mardi 22 septembre 2020

Contrastes et poussettes

 

Retour de promenade avec Charlus. Sur la voie romaine, on ne croise généralement personne, et quand oui, ce sont soit des cyclistes, soit, comme nous-mêmes, des promeneurs de chiens. Aujourd'hui, coup nouveau : une femme poussant devant elle un véhicule à bébé. Que pouvait-elle bien faire là, loin du village, sur ce ruban pierreux et malcommode aux petites roues ?

Mon premier réflexe a bien entendu été de me dire qu'il devait s'agir d'une “mule” qui, maligne, avait choisi cet insoupçonnable mode de transport pour la drogue qu'elle était chargée, partant d'Évreux, de livrer à Mantes-la-Jolie voire à Aubergenville (elle marchait effectivement dans ce sens-là). 

Mes soupçons se sont trouvés considérablement renforcés lorsque la pousseuse m'a aimablement dit bonjour avec un large sourire : pour qu'une Normande soit à ce point avenante, il faut qu'elle ait quelque chose de très compromettant à cacher, des soupçons à dissiper, des gendarmes à semer, un innocent promeneur à enfumer, que sais-je ? 

En fait, non : c'était bel et bien une ébauche d'être humain qui dormait dans la poussette, ou au moins qui faisait parfaitement semblant. Charlus a bien lancé après l'attelage un ou deux brefs abois, mais son entraînement de renifleur de dope étant ce qu'il est, on pouvait difficilement faire fond sur cette manifestation sonore…

Après que femme et nourrisson eurent disparu, je me suis dit que j'avais manqué de présence d'esprit et d'instinct de limier ; que sans doute la drogue devait avoir été cachée par la première dans les Pampers du second, lequel avait bien entendu été loué, voire enlevé, à cette seule fin. Et probablement drogué pour ne pas gêner par ses atroces criailleries sa mère d'emprunt et ses abjects trafics. Je suis rentré à la maison avec le regret tenaillant de ce magistral coup de filet avorté.

On ne s'ennuie pas, au Plessis-Hébert, il arrive même qu'on y frôle des gouffres. Normandie, terre de contrastes et de poussettes.

 

vendredi 18 septembre 2020

Les autoroutes d'Emmanuel Carrère


Lu d'une traite – avec tout de même la pause de la nuit… – les quatre cents pages du Yoga d'Emmanuel Carrère, reçu hier matin. Le livre m'a empoigné, comme l'avaient fait avant lui la plupart de ses prédécesseurs du même auteur, alors même que son sujet officiel est aussi éloigné de moi, a priori, qu'il semble possible : j'ai toujours plus ou moins considéré, et sans doute grandement à tort, toutes ces pratiques, yoga, tai-chi, méditation comme ci, méditation comme ça, comme d'aimables fumisteries.  Mais l'écrivain compte bien davantage que le sujet de tel ou tel de ses ouvrages.

Il y a quelque chose de diabolique, dans les livres de cet écrivain-là, cette façon qu'il a de nous faire croire qu'il saute du coq à l'âne sans savoir où il va, alors qu'en réalité tout est monté avec une précision parfaite, les thèmes les plus disparates en apparence se répondent impeccablement, s'unissent, se renforcent constamment. Le lecteur a l'impression d'être lancé au hasard dans des chemins qui ne le mèneront nulle part, des impasses dûment murées, des fondrières vouées à l'ensablement, alors que, au tournant suivant, il se retrouve sur la voie balisée et familière qu'il pensait avoir perdue définitivement. 

Non, il y a mieux que cette image des chemins, qui a le tort d'être en deux dimensions seulement : les livres d'Emmanuel Carrère font plutôt penser à ces inextricables (en apparence) et gigantesques entrecroisements autoroutiers que l'on voit aux États-Unis (ou dans les films américains, si l'on a jamais, soi-même, mis les pieds là-bas), aux abords des grandes cités, avec ces rubans rigides qui s'entrelacent sur deux, trois, quatre niveaux, qui semblent avoir été jetés là au hasard, s'enroulent les uns dans les autres comme des nœuds de serpents, mais dont le fouillis apparent est en réalité un tissu de correspondances grâce auquel toutes les destinations sont non seulement envisageables mais accessibles, et accessibles seulement par là, seulement à ceux qui acceptent d'affronter l'enchevêtrement, de s'y plonger de confiance.

Voilà un billet “survolé”, hâtivement troussé, à la limite de l'indignité. Si l'on préfère, on pourra lire, sur le site de Causeur, un véritable article, d'une mauvaise foi insigne et d'une sottise qui l'est presque autant. Article qui, pourtant, paraîtra comparativement d'une rare intelligence pour peu qu'on se risque sur les commentaires qu'il a suscités. 

Le mieux est sans doute de lire l'un ou l'autre, au hasard, des livres de Carrère, sans se soucier des états d'âme de Pierre ou de Paul, ou même de moi.


lundi 14 septembre 2020

Pinard pour tout le monde et silence dans les rangs

Acteurs non blancs, non vendeurs de non drogue…

 Commençant, avant-hier soir, de regarder la cinquième et ultime saison de Sur écoute – qui est bien la meilleure série policière qui nous ait été donné de voir jusqu'à présent –, je me suis d'abord fait la réflexion qu'elle devait être inattaquable du point de vue de nos camarades progressistes, la grande majorité de ses acteurs étant des noirs (des non-blancs ? des comédiens racisés ? enfin, on voit ce que je veux dire). Et puis, juste après, je me suis dit que non, que nos antiracistes d'aujourd'hui (la série a presque 20 ans) devraient y trouver à redire, du fond de l'asile d'aliénés d'où ils jugent de toute chose, réclamant à cor et à cri des camisoles de force pour tout ce qui n'est pas eux. 

Car, tous ces acteurs mélanodermiques, qu'interprètent-ils ? Essentiellement des policiers (donc des méchants) ou des vendeurs de drogues plus ou moins assassins (donc donnant une image stéréotypée et raciste des noirs), quand ce ne sont pas des politiciens véreux et cyniques (lesquels, dans la réalité, ne peuvent être que des blancs, comme chacun le sait bien). 

 Or, désormais, il ne suffit plus d'imposer, dans les castings, des quotas de noirs, d'homosexuels des deux sexes, de LGBTQZWHXV et plus si fantaisie, etc : il est de plus obligatoire que tous ces personnages soient éminemment positifs, édifiants, comme disaient les curés et les chaisières du XIXe siècle, dont les vertueux d'aujourd'hui ont pris la place sans rien changer à leur mode de pensée, se contentant de remplacer les vieux rideaux et de repeindre les murs pour se faire croire que la maison était entièrement nouvelle. 

 Ils n'ont pas non plus mis à la retraite les procureurs Pinard, se contentant de leur donner un coup de jeune en les reprénommant Brandon ou Mohammed à la place d'Ernest.


samedi 12 septembre 2020

L'énigme du char qui flotte

Gustave Flaubert, Henry Monnier : qui a copié qui ? Ou, pour le dire plus aimablement : lequel a inspiré l’autre ? Voire : qui a rendu hommage à qui ? Dans le célèbre chapitre de Madame Bovary dit “des comices agricoles”, on peut lire, entre autres choses, le discours que prononce un conseiller de la Préfecture (le préfet n’a pas jugé bon de se déplacer en personne…). 

Discours fort drôle car à peine caricatural. Et, dès les premières lignes, alors que l’orateur rend un hommage convenu au roi, convenu et ronflant, on y entend ceci : « […] et qui dirige à la fois d’une main si ferme et si sage le char de l’État parmi les périls incessants d’une mer orageuse, etc. »

Ce char affrontant la mer orageuse : évidemment on pense aussitôt à Joseph Prudhomme déclarant que “le char de l’État navigue sur un volcan”. Et c’est alors qu’on se demande qui est le véritable créateur de ce fameux char amphibie, de Gustave Flaubert ou d’Henry Monnier. 

La réponse est que c’est Gustave le copieur, Henry ayant imaginé et créé son personnage de Prudhomme dès 1829 ou 1830, tandis que le chapitre “Comices” fut écrit, lui, durant le second  semestre de 1853, comme en font foi les geignardises de l'auteur, à propos de sa lenteur et des peines qu'il éprouve à le mener à bien, dans ses lettres à Louise Colet, sa pénible – mais heureusement très épisodique – maîtresse.

 Du reste, il ne serait pas très étonnant que Flaubert eût connu et apprécié la créature de Monnier :  M. Prudhomme n'est pas sans accointances diverses avec le personnage du Garçon, voire sans ressemblances avec Bouvard ou Pécuchet – sans doute davantage avec Pécuchet, maintenant que j'y songe. Cela dit, en raison même de cette proximité, il se pourrait tout aussi bien que Flaubert détestât Prudhomme…

On ne saura pas ce qu'il en pense, dans la mesure où les gougnafiers pléiadeurs n'ont pas jugé bon d'adjoindre un index aux cinq volumes qui contiennent la correspondance générale de Flaubert. Le char de la Pléiade navigue sur des océans d'incompétence…


mardi 1 septembre 2020

Un grand saut dans le Gide


J'ai arpenté ses couloirs durant presque tout août.