vendredi 24 juin 2016

Quichotte en mer


J'avais vu le film à sa sortie, je devais donc avoir vingt ans, ou vingt-et-un. Je me souviens de l'avoir aimé tout en m'y étant un peu ennuyé : c'est peut-être un privilège des adolescents et des très jeunes hommes, d'être capables d'aimer même ce qui les ennuie, pour peu qu'ils aient l'impression d'y trouver une nourriture ; à moins qu'ils ne voient dans leur ennui le signe de quelques pépites se dérobant à leur entendement et, donc, la perspective de découvertes futures.

Nous avons l'autre soir, à la télévision cette fois, revu Le Crabe-Tambour ; il ne m'a pas ennuyé et m'a encore plu ; ou bien j'ai compris que l'ennui que je croyais le mien est en fait celui qui exsude des personnages principaux, de cette trilogie magnifique que montre la photo ; ennui que l'on devrait mieux appeler désenchantement, perte, repli, renoncement ou simplement chagrin. Dès le lendemain, j'ai commandé le livre, dont je suis rendu à la moitié. On y retrouve les qualités du film, sur lesquelles je n'ai guère envie de m'étendre maintenant, assorties de quelques faiblesses, notamment dans l'écriture de certains passages en forme de brefs interludes, où l'on sent un peu trop, chez Schoendoerffer la volonté de faire poétique.

Je viens de m'arrêter à la page 141 (le roman en compte un peu plus de trois cents), sur un paragraphe qui commence ainsi : « J'ai souvent remarqué que les ravages de la maladie semblent dégager les traits profonds du caractère, décaper les visages du superflu pour faire ressortir l'essentiel. chez les uns on découvre étonné une énergie inconnue, chez les autres une vulgarité, une bassesse insoupçonnée, parfois une innocence d'enfant. » Notation peu originale, et qui ne m'aurait pas arrêté si l'auteur n'avait enchaîné : « Ce qui domine, ce matin, chez le commandant, c'est sa noblesse. Sous la lumière crue de la lampe de chevet qui souligne le squelette de son visage maigre, il me fait soudain penser à Don Quichotte sur son lit de mort dans une illustration de Gustave Doré. » Or, ce commandant, atteint d'un cancer, est celui qu'à l'écran interprétait Jean Rochefort, lequel aurait dû, quelques années ensuite, devenir réellement Don Quichotte pour la caméra de Terry Gilliam, si la maladie – une vraie maladie cette fois – ne l'avait finalement contraint à y renoncer.

D'autre part, sachant par le film que, dans quelques dizaines pages, debout sur la passerelle de l'Éole, je vais accoster à Saint-Pierre-et-Miquelon, me voilà fouillant ma mémoire pour tâcher de me souvenir si, oui ou non, Eugène Nicole fait une allusion quelconque à mon Crabe-Tambour dans son Œuvre des mers. Je crois bien que non.

42 commentaires:

  1. C'est amusant, j'ai à peu près le même souvenir du film que j'ai vu à la même époque que vous ce qui fait que j'avais une dizaine d'années (ce qui me permet de rappeler notre différence d'âge). Fascinant et ennuyeux.

    N.B. : si mon commentaire est en double ou presque merci de supprimer celui ci. Mon iPhone a dit Burp lors de l'envoi du premier.

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    1. Chapeau ! À dix ans, je crois que je me serais endormi au bout de dix minutes !

      Sinon, pas de trace du "burp”…

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    2. Fascinant et ennuyeux, c'est ça.
      Je ne sais pas si c'est alzheimer qui me guette, mais il m'arrive de me souvenir si un film m'a plus, sans pour autant m'en rappeler l'histoire.

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  2. Ils n'ont quand même pas l'air très rigolos, sur la photo.

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    1. Non, en effet, ce ne sont pas vraiment des rigolos. On peut même les soupçonner de n'avoir jamais voter à gauche, c'est vous dire s'ils sont tristes.

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    2. J’ai vu le film il y a longtemps, quand j’étais jeune et « de gauche ». Le branleur « pacifiste » que j’étais, comme tout le monde à l’époque, ne pouvait rien comprendre à ce genre d’histoire ou de personnage. Il faudrait que je le revoie aujourd’hui pour mesurer le chemin parcouru.
      Il y a vingt-quatre ans je disais oui à Maastricht car l’Europe c’était la « paix ». Aujourd’hui j’ai ouvert une bouteille de Sauternes pour fêter l’évènement

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    3. Je ne vous suivrai pas sur le sauternes…

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  3. J'ai juste lu le mot "film" dans la première ligne de votre billet, puis vu les 3 galettes sur la photo, et immédiatement je me suis "ça sent le crabe-tambour".


    Je ne l'ai vu qu'à trente ans, tandis que mon père m'en parlait depuis que j'étais en âge de me laver les oreilles.

    Aucun ennui, presque même l'impression d'avoir lu un livre en mer. Chose impossible en réalité, car je fais partir de ceux qui ressentent le mal de mer à la moindre vaguelette.

    Un bon film de vieux loups de mer, comme on aime.

    J'oserais le " Bobby yeah " pour la judicieuse analyse que vous faites du divertissement...intelligent (?), et surtout pour l'univers marin que ce film dépeint avec brio. Et trio.

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    1. Lire sur un bateau : je ne sais pas non plus si je m'y risquerais !

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  4. Un de mes meilleurs souvenirs cinématographiques de mon adolescence. J'avais 15 ans à sa sortie, et je l'ai adoré. Je le revois assez régulièrement, à peu près tous les 4 ou 5 ans, et je suis toujours sous le charme. Peut-être est-ce dû au fait qu'il se déroule durant les dernières années où des hommes pouvaient encore se conduire en hommes d'honneur, refuser de faillir à leurs principes. mais est-ce encore compréhensible aujourd'hui ? Cette époque pourtant pas si lointaine semble pourtant à des années lumière de notre triste monde actuel.

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    1. Mais était-ce l'époque ou seulement ces hommes-là ? Parce que, enfin, la France, dans ces années-là, n'a pas manqué d'indignités non plus.

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    2. C'est assez vrai, mais vous imaginez aujourd'hui qu'une partie des officiers puisse refuser les ordres qui leur seraient donnés au nom d'une politique honteuse ? Nos bidasses à la fin des années 90 sont allés prêter main forte aux américains pour foutre sur la gueule des Serbes, qui se sont battus à nos côtés durant les deux guerres mondiales, pour ne parler que des choses récentes, le tout pour que deux enclaves musulmanes soient créées sur notre continent. Pas un seul n'a bougé une oreille, sauf le colonel Jacques Hogard qui a osé défendre le monastère serbe de Devic contre une bande d'Albanais de l'UCK qui voulaient le piller, violer puis massacrer les nonnes. Ce fait d'armes lui vaudra d'être décoré de la plus haute distinction de l'Église serbe orthodoxe, l'ordre de Saint Sava, et sonnera la fin de sa carrière puisque rentré en France on lui montrera la porte de sortie. Nous sommes loin du mouvement de refus de l'indignité qui s'incarna dans l'OAS.

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  5. De la première vision du film, sur mes 25/30 ans, ce qui prouve mon antériorité physique et morale sur beaucoup de gens ici, je n'avais gardé que le spectacle des étraves fendant les vagues d'un océan violent, gris et froid... Symbole du courage des hommes... Plus que les réminicences lourdingues de militaires de carrière...
    A leur re-vue j'ai aimé la nostalgie des visages jeunes et des interprétations me faisant revivre des bouts de mon passé... Non, franchement, les états d'âme des porteurs de casquettes à galons m'ont toujours beaucoup emmerdé...

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    1. Je ne trouve pas qu'ils aient beaucoup d'états d'âme ; ou, en tout cas, ils n'ont pas vraiment tendance à les étaler outre mesure.

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  6. Qu'est-ce qui fait, qu'à peu près tous les films "inoubliables" sont tirés d'œuvres littéraires ? Je pense à "Mort à Venise" ou à "Tous les matins du monde" : c'est la "noblesse" qui s'en dégage et qui fascine comme quelque chose qu'on nous aurait subtilisé et qu'on nous rend, là, pour un moment. C'est "La noblesse de l'esprit", notre idéal oublié, comme l'écrit Rob Riemen.

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    1. Je ne pense pas que vous ayez raison. D'abord parce que je trouve les deux films que vous citez hautement oubliables ; et ensuite parce que je pourrais vous citer vingt chefs-d'œuvre, trente, davantage, qui ne sont nullement tirés de romans.

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    2. Vous semblez ne pas avoir conscience du fait que la littérature et le cinéma sont deux arts différents, et pas plus la première que le second ne se réduisent l'histoire qu'ils racontent : le scénario d'un grand film ne fait pas un grand roman, un grand roman ne fait pas un scénario d'un grand film.

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    3. J'ajouterai qu'un superbe scénario ne fait pas non plus forcément un grand film, ni une magnifique histoire un grand roman.

      Du coup, il est tout de même nettement plus reposant de se consacrer au macramé.

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    4. Didier, je dirais que si vous pouvez écrire que les deux films que je cite sont "hautement oubliables" c'est que vous ne les avez pas oubliés, sinon comment le sauriez-vous ?

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  7. Vous plaisantez j'espère. Je suis bien certain que ces trois acteurs ont toujours voté à gauche et l'ont fait savoir. Gage d'une carrière artistique réussie.

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    1. À qui répondez-vous au juste ? Sinon, à part peut-être Rochefort, je ne me souviens pas d'avoir entendu les deux autres faire état de leurs opinions politiques. Quant à Dufilho, il ne se cachait pas d'être franchement à droite.

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    2. Dufilho était vraiment à droite, il était royaliste et catholique traditionaliste.

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    3. Lire pour cela, son auto-biographie:"les sirènes des bateaux loups"; il fit ostracisé pour son interprétation du Marechal Pétain.
      Tout catholique qu'il était, la résurrection d'un homme ordinaire lui posait problème.

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  8. Dufilho était pas mal aussi, même s'il surjoue un peu (mais il surjouait tout le temps, il me semble). Du même réalisateur on peut conseiller "la 317e section", mais on doit déconseiller "Dien Bien Phu", sauf si l'on est "fana mili" comme c'est mon cas, car autrement c'est vraiment trop grandiloquent.

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    1. Si ça continue, on va reparler des livres de Bonnecarrère, Par le sang versé et La Guerre cruelle

      (Mais, en fait, j'en ai déjà parlé, ici.)

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    2. Marrant, votre lien, et les commentaires valent aussi leur pesant de cacahuètes...

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    3. Oui, hein ? On savait rire, en ce temps-là…

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    4. Il arrive, comme ça, que les commentaires soient plus intéressants que le billet (ne le prenez pas mal, Didier…). Mais au fait, quelqu’un sait-il ce qu’est devenu Marchenoir ?

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    5. C'est sûr que Marchenoir mettait de l'ambiance !

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    6. J'ai oublié de répondre à M. Polo que Dufilho, dans ce film, ne surjoue que parce que le personnage qu'il interprète est lui-même volontiers théâtral et “surjoueur” : cela m'est apparu plus nettement en lisant le roman.

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  9. J'ai été trop fasciné pour me rendre compte que ce film était parfois ennuyeux.

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    1. Mais il ne l'est pas ! En tout cas, pas pour tout le monde. Ou pas à tous les âges.

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  10. Je l'ai vu au même âge que vous, à sa sortie, je n'ai pas le souvenir de m'y être ennuyée. J'ai ensuite lu le livre, vous me donnez envie de le relire! Jean Rochefort me paraissait bien vieux à l'époque, l'effet moustache sans doute et j'avais un faible pour Jacques Perrin ...

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    1. Je puis comprendre le "faible" sur un plan strictement érotique (ou sentimental). Mais quand il me vient, ce mot, à propos de Perrin dans ce film, c'est surtout à son jeu qu'il s'applique : il est vraiment le maillon faible du quatuor.

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  11. Je ne voudrais pas être trop désagréable mais j'ai l'impression que le débat va se mettre à tourner en rond comme certaine manifestation ridicule de ces derniers jours.

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    1. La manif ne tournait pas en rond, mais en rectangle.

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    2. Si les participants de cette avaient tenu un bouquet de fleurs, vu d'en haut, on aurait dit une couronne mortuaire.

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    3. J'aurais dit qu'elle tournait en bite.

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  12. Les films avec Jacques Perrin ne m"ont jamais inspiré, peut-être parce que le côté bellâtre de ce dernier ne collait pas avec les personnages qu'il interprétait.

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  13. Un seul regret : Jacques Duffilo n'est pas sur l'affiche.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.