jeudi 12 février 2015

Les barbarophobes sont-ils encore debout ?

Aux alentours de l'an 400 après Jésus-Christ – les historiens s'écharpent encore quant à la date exacte –, le jeune Synésios de Cyrène, futur évêque de Ptolémaïs, fait devant l'empereur la proclamation suivante :

« Seul un téméraire ou un songe-creux peut voir parmi nous en armes une jeunesse nombreuse, élevée autrement que la nôtre et régie par ses propres mœurs, sans être saisi de crainte. Nous devons en effet, ou bien faire un acte de foi dans la sagesse de tous ces gens, ou bien savoir que le rocher de Tantale n'est plus suspendu que par un fil au-dessus de nos têtes. Car ils vont nous assaillir aussitôt qu'ils penseront que le succès est promis à leur entreprise. À dire vrai, les premières hostilités sont déjà engagées. Une certaine effervescence se manifeste çà et là dans l'empire, comme dans un organisme mis en présence d'éléments étrangers, rebelles à l'assimilation qui assure son équilibre physique. »

J'ai trouvé ce texte hautement “résonnant” à la page 292 du superbe ouvrage de Michel De Jaeghere, évoqué déjà il y a peu : Les Derniers Jours, sous-titré : La Fin de l'empire romain d'Occident. Et, pendant que je vous tiens, je ne vais pas résister au plaisir de vous donner aussi cette forte évocation de Ravenne, où la cour impériale vient de se réfugier après avoir évacué Milan (nous sommes en 403, ce qui est moins chic que de circuler en Jaguar). Elle est due à la plume de Sidoine Apollinaire, né à Lyon en 430 et mort à Clermont cinquante-six ans plus tard :

« Dans ce marécage sont continuellement inversées les lois de la nature : les murs tombent, les eaux stagnent ; les tours flottent, les navires sont échoués ; les malades se promènent, les médecins sont alités ; les bains sont glacés, les appartements brûlants ; les vivants ont soif, les morts nagent dans l'eau ; les voleurs veillent, les autorités dorment ; les clercs pratiquent l'usure, les Syriens le chant des Psaumes ; les commerçants font la guerre, les moines du commerce ; les vieillards aiment la balle, les jeunes gens, les dés ; les eunuques aiment les femmes, les fédérés, la littérature. »

C'est à la page 300 du même ouvrage.  Bien entendu, on se tromperait gravement si l'on voyait, dans l'un ou l'autre de ces deux extraits, une façon détournée de parler de l'époque et du monde auxquels nous sommes condamnés.

25 commentaires:

  1. Cela s'appelle-t-il l'aurore ?

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  2. Ah! quelle consolation...
    Enfin un blog où l'on parle encore de civilisation, d'histoire et de littérature.
    Monsieur Goux vous êtes décidément un phare dans la brume, et plus encore, une passerelle d'espoir.
    Bref, une heureuse oasis...




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    1. Un phare, une passerelle et une oasis ? Si avec tout ça je ne me chope pas un lumbago, moi…

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    2. Quoique ce matin le phare dans la brume était bien utile.

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  3. Ce qui est bien avec les livres d'Histoire, c'est qu'on a les informations du jour en bon français et sans les déclarations du premier ministre ("insupportable", "inadmissible" etc.)

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    1. Et sans même prononcer le mont "apartheid" !

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    2. Arrêtez, c'était plutôt drôle cette intervention à la Johnny Clegg.

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    3. Du reste, il est situé dans quelle chaîne, ce mont apartheid ?

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    4. mais si la france vit sous le régime de l'apartheid ou de la ségrégation raciale La preuve ce pauvre noir viré du métro par quelques "skins" anglais de chelsea Comment cela est il encore possible en 2015, au XXI ème siècle, dans le pays des droits de l'homme et du citoyen ? Cet acte scandaleux est a mettre en relation avec le climat nauséabond actuel, ces supporters de chelsea ont surement été influencés par marine le pen dont l'influence tentaculaire fait fi des frontières des mers et des océans C'est chez nous que renaitra l'internationale fasciste si nous ne faisons rien

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  4. Il y aura bien un imbécile pour vous dire que justement ces drames prévus il y a si longtemps n'ont pas débouché sur l'horreur, que les réactionnaires de toutes les époques se sont donc trompés et que demain tout ira non seulement bien, mais mieux.

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    1. jean françois kahn dit bien "tout change pour que rien ne change" Christopher lasch parle aussi de "révolte des élites" qui a débuté peu ou prou depuis la fin des années 60 pour atteindre son apogée aujourd'hui (la lutte des classes existe et nous sommes en train de la gagner warren buffet) La nouveauté de notre époque c'est que les élites semblent majoritairement unies et solidaires, elles forment souvent plusieurs blocs monolithiques partageant les memes projets, valeurs, idéaux (paradis fiscaux, banques, FMI, BCE, HEC,ENA Union européenne, Etats unis, monde anglo-saxon-protestant, morale permissive sans frontiériste et pacifiste-en théorie-parce qu'en pratique on attise les tensions partout pour favoriser l'emprise du "doux commerce" sur les masses en les débarassant de tout ce qui entravait la libre circulation des biens et des marchandises le patriarcat, le mariage traditionnel, l'esprit religieux, la fidélité, l'honneur, le courage, le patrotisme, l'attachement, l'engagement, le respect, le bon sens, la grande culture Bien sur ce "grand plan" connait quelques ratés puisque les "nouveaux barbares" ne semblent pas vouloir assimiler l'idéologie liberale libertaire protestante made in america Mais comme de l'eau aura coulé sous les ponts quand ces "barbares" auront réellement vaincu l'occident, nos chères élites disposent encore de quelques belles dizaines d'années de plaisir devant elles (avant le grand exode sur mars, en extrème orient ou en océanie ?)

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  5. C'est curieux comme depuis quelques temps on compare souvent notre civilisation avec la chute de l'empire Romain. L'air du temps, certainement.
    D'ailleurs (et si j'abuse de votre hospitalité dites-le moi immédiatement et je ferais amende honorable), j'ai commis un petit billet sur le sujet il y a peu.
    http://www.grouchomarx.fr/2015/01/sic-transit-gloria-mundi.html

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    1. Non, non, vous n'abusez pas. La preuve, je vais même offrir à vos futurs visiteurs un lien correct

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  6. Il y a aussi cette citation de Saint Augustin (354-430) qui fonctionne très bien :

    A force de tout voir, on finit par tout supporter.
    A force de tout supporter, on finit par tout tolérer.
    A force de tout tolérer, on finit par tout accepter.
    A force de tout accepter, on finit par tout approuver.

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  7. M. Goux,

    Je vous en prie, PASDAMALGAME entre notre temps et la chute de l'empire romain.

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    1. Je n'amalgame jamais rien, Môssieur ! Même la mayonnaise, je la rate, c'est dire.

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  8. Deux petits liens...

    Pour montrer en quoi la jeunesse, c'est bien l'avenir enthousiasmant qui nous attend :

    http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/02/12/01016-20150212ARTFIG00167-une-interview-de-la-compagne-de-coulibaly-dans-le-magazine-de-l-etat-islamique.php

    Et un autre (puisque votre blog est devenu un espace publicitaire gratuit pour ceux des autres ) pour expliquer pourquoi :

    http://www.marianne.net/elie-pense/pourquoi-nos-banlieues-fabriquent-djihadistes-100231197.html



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    1. Mais non, mais non ; il faut encourager la jeunesse…

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  10. Dans l'avant-dernier paragraphe, je pense que c'est plutôt "les clercs pratiquent l'usure" (et pas "pratiquement").

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  11. La chute des empires est le précipice du sens commun. Les mots en prennent pour leur grade, au passage.

    Justement, sur ce point je me suis interrogé sur: "ils sont debout", qui était une question dans votre titre ("sont-ils encore debout?"). S'agissant d'un adverbe, pas d'accord. Comme "ensemble".

    Pourtant, quand on change de position, passe-t-on de l'adverbe à l'adjectif, ou au participe? Bizarre (pour enculé, on dit quoi?).

    Ainsi, on dit: "elles sont assises". Accord. On pourrait aussi le dire pour "couché": elle est couchée, ils sont couchés. Dans le registre des positions, "à genoux" est simple: on y met les deux, sauf dans la position du tireur "à genou", qui n'en jette qu'un seul à terre. L'expression "à pied" nous prend à contre-pied: on ne pose qu'un seul pied à terre, sauf à marcher à l'amble, ce qui ne se dit pas pour un être humain, sauf par extension, quand on le suspecte de fourberie.

    Et, puisqu'on parle d'accord, voyons ce que donne "d'accord", locution assez mystérieuse qui est cataloguée comme un verbe n'appartenant à aucun groupe et se conjuguant avec l'auxiliaire avoir, ici:

    http://leconjugueur.lefigaro.fr/conjugaison/verbe/d%27accord_voix-passive-oblige.html

    Un OVNI, nous sommes bien d'accord (je dis ça, mais je participe à la dissémination).

    Le site, scrupuleux, avertit néanmoins le lecteur imprudent: "Attention, ce verbe peut ne pas exister, la conjugaison est donnée à titre d'exemple".

    Ouf.

    Mais, exemple de quoi, au juste? On se perd en conjoncture. Ou en conjectures?

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.