mardi 13 janvier 2009

Je finirai comme mon grand-père

Il s'appelait Maurice. Il était né dans un quartier de Charenton-le-Pont – ce qui est en soi d'assez mauvais augure – devenu depuis la commune de Saint-Maurice, mais sans que le père de mon père y soit pour quelque chose. Avant de se faire peintre en bâtiment (déjà le bâtiment, oui), il avait été paillasse, l'un de ces clowns de second rayon qui effectuent deux ou trois pitreries, le temps que les machinos du cirque fassent place nette sur la piste pour le numéro suivant. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça, qui n'a rien à voir avec le sujet que je comptais développer.

En dehors d'être un sévère picoleur (décidément, l'hérédité nous cerne de toute part, ce soir), Maurice était d'un naturel très casanier : sa dernière sortie un peu durable, ce fut le stalag. Ensuite, il a bougé le moins possible. Puis plus du tout : entre sa mise à la retraite, en 1965, et sa mort, neuf ans plus tard, il n'a plus jamais quitté son quatrième étage de l'avenue Jean-Jaurès, à Colombes – vue imprenable sur la gare du Stade et les usines Kléber. La voisine et sa fille lui montaient sa bouffe, il avait la radio (puis la télé, je crois bien) et des livres : il était toujours content. Tant qu'on n'exigeait pas de lui qu'il sortît, ce que peu de monde se risquait à faire.

Je suis en train de devenir Maurice. Non, non, inutile de protester, d'essayer de me rassurer : je le sens, c'est en marche. Tenez, rien que l'idée de reprendre le travail demain, après ce providentiel gros rhume, eh bien ça m'accablerait si j'étais du genre à me laisser aller et à pleurnicher sur moi-même. C'est trop loin, trop longtemps, trop de monde à qui parler. Un aller-retour au Super U pour refaire provision de Contrex et de Quézac aurait bien suffi à mon appétit de vie sociale. Mais une journée entière au travail, franchement... Je n'en finis pas de déplorer d'avoir été un peu trop jeune pour grimper dans la précédente charrette ; je vais tâcher de ne pas manquer la prochaine.

Et après, embastillement volontaire, réclusion choisie ! « Pas un pied en dehors du canton ! » : ma devise est déjà prête pour ce temps béni. Devise temporaire, car je sens déjà que, privé de tout frein, mon syndrome de Maurice fera des progrès galopants, métastasera comme une brute joviale. Bientôt, je ne m'aventurerai plus au-delà du jardin ; on murmurera dans le village ; les petits enfants, passant devant le portail, baisseront un peu la voix, cependant que les plus grands s'efforceront au ricanement, sans en mener beaucoup plus large.

Je donnerai le change de la vie en continuant de fréquenter les blogs, et même parfois leurs auteurs : quand l'envie de boire se fera pressante, on en invitera une paire, comme excuses. Ils seront courtoisement reçus, et même avec toutes marques d'amitié. Je protesterai de la joie que j'ai à les voir et recevoir, mais au fond j'attendrai le moment de leur départ avec une impatience exponentielle, afin de me retrouver seul avec l'Irremplaçable, en qui toute humanité fréquentable sera venue se résumer : bientôt, je ne parlerai plus qu'à elle et à l'écran de mon ordinateur.

Mais toujours avec une grande bonhommie et une gaîté inaltérable.

19 commentaires:

  1. Il y a une chose, enfin non, plusieurs, que je vous ai toujours reconnues, c'est (entre autres) le sens de l'humour et l'absence totale d'illusions sur vous même.
    Ce qui fait que je vous trouve fréquentable pour certains billets, notamment celui là, que j'aime beaucoup.

    (ceci n'est PAS une déclaration d'amour)

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  2. Oui, mais alors, bon : ça sert à quoi que je me dilate la rondelle, si c'est même pas pour récolter des déclarations d'amour ?

    (Couché, Maurice !)

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  3. J'ai une vieille photo de lui en paillasse !
    Tant que tu continues à me parler tout va bien... (ceci est une déclaration d'amour).

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  4. J'ai toujours eu un faible pour les textes où le fantastique surgit dans la vie normale…

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  5. Mince, c'est con, j'aurais dû te demander ! On la mettra demain : envoie-la-moi au bureau.

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  6. Le Coucou : mais ça n'a rien de fantastique ! Maurice a effectivement vécu en reclus durant toute sa retraite (reclus fort sociable cependant), et je me sens réellement un début de vocation à faire de même.

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  7. Didier : C'est très beau votre truc. C'est du Zola en fait (non, non, pas taper sur la tête). Il manque une chose quand même : Les pantoufles : Parlez-nous des pantoufles, nom de dieu ! Charentaises puantes ou sandales spartiates élimées ?
    Bon, pour les gosses passant devant le jardinet, rappelez-vous quand même qu'à leur âge, on ne résiste jamais à tirer la sonnette de chez le "vieux poivrot" à chaque fois qu'on passe pour un "oui" ou pour un autre "oui" hein ! Je vous aurai prévenu !
    Sinon, je suis un peu comme vous : J'en ai vraiment marre de tous ces cons à la noix !

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  8. Beau programme. Il vous restera la lecture, ce qui, en soit, n'est pas si mal. Voire l'écriture.

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  9. Je me joins au chœur : j'adore ce billet drôle et grinçant à la fois. Quant à cette fin : "afin de me retrouver seul avec l'Irremplaçable, en qui toute humanité fréquentable sera venue se résumer : bientôt, je ne parlerai plus qu'à elle et à l'écran de mon ordinateur."... Elle est magnifique !

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  10. Punaise, tout ce qu'il faut pas faire comme chemins alambiqués pour aller dire à sa blonde qu'on l'aime.
    Franchement.

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  11. J'espère pour vous, en tout cas, si vient un jour le Grand Soir, que vous ne passerez pas par l'étape du Stalag (au choix : camp de rééducation light dans le causse du Larzac avec lecture obligatoire, le soir venu, des œuvres de Pierre Bourdieu et de Susan George, ou bien travail d'intérêt général, dans une « banlieue à problèmes », de médiateur intercommunautaire aux fins de réconcilier partisans locaux du Hamas et du Fatah).

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  12. La vache ! Qu'est-ce qui m'arrive ? C'est une réflexion de mec de droite, ça...

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  13. Il faudrait nous dire l'essentiel, Didier, devrons-nous amener du rouge, du blanc ou soyons fous, du rosé ?

    Amitiés.

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  14. Quoi? Plus de virée à Lussan ou près des dentelles de Monmirail?

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  15. Les gens,

    Il faut absolument faire changer d'avis à Didier. Vous imaginez s'il reste chez lui ? 16 heures de trollage par jour.

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  16. Martin Lothar : je suis autant pro-charentaises que pro-israélien, c'est vous dire !

    Yibus : vous tenez vraiment à me faire bosser, vous ! C'est une vengeance ?

    Zoridae et Mélina : on est toujours un peu tordu, nous autres, dans ces situations-là...

    Chieuvrou : oh, si on ouvre des camps de rééduc', je serai certainement dedans. J'ai même déjà une petite idée, quant à l'identité de ceux qui grimperont dans les miradors...

    Chieuvrou-bis : oui, votre état est préoccupant : je vous prescris une semaine de blogs vigilants, ça devrait vous remettre sur pieds.

    Ludovic : du blanc, merci. (Mais l'âge peut encore nous changer.)

    Orage : on y retournera par le souvenir, comme Proust à Venise.

    Nicolas : mais non ! je serai tellement diminué que je serai devenu gentil. Ensuite, on passera à la phase "gâteux" et je redeviendrai de gauche – peut-être même ségoléniste, juste avant l'effondrement final.

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  17. J'en retiens modestement deux choses, que le Didier bougon a bon gout, c'est ainsi que je l'apprécie (comme Audine, tout pareil) et qu'il sera content de nous voir et content encore plus de nous voir repartir.

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  18. Quelques petites sorties au tribunal de temps en temps, tout de même, histoire de prendre l'air...

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  19. Didier, ce grand pere Maurice est il celui dont vous me parliez, portant haut le contrepet ?. coîcidence de votre billet , je fabrique un gradin de cirque , j'aurai donc une pensée heureuse pour Maurice en reprenant le boulot; beau texte et bises à Catherine.

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