dimanche 21 février 2016

L'appel de Jack London


Par quel enchaînement de circonstances, aussi stupide que néfaste, ai-je dû attendre le mois de février 2016 pour lire quelque chose de Jack London ? Et encore, sans Michel Desgranges, mon infatigable génie littéraire (qu'on ne trouve pas dans une lampe magique mais, plus généralement, dans son salon ou autour d'une table garnie de victuailles diverses), je serais encore aujourd'hui plongé dans cette dommageable ignorance. Car c'est bien lui, mon génie, qui m'a incité, la semaine dernière à lire Profession : écrivain, ensemble d'articles, de lettres, etc., de London, tournant autour de son expérience littéraire, aussi bien en tant que lecteur que comme auteur, que viennent de publier les Belles Lettres. J'ai été emballé, intéressé, amusé par la première partie du livre, celle dans laquelle London traite, avec un humour volontiers sarcastique, des “ficelles” du métier, des écueils et des bévues qui attendent l'écrivain débutant, etc. J'avoue que la suite, la partie purement critique, m'a moins convaincu. 

Ce fut néanmoins suffisant pour me donner le désir de pénétrer au cœur de l'œuvre, et je commandai aussi sec Martin Eden ainsi que L'Appel de la forêt. Le second étant fort court, et racontant une histoire de chiens, c'est par lui que j'ai commencé hier matin… et fini l'après-midi même : roman remarquable, où l'allégorie est renforcée par le fait que l'auteur connaît véritablement ce monde des chiens de traîneau dont il parle, que ceux-ci ne lui sont pas un simple prétexte. Catherine, quand elle l'aura lu, va l'envoyer à Gaston, son petit-fils. Mais même s'il est un enfant intelligent, éveillé et apparemment pris par le goût de la lecture, j'ai peur que ses huit ans soient encore trop peu nombreux pour lui faire aimer ce livre. Mais au fond, qu'en sais-je ? Il me semble bien me souvenir que, lorsqu'on est enfant, on n'est pas vraiment dérangé, dans les livres qu'on lit, par les parties qu'on ne comprend pas ; il y a, de ce point de vue, une sorte de fatalisme de l'enfance, période où l'on est plus ou moins habitué au fait que beaucoup de choses nous échappent, que c'est normal, qu'il n'y a pas lieu de s'en mettre martel en tête, que de toute façon on comprendra quand on sera grand. Et puis, je pense que c'est aux enfants eux-même de faire le tri dans les livres qui se présentent à eux, et certainement pas aux adultes qui les entourent et prétendent les gouverner. À peine fini celui-ci, je me suis plongé dans Martin Eden qui, dès les premières pages (les seules lues à cette heure) semble d'une toute autre facture, et pas du tout “pour enfants”. Il me semble y entendre comme un écho de Thomas Hardy, celui de Jude l'obscur. On verra si la suite de la lecture confirme cette impression – mais je crois que oui : après tout, le nom même d'Eden implique bien l'idée d'une chute.

47 commentaires:

  1. Je ne sais si pour vous on est encore un enfant à dix-sept ans, mais j'ai le souvenir de cet adolescent, en classe de seconde, qui venait essayer d'acquérir, chez moi, les "bases" en français, que personne dans notre belle Éducation nationale n'avait réussi à lui inculquer. A la première dictée que j'essayai de lui faire faire, il me dit : "Madame, la pluie, comment ça s'écrit ?" J'en conclus qu'il ne lisait pas, et ayant le souvenir que Jack London avait été très apprécié par mes propres enfants, je lui conseillai d'acquérir "L'Appel de la forêt". Ce qu'il fit. A quelque temps de là, après une de ces séances assez éprouvantes pour lui comme pour moi, je lui demandai : "Et ton London, ça avance ?" Il me répondit d'un ton piteux : "Oui, mais je ne comprends rien à ce que je lis !"

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le petit garçon dont je parle s'est déjà attaqué à Jules Verne, Hector Malot ou Stevenson. Donc, je pense qu'il peut se risquer sur London. On verra bien…

      Supprimer
    2. Pour un enfant de huit ans, je recommanderais plutôt "Michael chien de cirque". Je l'ai lu à cet âge là, et qu'est-ce j'ai pleuré ! Je n'ai plus jamais voulu aller dans un cirque où l'on montre des tigres. Mon premier chien a été un Irish terrier. Même maintenant, bien des années après, chaque fois que je vois une image de fauve sur un tabouret, je sens une petite piqure qui me vient droit de ce livre.

      Je plains tout lecteur qui n'a pas découvert London avant d'avoir vingt ans. Martin Eden est un roman terrible. Un vrai roman. Un roman-maître.
      Attention, si vous lisez London, vous allez devenir socialiste. (Le pauvre, s'il avait connu Staline...). Evitez "le peuple de l'abîme" si vous ne voulez pas finir distributeur de soupe populaire à Calais. Enfin, non, quand London se déguisait en pauvre pour écrire ses articles sur les malheureux qui dormaient dans les foyers d'indigents, il était très lyrique dans ses textes, mais aussi rageux, et toujours noble de cœur.
      S'il vous reste après vos lectures un peu de goût pour lui, et bien que ce soit un ouvrage mineur, pas très intéressant, je vous recommande "L'Aventureuse", assez féministe pour l'époque, mais empreint d'un racisme à couper à la hache envers les populations noires de l'intrigue. Ce qu'il a écrit des Coréens pendant la guerre n'était pas gracieux non plus. Qu'importe ! C'est un grand écrivain.

      Supprimer
  2. Un garçon qui n'a pas lu Jack London dans sa jeunesse ?
    Décidément, vous aimez surprendre votre public en affichant des pudeurs de jeune fille (en alternance toutefois avec le cynisme de l'habile comédien)...
    La véritable question étant au demeurant : qui est Didier Goux ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne suis pas persuadé de l'importance de la question que vous posez…

      Supprimer
    2. Pauvre, pauvre Didier Goux qui a vécu une enfance sans Jack London ! Et il m'étonnerait fort que le petit garçon résiste; je n'avais moi-même
      que 8 ans et je me souviens toujours du livre offert pour récompenser mon courage à supporter d'être "recousue" sans anesthésie, tellement autre chose que les "club des cinq" et autres mignardises...

      Supprimer
    3. Pendant ce temps, je lisais Jules Verne, Hector Malot, Daniel Defoe, Paul Féval, Dumas et Stevenson : on ne peut pas être partout…

      Supprimer
    4. Et Zévaco ? enfin il faut avoir un peu plus de huit ans quand même. J'ai lu les Jack London de mon frère comme il a lu mes Mazo de la Roche mais je trouvais que c'était des bouquins de garçon...

      Supprimer
    5. Faut admettre que c'est plutôt de la boisson d'homme, en effet.

      Supprimer
    6. Vous remarquerez que je m'abstiens de donner des conseils de lecture.

      Supprimer
    7. je ne pense pas.

      Supprimer
  3. Je crois que c'est une métaphore militaire sur l'amateurisme et la naÏveté.

    RépondreSupprimer
  4. Mais que vous faisaient donc lire vos parents ! Un enfant qui n a pas lu au moins un Jack London, c'est-y pas possible !
    Puis-je vous recommander de lire Le Talon de Fer ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Non seulement vous pouvez, mais je vous en remercie !

      Supprimer
    2. J'ai très récemment découvert Jack London à travers Martin Eden et Les mutinés de l'Elseneur. Je recommande les deux!

      Supprimer
    3. Eh, vous êtes gentils, les gens, mais je ne vais quand même pas m'acheter d'un coup toute une cantine de London ! Bon, je note tout de même vos mutinés, allez…

      Sinon, ça va, vous, comme fille ?

      Supprimer
    4. Assurément Le Talon de Fer mérite d'être lu. On mentionnera également un grand nombre de ses nouvelles, genre où il excelle, marquées par leur saisissante cruauté et leur absence de commentaires : "La Peste écarlate", "La Vallée de la Lune", "Avant Adam", etc... toutes publiées chez Phébus libretto.

      George Orwell n'est pas tendre avec Jack London. Néanmoins, à propos du Talon de Fer, il écrit ceci :
      « Ce livre est surtout remarquable en ce qu'il affirme que la société capitaliste ne sera pas victime de ses « contradictions », mais que la classe possédante se montrera capable de s'organiser à la façon d'un gigantesque trust et même d'évoluer vers une sorte de socialisme perverti en sacrifiant nombre de ses privilèges afin de préserver sa domination.
      (...)
      La grande force des Oligarques est leur conviction de bien faire.
      (...)
      Si London a pu prévoir le fascisme, c'est certainement parce qu'il avait en lui une inclinaison fascisante, ou du moins une prédisposition marquée à la brutalité et un penchant presque irrépressible à prendre parti pour les forts contre les faibles. Il savait instinctivement que les businessmen américains se battraient si leurs possessions étaient menacées, parce qu'il se serait lui-même battu s'il avait été à leur place.
      (...)
      D'un autre côté, jamais il n'oubliera la misère sordide de son enfance, et sa loyauté envers les classes exploitées fut constante.
      George Orwell, Introduction à "Love of Life and Other Stories de Jack London (novembre 1945). In Essais, Articles, Lettres. Vol. IV (1945 - 1950). Éditions Ivrea.

      Supprimer
    5. Corto, une fois de plus m'a devancé! Le talon de fer est indiscutablement à lire en ces temps troublés.
      Pour le petit, vous pouvez essayer, plus court que l'appel de la forêt: "construire un feu" avec ses deux versions: commencer par l'optimiste !

      Supprimer
    6. Corto,
      C'est celui dont j'allais parler, le Talon de fer.

      Supprimer
  5. Il n'y a pas que les enfants à ne pas être dérangés de ne pas comprendre tout ce qu'ils lisent. J'ai cru remarquer le même phénomène chez nombre de journalistes et critiques littéraires.

    Alain

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mais eux ne se rendent pas compte qu'ils ne comprennent pas ; les enfants, si.

      Supprimer
  6. Le premier livre de "grandes personnes" que j'ai lu, j'avais douze ans. C'était un magnifique volume illustré sur la vie de Manon Lescaut que j'avais pris sans permission dans la bibliothèque familiale. Je n'y avais pas compris grand chose, mais ça m'avait intriguée. Le second, j'avais quatorze ans, c'était "L'Amant de lady Chatterley" que j'avais subtilisé à mon cousin de six ans mon aîné. Là, j'avais tout compris, et comme j'avais jugé que c'était dégueulasse, j'ai jeté le livre dans le vide-ordures.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Celui qui conduit lui-même sa Rolls ?
      Cette histoire l'a rendu méfiant envers le petit personnel de maison.

      Supprimer
    2. Je me demande si vous n'auriez pas besoin d'une seconde béquille pour être plus drôle ?
      Mais de toutes les façons, non, ce n'était pas lui, vous avez mal suivi !

      Supprimer
  7. Il est vrai que nos lectures étaient très orientées. Jamais on ne m'a offert un Jack London. Enfant, mes voyages se faisaient avec Pearl Buck.
    Et comme toutes les petites filles élevées au Canada, je ne jurais que par Mazo De La Roche.

    Est-ce un tort, je ne sais.
    Toujours est-il que je n'ai jamais rien lu de London, et j'ai bien peur que ce soit fichu pour moi.

    @Didier :

    " Mais eux ne se rendent pas compte qu'ils ne comprennent pas ; les enfants, si."

    Que trop vrai !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hé, ho, moi aussi je lisais Verne, Defoe, Dumas, Malot, Cooper et autres (Stevenson je n'aimais pas, Féval je l'ai lu plus tard !)....mais j'étais désolée que London vous ait échappé, le grand nord et les chiens de traîneau, c'était magique. Pauvre Enid Blyton n'était là qu'à titre de repoussoir pas de lecture principale...Heureusement pour moi.

      Supprimer
    2. Ne comptez pas sur moi pour renier Enid Blyton !

      Supprimer
  8. Si on supporte les liseuses, il y a du London chez le remarquable site :
    www.ebooksgratuits.com
    Tous leur ebooks sont très bien faits.
    je viens de télécharger l'Appel de La Forêt puisque je dois confesser ne pas encore en avoir lu.
    Droopyx

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pas de liseuse, en ce qui concerne. Mais, ce matin, j'ai commandé (en livres…)Les Vagabonds du rail ainsi que Le Peuple d'en bas.

      Supprimer
    2. J'étais très réticent au début mais avec l'écran à éclairage latéral, je me suis converti.
      Pouvoir lire dans toutes les conditions de lumière en emportant dans ma poche Lupin, Sherlock Holmes, Dumas, la Comédie Humaine, les Rougons Macquart etc etc... compense largement pour moi la perte de l'odeur du papier et de l'encre.
      Droopyx

      Supprimer
  9. Le Peuple d'en bas est celui que j'allais vous conseiller. Ce n'est pas un roman mais le récit de sa plongée "incognito" dans l'East End, quartier misérable de Londres au tout début du XXe siècle. C'est un livre qui, parmi d'autres, me guérit de mon camusisme occasionnel, pour tout dire, en nous rappelant à quel prix une classe bourgeoise si cultivée avait pu se constituer, argument par-dessus lequel on saute trop souvent en évoquant le bon vieux temps (ô, pyramides célestes que j'aurais pu bâtir, au prix de quelques bonnes). Zola ne me fait pas cet effet-là, curieusement, alors que tel était son but, supposé-je. Mais ce côté passé au stabilo du roman à message obère toute possibilité d'emporter ma conviction. Avec London, dans celui-ci comme dans Les Vagabonds du rail d'ailleurs, même si tout est peut-être inventé (qu'en sais-je ?), flotte cette indécrottable odeur que traîne la sale réalité.
    Martin Eden figure quant à lui dans mon petit panthéon personnel des très grandes œuvres. Même ses défauts, son romantisme adolescent parmi les plus criants, me le rendent cher.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Martin Eden me semble en effet un excellent roman, même s'il me semble en percevoir les faiblesses. Mais comme il me reste une centaine de pages à lire demain, je préfère fermer mon clapet avant de dire des conneries…

      J'y reviendrai sans doute, et j'essaierai de creuser un peu ce parallèle que j'esquissais dans le billet, entre Martin Eden et Jude l'obscur.

      Supprimer
    2. Deux fois "semble" dans la même phrase : c'est du boulot de blogueur, ça, mon gros !

      Supprimer
  10. Martin Eden ? Lu quelques pages. M'est tombé des mains.

    RépondreSupprimer
  11. On vient sur un blog supposé être réac, et on tombe sur l'apologie d'un romancier socialiste...On vit une époque sans repères.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Depuis le temps, vous devriez connaître ma position, calquée sur celle de Léon Daudet : quand il s'agit de littérature, l'idéologie je lui dis merde !

      Supprimer
    2. Depuis le temps, vous devriez être plus sensible au deuxième degré...Que Jack London ait été socialiste n'ajoute ou ne retire rien à son œuvre littéraire.

      Supprimer
  12. Et moi, j'ai adoré Jude L'Obscur ! D'ailleurs tout Thomas Hardy me plait.

    Vous vous parlez à vous même Didier ?
    Remarquez, c'est parfois mieux, au moins on est sûr d'être entendu.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'aime beaucoup Thomas Hardy également (je veux dire : en dehors du roman que j'ai cité, qui reste tout de même mon préféré).

      Supprimer
  13. Quel bel hommage de groupe à Jack London, tout de même !

    RépondreSupprimer
  14. l'appel de la forêt. il existe d'autres livres ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Petit Louis,
      Oui il existe aussi "le loup des mers" de London. C'est pour les "Petits Louis" qui veulent devenir de "Grands Louis". Roman magnifique,initiatique, mais rude, âpre, brutal, désespéré.

      Supprimer
    2. Merci Ana.je vais tenter ce titre,mème si ce n'était pas tout à fait le sens de ma litote. Mais comme d'habitude, je m'exprime mal.bon j'en ai lu quelques uns, quand j'etais grand, il y'a cinquante piges. Peut être celui la aussi. J'oublie les titres, comme toutes mes passions d'hier, c'est le privilège des vieux coureurs de bois ;.)

      Supprimer
  15. J'arrive un peu tard, mais tant pis. Je ne sais plus à quel âge mon père m'avait lu L'appel de la forêt, mais je devais à peine savoir lire, 6-7 ans donc, et j'avais énormément aimé. Je prends le pari qu'il en ira de même pour Gaston.

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.