Je ne vois pas d'autre explication que lui, le masochisme, à mon attitude depuis le début du Grand Claquemurage. On prétend parfois que la lecture est une évasion, et qu'elle serait donc idéale en période de confinement. D'abord, il y aurait à dire, sur cette assimilation hâtive : lecture = évasion. Si l'on pense à la bande dessinée ou au roman policier, oui, peut-être… Mais enfin, admettons une seconde que ce soit également vrai pour la littérature. Ma réalité de ces jours derniers, c'est que loin de la rechercher, cette évasion, je pratiquerais plutôt ce que l'on pourrait appeler le surconfinement, voire l'overclaquemurage.
Dès l'aube, juste après avoir déconfiné le chien, j'ouvre les Récits de la Kolyma, de Varlam Chalamov. C'est pour me glisser dans un baraquement surpeuplé – la nuit – ou au fond d'un gisement aurifère – le jour. Quand ce n'est pas au sinistre “isolateur”, c'est-à-dire au cachot. Et lorsque, par hasard, je dois effectuer mes douze heures de travail quotidien à l'air libre, à abattre et transporter des mélèzes, par exemple, je me retrouve emprisonné dans une sorte de carapace invisible, infrangible, constituée par les -50° implacablement celsius qui paralysent mon corps mais aussi mon cerveau.
L'après-midi, j'abandonne Chalamov au profit de Grossman, Vassili : Vie et Destin. Certes, je quitte sans regret la Sibérie septentrionale, mais c'est pour plonger dans d'autres types de surconfinement. Car, là, je ne cesse de sauter, au gré des courts chapitres, d'un camp stalino-léniniste à un Lager nazi, en un va-et-vient qui fait que, en moins d'une heure, s'abolissent presque entièrement les différences entre le paradis communiste et l'enfer hitlérien. Et lorsque je parviens à quitter l'univers carcéral, c'est pour me retrouver à Stalingrad, circa 1942, dans la fameuse “Maison n° 6 bis”. Elle est peuplée de soldats russes qui forment le dernier bastion empêchant les troupes allemandes de progresser plus avant vers le cœur de la ville. On est claquemuré là-dedans comme dans un bunker, mes enfants, je ne vous dis que ça. La mort est comme chez elle, elle passe par les fenêtres, dans un sens comme dans l'autre. Durant les rares moments d'accalmie, je partage l'ordinaire de ces valeureux retranchés : pommes de terre germées et à demi gelées qu'ils ont trouvées à la cave, arrosées par l'eau croupie de la citerne de chauffage, qu'il vaut mieux faire bouillir avant de la boire, sinon c'est la rébellion intestinale féroce : vous voilà prévenus.
Pour finir la journée, je retrouve avec délice mon petit confinement normand, conjugal, douillet, presque complice. Il ne me reste plus, pour attendre le dîner, qu'à me divertir de quelques mots croisés. C'est-à-dire à me replacer, une fois de plus, volontairement, devant une grille.
Je dois être maso.
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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.