Le vendredi 5 mai 1876, la Société des cinq a la fantaisie de se réunir pour aller manger une bouillabaisse dans une taverne située derrière l'Opéra-Comique. C'est ce que les membres nomment un Dîner des auteurs sifflés ; ils sont, par ordre de préséance chronologique : Tourgueniev, Flaubert, Goncourt (Edmond : Jules, son cadet de huit ans, est mort en 1870), Zola et Daudet. Lors de ces dîners, prétextes à quelques libations plus ou moins importantes selon l'appétence de chacun des convives, la règle est qu'il n'y en a pas : on peut parler de tout, aborder tous les sujets, professer les opinions les plus extrêmes, se risquer jusqu'aux confins des paradoxes les plus acrobatiques. D'après ce qu'en rapporte, sur trois pages, Goncourt dans son journal, la conversation est, ce 5 mai, plutôt border line, comme dirait sans doute un Français de notre temps. La conclusion d'Edmond est celle-ci :
« Résumons.
Tourgueniev est un cochon dont la cochonnerie est teintée de sentimentalisme.
Zola est un cochon grossier et brute, dont la cochonnerie se dépense maintenant tout entière dans la copie.
Daudet est un cochon maladif, avec les foucades d'un cerveau chez lequel, un jour, pourrait bien entrer la folie.
Flaubert est un faux cochon, se disant cochon et affectant de l'être, pour être à la hauteur des cochons vrais et sincères qui sont ses amis.
Et moi, je suis un cochon intermittent, avec des crises de salauderies, qui ont l'exaspération d'une chair mordue par l'animalcule spermatique. »
Puisque nous en sommes à ce Journal, j'aimerais ajouter une chose. Avant cela, rappelons que le journal des Goncourt est en fait deux : celui tenu à 95 % par Jules, entre le 2 décembre 1851 et le 1er janvier 1870 (il mourra le 20 juin), et le suivant, dû entièrement à Edmond, jusqu'à sa propre mort en 1896. On lit régulièrement que le vrai journal des Goncourt, c'est le premier, celui tenu par le cadet ; et que, ensuite, sous la plume du survivant, il perd en qualité littéraire et sombre trop souvent dans la collecte de ragots ; c'est la sentence, notamment, exprimée à deux ou trois reprises par Paul Morand, dans ses lettres à Jacques Chardonne.
Je suis de l'opinion inverse. Jules a tendance à filer le morceau de bravoure, à se regarder écrire ; il est plein de préciosités, de tortillons et d'arabesques qui, à la longue et par un paradoxe qui n'est qu'apparent, aplatissent ses pages, en affadissent la lecture. S'il n'est pas tout à fait exempt de ces défauts, de cette écriture m'as-tu-vue, Edmond est tout de même beaucoup plus libre, moins entravé dans son propre style ; de fait, pratiquement du jour au lendemain, le journal devient plus vivant. Quant à l'accusation portée par Morand – et d'autres avant lui –, elle ne tient pas : quel lecteur de journaux d'écrivains n'est pas également, ne serait-ce qu'un peu et honteusement, un amateur de ragots ?
"l'animalcule spermatique"...
RépondreSupprimerj'aime bien les mots en "-cule", notamment "canicule" dont l'utilisation est courante mais l'explication méconnue par 99% des utilisateurs.
Canicule, viendrait de la chanson napolitaine : "Cuniculi, cuniculà", car comme chacun le sait,il fait très chaud à Naples.
SupprimerEn revanche, canicule spermatique, ça ne donne vraiment rien.
SupprimerLe titre de la chanson est évidemment : "Caniculi, canicula" !
SupprimerSinon, il y a aussi la version pour salles de garde : Foufoune y coulis, foufoune y coula.
Supprimer"animula blandula vagula"
SupprimerEt la définition d'animalcule spermatique, quelle est elle ?
Voir ici…
SupprimerSinon, il y aussi "testicule" (petit témoin... "testis unus testis nullus", que le regretté Desproges traduisait par "on ne va pas bien loin avec une seule couille") qui me plait bien
SupprimerMon vénéré maître a écrit l'un de ses livres important sur la canicule. ça s'intitule : "Canicule: Essai de mythologie sur Yvain de Chrétien de Troyes", mais je ne peux décemment pas en recommander la lecture à l'honnête homme. C'est un machin de spécialiste.
SupprimerAh mais si, ç'a l'air passionnant !
SupprimerEvidemment, synonyme de spermatozoïde donc, et en citation, nous retrouvons le journal de Goncourt. La boucle est bouclée.
SupprimerJe crois que l'expression "animalcule spermatique"a pour origine (que votre lien sur un dictionnaire semble oublier) l' "hominculus", ou petit bonhomme que certains, dont Nicolas Hartsoeker (1656-1725) ou van Leeuwenhoek (1632-1723) , après de le perfectionnement du microscope par ce dernier, , croyaient voir dans les spermatozoïdes.
Supprimer"En 1694 il présentait un "homunculus" - un individu en miniature accroupi dans la tête d'un spermatozoïde (→ théorie des animaculistes = spermatistes : par opposition à la théorie des ovistes qui pensaient que l'homunculus était préformé dans l'œuf)" voir ici pour plus de détails :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Hartsoeker
http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoni_van_Leeuwenhoek
Hé, vous pourriez dire merci !
SupprimerJ'ignorais que Tourgueniev, avait été un "auteur sifflé" : par qui ? pourquoi ?
RépondreSupprimerJe l'ignorais aussi, mais je ne suis pas spécialiste…
SupprimerPeut-être que, en sa qualité d'étranger exotique, il a été admis sans avoir été sifflé ?
Ils auraient pu ajouter Hugo (certainement gagnant du pompon) qui a eu droit lui aussi à des sifflets.
RépondreSupprimerhélène dici
Goncourt dîne assez régulièrement chez Hugo. Mais Hugo, lui, ne se déplace pas.
SupprimerTrès humblement ( je ne suis qu ' un p'tit nouveau ici ) c ' est l ' écriture " m ' as- tu -vue "
RépondreSupprimerqui me chagrine quelque peu . Je n' aurai pas pensé qu ' il y a accord , mais si l ' auteur des BG
l ' utilise ...
Jérôme
J'ai hésité. Du reste, je ne suis pas bien sûr de moi sur ce coup. Mais l'accord m'a semblé logique…
SupprimerM'as-tu-vu est invariable contre toute logique !
SupprimerLe Petit Robert admet l'accord au féminin.
SupprimerQuant à Littré, il passe directement de "masturber (se)" à "masulipatan", qui est, comme chacun sait, une très fine toile de coton des Indes.
SupprimerCochon, n'est-ce pas le terme ancien pour écrivain en bâtiment....
RépondreSupprimerBen, dites donc : restez poli, jeune homme !
SupprimerPour ce qui est du nombre des commentaires, il est préférable d'être une tronche en saindoux, y compris à beignes, plutôt qu'un cochon intermittent !
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