lundi 24 mars 2008

Repas de noces

Tout est parti d'un défi lancé dans les commentaires de ce billet-ci. Le gant a été relevé aussitôt et renvoyé façon boomerang. J'ai pour principe, je l'ai dit ici ou ailleurs, de ne jamais participer aux blogoconcours pour lesquels on me sollicite. Mais comme on ne m'a rien demandé pour celui-ci, je m'invite donc à la table : le statut de troll suppose quelques obligations...


Je sais bien que nous ne sommes que tous les deux et que tu avais rêvé d'autre chose, ma tendre épousée. Peut-être pas un banquet dans les règles anciennes, mais un peu de solennité autour des agapes. Des rires, des interpellations d'un bout de la grande table à l'autre, des plaisanteries mâles, de moins en moins fines à mesure que les flacons s'éclusent, des rires de femmes. Et surtout le défilé apprêté et interminable des plats - ceux mêmes que tu m'avais décrits, un soir de pluie fine, qui furent servis au mariage de l'une de tes tantes, lorsque tu étais enfant : les timbales de fruits de mer, les vol-au-vent financière, le saumon entier pris dans sa banquise au madère, la poule sauce ivoire et la pièce montée qui vous empoisse les doigts, les lèvres et le regard.

Je sais tout cela, mais ce n'est pas une raison pour ne rien manger, ma promise accordée ! Tu n'as même pas touché au champagne, dont les bulles n'en finissent pas de monter vers toi, ton visage immobile et pâle, tes yeux noirs fixés sur moi. Ne compte pas me gâcher la fête, en me regardant de cette façon obstinée ! Un homme qui se respecte doit manger un peu plus que de raison, le jour de son mariage, et boire de même, s'il ne veut pas se montrer ensuite trop impressionnable, flancher devant la barrière de la robe blanche.

Tu sais bien pourtant, tu le sais : j'ai fait tout ce que j'ai pu pour que la noce soit nombreuse et bruyante. Regarde autour de toi, tourne la tête, tu vois bien : la table a été dressée selon les canons de l'art, les assiettes luisent et les verres scintillent sous les deux lustres. Que pouvais-je faire de plus ? Est-ce ma faute si aucun invité n'a été capable de comprendre l'intensité de mon amour pour toi ? Si pas un n'a osé franchir le seuil de cette grande salle, dont j'avais fait obturer les fenêtres afin de la hisser à la dignité d'un temple ? Ils se sont enfuis comme des couards, en piaillant. Ils se sont égaillés à travers le parc fouetté d'embruns avec la vélocité d'un jet d'hirondelles.

Mais ce n'est grave, tu vois : je reste. Allons, mange un peu. Trempe tes lèvres pâles dans le vin : il a été créé pour rendre leurs couleurs aux jeunes mariées, tempérer leurs frayeurs au seuil de l'éternité. - Cela ne fait rien, je boirai pour nous deux, comme je vivrai pour toi et moi, d'un seul corps et d'un seul souffle.

Non, attends ! Il faut que tout soit parfait quand ils reviendront. Car ils vont revenir, nos invités de la noce, je le sais bien, je ne suis pas fou. Il faut qu'ils restent muets devant toi, que ta beauté les frappe d'épouvante. Je vais me lever, m'approcher de toi, mais ne crains rien : le moment n'est pas encore venu, ma déflorable. Doucement, je vais retirer le couteau, et tu ne crieras pas.

Je n'aurais pas supporté de t'entendre crier, même d'allégresse ou de plaisir ; c'est en partie pour cela...

Je vais le faire glisser délicatement, afin de ne pas déchirer tes dentelles, et le poser à la droite de ton assiette vide et blanche, comme toi - à sa place naturelle.

Puis, je retournerai m'asseoir et je terminerai le chaud-froid de homard, à petites bouchées précautionneuses, en les attendant.

20 commentaires:

  1. C'est malin, vous ne suivez jamais ls chaînes et pour une fois, non seulement vos m'y battez alors que j'étais censée être la première à pondre un texte mais en plus, je vais avoir l'air de quoi maitenant après ça... mon repas va avoir l'air d'un pique nique sous la pluie.

    J'ai plus qu'à faire mieux, c'est ça ? C'est pas gagné...

    (cela dit, je voudrais pas faire ma mijaurée mais la fin est un peu téléphonée... :p )

    RépondreSupprimer
  2. Les non-dits de l'épouvante (à défaut des jeux-dits, ou tendre-dits). Bravo...ça me décourage même d'essayer...

    PS - Si elle avait eu les yeux verts, j'aurais parié pour du Théophile Gautier...

    RépondreSupprimer
  3. Bien contente d'être l'épousée en seconde noce, moi !

    RépondreSupprimer
  4. Pelotée après avoir l'ouverte ...

    Quel beau titre pour France-Dimanche !


    iPidiblue et le couteau à huitres, ou les perles du lundi de Pâques.

    RépondreSupprimer
  5. Nef : vous vous devez de faire mieux, et, sans jouer les faux humbles, je ne pense pas que cela sera trop difficile.

    Dorham : mais si, allez-y ! De toute façon, le thème est large : "Le repas", donc le champ est vaste. La référence à Gautier me flatte, mais je la crains beaucoup trop ample pour mes épaules...

    iPidiblue : vous voyez du pelotage partout : c'est très mal...

    RépondreSupprimer
  6. J'ai fait. Surement pas mieux. Mais différent. (c'est le but de toute façon. )

    RépondreSupprimer
  7. Didier,

    Vous méritez des coups de fouet pour avoir participé à ce concours après avoir rejeté le mien...

    (smiley, smiley)

    Bravo, c'est écrit d'une très belle plume. Je me suis laissée surprendre, je pensais que vous alliez faire dans le sentimental, nous dressant une cruelle satyre familiale. Finalement c'était juste sanglant!

    Bon je file lire Nef. Ensuite Dorham ?

    RépondreSupprimer
  8. PS : je dis à mon compagnon "tu as une idée pour "Le repas" ?

    Il me répond "Oui, on n'a qu'à faire les steaks hachés..."

    RépondreSupprimer
  9. Zoridae : les hommes vont toujours à l'essentiel, c'est ce qui les rend irrésistibles...

    (Bon, je retourne chez Nef.)

    RépondreSupprimer
  10. L'a-t-il bien plantée celle-là ?


    Till iPidiblue et les banderilles du joyeux drille.

    RépondreSupprimer
  11. ravi d'avoir pu participer (trés modestement je vous l'accorde) à la création d'un tel texte.

    j'aime beaucoup le fantastique sobre mais tellement plus parlant

    RépondreSupprimer
  12. Le temps m'empêche de développer plus que "bravo" ou bien "si j'aurais su j'aurais pas lu avant"

    Juste dire que "tempérer leurs frayeurs au seuil de l'éternité", je trouve ça plus que sublime, c'est du sublime sur mesure.

    Quand à Zoridae, je suis désolé, mais quand j'entends gueuler dans la pièce à côté : "Au fait, on fait quoi pour le repas ?" Ben moi je réponds "les steaks hachés", rien de plus logique.

    RépondreSupprimer
  13. et voilà-t-il pas qu'ils se chipouillent sur les blogs des autres ces deux là maintenant...

    Tant que je suis là Didier Goux, ne vous pourriez pas demander à tous les aimables lecteurs qui débarquent sur mon site de chez vous, de voter pour moi à romans, tant qu'ils y sont ? vu leur nombre indécent, ça me rendrait carrément service...

    RépondreSupprimer
  14. Eh bien, vous venez de le faire vous-même, chère Nefisa ! Donc, je relaie moi aussi l'information : il faut absolument voter pour la douce Nefisa, au festival de Romans (il suffit d'aller chez elle et de cliquer sur un truc rose, en bas dans la colonne de gauche, j'ai pas très bien suivi...).

    Ne serait-ce que pour une excellent raison : elle est ardennaise.

    Alors, hein...

    RépondreSupprimer
  15. Ah ! j'oubliais ! on peut aussi voter pour la flamboyante Zoridae et le digne M. Balmeyer...

    RépondreSupprimer
  16. Merci Didier, fasse que votre influence sur vos lecteurs soit conséquente...

    RépondreSupprimer
  17. Zoridae, j'ai voté pour vous avec TOUTES mes boites mail !

    RépondreSupprimer
  18. Catherine,

    Vous êtes adorable, merci :))

    RépondreSupprimer
  19. C'est étrange, ce texte m'évoque les morts de la saint jean, de Mankell.

    Vous êtes décidément bien obscur ;-)

    Good night!

    RépondreSupprimer
  20. Merci mon cher Didier, vous avez pensé à nous ajouter alors que ce concours vous agace, c'est très gentil à vous !

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.