirer.
vendredi 22 mars 2013
On a fermé les restos du bec
Plus de maïs pour les tourterelles, remisée la cabane à graines de tournesol, disparues les noisettes dont s'engraissaient les deux pics épeiche. C'est à ce genre de détails que les oiseaux du Plessis comprennent que le printemps est arrivé : il va falloir se remettre au boulot si on veut becqueter. C'était hier que j'ai procédé au décrochage. Les autres fois, alors que verdiers, chardonnerets, pinsons, rouge-gorge et autres moineaux communs disparaissaient aussitôt, avec un fatalisme forçant l'admiration, les mésanges, elles, s'essayaient à nous fléchir durant les quelques jours suivants, nous contemplant fixement de leurs petits yeux que l'on s'imaginait larmoyants ; puis, elles caltaient à leur tour. Cette année, elles n'ont même pas eu recours à cette ultime supplique : si l'on a bien vu encore deux ou trois sautillants picorer au pied du cerisier ce matin – il fallait bien finir les restes –, dès cet après-midi l'arbre est redevenu désert, de disert qu'il fut tout l'hiver. J'ai bien tenté de me ragaillardir en me disant que tout ce petit monde n'allait pas tarder à forniquer joyeusement et en modulant comme des furieux, j'ai néanmoins ressenti comme une pointe de mélancolie désabusée. C'est vrai, tout de même : des gens que l'on a nourris une saison entière, et qui partent comme ça, sans même se retourner, sans un battement d'aile plus haut que l'autre…
jeudi 21 mars 2013
mercredi 20 mars 2013
mardi 19 mars 2013
Putain ! Déjà la Moselle ?
Département 57 : j'y ai mis le pied il y a tout juste soixante minutes. Car ma mère a eu cette admirable prescience de me lâcher au monde pile à l'heure du pastis et des cacahuètes qui niquent les dents. La seule chose qui me console de quitter la Bretagne pour les marches de l'Est, c'est que je suis bien certain, au moins, de n'atteindre jamais la Seine-Saint-Denis. Déjà la Seine-Maritime, même en étant dans l'Eure…
Le retour de la bête immonde norvégienne
Au hasard de mon zapping-dodo, hier, je suis tombé sur les vingt dernières minutes de Dead Snow, film dont mon esprit embrumé par les vapeurs méphitiques de l'eau plate a cru devoir se souvenir que j'avais déjà parlé ici. Et en effet, j'avais. Tenez :
Le film est norvégien, ce que n'indique pas son titre : Dead snow.
Chez nous, il est sorti directement en vidéo, on se demande bien
pourquoi. Le pitch est d'un classicisme de bon aloi : un groupe de huit
étudiants en médecine norvégiens – quatre garçons et quatre filles,
comme le veut le genre – décide de passer quelques jours dans un chalet
construit au milieu de nulle part, avec de la neige tout autour. Sur
place, ils vont être pourchassés (oui, ils seront pourchassés sur place :
ne commencez pas…) et massacrés par des zombis nazis, qui ont été
victimes d'une malédiction et sont là à se faire chier depuis 1942. De
plus, ils ont paumé leur butin – car les Allemands, et plus spécialement
les Allemands nazis, ont presque toujours un butin, il faut le savoir.
Je
ne vous dirai pas grand-chose de la malédiction en question, car j'ai
pris l'œuvre un gros quart d'heure après son début. Quand je suis
arrivé, c'était le soir (dans le film). Les jeunes citadins – dont
personne ne songerait sérieusement une seconde qu'ils puissent faire des
études de médecine, ni aucune autre d'ailleurs – étaient donc dans le
chalet, en compagnie d'un vieux bonhomme qui leur racontait ce qui
s'était passé en 42 et comment les villageois avaient poursuivi les
nazis, perdu leur trace dans la montagne et jamais retrouvé les corps.
Si bien qu'ils considéraient le coin comme maudit, ce qui est
profondément logique : quand des types se paument dans la montagne par
moins trente et qu'on ne retrouve pas leurs corps, la montagne devient
automatiquement maudite. Un peu plus tard, on reverra le vieux bonhomme
seul sous une petite tente (qu'est-ce qu'il fout là, tout seul, dans
cette région maudite ? Mystère.), où il ne tardera pas à se faire
éviscérer par un monstre qui restera hors champ (le réalisateur ne brûle
pas toutes ses cartouches dans la première demi-heure).
Ensuite,
on passe au lendemain matin. L'un des étudiants, le beau gosse, décide
de partir à scooter des neiges à la recherche de Sara, qui aurait dû
être là mais qu'est pas là. Je ne sais d'ailleurs pas pourquoi elle
n'est pas là : on a dû le dire au moment où je suis allé pisser et
ouvrir la porte au chat. Bref, il s'en va, et après c'est directement le
soir ; les journées sont courtes, en Norvège profonde. Dans le chalet,
les étudiants s'amusent bien. Le blagueur fait des blagues, les filles
ricanent, la plus sage des trois (n'oubliez pas que Sara, la quatrième,
n'est pas là) proteste vaguement quand le blagueur dit “bite” ou “caca”.
Les autres lui disent qu'elle est hyper coincée.
Et,
justement, le gros lard de la bande déclare qu'il doit aller faire
caca. Il met son anorak fourré (il fait vachement froid, c'est la
Norvège) et sort pour se rendre à la cabane au fond du jardin, où sont
les chiottes. Il coule son bronze, suppose-t-on, puisqu'on le voit
s'essuyer le fondement avec deux feuilles du rouleau qui se trouvait là.
Là-dessus arrive Chris, qui malgré son prénom est une fille et même une
blonde. Elle a envie de se taper le gros lard et elle l'enfourche.
L'autre a l'air un peu surpris (nous itou) mais il laisse faire. Le
comble de l'érotisme est atteint lorsque Chris s'empare de la main avec
laquelle le gros vient de se torcher consciencieusement et lui lèche
amoureusement les doigts. Je sais bien que des petits plaisirs de chacun
on ne doit pas discuter, du moment qu'ils se déroulent entre adultes
consentants, mais tout de même.
Lorsqu'il
a virgulé son bonheur, le gros lard abandonne sa petite camarade – qui
en profite pour se soulager à son tour – et revient au chalet en
arborant une mine faraude. Là-dessus, il décide qu'il a soif et passe
dans la pièce voisine se chercher une bière sous le plancher. (Oui, dans
les chalets norvégiens, on range les bières sous le plancher.) Et là,
il découvre quoi ? Le butin. Celui-ci consiste en une petite boîte en
bois où une gamine de huit ans ne parviendrait même pas à loger sa paire
de sandales de plage. Elle contient deux poignées de pièces d'or à tout
péter. Même le président Hollande n'arriverait pas à embaucher une
demi-douzaine de fonctionnaires supplémentaires avec ça. En fait, on
comprendra trois quarts d'heure plus tard que c'est sûrement la boîte le
vrai trésor car elle est magique : le dernier survivant la retrouvera
parfaitement intacte au milieu des restes fumants et calcinés du chalet.
En plus des V1 et des fours géants, les nazis avaient donc inventé le
bois ignifugé pour leurs boîtes-à-butin.
Dans
l'intervalle, Chris, la pisseuse de la cabane au fond du jardin, s'est
fait à son tour éventrer par un zombi nazi, que l'on a cette fois aperçu
entre les planches judicieusement disjointes – le réalisateur distille
ses effets. Quant au beau gosse, après avoir crié “Sara ! Sara !” à tous
les vents une bonne douzaine de fois, il s'est éloigné de son scooter
de quelques pas, juste le temps de tomber dans une grotte qui était
cachée sous la neige ; il se fait très mal au dos. Le temps qu'il
récupère, on revient dans le chalet ; les zombis nazis donnent l'assaut,
en passant leurs bras à travers les rondins des murs comme si c'était
du papier japonais. C'est la panique chez les étudiants : les garçons
coupent des mains avec ce qu'ils trouvent de plus aiguisé, les filles
hurlent et se font attraper par les cheveux. Il y en a un ou deux qui
meurent, démembrés, éviscérés, décapités, et toutes ces sortes de
choses. Le gros lard notamment ne passe pas la nuit : il est alpagué par
les verts-de-gris, qui le mettent en pièces et l'emportent. Le blagueur
dit qu'ils auraient mieux fait de choisir une plage au soleil pour
leurs vacances, mais personne ne rit.
Comme
le film dure depuis déjà trois quarts d'heure et qu'il n'en peut plus
de la profonde connerie des étudiants, le spectateur avachi commence à
trouver les zombis nazis plutôt sympathiques (ceux qui me veulent du
bien diront que c'est en raison de leur zombisme, les autres insinueront
que c'est plutôt leur côté nazi qui a provoqué ma coupable faiblesse à
leur endroit). Au moment où on se dit que les zombis nazis ne peuvent
que terminer rapidement l'affaire, tant leur supériorité féroce est
évidente, ils abandonnent et rentrent chez eux – le réalisateur s'est
aperçu qu'il avait encore quarante minutes de bobine à tourner ; et il
fait jour.
Il
reste donc quatre étudiants dans le chalet, deux garçons et deux filles
– normal. D'un côté le raisonneur de la bande et un petit gars pas très
bien caractérisé, de l'autre une blonde et la seule brune du groupe.
Cette dernière est d'ailleurs l'unique élément vraiment horrifique du
film, dans la mesure où elle ressemble étrangement à Cécile Duflot :
même regard vide, même sourire de démente light ; ce n'est sûrement pas un hasard si elle se fait massacrer en dernier.
Après
une intense réflexion partagée, nos quatre survivants en arrivent à la
puissante conclusion suivante : « Il faut qu'on fasse quelque chose. »
C'est le raisonneur qui trouve l'idée : les filles vont partir en
courant chercher du secours, pendant que l'indéfini et lui-même feront
diversion. En effet, on voit Cécile Duflot et sa camarade partir en
courant dans la neige. Puis, juste après, les deux garçons tapant sur
des casseroles et traitant les zombis nazis de pédés dégonflés pour
essayer d'attirer leur attention : c'est un grand moment. Plan de coupe
sur les deux filles qui s'arrêtent de courir, très essoufflées. La
blonde : « Tu sais où on est ? » Cécile : « Non… ». On se dit que les
secours ne sont pas près d'arriver.
Entre
temps le beau gosse a réussi à s'extraire de sa grotte (en grimaçant
parce qu'il a mal). Mais, avant, il l'a un peu explorée. Il y a trouvé
un drapeau nazi, une tête à demi momifiée posée dans un coin, et surtout
des armes en parfait état de marche. Bref, il se retrouve à l'air libre
et constate qu'il fait plutôt beau. Sauf que, là, plein de zombis nazis
se mettent à sortir de la neige, comme des marmottes sentant le
printemps. Le beau gosse décide que ça suffit les conneries et il se
transforme en super Rambo, réduisant les zombis nazis en chair à
saucisse comme s'il s'agissait de vulgaires vietcongs. On est toujours
sans nouvelles de Sara, cela dit.
De
leur côté, le raisonneur et l'autre ont dû suivre la même évolution
spirituelle que le beau gosse, car ils se mettent eux aussi à engager le
combat avec les zombis nazis qui sortent de la neige, à coups de
marteau, de pelle et surtout grâce à une tronçonneuse électrique qui se
trouvait là à point nommé. Pendant ce temps, les filles se sont remises à
courir. La blonde ne tarde pas à mourir, ses intestins entortillés
autour du tronc d'un bouleau. C'est alors que Cécile a une idée de génie
: pour que les zombis nazis ne la voient pas, elle grimpe dans un
bouleau. Pas con, sauf que, là-haut, elle tombe nez à nez avec un nid de
corbeau garni de trois œufs (les piafs norvégiens sont capables de
pondre des œufs par moins trente, oui). Du coup, la corbote, pensant que
Cécile envisage de bouloter sa progéniture en devenir, se met à faire
un raffut de tous les diables ; et les zombis nazis lèvent la tête.
Comme Cécile est vêtue d'une robe d'un rouge pétant, ils la repèrent
facilement. Un peu pressé par le temps, le réalisateur ni le scénariste
ne nous expliquent comment elle fait pour redescendre de son arbre et
leur échapper. Toujours est-il qu'elle finit par rejoindre le raisonneur
et l'autre (toujours occupés à massacrer du zombi nazi), mais c'est
pour mourir juste à son arrivée, en crachant des litres de sang.
Là-dessus déboule le beau gosse sur son scooter, auquel il a adjoint une
mitrailleuse flambant neuve. Il massacre tous les zombis nazis, mais il
en sort d'autres de la neige, toujours plus, c'est dingue. En outre,
maintenant, il y a un standartenführer coiffé d'une casquette
elle aussi flambant neuve (les nazis étaient très soigneux de leurs
affaires), qui coordonne tout son petit monde et fait surgir des
bataillons entiers de la neige. Si bien qu'à un moment, il ne reste plus
que le raisonneur et cent cinquante zombis nazis bavant l'hémoglobine à
qui mieux mieux.
C'est
alors que le raisonneur a une idée (c'est son emploi) : il se précipite
dans les décombres du chalet (auquel le blagueur, une demi-heure plus
tôt, a foutu le feu par erreur), trouve la boîte-à-butin et la tend au standartenführer.
Lequel a l'air tout content d'avoir récupéré son butin, mais avec son
maquillage c'est difficile à savoir. Toujours est-il que le raisonneur,
en courant vite, réussit à rejoindre les deux voitures dans lesquelles
toute la bande est arrivée jusqu'ici, et qui sont garées à une petite
centaine de mètres du chalet. J'ai oublié de dire que, depuis une
dizaine de minutes, il lui manque la moitié du bras droit : il se l'est
découpé lui-même avec la tronçonneuse – en grimaçant horrible tellement
ça fait mal –, parce qu'il venait d'être mordu par un zombi nazi et
qu'il ne voulait pas devenir un zombi nazi par contamination ; il
connaît ses classiques. Quant au beau gosse, pas longtemps avant de
mourir, il était parvenu à se recoudre lui-même la carotide avec un
hameçon et du fil de pêcheur, sans même se regarder dans le rétroviseur
de son scooter.
Donc,
le raisonneur grimpe dans l'une des deux bagnoles, celle dont il a la
clé. Son premier travail consiste, malgré son bras en moins, à attacher
sa ceinture de sécurité ; ce serait tout de même dommage de mourir
bêtement dans une collision routière, c'est vrai. Au moment où il va
mettre le contact, qu'est-ce qu'il découvre à ses pieds ? Une pièce
d'or. Celle que, une heure plus tôt, il a piquée dans la boîte-à-butin.
Il s'exclame “shit !” en norvégien, parce qu'il comprend que le standartenführer
va être fürieux quand il constatera qu'il manque une pièce dans son
butin. Effectivement, le voilà qui s'encadre dans la vitre de la
portière, et la fait exploser d'un coup de poing.
Fin du film.
Et toujours aucune nouvelle de Sara.
lundi 18 mars 2013
Et puis ça rotative
Il y a une trentaine d'années, alors que mon ami Bernard lui faisait remarquer gentiment que les plats qu'il nous avait servis n'étaient vraiment pas fameux, le garçon de ce restaurant parisien où nous étions en terrasse avait pris un temps assez long de réflexion, avant de lui répondre : « Peut-être, mais reconnaissez que c'est pas cher… »
dimanche 17 mars 2013
Névrosé de droite, psychotique de gauche
Lisant ce matin l'article d'un psychiatre, j'y tombai sur un paragraphe où il rappelait brièvement la différence entre névrose et psychose, centrée autour de la réalité et de notre adaptation à elle. L'auteur illustrait son propos ainsi : « le névrosé admet que deux plus deux égalent quatre mais c'est
insupportable ; le psychotique s’en affranchit en établissant que deux
plus deux égalent cinq. »
Il m'a semblé que cela s'appliquait parfaitement aux diverses réactions que l'on peut observer face à la question de l'immigration massive : les uns s'affolent de l'afflux négro-arabe, dont ils pensent qu'il va les tuer, et finissent par ne plus voir rien d'autre ; les autres, transplantés à la Goutte d'Or ou dans les quartiers nord de Marseille, affirment que rien n'a changé et qu'ils ne voient que des Français autour d'eux. Pendant que tous s'agitent, en fond de tableau des infirmiers préparent les petites pilules roses pour tout le monde, avant l'extinction des feux.
À peine terminée cette édifiante lecture, je saute chez Jacques Étienne, et j'atterris à pieds joints sur ce billet, dans lequel il explique ses démêlés blogosphériques avec celle-dont-on cèle-le-nom, après qu'il a eu la témérité de vouloir persuader malignement la dame que, lors du dernier concile (et même des deux ou trois précédents…), les cardinaux étaient vêtus de rouge, alors que tout le monde sait, au sein de la clinique, qu'ils étaient en violet. Il s'est fait proprement renvoyer dans ses cordes, et c'est fort bien qu'il en soit ainsi : se moquer des psychotiques, ce n'est jamais très joli.
samedi 16 mars 2013
Fred Vargas ou le roman asilaire
Parce que ma mère l'a donné à Catherine lorsque nous nous sommes vus
récemment, je viens de lire le dernier roman de Fred Vargas, L'Armée furieuse.
« Il est plutôt mieux que les deux ou trois précédents, m'avait dit
Catherine en substance (j'avais personnellement abandonné l'auteur avant
le pénultième : Les Lieux incertains, ou quelque chose
d'approchant), mais la fin est grotesque. » Livre refermé, je la trouve
plutôt indulgente. Il est tout à fait exact que le coupable qui sort
dans les dernières pages du chapeau et surtout ses prétendues
motivations sont parfaitement ridicules et artificielles – ou l'un parce
que l'autre. On retrouve là le plus gros problème de Mme Vargas, ou si
l'on veut de ses lecteurs : cette fin qui s'effondre oblige à un coup
d'œil rétrospectif sur tout le roman, ce qui a pour conséquence de
montrer en pleine lumière ses défauts, et les faiblesses de l'auteur.
Les plus graves de celles-ci me semblent deux : la première est carence,
la seconde excès de richesse.
Contrairement à ce
qu'une lecture rapide, ou débutante, tend à faire croire, Fred Vargas
est dans l'incapacité de créer des personnages, c'est-à-dire des gens
“normaux”, semblant pris presque au hasard, dont elle s'attacherait
ensuite à nous donner de bonnes raisons de nous intéresser à eux, en
nous révélant ce qui se tient, se déroule, s'agite, fermente sous les
miroitements de leurs apparences. Comme elle ne sait pas le faire, elle
espère cacher ses manques en multipliant les phénomènes de cirque, les
attractions foraines, les originaux à lubie, etc. Cela étonne et amuse
dans les premiers chapitres – voire dans les deux ou trois premiers
romans, car elle ne manque pas d'habileté –, puis cela fatigue, agace et
enfin ennuie. Surtout, cela déréalise. On me dira que les
histoires qu'elle échafaude ne dénotent pas un grand souci de réalisme ;
c'est justement pour cela que les personnages qui y sont plongés
devraient être, eux, au plus près du réel. Nous reviendrons sur les
“intrigues”, restons encore un peu sur le personnel.
Cette
tendance à créer des marionnettes difformes est surtout devenue
flagrante lorsqu'elle s'est mise à doter son commissaire Adamsberg
(lui-même déjà forcé) d'une sorte de brigade ou d'embryon de
brigade : pas un seul être humain ordinaire en son sein, pas un flic un
tant soit peu reposant. On se dit rapidement qu'un tel synode de
frapadingues ne sera jamais en mesure de résoudre le moindre début
d'enquête et on aura raison. Le soupçon s'installe, alors, que nous ne
sommes pas en présence d'une brigade criminelle mais bien d'un petit
groupe d'aliénés dont la caractéristique commune est de se prendre pour
des policiers ; et on se met à guetter l'irruption dans le décor des
infirmiers chargés de distribuer les petites pilules du soir et de
rediriger tout le monde vers les chambres capitonnées.
L'auteur
profite de ce qu'elle nous a jeté entre les jambes des “héros” tous
parfaitement hors normes (on est moins loin qu'on ne pense des Marvel comics),
pour se laisser aller à trop de facilités – même en tenant compte du
fait que nous sommes dans de la littérature populaire –, faisant appel à
la surpuissance de l'un ou l'autre de ses super-Mario(nnettes) quand
elle a besoin de s'extraire d'une impasse scénaristique où elle s'est
elle-même fourrée par excès de complication, ivresse de toute-puissance.
Car
à cette incapacité à créer de véritables personnages vient s'ajouter un
goût malencontreusement prononcé, et davantage en vieillissant me
semble-t-il, pour les intrigues les plus tarabiscotées, les échafaudages
tellement savants qu'ils finissent par s'écrouler sous leur propre
sophistication : c'est l'excès de richesse dont je parlais en
commençant. La mécanique que Vargas met au point est si complexe, si
ramifiée, si précise dans le moindre effet de ses causes multiples qu'à
la fin, lorsque la clé lui est fournie, le lecteur est assommé par une
double déception. La première est que le ressort primordial lui semble
bien pauvre par rapport à la merveilleuse horloge que l'on a actionnée
devant lui durant plus de quatre cents pages ; la seconde correspond à
la certitude d'avoir été floué, dans la mesure où il comprend, là encore
rétrospectivement, que tout ce qu'on lui a raconté est rigoureusement
impossible, que le coupable – qui ne saurait, lui non plus être un
assassin ordinaire, mais toujours un esprit d'un diabolisme qui le fait
basculer dans l'irréel, un fantastique presque gothique – ne peut
pas avoir conçu et encore moins réalisé un plan aussi retors et
implacable ; en un mot, nous voyons avec une netteté cruelle qu'il n'est
pour rien dans tout cela, que c'est Mme Vargas qui, patiemment, sans
doute laborieusement, a tissé cette toile labyrinthique avant de
l'installer en son centre. Je sais bien que le polar n'est jamais
réaliste et qu'aucune des enquêtes que l'on y déroule ne pourrait avoir
un commencement d'existence dans le monde réel : n'importe quel
policier nous le confirmera, je pense. Mais il y faut tout de même
quelques points d'ancrage, et c'est justement ce que se et nous refuse
Fred Vargas. Si ses débuts de romans sont en général assez réussis, en
tout cas bluffant au sens propre du mot, ils basculent ensuite
dans la féérie, avec rebondissements en cascades, interventions
quasi-surnaturelles, sens de la divination illuminant brusquement
certaines figures, etc. C'est bien pourquoi, au moins dans ses trois ou
quatre derniers ouvrages, la fin est toujours un effondrement : c'est
qu'il s'agit, tout de même, de nous persuader tant bien que mal que tout
cela, cette surhumaine machinerie, a été monté rouage après rouage par
un simple mortel ; que, du coup, l'auteur est bien contraint de nous
faire apparaître comme un véritable génie du mal : c'est l'Ombre jaune
de Bob Morane distribuée en avatars finalement assez peu différents les
uns des autres, car rien n'est plus monotone et semblable à tous les
autres qu'un génie du mal.
Cela dit, je dois
reconnaître à Fred Vargas un certain sens du dialogue vif, efficace,
souvent drôle, même si elle a tendance à abuser du paradoxe. Si elle
parvient à s'astreindre à des histoires plus ramassées, moins
“esbroufe”, et à renoncer à ses originaux systématiques, elle
parviendra peut-être un jour à écrire un excellent roman. Mais alors,
elle sera devenue quelqu'un d'autre que Fred Vargas.
Fable hugolienne pour chauffagiste rural
Il y a une couple d'années, lorsqu'il s'est agi de changer les antiques radiateurs de notre coquet logis, nous avons un temps hésité : devions-nous profiter de l'occasion pour mettre à la retraite notre chaudière à fuel (désolé mais je suis allergique au fioul…) et opter résolument pour des radiateurs électriques ? Finalement, nous glissâmes vers le moindre effort en restant fidèles au pétrole raffiné. Mais lorsque, quelques mois plus tard, la société Gruchy, de Pacy-sur-Eure, délégua l'un de ses employés pour qu'il vînt remplir la cuve, et qu'il nous présenta la facture, gaillardement à la hausse par rapport à l'année précédente, nous comprîmes, marris, que nous eussions mieux fait de nous brancher sur l'alternatif.
Moralité : Il dit : Gruchy ! – C'était plus cher.
vendredi 15 mars 2013
Levallois ! Oasis de calme et de beauté ! (billet dolent)
Dieu la pénible journée que ce fut ! J'ai commencé par m'éveiller
mi-irrité, mi-accablé, uniquement en pensant à la somme d'activités plus
ou moins stupides auxquelles j'allais devoir me livrer d'ici demain
soir. Aujourd'hui :
– faire la vaisselle d'hier soir,
– mettre un lavage (de “blanc”) en route,
–
lecture avec prise de notes d'une quarantaine de pages d'un livre,
réparties en autant de pdf distincts, en vue d'un article pour Enquêtes,
– descendre au Super U afin d'y acquérir les diverses denrées qui y manquaient hier, pour cause d'épisode neigeux,
– prolonger jusqu'à Pacy pour le pain,
– téléphoner à Étienne T. afin de convenir avec lui d'un plan pour l'article sus-mentionné,
– passer l'aspirateur,
– vider la machine à laver et étendre le linge propre,
– nourrir les chiens,
–
pester après l'infirmière de Catherine, en se disant qu'elle allait
trouver le moyen d'arriver suffisamment tard pour pourrir notre dîner –
ce qu'elle n'a pas manqué de faire,
– ne pas prendre l'apéritif.
Et demain :
– faire la vaisselle de ce soir,
– mettre un autre lavage (“couleurs”) en route,
– retourner au Super U pour y acheter les produits que j'ai probablement oubliés aujourd'hui,
– le pain,
– pousser jusqu'à la route de Paris, afin d'y récupérer la tondeuse à gazon,
–
penser à remettre d'aplomb les sièges arrière de la voiture, abaissés
afin de pouvoir faire tenir l'engin précité dans le coffre,
– pester contre ces fucking sièges qui refusent de condescendre à l'opération,
– jurer parce qu'on a évidemment mis, ce faisant, le pied dans une merde de chien,
– ramasser les innombrables merdes de chiens qui jonchent le jardin,
– écrire l'article pour Enquêtes,
– plier le linge sec qui se trouvera depuis la veille sur le séchoir du sous-sol,
– vider la machine et étendre le linge humide sur le séchoir fraîchement libéré,
– nourrir les chiens,
– pester après l'infirmière qui…
– ne pas prendre l'apéritif.
Et, a priori, on ne voit pas pourquoi les choses iraient mieux dimanche. Vivement Levallois…
mardi 12 mars 2013
Qui donc réparera l'âme des amants tristes ?
Qu'est-ce qui fait que, gravé sur disque, un tour de chant est réussi ou raté ? Faisceau de raisons, dont certaines ne sont nullement imputables au chanteur. Par exemple, ce qui nous reste de l'Olympia 58 de Piaf est superbe parce que nous sommes réellement au milieu de la salle en question ; alors que les enregistrements de 1955 et 1956 donnent l'impression d'avoir été faits dans un cabaret miteux de cinquante places. Évidemment, Piaf n'y est pour rien.
Cette raison joue aussi pour la terrible différence qui s'entend entre le Bobino 69 et le Récital 73 de Léo Ferré. D'abord, précisons que ce qui est actuellement disponible sous ce nom, Récital 73, n'a rien à voir avec le double disque “noir” commercialisé en cette même année 1973, sous le titre Seul en scène, comme je l'ai rappelé il y a quelques jours, et qui avait été intégralement enregistré à l'Olympia le 11 novembre 1972 : le disque – plus complet, certes – qui est proposé désormais est un bidouillage entre plusieurs tours de chant : cinq chansons prises à Genève tel jour, huit autres recueillies à Lyon tel autre, etc.
Toutes ces prises ont un point commun, qui les oppose à Bobino 69 : la voix de Ferré est trop “en avant” par rapport au piano de Castanier, ce qui donne l'impression pénible qu'ils n'ont jamais été ensemble au même moment, mais que l'on a affaire à une sorte de raboutage assez maladroit. Là encore, on peut estimer que le chanteur n'est pas responsable. (D'autant que le double CD dont je parle n'est sorti que bien après sa mort, sous l'autorité de son fils, Matthieu, qui semble avoir à cœur de racler les fonds de tiroirs pour faire tourner la boutique : les fils d'anarchiste peuvent avoir le sens du commerce – on est toujours trahi par ses enfants…)
Mais enfin, dans le cas de Ferré, il n'y a pas que ça. Entre 1969 et 1973, sa voix a commencé de s'effondrer. (Non, c'est un peu fort. Disons : de se lézarder.) Ce qui l'a conduit à accélérer les tempos, à expédier ses chansons – un peu comme ces cinéastes actuels qui, incapables de construire un plan, pensent cacher la merde au chat par un montage épileptique. Sa voix refluant, Ferré s'interdit le chant. Dans ce récital de 1973, il massacre ainsi un certain nombre de ses chansons anciennes (il le fait moins avec celles qui sont contemporaines, étrangement ; il donne même une belle version de Marie, d'Apollinaire, enregistrée en studio l'année précédente, et celle d'Avec le temps est très bien aussi – mais il bousille impitoyablement Vitrines, bonne chanson des années cinquante), en espérant, apparemment, que nul ne s'apercevra, par son galop, qu'il chante moins, et moins bien.
Il y a évidemment quelque chose de triste dans tout cela. Il n'est pas agréable, en quatre ans, d'entendre une chanson devenir sa propre caricature, et par son auteur même. Mais le blogueur attristé de 2013 sait que ce n'est encore rien, parce qu'il connaît l'avenir de ce passé : la mort de Léo Ferré, vers 1975 ou 76, noyé dans les insipides sirops des orchestres symphoniques qu'il s'est mis en tête de diriger et que son petit talent est incapable de soutenir ; ces textes de plus en plus longs et abscons, débités de façon mécanique et tristement déclamatoire ; cette voix qui, certes, ne perd rien dans les aigus mais se retrouve privée de toute ampleur, de la moindre profondeur, semblant sortir de l'avant-gorge et non plus de la poitrine ; cette façon “clin d'œil” de se comporter sur scène, tel un Semoun, voire un Debouzze – un comique ; et malgré tout le souvenir de ce qu'il a été, et il en joue, et dont on est quelques-uns à s'attrister.
Adieu, Léo. Depuis longtemps. Mais à la prochaine, quand même.
lundi 11 mars 2013
micmac, méli-mélo et embrouillamini
N'ayant pas, ces jours-ci, la tête à des lectures nouvelles, j'ai repris le Répertoire des délicatesses du français contemporain de Renaud Camus. Je me suis arrêté sur l'article qu'il consacre au mot “imbroglio”. Camus commence bien entendu par rappeler qu'en italien le g disparaît à la prononciation et que, de même que l'on devrait parler du peintre Modiliani, il conviendrait de dire imbrolio. Mais il ajoute :
« Ce mot est parmi nous depuis si longtemps (on le relève chez Bossuet) qu'on est bien excusable de le traiter comme un Français. On montre seulement, ce faisant, qu'on ne sait pas l'italien (à moins qu'on ne soit d'une rare délicatesse, et que l'on cache ses connaissances linguistiques). »
Je vois pour ma part deux autres raisons pour prononcer imbroglio à la française, qui ne s'excluent pas l'une l'autre. La première est de se donner l'assurance que l'on sera compris en l'employant, que le mot sera bien identifié par celui à qui l'on s'adresse. Car il y a assez loin, auditivement, entre les deux prononciations : non seulement le son “g” n'est plus perçu, mais d'im-bro-lio à imbro-gli-io le mot se rallonge d'une syllabe par doublement du i.
La seconde raison est que, de toute façon, nous ne prononcerons pas le mot comme les Italiens le font ; lorsque nous produisons quelque chose qui pourrait être noté imbroliò, eux diront probablement imebròlio, en faisant entendre l'i initial et le m qui le suit, en roulant le r et en déplaçant l'accent tonique de la dernière syllabe à la seconde.
Il est d'ailleurs heureux qu'il en soit ainsi : je trouve peu de choses plus disgracieuses que ces prononciations étrangères intercalées brutalement dans une phrase française. C'est par exemple une manie pénible qu'ont les Québécois dès que surgit dans leur propos un mot ou un nom anglo-saxon, systématiquement prononcé à l'américaine. (De leur côté, il se moquent copieusement de nous lorsqu'ils nous entendent évoquer notre récent séjour à Nouillorque ou à Lausse Angélesse.)
Je pencherais donc assez nettement pour une prononciation française assumée et massive. Sauf, bien sûr, s'il s'agit de moucher un cuistre prétendant par ailleurs vous donner des leçons de ceci ou de cela.
dimanche 10 mars 2013
Midi le juste
À plusieurs reprises, dans tel de ses livres et tel autre, Renaud Camus a noté que les gens qui disaient “ce midi” plutôt que “à midi” signaient par là même leur appartenance à cette petite-bourgeoisie dont il dit qu'elle occupe désormais tout l'espace de nos sociétés, ne concevant ni n'admettant rien en dehors d'elle – et surtout pas ce qui pourrait encore tenter de se faire passer pour une classe cultivée. Il y revient encore dans ses Inhéritiers, ouvrage majeur me semble-t-il, et formant le dernier panneau d'un triptyque commencé avec La Grande Déculturation puis Décivilisation. Les Inhéritiers peuvent être lus en ligne, après avoir versé sa modeste obole à l'auteur…
Cela posé, revenons à ce fameux midi. Si la remarque de Camus est fondée syntactiquement – midi étant une heure de la journée, il convient bien de dire à midi… –, elle me paraît pourtant contestable, ne serait-ce que si on s'adosse au Cimetière marin de Valéry, dans lequel il est question de Midi le juste. C'est surtout que midi a cessé d'être une heure, en tout cas de n'être que cela, pour devenir le raccourci de “la pause que l'on s'accorde au moment du déjeuner”. Il ne me choque donc pas que l'on en vienne à parler d'un midi, et par conséquent de ce midi.
D'autant que m'amusent assez les particularismes, que je suppose régionaux, qui font varier de façon inattendue les manières de l'évoquer. Ainsi, ma mère, qui par ailleurs parle un français que pourraient lui jalouser 90 % des bacheliers du jour, ma mère dira facilement qu'elle a fait telle chose pendant midi ; la femme d'un ami, dont je crois qu'elle est lorraine, la fera, cette chose, entre midi ; pour ce qui est de la mienne, d'épouse, elle accomplira la même besogne sur l'heure du midi, ce qui est pousser le bouchon un peu avant, mais on supposera que cette biscornue locution a été par elle rapportée du Québec.
Quant à moi, pour obvier à ces chausse-trapes, j'ai pris la saine habitude de ne strictement rien faire et de me tenir coi, approximativement entre onze et trois heures.
samedi 9 mars 2013
Redevenir des cosaques zaporogues
Dans la première moitié de La Chanson du mal-aimé surgissent soudain les cosaques zaporogues, Ivrognes pieux et larrons, par-dessus tout fidèles Aux steppes et au Décalogue. Ils viennent de recevoir une lettre du très-puissant sultan de Constantinople qui leur dit :
Portez comme un joug le Croissant
Qu'interrogent les astrologues
Je suis le Sultan tout-puissant
O mes Cosaques Zaporogues
Votre Seigneur éblouissant
Qu'interrogent les astrologues
Je suis le Sultan tout-puissant
O mes Cosaques Zaporogues
Votre Seigneur éblouissant
À la suite de quoi, le sultan (je lui refuse la majuscule que lui accorde le poète : il n'y a pas de petites victoires…), les prie, d'une manière aussi menaçante qu'onctueuse en surface, de devenir ses sujets fidèles. Immédiatement, ces ivrognes pieux et larrons écrivent une lettre à cet Important (et, là, je lui inflige sa majuscule). Ils lui disent :
Plus criminel que Barrabas
Cornu comme les mauvais anges
Quel Belzébuth es-tu là-bas
Nourri d'immondice et de fange
Nous n'irons pas à tes sabbats
Poisson pourri de Salonique
Long collier des sommeils affreux
D'yeux arrachés à coup de pique
Ta mère fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique
Bourreau de Podolie Amant
Des plaies des ulcères des croûtes
Groin de cochon cul de jument
Tes richesses garde-les toutes
Pour payer tes médicaments
Cornu comme les mauvais anges
Quel Belzébuth es-tu là-bas
Nourri d'immondice et de fange
Nous n'irons pas à tes sabbats
Poisson pourri de Salonique
Long collier des sommeils affreux
D'yeux arrachés à coup de pique
Ta mère fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique
Bourreau de Podolie Amant
Des plaies des ulcères des croûtes
Groin de cochon cul de jument
Tes richesses garde-les toutes
Pour payer tes médicaments
Pour apprendre à s'adresser aux foules musulmanes locales, à leurs associations et prédicateurs : relire Apollinaire.
vendredi 8 mars 2013
Une pipe, un chat et deux ou trois poètes
Puisque Ferré s'est mis à chanter Baudelaire, je me suis bourré une pipe à tête de chat.
Et, par ailleurs, ce vers d'Apollinaire : « C'était son regard d'inhumaine », a quelque chose de baudelairien – ou bien je suis stupide et sourd, ce qui n'est pas à exclure.
Et ma pipe à tête de chat est vachement lourde entre les dents, mais je ne vois pas trop où la mettre ailleurs.
Les chercheuses de poux et l'armée des morts
Chaque fois que quelqu'un lit Les Chercheuses de poux, ou l'écoute chanté par Ferré, simplement se le remémore, il ne réveille pas seulement Rimbaud, il ressuscite aussi Léautaud qui a dit tout le bien qu'il pensait de ce poème dans ses entretiens radiophoniques avec Robert Mallet, en 1950. Et encore, on ne sait pas : on tire peut-être du néant deux ou trois autres, davantage, dont on n'a pas connaissance, ni même l'idée. Et c'est heureux : il faut autant que possible faire sortir les morts de leur glaise oublieuse, c'est notre seule arme face aux décérébrés tintamarrins qui ont pris le contrôle du monde, notre forme de résistance ; comme elle fut celle des moines haut-médiévaux dans les salles en voûte qui résonnaient de leurs silences, de leur patience.
Il devient vital d'être élitiste et intransigeant. Au temps où l'on peut être docteur en ceci ou en autre chose tout en restant strictement inculte, il importe de relire, de relier, mais en prenant garde de n'être docteur en rien – tourner le dos. Bientôt, je le fais, écrire ce que j'écris en écoutant la sonate D 960 passera pour un acte de maquis – suspect. Nous resterons quelques abstraits, comme chantait Ferré. Ah ! ça, pour être abstraits…
D'un mot, nous n'avons plus rien à perdre, puisque tout est déjà perdu. Donc, élitiste et intransigeant. Prendre date, cette posture des vaincus. Ne rien céder puisqu'on ne nous demande rien, ignorer les rires et les bravos mécaniques. Laisser le monde couler comme un camembert épuisé, en sauvant à part soi quelques rebords de croûte. La résistance de la croûte : c'est nous.
Relire Les Chercheuses de poux, ou autre chose ; faire se lever l'armée des morts.
Vous les filles
La chanson s'est d'abord appelée Nous les filles, car elle avait été écrite pour Catherine Sauvage, qui en effet l'a chantée. Lorsque Ferré l'a reprise lui-même, sur la scène de l'Alhambra en 1960, il l'a évidemment adaptée. Pour cette journée du 8 mars, elle s'imposait. On peut l'écouter ici.
{Refrain:}
Vous, les souris, les pin-up, les en-cas
Vous qu´on appelle les filles
Dames de la haute et vous, celles d´en bas
Vous êtes d´ la même famille
Ramène ton bas
Sinon ton marlou t´astiquera
Sinon ton duc t´épousera pas
Sinon ton...
Écoutez-moi!
Filles, garez-vous des gigolos
Ils sont là pour becqueter vot´ peau
Et tous ces caves qui font l´ gros dos
Qu´ils aillent tout seuls à leur dodo!
On a beau connaître la musique
Y a pas moyen, faut qu´on y r´pique
Y a d´ quoi pleurer des larmes de bois
Y a d´ quoi s´ tirer quand on voit ça
- Hé, les frangines! Que cherchez-vous?
- On cherche un homme, en voyez-vous?
{au Refrain}
Change donc d´emploi
Sinon ton homme, y t´ f´ra la loi
Sinon ton jules, y s´ fout´ra d´ toi
Sinon ton...
Écoutez-moi!
Filles, garez-vous, v´là les maris
Ils sont là pour becqueter vot´ vie
Si y a pas d´ pèze, y a des berceaux
Si y a pas d´ fringues, y a du tricot
Pour le meilleur et pour le pire
La prochaine fois, faudra leur dire
T´as plus qu´à pleurer, t´as pas l´ choix
Tu veux d´ l´amour, eh ben, en v´là!
- Hé, les frangines! Que faites-vous là?
- On cherche un homme, on n´en voit pas
{au Refrain}
Passe à tribord
Sinon ton jules, y t´ f´ra du tort
Sinon ton homme, y t´ f´ra des r´mords
Sinon ton...
Qu´est-ce qu´ils sont forts!
Filles, garez-vous, v´là les corbeaux
Ils sont là pour becqueter vot´ peau
Et vous, les mômes qui n´ savez pas
Ça s´apprend pas en une seule fois
Comme un Jésus sur son calvaire
T´as beau gueuler, y t´ f´ront bien taire
Faut pas pleurer pour ces conneries
Quand on est fille, c´est pour la vie
- Hé, les frangines! Où allez-vous?
Allez leur mettre la corde au cou!
Vous, les souris, les pin-up, les en-cas
Vous qu´on appelle les filles
Dames de la haute et vous, celles d´en bas
Restez donc en famille!
mercredi 6 mars 2013
Mon certificat, bouffon ! Sinon, je te ventile !
À Dominique, qui sait pourquoi, et à dxdiag pour le jeu…
Quand j'ai appris que, désormais, à Marseille (capitale européenne de la Culture, rappelons-le…), lorsqu'un patient était mécontent d'un certificat médical, il revenait armé d'une kalachnikov (mais c'est de la faute à la pauvreté, à l'exclusion, au racisme, au manque de bus, au réverbère cassé, à vous, à moi, au chat de la voisine qui aime la bonne cuisine…), je me suis précipité sur l'article, pour voir si par hasard Pluton ne se serait pas fait déchiqueter par le milieu, parce que ce salopard nauséabond n'aurait consenti qu'à douze jours d'arrêt de travail quand on lui en demandait vingt. Non, ouf ! ce n'était pas lui, cette fois-ci.
J'ai noté aussi que mes brillants confrères en journalie ne disaient rien, mais alors rien de rien, à propos du kalachnovien indigné. Venait-il du bâtiment A ? Du bloc B ? De la Cité des fleurs ? Dela résidence des musiciens ? Pas moyen de le savoir. J'en ai conçu un vague soupçon, le mot “kalachnikov” associé à “quartiers nord” ayant éveillé mon groin de porc truffier nauséabond. D'où le petit jeu dxdiaguien que je vous propose :
D'après vous, comment s'appelle le sympathique Marseillais qui a trouvé le moyen de faire comprendre à ce salaud de toubib, au moyen d'un instrument simple, qu'il ne fallait pas le prendre pour une fiote :
– Mustapha Ben Zobi
– Gontran de La Mothe-Fénelon
– Mamadou N'Golo
(Attention, il y a un piège, ami lecteur perspicace ! Réponse demain…)
Billet à la chandelle
Tous les amateurs de jazz vous le diront, il a deux sortes de trio (et sans parler d'Utrillo, ce qui compliquerait inutilement les choses) : le trio-Oscar Peterson (piano, basse, batterie) et le trio Nat King Cole (piano, basse, guitare). Ma préférence va au second, mais je ne tiens pas plus que ça à cette préférence et suis prêt à en changer, si besoin est.
De toute manière on s'en fout, puisque je voulais parler d'un troisième trio, celui qui accompagnait Léo Ferré à Bobino en 1958 : piano, accordéon et guitare. C'est absolument parfait. Si on met de côté la réapparition de Léo à Bobino dix ans plus tard, on est là au sommet de sa “discographie”. Et notez la malice : le pianiste du trio de 1958, c'est Paul Castanier, qui sera seul accompagnateur en 1969, pianiste aveugle et assez “bouboule” (si l'on en juge par la photo qui se trouvait à l'intérieur du double disque “noir” (on devrait, je suppose, dire “disque ethnique” pour complaire à Mamie R., cette obsédée des races…) que j'ai dû acheter vers 1971 ou 12, à Châteaudun, et usé jusqu'à la corde), qui réapparaîtra émacié et chevelu dans le double album de 1973 intitulé Seul en scène, ce qui n'était pas très sympathique pour ce même Castanier ; mais on peut supposer que, aveugle, il n'a jamais rien su de ce titre mufle, assez bien dans la manière de Ferré.
Ils se sont brouillés à mort au milieu de cette tournée 1973-74. À ma connaissance, ils ne se sont jamais revus avant de mourir – Castanier avant Ferré, ce qui est dans l'ordre des saloperies de la vie puisqu'il était le plus jeune des deux. Entretemps, Castanier – parce qu'il faut bien vivre, même quand on est aveugle – a accompagné d'autres chanteurs, des plus petits. Notamment un fantaisiste qui s'appelait Yvan Dautun (je ne garantis pas l'orthographe et n'ai nulle envie d'aller la vérifier), qui a eu ses douze minutes de gloire, en ces époques lointaines, avec une histoire de méduse qui faisait du vélo sur la plage de Saint-Malo. Je conserve cette image du Dautun, à la fin de son tour de chant, soucieux de n'être gêné par rien pour recevoir les acclamations de son public, brandissant sa guitare, pour qu'il l'en débarrasse, en direction de Paul Castanier, qui, ne la voyant pas, a eu toutes les peines du monde à l'attraper. Yvan Dautun, chanteur éphémère mais rigolo, est le père de Clémentine Autain : je n'en tire évidemment aucune conclusion, ça doit déjà être assez dur.
On vient de faire un large détour, par rapport à mon idée de départ. Dans mon trio magique, il avait aussi une guitare, souvenez-vous. Tenue par Barthélémy Rosso, accompagnateur de Georges Brassens dans les années suivantes : les six cordes supplémentaires de l'époque des Trompettes de la renommée, c'est lui. Accessoirement, avant, il avait joué avec Sidney Bechet, ce qui n'est pas rien car ce nègre-là n'était ni commode ni prêt à jouer avec n'importe qui. Rosso avait commencé avec Ferré pour une raison assez simple : ils étaient monégasques tous les deux. Mais des vrais, hein ! des “de souche”, pas des bougnoules milliardaires comme les Monégasques d'aujourd'hui, ni des nègres experts en blanchiment (d'argent). Tiens, à propos de monégasqueries, Léo avait commencé sa carrière, et même avant sa carrière, dès la fin des années trente, par mettre en musique un autre Monégasque, ami de son père : René Baër (1887-1962). La Chambre, c'est un peu précieux mais pas mal :
On m'a prêté quatre vieux murs
Pour y loger mes quatre membres
Et dans ce réduit très obscur
Je voulus installer ma chambre…
Et cette réjouissante Chanson du scaphandrier, joyeusement misogyne comme on n'oserait plus l'être (enfin, si : moi, il me semble que j'oserais très bien, si j'étais misogyne). Au dernier couplet, après avoir découvert mille merveilles dans les yeux et le cœur de la blonde (oui, déjà…) du narrateur, le scaphandrier, à sa demande, descend dans le cerveau de la malheureuse :
Il est descendu, descendu
Et dans les profondeurs du vide
Le scaphandrier s'est perdu
C'est facile, c'est jeune, ça pète la santé : il n'y a qu'à notre époque grise et pesante qu'on peut trouver des femmes pour ne pas rire de ce genre de “prout !” collégien. De pauvre filles traqueuses de “phobes”, qui nous ligoteront Ferré dans le camp dévoué aux misomachins. Et avec lui, cette libellule depuis longtemps évanouie de René Baër.
Mais qu'est-ce que je disais ? Où en étais-je ? Je ne sais plus même de quoi j'avais l'intention de parler en commençant : c'est justement là que ça devient intéressant d'écrire, de “faire un billet’, quand on a perdu sa propre trace. Ah, si, tout de même : j'avais pris trois notes manuscrites, ne pensant pas revenir sur cet ordinateur (qui est celui de Catherine : ça va être bourré de fautes de frappe, on n'est pas sorti) ; voyons ça…
Eh non : ce qui est noté dans le calepin a déjà été dit. Ah, si, tout de même : je voulais, avec mon histoire de trio, qu'on écoute ce disque superbe, le Bobino 58 de Léo. Au moins parce que, en son cœur, se trouve Pauvre Rutebeuf : qui, à part une poignée de médiévistes (salut, Rémi !) connaîtrait ce poète du XIIIe siècle, son existence même, si Ferré n'était pas passé ? Que sont mes amis devenus / Que j'avais de si près tenus ? : vous connaîtriez cette merveille, vous, si Léo n'était pas intervenu ? Moi non, probablement. Et ce serait bien regrettable.
Cela étant, j'ai beau me pressurer la cervelle comme un furieux, je ne trouve rien de rien à dire sur Jean Cardon, l'accordéoniste de mon trio ferréen.
lundi 4 mars 2013
Précipité moral en deux cents pages au format de poche
De manière générale je n'aime pas beaucoup les abréviations canailles, bien qu'il m'arrive d'en user dans certains cas bien précis. Ainsi ne vais-je jamais au cinoche (remarquez, voilà bien vingt ans que je ne vais plus au cinématographe non plus), je ne connais pas de musicos et, quittant quelqu'un, ne lui dis jamais À plus ! Il est un mot, pourtant, dont il serait à mon sens bien ennuyeux qu'il disparût (heureusement le risque est très faible), et c'est polar.
Je leur trouve deux grands mérites, à ces courtes syllabes. D'abord elles sont fort laides. Et justement, la chose qu'elles désignent l'est aussi, la plupart du temps. Ensuite, je trouve vertueux et honnête de sa part, en abandonnant son ancienne appellation de roman policier, que le polar se soit de lui-même déconnecté du roman, car il y avait tromperie sur la marchandise, en quelque sorte. Dans l'un de ses essais, Kundera, piètre romancier par ailleurs, surtout depuis qu'il écrit en français, a énoncé que le roman était “ce territoire où le jugement moral est suspendu”. Or, rien de plus moral que le polar, il n'est même à peu près que cela, c'est de la morale mise en phrases, mais qui se donne des airs de rébellion avec ses bourgeois obligatoirement pourris, ses politiciens toujours véreux, ses évêques pédophiles par essence, ses vertueux aux secrètes passions fascisantes, tous mis à bas finalement par le petit inspecteur désabusé et vaguement ivrogne mais animé d'une ténacité hors d'éloges et adossé, précisément, à cette morale en béton froid qui lui donne la force de balayer l'écurie et d'en dissiper les miasmes. On pourra toujours s'amuser à chercher les trois ou quatre contre-exemples nécessaires à la justification de cette règle.
C'est sans doute pour cette raison que, le plus souvent, les consommateurs de polar ne sont pas effleurés par la tentation d'aller voir ailleurs, du côté du roman par exemple : seule leur importe leur dose de moraline, pour peu que celle-ci se présente sous les espèces violentes et agitées à quoi ils sont accoutumés. Le polar est ce que lisent les gens qui ne lisent pas. De même l'on voit rarement un héroInomane décider du jour au lendemain de troquer sa seringue contre un flacon de grand bourgogne.
dimanche 3 mars 2013
Quand un Laurent en reçoit un autre…
Je n'ai pas, hier soir, regardé l'émission de Laurent Ruquier recevant Laurent Obertone. Pas eu le courage d'assister à ce que je pressentais. Georges, lui, l'a eu, ce courage. Il en a fait un billet magistral qui commence comme suit :
« Pauvre Obertone ! Il a été assez mauvais, il faut bien le reconnaître,
même si on ne lui jettera pas la pierre, car on est bien conscient de la
difficulté de l'exercice. Face à un Aymeric Caron bavant de haine, à
une Natacha-Polony-comment-il-est-mon-profil qui a montré, une fois de
plus, à quel monde elle souhaitait appartenir, et à tous les
semi-débiles présents sur le plateau du clown institutionnel, il n'avait
pratiquement aucune chance de s'en tirer. Les pour-qui-tu-roules et les
d'où-tu-parles ont été jetés en grêle depuis les mâchicoulis du
Spectacle sur celui qui n'émettait guère que des ultra-sons pianissimo,
il fallait s'y attendre, et jusqu'au : « Laurent Obertone, êtes-vous
utile à la société ? » (bis) du comique de service. Ces gens sont des
salopards de gros calibre. On a beau le savoir, ça fiche toujours un
coup au moral de toucher du doigt leur absence totale de morale. Chiens. »
Et on se prend, malgré son bon fond et son excellente nature, à souhaiter à tous ces satrapes de beaux petits cancers bien rapides et, si possible, douloureux.