mardi 29 août 2023

Un grand écrivain américain en voyage


 Pourquoi n'ai-je encore consacré aucun billet à Édith Wharton, l'un des plus remarquables écrivains américains du premier XXe siècle avec Henry James ? Mystère d'autant moins explicable que, sur la douzaine de romans que je possède d'elle, et que je relis en ce moment l'un après l'autre, huit ou neuf au moins sont absolument réussis : il y a des moments où je me déçois beaucoup…

En plus de son œuvre romanesque, Mrs Wharton a aussi écrit et publié son autobiographie, dont le titre français est : Les Chemins parcourus. Parce qu'elle avait beaucoup d'argent et la bougeotte, Edith Wharton n'a guère arrêté, avant sa vieillesse, de sillonner les continents. Parce qu'elle était supérieurement intelligente et cultivée, elle a rencontré, connu, fréquenté, tout ce que les pays qu'elle abordait avaient de mieux à lui offrir en matière de bipèdes des deux sexes. Est-elle en villégiature à Londres ? C'est pour s'entretenir autour d'un déjeuner ou d'un dîner avec Lord Balfour ou Edmund Gosse ou George Meredith ou Thomas Hardy, etc.

Vient-elle habiter quelques années à Paris ? C'est aussitôt tout le monde de Proust qui jaillit d'entre les pages… à l'exception de Proust lui-même, que Mrs Wharton évitera de rencontrer bien qu'elle en proclame le génie. C'est du reste par son truchement qu'Henry James pourra découvrir – et admirer – Du côté de chez Swann peu de temps avant sa mort en 1916. En revanche, elle se liera, à des degrés d'intimité variables, avec Gide, Cocteau, Jacques-Émile Blanche, Paul Bourget, plus une bonne douzaine d'amis plus ou moins proches de Marcel comme Robert d'Humières, Walter Berry, Anna de Noailles ou encore l'inévitable et charmant abbé Mugnier.

Retraverse-t-elle l'Atlantique en direction de son Amérique natale ? C'est pour déjeuner à la Maison blanche en tête à tête avec le tout nouveau président Roosevelt (pas Franklin : Theodore…) Qu'elle retrouvera ensuite dans divers salon ou maisons de campagne d'amis communs.

Mais, surtout, il y a Henry James. Si elle ne contenait que les pages qui lui sont consacrées, l'autobiographie de Mrs Wharton mériterait encore d'être lue. Car pendant plus de dix ans ils vont se voir constamment et partout, aussi bien dans la grande propriété des Wharton dans le Massachusetts qu'à Londres chez James, à Paris ou en Italie lorsqu'ils y voyagent ensemble. Le portrait qui ressort de l'ensemble est à la fois profond, bienveillant, humoristique, s'élevant parfois jusqu'au burlesque : il faut lire la page où Édith Wharton nous montre Henry James, en voiture avec elle à Londres, essayant de demander le chemin de King's Road et multipliant à un point tel les incises, parenthèses, explications inutiles, etc. que le malheureux Londonien qu'ils ont arrêté à la portière ne parvient même pas à deviner ce qu'on attend de lui.

Je parlais plus haut de la résurrection du monde de Proust. Grâce à James (né en 1843), on remonte aussi plus haut. Un “pèlerinage” effectué en commun à Nohant permet à James d'évoquer Flaubert, Goncourt, Tourgueniev, Daudet, autant d'écrivains morts qu'il a connus et fréquentés dans sa jeunesse parisienne.

Tout cela pourrait ne former qu'un genre de “carnet de bal” sans grand intérêt. Seulement, il y a l'acuité du regard d'Édith Wharton, le scalpel de ses jugements, la manière dont elle dégage les ressemblances et les différences entre les diverses sociétés qui l'accueillent, le radar intellectuel et moral qui lui permet de déceler et de mettre au jour les changements qui affectent chacune d'elles, parfois de façon encore imperceptibles pour ceux qui y sont continuellement plongés.

Et puis, il n'y a pas que la vie mondaine ou pérégrine. Étant avant tout écrivain, avant tout romancière, Édith Wharton parle aussi de ses livres et du processus de création tel qu'il lui semble s'élaborer chez elle. Ce qui ramène à son œuvre elle-même, par quoi il est plus important de l'aborder que par cette autobiographie dont je viens de parler et qui, elle, passionnera surtout les whartonophiles déjà convaincus.

Si l'on peut me permettre d'indiquer une “voie d'accès” à l'œuvre en question, je conseillerais d'acquérir le volume “Omnibus” contenant cinq de ses romans, dont au moins trois sont remarquables. 

De toute façon, une petite plongée dans la haute société new-yorkaise du tournant de siècle n'a jamais fait de mal à personne.


16 commentaires:

  1. Depuis quand vous trouvez une bonne femme intelligente ?

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    1. Un bref moment de faiblesse : c'est déjà passé.

      DG

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  2. Ce devait être dans le journal et non ici. Quant au billet Fellowes, c'était une simple allusion en passant.

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  3. Je maintiens qu'il s'agit bien d'un billet daté du 5 novembre 2021 et facilement retrouvable grâce à la fonction de recherche de votre blog. Du ginko vous dis-je!
    Cela dit, vos billets permettant d'étendre le monde de Proust à la cinquième avenue sont à la fois intéressants et délicieux. Vous êtes donc autorisé à oublier de temps en temps Mme Wharton afin de nous la présenter de nouveau sous un autre angle quelques mois plus tard.

    La Dive

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  4. Fichtre ! Vous avez raison ! Mais pourquoi mon petit moteur de recherche Blogger refuse-y-il de le prendre en compte ? Mystère...

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  5. Je viens, crois-je, de trouver l'explication du mystère ci-dessus noté : dans mon billet de 2021, j'ai écrit Édith à la française, avec accent sur l'E initial. Donc, quand on recherche Edith écrit à l'anglaise, l'absence d'accent suffit à bloquer ce connard de petit moteur. C'est tout de même beau, intelligence artificielle…

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  6. Pourquoi ai-je confondu cette personne remarquable avec Enid Blyton? Inculture crasse, j'en conviens, mais tout de même. J'attends votre diagnostic, Dr Goux

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    1. Un vague regret d'enfance peut-être ?

      DG

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  7. l'intelligence artificielle rejoint parfois la bêtise naturelle ...

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  8. C'est plutôt rassurant, finalement...

    DG

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  9. Gabriel Fouquet30 août 2023 à 07:24

    C'est grâce à vous que j'ai lu Ethan Frome et je vous en remercie (Idem pour le tout récemment lu Marie-Claire, pour les romans d'Alvaro Mutis, et pour bien d'autres).

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    1. Vous me donner envie de repiquer à Mutis : c'est malin !

      DG

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    2. Gabriel Fourquet30 août 2023 à 18:18

      Et pourquoi pas, après tous les gens auxquels vous l'avez fait lire ?

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    3. C'est que je l'ai lu au complet déjà deux fois... si ce n'est trois !

      DG

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    4. Arié, vous n'êtes décidément qu'un pauvre clown, oscillant entre le risible et le pitoyable.

      DG

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    5. Faut faire comme moi, Didier. Je raconte ses conneries dans Facebook. Comme une grande partie de mes potes sont des vieux militants socialos, ils sont pliés de rire, vu qu’il passait déjà pour un vieux fou, incroyablement casse couilles il y a près de vingt ans.

      Je sais : il faut un compte Facebook et des potes socialos…

      NJ

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.