lundi 17 juillet 2023

Le parapluie de Joyce


 La façon à la fois drôle et subtilement vicieuse qu'a Joyce Carol Oates de, comme on dit, “ouvrir le parapluie”. Son roman Hudson River est dédié “À mes amis de Princeton, qui ne sont nulle part dans ces pages”. Le parapluie est d'autant plus prudent que le milieu dans lequel elle nous plonge, cette petite ville de l'État de New York, peuplée de nantis, intellectuels ou artistes pour beaucoup, tous impeccablement généreux et de gauche – au moins en apparence –, mais passablement frustrés (les hommes) et névrosés (les femmes), tout cela fait irrésistiblement penser au milieu universitaire dans lequel Oates a baigné durant près de 40 ans. Et comme sa dédicace prend bien soin, pour feindre de l'écarter, de nous désigner Princeton, même le lecteur le plus distrait ne pourra manquer de faire le rapprochement : c'est le côté malicieusement vicelard de la chose. On dirait un peu Proust s'évertuant à persuader Robert de Montesquiou que son baron de Charlus n'a rien, mais alors, là, vraiment rien à voir avec lui.

Il est du reste étonnant, ce roman, étonnant et réjouissant, dans lequel le personnage central meurt d'entrée de jeu, et dont la mort, tel un virus surpuissant se répandant dans l'air, va suffire à ronger tous les masques, détruire les souriantes apparences et rendre béantes les minuscules failles de toute une communauté, pourtant si béatement satisfaite d'elle-même et se contemplant dans tous les miroirs avec une admiration que la modestie affichée dissimule assez mal. En voici le tout premier paragraphe :

« Est-ce juste ? Vous quittez votre maison de Salthill-on-Hudson, un après-midi chaud et humide de 4 juillet, pour vous rendre à un barbecue (une invitation que vous avez acceptée on ne sait pourquoi, sans en avoir vraiment envie), et vous y revenez quelques jours plus tard sous forme de cendres dans une urne funéraire d'un goût douteux : grosse poudre granuleuse, fragments et éclats d'os qui finiront répandus, dispersés et mêlés au râteau à la terre friable de votre propre jardin. De l'engrais pour mauvaises herbes. »

En mourant, Adam Berendt va en effet, durant les cinq cents pages suivantes, servir d'engrais à de mauvaises herbes, dont certaines plutôt du genre toxique ; mais qui ne seront que très secondairement celles de son jardin.

3 commentaires:

  1. C'est très intrigant. J'essaie à la première occasion.

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  2. Je retiens...
    J'attends "les chutes" et "valet de pique"
    On verra après...
    Bibi

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    1. Très bien, Les Chutes. Je ne connais pas l'autre...

      DG

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.