samedi 23 février 2019

Dieu, la connasse et le grand crétin


La chanson s'appelle Sur ma vie et, comme elle a été enregistrée deux ou trois semaines après ma naissance, rien ne m'empêche d'y voir une sorte de salut  adressé à mon mini-moi vagissant. C'est une bien jolie chanson, triste et mélodieuse, où un pauvre petit gars éperdument amoureux est plaqué au pied de l'autel par une connasse sans cœur, et probablement sans cervelle non plus. Il n'empêche qu'elle est un peu bizarre – pas la connasse : la chanson. Voici ce qu'on peut entendre au troisième couplet :

Près des orgues qui chantaient
Face à Dieu qui priait
Heureux je t'attendais

Est-ce que par hasard je serais le seul à me demander qui Dieu pourrait bien prier ? Je ne vois qu'une alternative. Ou bien il se prie lui-même, ce qui pourrait induire un certain abus du vin de messe, voire d'une quelconque herbe-qui-fait-rire ; ou bien il faut prendre le verbe dans son sens non religieux, comme dans l'expression « je vous prie de bien vouloir arrêter de me casser les couilles ». En ce cas, la prière divine pourrait s'adresser à la promise du grand crétin qui poireaute devant l'autel, dans son costume de location mal ajusté, à demi étouffé par un nœud pap' trop serré. On imagine quelque chose comme ceci :

« Bon, écoute-moi bien, infinitésimale créature : jusqu'à vingt minutes de retard, je n'ai rien dit ; je sais comment sont les femmes – et pour cause –, surtout le jour de leur mariage. Mais, là, tu attiges. Bon sang, regarde : tout est prêt, les orgues chantent, ta future victime a le “oui” au bord des lèvres, toute la noce est alignée dans les travées, c'est un succès, on refuse du monde en bout de nef, mon bon curé est chaud bouillant du ciboire et on peut voir quelques tics nerveux apparaître sur les figures mal mouchées des enfants de chœur qui commencent à s'impatienter de la sonnette. Alors, maintenant, ça va : rapplique et au trot, nom de Moi ! »

Mais la connasse persiste dans son refus, se bute dans l'absence, et voici le travail :

Mais les orgues se sont tues
Et Dieu a disparu
Car tu n'es pas venue 

On comprend Dieu : avec le paquet d'imbéciles qui, à chaque heure, nuits et week-ends inclus, comptent sur lui pour les tirer du pétrin dans lequel leur congénitale sottise les a plongés, il n'allait pas passer la journée là, dans cette triste église de banlieue mi-ouvrière, mi-rentière, à attendre une tête de mule gazéifiée de blanc. Il l'a donc, très logiquement, joué cassos. Ne reste plus dans l'église (l'organiste vient lui aussi de quitter sa tribune) que le grand crétin, qui se met à radoter de façon pitoyable ou risible, selon votre humeur du moment :

Sur ma vie je t'ai juré un jour
De t'aimer jusqu'au dernier jour de mes jours
Et même à présent
Je tiendrai serment
Malgré tout le mal que tu m'as fait
Sur ma vie
Chérie
Je t'aimerai

L'auditeur, attendri ou consterné, se dit que sa vie va suivre désormais une pente hélas trop connue : solitude, rêves chimériques, déclassement social, masturbations excessives, alcoolisme, vote à gauche, accident mortel de Mobylette un soir de murge en technicolor…

Mais non ! Se laisser aller à ce pessimisme gluant prouve simplement que l'on n'a écouté chanter Charles que distraitement. Parce qu'enfin, cette scène lamentable à laquelle il nous a été donné d'assister, elle a eu lieu au pied de l'autel d'une église que l'on suppose catholique (du reste, serait-elle orthodoxe ou adventiste du septième jour que cela ne changerait rien à l'affaire). Ce qui implique que le grand crétin et la connasse gazéifiée sont déjà officiellement mariés à la mairie communiste de leur patelin grisâtre ! Voilà qui devrait ramener un pâle sourire sur la face blême de notre héros – et, du même coup, nous dispenser de ses serments à la con.

Reste à savoir si un mariage débutant par une retentissante désertion ecclésiale a des chances, même minimes, d'aboutir à une union durable et satisfaisante. Mais, bon, hein : c'est leur problème.

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