Partons d'une assertion simple, d'apparence faussement loyale,
traîtreusement anodine : « Venir jusqu'à chez vous m'a pris une bonne
demi-heure. » Tout le monde comprend ou croit le faire : nous avons affaire à un trajet d'environ trente-cinq minutes. Le problème commence avec cet environ.
On sent bien que si notre visiteur anonyme a marché quarante minutes pour venir nous visiter, tout bascule brusquement : la bonne demi-heure se dissout dans l'air pour céder la place aux trois petits quarts d'heure.
Mais où finit l'une et où commencent les autres ? À quelle seconde installer notre douane pour ne pas risquer les incidents de frontière ? La simple logique mathématique, sûre d'elle et dominatrice comme toujours, répond : à trente-sept minutes et demie, évidemment !
Et là s'entrouvre un abîme nouveau, une vicieuse chausse-trape. Car si l'esprit s'accommode sans difficulté, et même avec une certaine reconnaissance, d'une bonne demi-heure à 37mn 30', il n'en va pas de même de nos petits quarts d'heure ! Car ils sont trois, rappelons-le, tels des mousquetaires, des orfèvres ou des petits cochons. Et le gouffre s'entrouvre : si trois petits quarts d'heure durent 37mn 30', ça nous met le petit quart d'heure à combien ? Essayez donc de diviser 37,5 par trois : même le plus perfectionné des oignons de gousset, avec secondes et dixièmes de seconde, même ce prétentieux à l'or fin déclarera forfait !
J'entends quelques petits malins de fond de classe murmurer qu'il suffit d'imaginer notre visiteur marchant durant une bonne grosse demi-heure, ce qui devrait nous amener à peu près à trente-neuf minutes. Du coup, 39 : 3, cela nous fait le petit quart d'heure à 13 mn. À l'inverse, diront-ils encore, nous voyant faire la moue, notre visiteur peut avoir pressé le pas et n'avoir marché que durant une bonne petite demi-heure, soit 33 minutes, et voilà notre petit quart d'heure commençant à 11 mn.
Aussitôt, une voix contestataire s'élève (du fond de la classe aussi, mais sur la gauche) : « Ah mais non ! Je m'excuse mais non ! Une bonne petite demi-heure ne peut être qu'à peine supérieure à une petite demi-heure ! Et, en tout cas, rester inférieure à la demi-heure franche et nette. Si l'on admet que le gros quart d'heure ne doit en aucun cas excéder vingt-deux minutes, que la petite demi-heure prend immédiatement sa relève, cela implique que votre bonne petite demi-heure ne pourra avoir d'existence qu'entre vingt-six et vingt-neuf minutes. En tout état de cause, nous sommes bien loin des trois petits quarts d'heure, même en les comptant à onze minutes le quart… »
C'est insoluble. Le seul moyen de s'en tirer sans devenir fou est de ne plus convier chez soi que des gens habitant suffisamment loin pour qu'il leur soit impossible d'être là en moins de soixante minutes. En sachant qu'on court toujours le risque d'en voir un arriver et annoncer le souffle un peu court que, malgré son nouveau vélo et ses mollets de jeune homme, il a tout de même mis, pour rallier votre seuil, une bonne heure et demie.
Pour tous les invités, un sale quart d'heure en perspective.
De quoi leur gâcher une bonne moitié du repas.
Si bien qu'ils risquent de l'avoir mauvaise.
De quoi leur gâcher une bonne moitié du repas.
Si bien qu'ils risquent de l'avoir mauvaise.
Vos hôtes ont bien mauvaise grâce d'évoquer le temps qui leur a été nécessaire pour rejoindre votre douce chaumière et ainsi profiter du chaleureux accueil que vous leur réservez. Quand on aime on ne compte pas ! Ni ses efforts et encore moins
RépondreSupprimerson temps. Les ingrats !
Ce sont des brutes ! Mais, que voulez-vous ? On s'attache…
SupprimerBon, j'ai pas eu le temps de tout lire, mais je suis invitée à quelque chose, moi ?
RépondreSupprimerRaisonnement faux, car il postule que votre marcheur a un rythme parfaitement régulier tout au long du trajet,et ne se fatigue pas vers la fin, ou, à l'inverse, n'accélère pas lorsqu'il hume les premiers relents de votre poule au pot ( enfin, une de moins !) Le dernier quart d'heure peut ainsi, selon les cas, être plus court ou plus long que les deux précédents- ou que l'unique précédent.
RépondreSupprimerEt j'ai omis d'autres causes de variations, telles qu'une accuentuation de la pente du chemin, une soudaine averse de grêle, etc., qui peuvent se mêler aux précédentes.
Votre texte m'a fait penser à ça :
RépondreSupprimerhttps://www.dailymotion.com/video/x4yop5e
Il fait douze minutes et demie, vote petit quart d'heure et voilà tout
RépondreSupprimerAh mais non ! Je m'excuse mais non ! 37.5 divisé par 3 cela fait 12.5. Votre "oignon de gousset" vous indiquera précisement 12mn30'.
RépondreSupprimerEssayez donc de diviser 37,5 par trois :
RépondreSupprimerIl semble que ça fasse 12,5, c'est-à-dire 12 minutes et trente secondes. J'ai raté quelque chose ? Du reste, les problèmes d'approximation sont plus perceptibles quand on les multiplie que lorsqu'on les divise : quatre petits quarts d'heure pèsent moins que trois gros, ça laisse perplexe une petite minute.
On dirait bien que je me suis méchamment vautré… Ça m'apprendra à essayer de faire le malin.
RépondreSupprimerTout le monde ne saurait être Pascal,homme à la fois de chiffres et de lettres
SupprimerOn notera quand même ma scrupuleuse honnêteté intellectuelle, voire ma rigueur morale.
SupprimerCar, après tout, j'aurais fort bien pu soutenir qu'il s'agissait d'un petit piège, glissé là pour voir qui me lisait vraiment attentivement…
Pour les 37,5, des commentateurs ont une bonne demi-journée d'avance sur moi.
RépondreSupprimerVous vous en tirez bien ! (Contrairement à moi…)
SupprimerLe raisonnement pose évidemment problème en raison de ses prémices induites, car elle postule ("se dissout...pour laisser place")que l'on passe d'une expression à l'autre sans solution de continuité.
RépondreSupprimerOr vous oubliez des intervalles ! Il y a la demi-heure pure, mais également "vingt minutes" et ses déclinaisons (vingt petites minutes et vingt grosses minutes, de la même manière qu'il y a "un gros quart d'heure" et "un petit quart d'heure").
De plus des intervalles se superposent ("une petite demi-heure" n'est pas suivie par "une grosse demi-heure" mais la recoupe en partie).
En outre, vous oubliez dans votre démonstration qu'il s'agit bien d'intervalles, donc disposant d'une valeur minimum et d'une valeur maximum et non d'une valeur fixe ("bonne grosse demi-heure...à peu près à trente-neuf minutes").
Si vous devez utiliser une approche mathématique, il convient d'être mé.tho.di.que.
Il faut faire un tableau avec toutes les expressions, avec leur valeur min et max en minutes.
Ainsi, si l'on part du postulat que l'expression "une petite demi-heure" renvoie à une durée de 24 à 28 minutes et "une bonne petite demi-heure" vaut 27 à 29 minutes, ça fait le quart d'heure de 12' à 14' et de 13,5' à 14,5' respectivement.
Une grosse demi-heure peut être estimée de 31 à 37 minutes, soit le quart d'heure de 15,5' à 18,5'.
Tout cela étant bien entendu validé par le système pifométrique, dont on pourra trouver ici la définition.
Je vous laisse le soin de faire le tableau complet chez vous.
C'était la grosse minute scientifique.
k.
À ce stade, j'hésite entre la sieste prolongée et le suicide pur et simple…
SupprimerJe m'en voudrais...
RépondreSupprimerMais c'est vous qui avez commencé aussi !
k
Les personnes qui s'expriment ainsi " une bonne grosse" ; font ils de la grossophobie.
RépondreSupprimerIl faut se méfier en ces temps où toutes expressions banales ,peut devenir un problème procédurier.
Je milite pour le terme "pachophobie" !
SupprimerParce que "grossophobie" a une étymologie erronée. Tant qu'à mettre des phobies partout, autant le faire avec un français correct!
k.
Adopté !
Supprimer