jeudi 16 novembre 2023

Le hasard, la nécessité et la petite fille d'Awasa




Dans Notre existence a-t-elle un sens ?, livre de Jean Staune que je relis ces jours-ci, il est fait plusieurs fois allusion à Jacques Monod, prix Nobel de médecine 1965, et à ses écrits. Je me souviens très précisément d'où et quand j'ai lu Le Hasard et la Nécessité, son plus connu ouvrage : c'était en août 1973, en Éthiopie, au bord du lac d'Awasa, dans l'hôtel de M. Blazer (orthographe non garantie). 

Nous vivions alors à Orléans, ma mère, mon frère, ma sœur et moi, cependant que mon père faisait l'encaserné volontaire à Djibouti, encore Territoire français à cette époque. D'où nos vacances communes en Éthiopie, à une altitude qui rendait les chaleurs tropicales tout à fait supportables.

Cet hôtel – fréquenté presque uniquement par des Français, avec en prime quelques Américains pour corser un peu le jeu –, je l'ai retrouvé quelques années plus tard dans un livre. C'est là en effet que Gérard de Villiers a situé les ultimes chapitres de son SAS intitulé Le Trésor du Négus.

L'hôtel de M. Blazer – devenu Müller chez Villiers – proposait à ses hôtes une fantomatique bibliothèque dont la majorité des volumes épars étaient en anglais. Parmi les quelques titres en français, donc, Le Hasard et la Nécessité de Monod. L'adolescent imbu de culture que j'étais s'est rué sur lui comme un végan sur un steak de tofu. Et je l'ai lu non seulement avec conscience, mais aussi très ostensiblement, au bord de la minuscule piscine de l'hôtel, dont l'eau empestait le soufre, dans le but d'impressionner de ma puissance intellectuelle une jeune créature qui s'en foutait éperdument, n'ayant d'yeux et de moiteurs, elle, que pour un Yankee d'une vingtaine d'années, stupidement grand et musclé ; qui, en outre, se prétendait apparenté à Charles Bronson – et si ça se trouve c'était vrai. Pour couronner le tout, il me battait systématiquement au ping-pong. En somme, il y avait de ma part Nécessité de séduction, violemment barrée par un Hasard malencontreux.

(En revanche, j'avais réussi sans coup férir l'amicale conquête de la mère de ma naïade – naïade dont le prénom semble avoir déserté à jamais ma triste mémoire –, ce qui n'était pas, on l'aura deviné, mon objectif premier.)

Qu'ai-je compris à ce livre que je ne lisais que d'un œil, dans les vapeurs de soufre, et pas du plus attentif des deux ? Probablement rien. Ou fort peu. Mais Jacques Monod, s'il vivait toujours, serait sans doute très surpris d'apprendre que, chez un de ses lecteurs au moins, son Hasard et la Nécessité a encore aujourd'hui le pouvoir étrange de déclencher des visions de lac éthiopien et d'adolescente en mini-maillot.




 

19 commentaires:

  1. Et la mère de soupirer… Tu t’es trompé de cible mon pauvre ! Serait ce des oiseaux lyre sur le bord du lac Awasa ? Moi

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  2. j'ai moi aussi, en mon temps, tenter d' accrocher une jolie parisienne avec un roman qui venait de sortir.
    un peplum dont la couverture gris argentée et l'epaisseur vous donnait presque autant d'influence qu'une planche de surf, a l'interieur du disparu camping de fontaine Laborde.
    helas,je n'ai pas eu plus de succès que vous. le roman nommé Dune etait pourtant un top ten chez les modernoeuds des seventies.
    mais un australien, surfer bronzé au bras comme mes cuisses, a d'un geste nonchalant rejeté sa crinière en arriere et conquis la belle.
    du coup ai eu le temps de finir le peplum.
    mais moi, je me souviens du prenom de la belle. j'ai bizarrement de la mémoire pour mes râteaux.

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    1. Ouais... les livres, comme “appeaux à gonzesses”, c'est top, on aura beau dire...

      DG

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  3. L'un de vos plus beaux billets.

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    1. Et me voici aussi rougissant qu'une timide vierge découvrant sa première bite !

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  4. L’époque où les prix Nobel de médecine fumaient des clopes.

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    1. Oui, hein ? Même quand on a connu cette époque, on finit par avoir du mal à se persuader qu'elle a réellement existé, tant elle paraît lointaine. Un peu comme ces films de Sautet où tout le monde fume à table…

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  5. Relisant ce billet, je me demande soudain si notre séjour éthiopien n'aurait pas eu lieu en juillet 1973 plutôt qu'en août.

    Il faudra demander à ma mère… si j'y pense.

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  6. Tout ça pour nous dire que vous avez pris une veste dans l'hôtel de Blazer ?

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    1. On peut même parler de râteau...

      DG

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    2. Peut être qu'il vous répondrait ainsi qu'il a terminé son essai : "L’ancienne alliance est rompue ; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers, d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. À lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres." Un peu pompeux et présomptueux tout de même, cette phrase.

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    3. Ah, ça, pour être présomptueuse, elle l'est ! C'est peut-être d'ailleurs par là, ce matérialisme obtus, que son livre est déjà suranné. Mais bon : je ne suis pas spécialiste de ces questions, et émettre des jugements à leur sujet serait sans doute de ma part un peu… présomptueux.

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    4. @DG
      "matérialisme obtus"

      Ha! Ha! Ha!
      Excellent, je ne saurais mieux dire.
      Je suis moi même athée non matérialiste et il y a de plus en plus de raisons scientifiques de ce pas être matérialiste:

      Idealist Implications of Contemporary Science.

      Bon, c'est en engliche et c'est pas votre tasse de thé, mais 95% des publications scientifiques sont en anglais et ce n'est pas une mauvaise chose, à part quelques Russes, Chinois et Japonais qui s'obstinent à publier dans leur "vernaculaire" ça rend le tout nettement plus accessible.

      Hum... plus accessible si on sait se servir de sci-hub (ce qui ne vous dit probablement rien non plus...)

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    5. En effet, tout ça m'échappe un peu...

      DG

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  7. Quelle vague de commentaires, pour un lac qui n'est même pas du Connemara.
    La conjonction avec les adolescentes en minimaillot?
    Père B.

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    1. L'adolescente en mini-maillot conserve son pouvoir attractif à travers les âges, en effet…

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.