dimanche 11 novembre 2007

Concomitamment

[Où l'on reprend les vieilles habitudes de donner ici les "bonnes feuilles" du Brigade mondaine en train de s'écrire (mais pas tout seul, hélas...).]


- Ça n’a pas l’air d’aller, ce matin… nota Corentin, en voyant les sourcils froncés et le regard orageux de Géraldine.

- Ah ! ça, je te crois ! explosa la jeune femme, en accrochant son blouson à la patère fixée derrière la porte. Paris devient un vrai coupe-gorge, tu le savais, Grand chef ? Bientôt, une honnête fille comme moi ne pourra même plus prendre un café à un comptoir de rade sans se faire violer tout debout !

- Tu n’as qu’à le prendre assise… crut bon de plaisanter Boris Corentin.

Cela lui valut un regard outré de Géraldine :

- Très drôle ! Monsieur Corentin se lance dans l’humour graveleux, alors que je viens de passer à deux doigts de l’outrage sévère !

Prudent et diplomate, Boris se garda de faire la moindre remarque, à propos des « deux doigts » que venait d’évoquer sa jeune consoeur. Il s’apprêtait à prendre une mine de circonstance et à lui demander quel drame terrible elle avait dû affronter, lorsque, soudain, sans la moindre transition, le visage de Géraldine s’éclaira, juste avant qu’elle n’éclate de rire.

- Bon, OK, Grand chef ! j’ai essayé de te la jouer P’tite Cosette, mais j’arrive pas à garder mon sérieux. J’ai bien fait de renoncer au théâtre quand j’étais ado, moi !

- Donc, il ne t’est rien arrivé du tout ? soupira Corentin, finalement assez soulagé.

- Ah ! si, tout de même ! C’est d’ailleurs ce qui m’a donné l’idée de le faire façon mélo flamboyant. Mais, en fait, c’était plutôt comique.

- Bon, ben… raconte, l’encouragea Boris Corentin, en se calant confortablement dans son fauteuil, les mains croisées derrière la nuque.

- Donc, j’étais au bistrot en bas de chez moi, en train de boire un grand crème, jusque là c’est conforme, commença Géraldine, en posant une fesse rebondie sur le coin du bureau de Corentin. Sauf que j’étais pas au comptoir, mais à une table. Je suppose que j’ai pas dû faire assez gaffe en posant mon cul, toujours est-il qu’à un moment je m’aperçois de deux choses, concomitamment…

- Concomitamment ! souligna Boris, avec un demi-sourire ironique.

- Ouais, je l’aime bien, celui-là, confirma Géraldine. Du coup, je m’entraîne à le prononcer aussi souvent que possible, pour qu’il sorte avec naturel.

- Tu es certaine qu’il existe ?

- M’en fous…

- Donc, deux choses concomitantes se présentent à ton esprit… la relança Boris.

- La première, c’est que, dans le mouvement que j’avais fait pour m’asseoir, je me retrouvais avec la jupe limite ras-la-touffe. Et la deuxième, c’est que, au coin du bar, un type d’une trentaine d’années, plutôt pas mal gaulé, je dois admettre, était en train de se desorbiter les globes oculaires pour essayer de me mater le berlingot.

- Quelle classe ! quelle élégance ! comme dirait ce bon Mémé ! soupira Corentin, en se retenant de rire.

- Au fait, il est pas là, Mémé ?

- Il a téléphoné qu’il aurait un petit retard à l’allumage… Si on revenait à ton mateur de berlingot ?

- T’as raison, Grand chef. Donc, bon, m’apercevant du truc, je fais comme toutes les pétasses dans ce cas-là : je serre les genoux et, concomitamment, je tire sur ma jupe. En me disant que l’autre glandu va comprendre le message. Au lieu de ça, le voilà qui s’approche, se plante devant moi et… et tu sais pas ce qu’il me balance ?

- Si, bien sûr : j’étais là, tu ne te souviens pas ?

- Oh ! ça va, hein ! Donc, le voilà qui me vote un petit sourire faraud, presque timide, et qui me dit : « Mademoiselle, vous me plaisez tellement que je crois que je serais capable de vous brouter le minou pendant des heures ! » Tu le crois, ça ? Moi, j’en étais sur le cul !

- Tu l’as déjà dit, ça, Petit bonhomme… Et tu as réagis comment ? J’avoue que je crains un peu, là…

- Non, t’as tort, Grand chef, j’ai été super cool, assura sérieusement Géraldine. Je ne dis pas que, dans un premier temps, je n’ai pas eu envie de lui remonter les gonades dans les trous de nez à grands coups de rotule, mais j’ai réussi à prendre sur moi.

- Bravo ! belle victoire de l’esprit sur la matière ! Et tu as fait quoi, à la place ?

- Je lui ai gentiment expliqué que c’était très tentant, mais que, là, c’était pas possible, à cause des Brigades rouges qui cernaient le quartier.

- Élégant…

- Ensuite de quoi, je lui ai filé rencart pour dans trois jours, dans un troquet à l’autre bout de Paris, où je ne mets jamais les pieds ni le reste.

Boris Corentin se composa une mine tristement choquée :

- Alors, là, Petit bonhomme, je trouve ça d’une cruauté révoltante ! Après tout, il ne voulait que ton bien, ce garçon. Et il s’est montré très poli. Courtois, même…

La sonnerie du téléphone, sur le bureau de Corentin, empêcha Géraldine de répondre.

1 commentaire:

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.