En tapant le nom d'Alain Delon dans Google, je suis tombé – dernier article de la première page – sur un billet vieux de deux ans, que j'avais tout à fait oublié. Comme je suis, pour des raisons professionnelles, plongé depuis quelques jours dans sa biographie, je me suis dit qu'il n'y avait pas de raison pour que j'y demeurasse seul. Revoici donc ce Plaidoyer pour Alain Delon, du 20 septembre 2013 :
Il était, et est resté longtemps, d'une beauté que l'on disait volontiers solaire, peut être parce que Plein Soleil
l'a révélé. Il avait en tout cas un sourire, une mèche, des yeux et un
corps à vous faire regretter, parfois, de n'être pas homosexuel. Encore
que non, à la réflexion : si nous l'avions été, homosexuel, la
frustration aurait sans doute été terrible de n'avoir aucune chance de
le rencontrer jamais ; quant à devenir femme pour approcher l'idole, le
prix à payer aurait tout de même été bien lourd. Mais, du jour au
lendemain, Delon était là ; la veille, inconnu ; le jour d'après, il ne
faisait pas partie du paysage : il était un paysage nouveau à soi seul.
Pour devenir acteur indispensable, il n'a même pas eu besoin d'aller
faire le guignol chez Godard, même s'il y est finalement allé ; après un
fécond détour par chez Visconti, il s'est contenté de décrocher de la
patère le costume croisé qui pendait à côté de ceux de Gabin, de Blier
et de Ventura : l'affaire était faite.
De sa beauté, les folliculaires disaient aussi qu'elle était insolente.
Mais il l'était tout entier, insolent, et l'est demeuré. C'est avec
insolence qu'il s'est mis à gagner beaucoup d'argent, à s'instituer
star, à parler de Delon comme d'un autre que lui (et personne ne semble
avoir vu qu'il pouvait s'agir là d'une preuve de profonde humilité,
d'étonnement incrédule face à soi-même) ; Delon rajeunissait, se mettait
à jouer, et devait bien rire des trépignements que ses poses et ses
écharpes blanches suscitaient dans les cercles vertueux et grisâtres
qu'il traversait en dansant.
Et
puis, la loi commune étant ce qu'elle est, Delon s'est mis à vieillir.
De Delon tout court, il est peut-être redevenu Alain Delon, comme au
début. Le panache ne l'a pas quitté pour cela, il n'a cherché à rien
esquiver, et surtout pas le pathétique de la grandeur déchue. Il dit
assez simplement, dès que l'occasion lui est offerte, la douleur et la
déception qu'il y a, quand on vit encore et que tous les autres sont
morts, à se savoir appartenir au passé, au patrimoine ; il ne
craint pas d'exposer sans fleurs les désarrois de la vieillesse, de
toutes les petites pertes irrémédiables qui se succèdent en bon ordre.
Alain Delon est une belle figure, même aujourd'hui où le soleil s'avance vers son crépuscule, et qu'il le sait.
Ah, faut se les farcir, les réacs, avec leur sempiternel c'était-mieux-avant, j'vous jure !
RépondreSupprimerCela dit, c'est vrai que je ne fous plus grand-chose. Mais que voulez-vous : presque dix ans de blogage, ça finit par lasser…
Je m'en rappelle très bien. Sans relire les commentaires, il me semble y avoir comparé Delon à Belmondo.
RépondreSupprimerExact.
SupprimerBon, y'a pas d'raison de pas vous refourguer mon vieux commentaire de l'époque, puisque je suis toujours de mon avis :
RépondreSupprimerCommencer sa carrière avec un film comme "Plein soleil" était vraiment révélateur : dès qu'il apparaît sur l'écran, il l'illumine, on ne voit plus que lui, même dans ses rôles nocturnes chez Antonioni ou Melville (est-ce que l'on peut trouver mieux comme performance d'acteur que Delon dans "Le Samouraï" ?).
Ce qu'il a récemment déclaré à propos des homosexuels n'a guère d'importance quand on a été comme lui un objet de désir pour plusieurs de ses metteurs en scène : il suffit de regarder "Rocco" et "Le Guépard" pour comprendre tout de suite ce que Visconti éprouvait pour lui. Est-ce que c'est oui ou non "contre-nature" ? On n'en a vraiment rien à faire...
En revanche, je ne suis pas de votre avis sur Godard, que j'aime beaucoup et qu'il est peut-être un peu rapide de réduire à des "guignolades"...
(La photo d'illustration du billet est bien meilleure que celle choisie la première fois : c'est dans "Les Aventuriers", il me semble...)
Les Aventuriers, en effet.
SupprimerVous allez me faire apprécié Delon.
RépondreSupprimerJ'aimerais mieux vous faire apprécier l'infinitif…
SupprimerMea culpa, mea maxima culpa.
SupprimerAucune excuses, en plus je n'étais même un peu saoul.
Il y a un côté très curieux, dans la beauté de Delon, que vous frôlez dans votre billet : il y a (dans mon expérience personnelle) beaucoup plus d'hommes que de femmes qui le trouvent beau.
RépondreSupprimerIl semble qu'il y ait toujours eu égalité, en ce domaine.
SupprimerOui, mais le fécond détour "par chez Visconti" me choque un peu.
RépondreSupprimerPour le reste : bien senti, bien dit.
Vous choque à quel point de vue ?
SupprimerAu point de vue du style. Mais j'ai peut-être tort (cela m'arrive rarement, certes, mais pas tout à fait jamais).
SupprimerAh, tiens, justement, à propos de ce passage, il y a une chose avec laquelle je ne suis pas tout à fait d'accord ; vous dites : "après un fécond détour par chez Visconti, il s'est contenté de décrocher de la patère le costume croisé qui pendait à côté de ceux de Gabin, de Blier et de Ventura : l'affaire était faite." Delon a tout de même pris beaucoup plus de risques dans sa filmographie que ceux que vous citez, magnifiques acteurs certes, mais qui se sont assez vite installés dans des rôles un peu monolithiques et répétitifs ; Delon s'est montré beaucoup plus éclectique : en 1972, il tourne avec Valerio Zurlini "Le Professeur", le rôle d'un prof suicidaire, nihiliste et profondément dépressif ; en 1984 il joue Charlus dans "Un amour de Swann", en n'hésitant pas à charger le côté maniéré et pervers du personnage ; en 1992, il casse son image de séducteur en jouant un Casanova sur le retour, assez pathétique (très bon film un peu sous-estimé, parce qu'il n'a pas eu de succès à l'époque). Et on pourrait ajouter le personnage à la dérive de "Notre histoire" (du fils Blier) et "M. Klein" de Losey ; je n'imagine pas Gabin ou Ventura sortir de leur routine pour accepter ces rôles très casse-gueule (qui pour la plupart n'ont d'ailleurs pas eu de succès public).
SupprimerIl y a chez Delon un grand narcissisme, mais aussi un fond masochiste qui le pousse à casser régulièrement son image pour aller là où ne l'attendait sûrement pas. C'est aussi ce qui fait l'originalité du personnage, et son côté complexe et fascinant (il y a en lui du Ripley ; c'est vraiment dommage qu'il n'ait pas, après "Plein soleil", repris ce personnage-caméléon dans d'autres films, tirés de la série de Patricia Highsmith ("Les Ombres de Ripley", "Ripley s'amuse", "Sur les pas de Ripley"...) ; il aurait été parfait...
@ Emmanuel F.
SupprimerNon content d'avoir refourgué votre vieux commentaire, comme vous dites, voilà que vous vous mettez en devoir, si je comprends bien, d'écrire le nouvel article que Didier est censé fournir professionnellement ! Et vous avez bien raison, car toutes les considérations sur sa beauté ne sont rien à côté de cette carrière qui, comme vous le soulignez si bien, comporte des films qui, eux, ne connaîtront ni "petites pertes irrémédiables", ni même "crépuscule".
c'est qui ce Alain Delon ?
RépondreSupprimerEn tapant sur Google : Alain Delon Didier Goux, ce sera plus confortable pour retrouver l'article original. Vous lisant, la même histoire qu'hier m'est revenue, je ne l'exhumerai donc pas aujourd'hui.
RépondreSupprimerBigre, bel article !
RépondreSupprimerQuand on sait que folliculaire vient du latin folliculus (« petite bourse »), on a fait un grand pas (pour l'homme) ...
RépondreSupprimerAlain Delon... Plein soleil, Soleil Rouge, la Piscine, Le Samouraï , La veuve Couderc, Rocco, Combine d acteurs français peuvent se targuer d'une telle filmographie. Il y a deux films quasi inconnus avec Delon que je vs conseillerai de voir si ce n'est déjà fait: Le professeur et Le passage ...
RépondreSupprimerNe pas oublier dans vos " raisons professionnelles " de mentionner à quel point Delon est un quasi Dieu vivant en Chine où même dans les fins fonds, on le connait sans l'avoir jamais vu
Beau ?
RépondreSupprimerUn Appolon !!!
Envoûtant...
Votre billet est très agréable à lire, hélène dici
Je me reconnais entièrement dans ce billet...
RépondreSupprimerExcellent article, Didier Goux aurait pu vendre des aspirateurs avec succès!
RépondreSupprimerUn de vos commentateurs, Emmanuel F, touche fort juste, je trouve, en évoquant ce refus (de fait, puisqu'on peut penser qu'il pouvait se permettre de choisir ses rôles), ce refus de la routine, ce goût pour les sentiers qu'il n'avait pas battus chez Alain Delon.
RépondreSupprimerC'est ça, principalement, qui rend sa filmographie intéressante à mes yeux. Et puisque chacun y va de ses films, permettez-moi de citer l'intéressant Traitement de choc d'Alain Jessua (un cinéaste salement oublié, et c'est très injuste), et le très étonnant Attention, les enfants regardent de Serge Leroy, produit et joué par Alain Delon.
Petit détail en passant : il ne pouvait y avoir de suite au Plein soleil de René Clément puisque les auteurs du scénario, trahissant Patricia Highsmith et la folle prudence de son personnage, faisaient serrer Ripley par la polizia à la fin.
RépondreSupprimerOui, c'est vrai, mais on aurait pu facilement imaginer un artifice de scénario qui permette de sortir Ripley de ce mauvais pas ; après tout, le personnage a suffisamment de ressource pour cela ! Highsmith a toujours considéré qu'Alain Delon était le parfait Ripley, mais bon, maintenant, il est évidemment trop tard ! ("Traitement de choc" est un très bon film ; pour les éventuels amateurs ou amatrices, je signale que l'on peut aussi y contempler l'impeccable plastique de Delon sous toutes ses coutures, et sans voile aucun...)
SupprimerMerci pour ce début d'érection.
RépondreSupprimerBeau billet et très bons commentaires.
RépondreSupprimerAlain Delon a eu un alter ego dans le monde de la musique rock,Jim Morrison du groupe " the Doors", décédé en 1971.
Ce dernier a fait l' objet de témoignages quasi identiques au sujet de son physique et de son carrisme .
Une de ses nombreuses conquêtes féminines avait déclaré à son propos " avec Jim c' est comme couché avec
le David de Michel Ange, avec des yeux bleus".
Un autre point commun entre les deux hommes : ils ont partagé le lit de la chanteuse Nico.
Enfin, si Alain Delon a su gérer très longtemps son physique hors du commun , Jim Morrison s' est quant a à lui appliqué à ruiner très vite celui-ci en quelques années.
"Un autre point commun entre les deux hommes : ils ont partagé le lit de la chanteuse Nico."
RépondreSupprimerIl faut dire que dans les années soixante et soixante-dix, il y avait beaucoup de passage dans le lit en question...
Désolé pour " charisme"
RépondreSupprimer@ Emmanuel F
Tout à fait et du beau monde : Lou Reed....
Le" grand narcissisme" de Delon explique le fait que certaines femmes ( cas de mon ex ) m' ont affirmé préférer par exemple un dîner avec Belmondo qu' avec Delon au motif qu' elles pressentaient que le premier a priori s' intéresserait à elles tandis que le second leur parlerait de lui.
Le documentariste Philippe Kohly a réalisé "Alain Delon, cet inconnu", un portrait subtil, contrasté et élégant de l'acteur qui sera diffusé le lundi 2 novembre à 20h50 sur FR3. Ayant rédigé un petit commentaire sur ce film, je me permets de déposer un lien vers mon blog :
RépondreSupprimerhttp://pour15minutesdamour.blogspot.ch/2015/10/toto-aime-la-tele_19.html
Bien à vous