vendredi 27 octobre 2023

Homme libre toujours tu chériras la grammaire (billet instructif)


 Le maniement du participe passé associé à l'auxiliaire avoir est parfois un peu délicat, notamment lorsqu'il est suivi d'un verbe à l'infinitif dans une proposition subordonnée. Cela vaut également pour les verbes pronominaux, ainsi que je m'en vas le montrer tout à l'heure.

La règle veut que ce participe s'accorde avec le complément d'objet direct de la proposition principale uniquement si celui-ci est également sujet du verbe à l'infinitif. J'en vois déjà qui haussent les épaules, pensant qu'il s'agit là d'un byzantinisme hors de saison, et que l'important est “que tout le monde comprenne”.

Mais justement…

Prenons ces deux phrases presque identiques d'apparence mais de sens tout à fait différents :

Je vous présente la femme que j'ai laissée peindre

Je vous présente la femme que j'ai laissé peindre

La première signifie en gros : “la femme que j'ai autorisée à se mettre à la peinture” ; alors que la deuxième veut dire : “la femme dont j'ai permis que l'on fasse le portrait”. Dans le premier cas, la femme est sujet de peindre, dans le second elle n'en est que l'objet.

(On notera que, pour lever d'un coup toutes les difficultés, il suffit de faire preuve d'un peu d'autorité mâle, d'abord en supprimant à cette pétasse tout ce qui peut ressembler à un pinceau, d'autre part en virant de chez soi le barbouilleur prétendant la portraiturer ; d'autant plus qu'il est très certainement son amant.)

C'est la même chose, disais-je, avec les verbes pronominaux, lorsqu'ils sont eux aussi suivis d'un verbe à l'infinitif. Ainsi, la malheureuse de tout à l'heure, privée de peinture, devra écrire à sa meilleure amie : “je me suis fait niquer” ou, plus correctement : “je me suis laissé avoir”,  sans accorder son participe, vu que qu'elle ne s'est pas eue elle-même – encore moins niquée. En revanche, elle devra écrire : “je me suis vue piquer ma crise”, car c'est bien elle qui risque de se rouler par terre en bavant et avec des cris suraigus.

Pour finir, on notera que s'il est un domaine où les hommes conservent un net avantage sur leurs compagnes, n'en déplaise aux dragonnes égalitairolâtres, c'est bien celui de l'accord des participes passés. 

Ce qui est assez réconfortant.

24 commentaires:

  1. Manquerait plus qu'ça...

    DG

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  2. Je vais vous atterrer... aussi pour ce qui est des accords: peut-être avez-vous vu passer le manifeste pour le moins radical cité par M. Dewaele sur son blog (celui de la "Voix du Nord" que cite Fredi M.)?

    http://alafortunedumot.blogs.lavoixdunord.fr/archive/2023/10/20/la-reforme-le-retour-16696.html

    Bonne journée!

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    1. Je ne vais jamais sur le blog de ce monsieur… mais j'ai fait une exception grâce à (ou à cause de) vous !

      Je ne suis pas surpris que cette tribune soit signée par autant de professeurs : de leur part, accuser l'orthographe de leur impéritie croissante me paraît bien naturel.

      Je me souviens de mes deux grands-mères qui, ni l'une ni l'autre n'ayant son certificat d'études, m'écrivaient pourtant sans la moindre faute quand elles avaient à le faire…

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  3. Ooohh...
    Le maniement... d'un maniement!
    A noter également que la deuxième phrase laissé peindre peut AUSSI s'interpréter comme la première laissée peindre, elle est donc ambigue.

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    1. Pas du tout : aucune ambiguïté dans ces deux phrases, et la seconde ne peut en aucun cas s'interpréter comme la première.

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    2. Pour mon double maniement, en revanche, vous avez entièrement raison ! Et c'est le rouge au front que je remonte corriger cette grotesque bévue…

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    3. Ah!
      Et si il s'agit d'un homme on fait quoi?

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    4. On ne fait rien : c'est "l'avantage" que j'évoque dans mon dernier paragraphe.

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  4. J'ai jamais vraiment imprimé depuis le CE2 cette @#!!!& de grammaire. Surtout le verbe Avoir, qui n'a jamais été vraiment une priorité dans mon chemin.
    Un rappel est toujours bénéfique, même si désormais je n'imprime plus énormément, il y a un truc qui fait masse, comme dit la chanson.
    Cependant concernant les peintres, de ce que j'ai écouté de Picasso entre autres,c'est qu' il s'agit d'une confrérie de sacrés fourreurs.
    Donc si vous l'avez laissée peindre, il est aussi fort possible qu'elle fut niquée.
    😂

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    1. « Donc si vous l'avez laissée peindre, il est aussi fort possible qu'elle fut niquée. »

      C'est exactement ce que je dis dans ma parenthèse, non ?

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    2. En plus des accords, j'ai donc un souci avec les parenthèses, ce qui pour un ex pisseur de lignes est plutôt mauvais signe 😔

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    3. Du reste, dans votre phrase, j'aurais plutôt mis le verbe au subjonctif : … qu'elle fût niquée.

      Mais enfin, l'important est que ce soit avec son consentement écrit et signé, hein ?

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  5. Putain ! Vous avez encore oublié le cas des individus non genrés.
    NJ

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    1. Je suis nul en grammaire dégenrée…

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    2. Il faut essayer l'inclusif.

      "Je vous présente la femme que j'ai laissé.e peindre".

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    3. Ça marche dans le cas d'une greluche réalisant son autoportrait : elle est à la fois peintre et peinte.

      DG

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  6. Ignorant de cette règle grammaticale, merci de ce rappel très utile.
    Jusque là , j'accordais plutôt au "feeling" ; feeling fautif, donc..

    Galatine

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    1. En matière de grammaire, la française en tout cas, le feeling est rarement de bon conseil…

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  7. étant un spécimen mâle de plus de cinquante ans (pas tout à fait blanc mais presque) et parfaitement déconstruit, je traîne piteusement mes lacunes grammaticales et n'arrive pas aux chevilles de madame la Capitaine. Mais j'ai un excuse.

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  8. "Homme libre toujours tu chériras la grammaire" ... Et le grand-père, dans tout ça, hein ? Encore oublié le mâle dominant ? Encore une marque de féminisme outrecuidant !

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    1. C'est que je ne tiens guère à me mettre les vaginocrates à dos, moi !

      DG

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  9. Lol.
    https://alicedufromage.eu/dotclear/index.php?2011/05/19/1950-vieille-blague-et-illumination-syntaxique

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    1. Excellent ! Je suis fort frustré de ne pas l'avoir trouvé avant vous, celui-là !

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  10. Pour résumer, le français est une langue que l'on parle telle qu'on ne l'écrit pas et qui s'écrit telle qu'on ne la parle pas. Le mot eau, 'e' 'a' 'u' se prononce 'o' mais au pluriel, il faut un 'x' que l'on ne prononce pas : la grammaire y veille.

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